Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Catégorie : Fêtes Page 1 of 2

Drasha Yom Kippour – Kol Nidré 24 septembre 2023

En 1946, Aharon Appelfeld était un adolescent rescapé des camps de la mort, orphelin et décharné il raconte dans un de ses livres autobiographiques ‘le garçon qui voulait dormir’ son errance dans une Europe en ruines, jusqu’à son arrivée en Palestine/Israël. C’est un témoignage à la première personne de ce qu’était l’Israël des réfugiés de l’Alya beth, dont a fait partie l’écrivain, et qui s’est étendue de 1933 à 1948.’ Alya illégale’ selon le ‘livre blanc’ élaboré par les Britanniques qui occupaient la région.

A cette époque, les responsables du Yishouv avaient un projet très clair : donner naissance à un peuple tout neuf en Palestine. Il fallait se réinventer de fond en comble comme on dit aujourd’hui. Erwin a dû changer son prénom en Aharon, et s’atteler à apprendre une nouvelle langue, ainsi que s’entrainer à devenir un soldat musclé et bronzé, prêt à se battre pour la nouvelle patrie, comme tous ses camarades.

La renaissance de l’état d’Israël était perçue, par ceux qu’on appelait les ‘sherit hapleta’ les restants de la catastrophe, comme l’ultime Yeshoua et Guéoula sauvetage et libération tant attendus. Cela rappelait confusément l’intervention divine pour sauver et sortir les Bneï Israel de l’esclavage en Egypte.

Le récit d’Aharon Appelfeld est pourtant beaucoup moins glorieux, et il raconte son lent rétablissement, son corps anesthésié qui reprend doucement goût à la vie, secouru par des mains patientes, délicates, pleines d’humanité. Il a fallu plusieurs années, parfois une vie entière, pour se relever d’un tel traumatisme.

En 1957, Aharon Appelfeld retrouve son père qui aura survécu également, et entre temps il aura fait des études et exercé le métier de professeur de littérature. Devenu un célèbre écrivain de langue hébraïque multi primé, il a fait partie de cette génération de bâtisseurs de l’état d’Israël, de survivants, qui ne cherchaient pas une revanche mais un havre de paix. Leur seule ambition était de bâtir un pays comme nul autre, encré dans les paroles prophétiques d’Isaïe, en résumé : un modèle pour les nations.

Trois générations plus tard, que reste-t-il de cet idéal fondateur ? La douleur et la honte m’étreignent lorsque je découvre une vidéo tiktok, où le fils du ministre en charge de la sécurité intérieure Ittamar Ben Gvir, interviewé par son fils de 17 ans, promu depuis peu responsable comm. de son père, fait l’apologie du port d’armes et se félicitant de l’augmentation des ventes d’armes en Israël, prônant, en toute impunité, le ‘nettoyage ethnique’ et le séparatisme[1]

En février dernier, au cours d’un énième attentat meurtrier, 2 israéliens ont été assassinés par un terroriste palestinien, alors qu’ils circulaient en voiture à Hawara,. En représailles, des bandes de militants d’extrême droite juifs israéliens ont incendié des maisons, des voitures et d’autres biens, et ont blessé des dizaines de Palestiniens, sans que les forces de sécurité israéliennes ne fassent grand-chose pour protéger les habitants palestiniens. Youval Harari raconte son expérience face à une poignée de militants qui, des mois après cet attentat et cette expédition punitive scandait dans les rues et par hautparleur un chant devenu populaire[2] :

Qui va finir dans les flammes maintenant ? – Hawara !

Des maisons et des voitures ! – Hawara !

Ils évacuent les vieilles dames, les femmes et les jeunes filles, ça brûle toute la nuit ! – Hawara !

Brûlez leurs camions ! – Hawara !

Brûlez les routes et les voitures ! – Hawara !

Voilà le nouveau visage d’une partie d’Israël, une sorte de far West, où on se fait justice soi-même en appliquant stupidement la devise ‘œil pour œil dent pour dent’ me fait frémir.

Ce sont deux exemples, parmi d’autres, du racisme et de l’incitation à la violence prônée par une frange non négligeable de la population israélienne sensible à ces propos…

Une brèche, que dis-je, un fossé se creuse sous nos yeux entre ceux et celles qui restent fidèles aux valeurs démocratiques et inclusives des origines et celles et ceux qui les pervertissent.

