Cela fait 791 jours, 26 mois 18984 heures que le corps de Ran Gvili a été pris en otage et se trouve à Gaza. Il n’en reste qu’un seul, c’est le dernier.

Ran Gvili avait 24 ans, originaire de Beer Sheva, il était membre de l’unité spéciale Yasam de la police israélienne. Le 7 octobre, lors de l’assaut du Hamas, Ran se trouvait à l’hôpital, dans l’attente d’être opéré. Lorsqu’il a appris le pogrom en cours, il a quitté l’hôpital pour aider et secourir. Les dernières nouvelles de Ran datent du 7 octobre à 10h50, lorsqu’il a envoyé un message à ses amis sur WhatsApp pour leur dire qu’il avait reçu deux balles dans la jambe. À ce moment-là, il était probablement près du kibboutz Aloumim, à proximité de la zone où les terroristes du Hamas ont attaqué. En réalité, il a été assassiné le 7 octobre et son corps emporté par les terroristes pour servir de monnaie d’échange avec les autorités israéliennes.

Est-ce que le retour de son corps sans vie permettra de fermer cette parenthèse dramatique ? …il n’en reste plus qu’un. Et ce n’est pas qu’un numéro sur une liste de 216 noms.

Cette semaine j’ai commencé la lecture du livre d’Eli Sharabi « Otage, 491 jours aux mains du Hamas », lui a été pris en otage vivant le 7 octobre au Kibboutz Beeri devant sa femme et ses deux filles, il avait 51 ans.

C’est une lecture terrible, une réelle descente aux enfers. Au début de sa prise d’otages, il est traité, dit-il, avec une certaine humanité. Il vit dans le sous-sol d’une maison avec une famille gazaouie. Il discute avec ses gardiens auxquels il donne des surnoms : l’un est surnommé « le masque » parce que son visage est caché en permanence les premières semaines, le second « le nettoyeur », car il passe son temps à nettoyer la pièce où vivent les ravisseurs, la cuisine et les toilettes.

Après 9 mois, il est transféré dans un tunnel et rejoint 6 autres jeunes otages, tous faits prisonniers à la fête Nova. Les conditions de vie ne font que se dégrader ensuite.

Ce témoignage poignant me révulse, ce n’est pas un énième épisode de Hatoufim, c’est la vraie vie, le véritable martyre d’un homme bienveillant qui a cherché à écouter, tisser des liens avec ses ravisseurs, même dans l’enfer des tunnels. Il voulait comprendre et ce vécu l’a totalement transformé. Pour survivre, il dialoguait quotidiennement dans sa tête avec sa femme et ses filles. Il leur promettait de survivre et de leur offrir une vie meilleure en Angleterre, pays dont sa femme était originaire. Il ne les reverra jamais, toutes trois assassinées le jour où il a été pris en otage.

En dépit de l’horreur vécue, son témoignage nous fait pénétrer dans une zone grise à l’affut de la moindre trace d’humanité chez ses ravisseurs. Eli Sharabi a été libéré et a pu rentrer vivant, avec deux de ses codétenus : Ohad Ben Ami et Or Lévy, le 8 février dernier. Il pesait 44 kilos.

Comment a-t-il pu se reconstruire alors que sa famille nucléaire était partie en fumée, tant d’amis et voisins assassinés, sa maison et son kibboutz saccagé ? Quelle vision a-t-il à présent d’une coexistence pacifique, alors que son choix de vivre au Kibboutz Béeri à quelques kilomètres de la frontière avec Gaza était un acte de résistance, un engagement pour la paix ?

Dans notre paracha, Jacob-Israël vit depuis 22 ans sous la menace d’être anéanti par son frère jumeau Esaü, frère auquel il a subtilisé la bénédiction paternelle destinée à l’ainé de la fratrie.

Voilà une partie des mots adressés par Isaac à Jacob :

«29 Que les peuples te servent

et que les nations se prosternent devant toi.

Sois le maître de tes frères

et que les fils de ta mère se prosternent devant toi.

Maudit soit quiconque te maudit

et béni soit quiconque te bénit ! »

Et voilà ceux d’Isaac à Esau :

« Tu vivras de ton épée,

et tu serviras ton frère ;

mais quand tu deviendras inquiet,

tu briseras son joug de ton cou. »

Le père, Isaac n’a qu’une bénédiction à offrir, et lorsqu’il prend conscience du subterfuge dont il a été victime ne réussit pas à trouver les mots appropriés pour offrir à son aîné la bénédiction manquante. Esau et Jacob sont reliés pour toujours par des chaînes de fer, un mal qui les ronge, ils semblent condamnés à vivre dans la haine et la terreur, eux et leurs descendants à cause de la préférence paternelle…

Ces bénédictions-prédictions les dressent l’un contre l’autre comme deux camps irréconciliables, car il n’y a la place que pour un fils, et un peuple élu de Dieu…

Cette vision binaire n’est porteuse que de défiance reflète aussi une division intérieure.

Cette fracture interne, on la retrouve dans la prière que Jacob adresse à l’Eternel avant sa rencontre avec Esau.

Je suis indigne de toutes les faveurs et de toute la fidélité que tu as témoignées à ton serviteur, moi qui, avec mon bâton, avais passé ce Jourdain et qui à présent suis devenu deux camps.

וְעַתָּ֥ה הָיִ֖יתִי לִשְׁנֵ֥י מַחֲנֽוֹת׃ à présent je suis devenu deux camps.

Jacob-Israël à l’image des deux noms qu’il porte ressent une brèche intérieure. Il est partagé entre l’élan vers son frère et le désir d’une réconciliation, d’un côté, et la terreur de le retrouver et d’être anéanti lui et sa tribu.

Il prie et demande l’aide de Dieu pour être sauvé des mains fraternelles fratricides. L’épisode de la lutte avec l’ange le prépare à sa rencontre avec Esaü et lui permet de retrouver cette foi en lui-même et en l’avenir.

Notre peuple héritier de cette lutte de Jacob a appris, après chaque épisode tragique de son histoire, à se redresser. Jacob-Israël lutte d’abord contre des sentiments de terreur, de rejet et de repli sur soi si naturels en ces circonstances.

Eli Sharabi après l’épisode tragique qu’il a vécu est le modèle d’une lutte similaire entre lui et l’ange. Il a miraculeusement, et contre toute attente, réussi à se redresser et cela n’efface en rien la dureté de l’épreuve vécue, mais ouvre la voie vers une prise de recul et un chemin de réparation et de conciliation, même froide à la manière de Esaü et Jacob dont les chemins et les vies vont se séparer pour toujours.

Chère Orah, ta paracha parle de sujets qui concerne chaque individu mais aussi chaque groupe humain : famille et communauté. Ces sujets complexes nous interrogent à tout âge et à chaque génération : comment trouver la paix en soi après un conflit ? comment faire la paix avec son frère ou sa sœur. Ton travail, ta réflexion ont été remarquables et je te félicite pour le sérieux que tu as mis dans cette préparation. Toute ta famille peut être fière de toi !

Un grand mazal tov et chabbat shalom !