Dans ses hilkhot techouva lois de la Techouva, Maïmonde écrit :

Chaque personne devrait se considérer pendant toute l’année comme si ses mérites et ses fautes étaient également équilibrés, et considérer le monde entier comme s’il était à moitié innocent et à moitié coupable ; or, si une personne commet une seule faute de plus, par cette seule faute elle fait prévaloir la balance de la culpabilité, tant à son égard qu’à l’égard du monde entier, et, par conséquent, elle le détruit ; Par contre, si une personne accomplit un seul commandement de plus, par cette seule bonne action, elle fait basculer la balance des actes positifs vers elle-même et vers le monde entier, et par conséquent elle apporte le salut et la délivrance à la fois à elle-même et au monde[3].

L’éléphant dans la pièce, comme disent les anglo-saxons, ou le caillou dans la chaussure suscite une souffrance à la limite du supportable et on se doit de lancer cette discussion, surtout en cette période qui invite à l’examen de conscience, et à la techouva.

La cocotte a déjà explosé et des feux s’allument dans le pays. Des pans entiers de la population israélienne sont en opposition frontale avec la réforme judiciaire du gouvernement et ses positions extrêmes en général. Ils manifestent et font grève avec leurs moyens et ne veulent plus participer ni à sa vie économique, ni à son effort militaire, certains quittent déjà le pays. Encore plus grave pour l’avenir d’Israël est l’initiative prise par 200 jeunes bacheliers qui ont signé une lettre déclarant refuser de rejoindre Tzahal et effectuer le service militaire obligatoire.  

Déjà des voix de candidats aux primaires américaines, pas seulement démocrates s’élèvent pour supprimer toutes les aides militaires à l’état hébreu (soit 3,8 mds de $ par an), et ce, mêmes si ces aides bénéficient, par effet boomerang, à l’état américain. La raison invoquée est ‘qu’Israël ne partage pas ou plus les valeurs démocratiques des Etats Unis’, selon Dan Kurtzer, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Israël entre 2001 et 2005 …[4]

Depuis fin août, une pétition signée par plus de 2000 professeurs d’université israéliens et américains, rabbins et personnalités, à grande majorité juive, circule et traite l’état d’Israel de terre d’apartheid…du jamais vu depuis sa création, ce terme et ce qu’il véhicule ayant toujours été considéré comme tabou et réservé aux ennemis d’Israël…

L’état hébreu se referme sur sa coquille, où les drames causés par les actes terroristes palestiniens, quasi quotidiens, ne font que s’ajouter à la ‘milhemet ahim’  la guerre entre frères et sœurs, qui fait rage dans le pays.

De quoi sera fait l’avenir ? comment faire pour que les différentes ‘tribus’ qui composent le kaléidoscope israélien se tournent de nouveau les unes vers les autres pour tenter de se comprendre, communiquer, rechercher le dialogue, et la réconciliation ? Comment retrouver ce lien entre nous et en même temps, la fidélité aux pères fondateurs ? Ce sont des questions existentielles pour la survie et la pérennité de l’état hébreu. Aller de l’avant c’est continuer à bâtir Israël en prenant en compte ces fondamentaux, à l’opposé d’une vision passéiste de son Histoire.

Il y a tant de vœux à formuler, de tout notre cœur, pour nos frères et sœurs israéliens en cette année 5784. En premier lieu, puisse l’Eternel détourner ses citoyens de l’adoration de tous les veaux d’or qui ont fleuri sur son sol et en premier lieu, celui du fantasme de la pureté ethnique, à l’exclusion de tout ce qui est ‘autre’. Puisse chacun de ses habitants faire pencher la balance vers le bien, et que l’Eternel accorde à tous ses citoyens la paix et la sérénité propice au dialogue, ainsi que le retour vers l’Israël figurant dans notre liturgie. L’Israël qui fait référence à un peuple unifié, auquel a été confié une mission et un projet qui le dépasse.

Ken yhié ratzon, hatima tova et tzom kal !


[1] Israel’s TikTok Extremists (jewishcurrents.org)

[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-07-13/ty-article-magazine/can-judaism-survive-a-messianic-dictatorship-in-israel/00000189-5049-de0f-afbb-7c6d75a40000

[3] lois de la Techouva 3 : 4

[4] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-08-06/ty-article/.highlight/once-taboo-discussing-ending-u-s-military-aid-to-israel-has-become-increasingly-popular/00000189-c752-ddac-a3cd-e77363d00000

Drasha Roch Hachana 5784 – 15 septembre 2023

Certains épisodes de l’enfance laissent des traces indélébiles sur nos vies, qu’ils soient heureux ou plus sombres, ce sont comme des briques qui contribuent à nous construire ou au contraire à laisser des fissures douloureuses …L’épisode de la ligature d’Isaac que nous lisons tous les ans à Roch Hachana raconte une de ces brèches. Un récit initiatique auquel on ne peut rester indifférent.e, certains mots peuvent même nous donner des frissons, tant la puissance dramatique de la scène, dont on connait pourtant l’épilogue, nous émeut. Ce récit répété tous les ans parle d’un père âgé et de son fils, plus tout jeune, un enfant très désiré. Tous deux sont attachés l’un à l’autre, voire entremêlés sans possibilité de dénouer leurs destins.

Le nœud de ce récit semble être leur soumission à une volonté supérieure, Abraham à Dieu et Isaac à son père. Selon la tradition, on attribue le comportement d’Abraham à une foi aveugle qui est encensée par les sages.

Le récit pose la question de la responsabilité du père (et de nos jours des parents en général), du droit « illimité » du parent sur l’enfant, de l’obéissance et de la désobéissance, de la soumission et de l’application littérale de la loi religieuse, du sacrifice, au sens propre comme figuré et j’en passe. La première question qui se pose est toute simple et nous concerne tous qu’on soit parent ou enfant : que veut dire aimer son enfant ? et jusqu’où peut-on aller par amour ?

Meïr Shalev za’l, un grand romancier israélien qui nous a quittés en avril dernier a consacré trois livres à l’exégèse biblique. Issu d’une famille de haloutzim – premiers fondateurs de l’état d’Israël, originaires de Russie et vivant dans un moshav, il se déclarait athée et étudiait ces textes sous leur versant littéraire. Dans son livre « Commencements : Réflexions sur les premières intrigues de la Bible »[1], il s’intéressait aux premières fois dans la Bible : le premier amour, le premier rêve, les premiers pleurs, le premier rire etc. En ce qui concerne l’amour, il note que la première occurrence de la racine aleph heï bet ahav – ‘amour’ figure au chapitre 22 de la Genèse :

וַיֹּ֡אמֶר קַח־נָ֠א אֶת־בִּנְךָ֨ אֶת־יְחִֽידְךָ֤ אֲשֶׁר־אָהַ֙בְתָּ֙ אֶת־יִצְחָ֔ק 

Et Il lui dit : prends je te prie ton fils, ton fils unique que tu as aimé, Isaac.

Il ne s’agit pas d’un amour romantique, mais d’un amour filial. De plus, ce n’est pas Abraham qui fait une déclaration à son fils mais Dieu qui lui explique ce qu’il éprouve pour son fils. L’Eternel qui a donné un nom à chaque espèce et chaque chose, nomme aussi ce sentiment qui unit un père à son fils. On se serait attendu à ce qu’on parle d’amour à propos d’Adam et Eve, mais ce n’est pas le cas. Et de plus, la question de la réciprocité de cet amour entre d’Isaac envers son père, reste mystérieuse.

Cet amour est pour le moins singulier, puisque l’objet de l’amour – Isaac – peut être sacrifié donc détruit en un instant, sous prétexte d’un test divin, une sorte de jeu. Le prix à payer pour cet amour est exorbitant, mais il ne trouble pas le héros de notre histoire, qui ne remet pas la parole divine (ou ce qu’il croit entendre)en cause et ne négocie pas. Abraham est prêt à sacrifier son deuxième fils, comme il a quasi-sacrifié le premier : Ishmaël peu de temps auparavant. C’est Sarah qui avait demandé ce sacrifice-là à son mari et avait obtenu l’assentiment divin. Abraham n’a pas discuté là non plus, et a renvoyé sa servante Hagar, la mère et son fils ainé Ishmaël dans le désert. Un désert où à moins d’un miracle, ils étaient promis à une mort certaine…mais le miracle c’est-à-dire l’intervention divine s’est produite, et les a sauvés.

L’amour que porte Abraham à son fils Isaac est un amour à mort, un amour qui possède l’autre – ‘ka’h na’ ‘prends je te prie’ – ici son enfant jusqu’à l’annihiler.

La formulation même de la demande divine est insidieuse : ton fils unique – non Abraham en a deux – ton préféré – un midrash nous dit pourtant qu’il préférait Ishamël. Et ahav est au passé asher ahavta, celui que tu as aimé, comme s’il n’était déjà plus ? Et que devient alors la promesse divine réitérée à maintes reprises avant cet épisode, d’une descendance aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel et les grains de sable ? Totalement contradictoire avec le sacrifice qui est demandé à Abraham. Pourquoi Abraham n’est pas plus à l’écoute de ces signaux d’alerte ? Lui qui est décrit comme parangon de sagesse, un modèle de hessed – d’amour fraternel, connecté jour et nuit au divin ?

Le midrash apporte-t-il une réponse à ces questions ? Dans un midrash célèbre on apprend que Tera’h le père d’Abraham vend des statuettes dans son échoppe et qu’Abraham en a assez et les brises toutes. Pour le punir, son père l’amène devant le roi Nimrod qui décide de jeter Abraham dans les flammes pour le tester.

 Au même moment, le frère d’Abraham, Nahor fait un vœu : si Abraham survit, il fera confiance à ’Abraham et cessera d’être idolâtre, mais s’il meurt, Nahor continuera à être polythéiste, comme le roi Nimrod. Abraham est sauvé miraculeusement et Nahor confirme son vœu. Nimrod, fou de rage jette Nahor dans le feu, devant son père et son frère, qui assistent à sa fin. C’est comme si Abraham répétait une histoire déjà vécu. Presque…puisqu’Isaac ne sera pas sacrifié, selon le récit biblique.

Cette histoire va transformer Isaac et l’amputer, en quelque sorte, d’une partie de lui-même.  Car comment un fils peut-il renouer avec son père après un tel épisode ? Plus aucune parole ne sera échangée entre eux et leurs routes se sépareront. Isaac vivra cependant dans l’ombre de son père, répétant les épisodes vécus par Abraham. Isaac aura vécu une vie écrasée par son père …Sa mère meurt peu après, et l’amour il le connaitra auprès de sa femme Rivkha, qui le consolera de la perte de sa mère.

Erri De Luca dans son livre ‘Grandeur Nature’ se place aussi à hauteur d’enfants devenus adultes, et raconte des histoires de résistance, voire de révolte envers les pères abusifs. Il s’inspire de la ligature d’Isaac pour parler de sa propre relation douloureuse avec son père. Lui a claqué la porte de sa maison paternelle, a rejoint les brigades rouges, fait de la prison, et construit une vie faite d’engagement, de choix radicaux et de recherche de liberté. D’autres récits ponctuent son livre. Tous sont des fils et des filles qui se révoltent, et rompent le fil qui les lient à leur patriarche.

Abraham et Isaac n’ont pas su et pas pu nouer une relation harmonieuse, l’amour n’a pas protégé Isaac. Ils sont restés des étrangers l’un pour l’autre, préférant se taire, se soumettre et obéir à une loi absolue. Cette histoire répétée à chaque Roch Hachana, nous rappelle que d’autres voies sont possibles… Une génération s’en va et une autre arrive, nouer un lien affectif de qualité avec sa descendance est un réel défi auquel chacun et chacune doit s’atteler, car ce lien-là est la fondation qui, de proche en proche, tisse celui d’une société toute entière ! Chana tova oumetouka ! et chabbat shalom.


[1] https://www.amazon.fr/Beginnings-Reflections-Bibles-Intriguing-Firsts/dp/0307717186

Drasha Kol Nidré – KEREN OR, le 4 octobre 2022, trouver sa place ?

Y a-t-il quelque chose de plus embarrassant que de se retrouver dans une salle comble, au milieu d’inconnus, dans un endroit nouveau, sans savoir où est SA place ? Et si on va trouver une place ? Un peu comme ce soir, je suis sure que certain.e.s d’entre vous ressentent ce léger malaise, même si ce n’est pas la première fois que vous franchissez ces portes…et même si la salle n’est pas comble.

Être à sa place, ou pas, voilà une question qui peut nous titiller par moments, voire nous préoccuper toute une existence, et ce d’autant plus qu’on a la conviction de ne pas être né à la bonne place, au bon moment, dans la bonne famille, la bonne religion, le bon corps etc. Il est possible qu’on ait changé « de case » en cours de route, fut-elle géographique, sociale, voire biologique, et alors on doit se réadapter, être à nouveau accepté, reconnu, adoubé…J’avoue que je fais partie de ces personnes qui se sont posé des questions à propos de leur place, leur identité et parfois leur légitimité. Alors j’ai cherché, trébuché, me suis trompée et recommencé.

Chercher une place, sa place n’est pas une question univoque bien au contraire, quand on se penche sur le sujet, on ouvre une boite de pandore à questions. Pour certains, enfermés dans leur routine, leur place ressemble à un piège, où ils se sentent à l’étroit. Ou alors ils ressentent un inconfort à cause de la place qui leur a été assignée dès l’enfance, dans leur famille, place dont ils n’arrivent pas à se défaire surtout lorsqu’ils retrouvent le ‘clan’ lors de réunions de famille. D’autres, se raccrochent à la place gagnée de haute lutte, comme si cela avait été une revanche, ou une réparation. D’autres encore, bataillent pour la place qu’ils n’osent pas prendre et se posent à la marge, faute de se sentir légitime. Et puis, il y a notre genre qui nous assigne à une certaine place, qui, parfois ne convient pas et on peut en éprouver une douleur tenace. Ne pas se sentir à sa place, cela arrive souvent, quand on n’est pas écouté, notre voix est mise en sourdine, voire tue, et on l’accepte pour ne pas déranger. Toutes ces histoires de place et bien d’autres sont abordées dans le récent livre de la philosophe Claire Marin ‘Etre à sa Place’ qui s’appuie sur la littérature où ce sujet est un leitmotiv. A propos de la voix par exemple, elle nous dit :

« On perd sa voix pour trouver une place, on abandonne un mode d’expression de soi dans l’espoir d’être entendu ! » et évidemment cela ne fonctionne pas…car on renonce à soi. « Être à sa place commence peut-être par cette libération d’une voix propre… »

A force de chercher sa place et d’essayer de faire plaisir aux uns et aux autres, on court le risque de se perdre soi !

Paradoxalement, si vous êtes venus à cette place si nombreux ce soir, quitte à vous sentir un peu fébriles, gauches, ou mal à l’aise, c’est justement pour essayer de trouver VOTRE place, et vous rapprocher de La Place, Hamakom !

 Hamakom est aussi l’un des 70 noms bibliques par lesquels on tente de nommer celui/celle qui n’en a pas…Une incongruité n’est-ce pas, d’appeler ainsi l’Omniprésent qui a toute sa place mais aucune place déterminée. Aujourd’hui en cette place, comme chaque année, on cherchera à se rapprocher de ce quelque chose qui nous dépasse, quelle que soit la forme/la signification/la place qu’on lui donne.

Hamakom sans plus de précision est un lieu où, emplis de révérence, on pense furtivement se trouver en Sa présence !

Comme notre ancêtre Jacob dans son fameux rêve de l’échelle, où les anges montaient et descendaient et lui faisaient dire : « Akhen yech Adonaï bamakom hazé véani lo yadati…Sans doute, l’Eternel se trouvait en cette place et je ne le savais pas ».

Cet épisode dont Jacob est le héros nous donne quelques indices sur ce à quoi Hamakom peut faire référence dans la Torah : un lieu entre rêve et réalité.  Et comme dans un rêve, c’est un moment où on lâche prise, et cette rencontre nous prend par surprise, au moment où on s’y attend le moins. On Le trouve lorsqu’on ne La cherche pas…

Le récit de Jacob commence par le mot Vayétzé – ‘il sortit’, il raconte d’abord la fuite de Jacob de sa maison paternelle, c’est dans ce moment de détresse, de profonde insécurité lorsque Jacob est dé-placé qu’il fait ce rêve et a cette révélation. Changer de place est aussi pour lui une façon de faire tourner sa roue de la fortune…Meshané makom meshané mazal – celui qui change de place, change sa providence – nous dit la tradition, c’était clairement le cas pour Jacob !

Les rabbins – dont le plus célèbre d’entre eux Rachi – ont cherché à savoir quel était ce lieu qui n’est pas désigné par un nom ? et comme Hamakom apparait une première fois lors du récit de la Akeda – la ligature d’Isaac, les rabbins en ont conclu qu’il s’agit du Mont Moriah, là où a eu lieu cette ligature, c’est-à-dire là où seront construits les 2 Temples ! Hamakom se trouve là où la vie d’Isaac a failli s’arrêter, dans cet interstice entre vie et mort, ce moment de bascule, qui le marquera pour toujours…

Hamakom, le prophète Yona l’a trouvé dans le ventre du poisson…ce prophète à double face, qui ne trouve pas sa place, comme son nom hébraïque Yona qui veut dire à la fois colombe, symbole de la paix et affliction/destruction.

Il est lui aussi dans cet interstice et peut basculer vers la création et la vie ou vers la destruction et la mort.

Révolté  contre un Dieu qu’il estime trop compatissant envers la population de Ninive, dont la population a été trop vite pardonnée, il est en colère puis tombe dans une profonde dépression, et en perte de repères, il s’endort sous un arbre  :le Kikayon…l’arbre à ricin, comme un clin d’œil à l’amertume qu’il éprouve au fond de son coeur. A son réveil, le Kikayon est mort, et Jonas n’a plus goût à rien, il demande à nouveau à mourir. Il ne comprend plus ce que Dieu attend de lui et se montre plus intransigeant que l’Eternel lui-même. …Et l’Eternel lui fait la leçon : comment se fait-il qu’il n’a aucune compassion pour Ninive et sa population alors qu’il pleure l’arbre mort ? Yona a erré, Yona s’est égaré à plusieurs reprises. Mais il a finalement attrapé métaphoriquement la main tendue…

Comme pour Yona et d’autres prophètes, entre Hamakom -La Place et notre Makom – notre place, il y a comme un gouffre, qu’on tente tant bien que mal de combler. Cela est le cas lorsqu’on perd le goût pour la vie, et qu’on ne sait plus comment trouver sa place.

Pour les 25 heures à venir je vous propose de laisser la place à ce qui est incertain, à cet espace liminal, à cette présence-absence, qui est au fond de nos cœurs. Car en chacun de nous, il y a ce petit diamant brut, qui ne demande qu’à être légèrement poli pour briller.

Ouvakharta vahaim ! choisis la vie, nous dit la Torah, cet impératif est un cri, un cri au secours, la vie nous appelle à être présent à nous-mêmes, et aux autres, à être prêt à se laisser surprendre par La rencontre, spécialement à cet endroit et en ce jour particulier, où il n’est question que de présence ! alors soyez prêt et réservez à cette présence la place qu’il/elle mérite !

Ken Yhié ratzon, Chana tova, soyez inscrits dans le livre de Votre vie et puissiez vous la vivre en grand !

Drasha Roch Hachana 5783 – KEREN OR 25 Septembre 2022

En pleine canicule, j’ai découvert cet été qu’il existait une coutume pour le moins curieuse dans le judaïsme, celle de bénir le soleil. Coutume, que dis-je mitsva ! Mitzva qui revient de manière cyclique, tous les 28 ans, à une certaine date du mois de Nissan. Tous les 28 ans, selon nos sages, le soleil se retrouve à la même place que le jour où il a été créé selon la tradition, c’est-à-dire le 4è jour de la création !

« Les Sages ont enseigné : Celui qui voit le soleil au début de son cycle, la lune dans sa puissance, les planètes dans leur orbite, ou les signes du zodiaque alignés dans leur ordre récite : Béni…Auteur de la création. » [1]

C’est ainsi que le talmud nous présente la prescription de ce commandement. Puis s’en suit une mahloket dispute talmudique entre rabbi Yehoshua et rabbi Eliezer concernant le mois où a eu lieu la Création du monde, pour r. Yehoshoua c’était au mois de Nissan alors que pour r. Eliezer c’était en Tichri (réf). Comme vous voyez c’est l’opinion de r. Yehoshoua qui a prévalu…probablement parce que les jours rallongent à partir de Nissan alors qu’ils décroissent à partir de Tichri et on met le soleil à l’honneur lorsque sa lumière dure plus longtemps.

Le rite de bénédiction du soleil s’appelle Birkat hahama,[2] la bénédiction de celle qui réchauffe autrement dit du soleil. La dernière fois qu’il a eu lieu était le 8 avril 2009 et la prochaine fois ce sera le 8 avril 2037, lors de l’équinoxe de printemps.

Selon notre longévité sur cette terre, nous aurons la chance de dire cette bénédiction tout au plus 3 fois dans une vie et ce seulement si l’Eternel nous prête une vie suffisamment longue !

Le soleil est appelé tout d’abord dans la Genèse ‘grand luminaire’ hamaor hagadol. Le terme moderne shemesh est assez rare et apparait à 15 reprises dans le Houmash et plus souvent dans le reste du Tanakh et le talmud, et enfin dans le livre de Job apparait le terme heres  – objet en terre, poterie, faisant référence surement à un soleil qui ‘forme’ la terre, à l’orrigine de la Création ?

Ainsi notre tradition entretient une relation quelque peu ambiguë avec le grand astre lumineux : le soleil est à l’origine de toute vie sur terre, sans lui on n’existerait plus, de l’autre côté, nos Sages se méfiaient du soleil qui dans d’autres traditions comme celle mésopotamienne était considéré comme un dieu. C’était surtout le cas chez les Égyptiens. peuple au milieu duquel nos ancêtres ont vécu, il n’est pas étonnant que le culte du soleil ait perduré bien après la sortie d’Egypte parmi les Bnei Israël.  La Torah insiste sur l’interdit de l’idolâtrie à longueur de versets comme ici dans le Deutéronome où la référence aux astres est clairement mentionnée :[3]

S’il se trouve dans ton sein, dans l’une des villes que l’Éternel, ton Dieu, te donnera, un homme ou une femme qui fasse quelque chose de mal aux yeux de l’Éternel, ton Dieu, en violant son alliance; 3 qui soit allé servir d’autres divinités et se prosterner devant elles, ou devant le soleil ou la lune, ou quoi que ce soit de la milice céleste, que je n’aurai pas commandé: 4 et si cela t’est rapporté par ouï-dire, tu feras une enquête approfondie ; et si la chose est avérée, si cette infamie s’est commise en Israël, 5 tu feras conduire aux portes de la ville cet homme ou cette femme, coupable d’un tel crime, l’homme ou la femme! Et tu les lapideras par des pierres, pour qu’ils meurent.

Ainsi le terme shemesh, vient de shamash, Dieu cananéen, dont les archéologues ont trouvé des traces. Les noms des villes tels que Beit Shemesh – maison du soleil, et Yericho (de Yarea’kh- la lune mais aussi le mois) sont des vestig            0es de ces cultes anciens aux astres. Le talmud nomme les idolâtres Ovdeï Kokhavim les serviteurs des étoiles…

En hébreu shemesh a un sens différent et veut dire ‘serviteur’ (comme le shamash de la synagogue) peut être pour nous signifier que le shemesh n’a qu’à bien se tenir et se soumettre au Dieu des hébreux plutôt que de rentrer en compétition avec l’Eternel ?  

Bénir le soleil serait alors une concession faite aux hébreux puis aux juifs pour reconnaitre l’importance de cet astre, aux cotés de la lune, dans nos vies.

La philosophe Emma Carini a récemment consacré un livre entier au Soleil, à son histoire aux mythes qui l’entourent et à son influence sociale, voire économique…dans un monde boulversé par le réchauffement climatique son livre arrive à point…

Elle rappelle que l’énergie solaire est indispensable pour la vie, on vit tous sous le soleil qui est à l’origine de toutes les énergies, notamment de la découverte du feu qui a permis à l’humanité de sortir des cavernes, et de se sédentariser puis maitriser la technique. Le soleil est une source de lumière et de chaleur, c’est lui qui en premier nous a permis de nous situer dans le temps avec les horloges solaires.

Le talmud commence par cette question Méémataï ? A partir de quand doit on réciter la prière du Shema ? et ce qui répond à la question est la position du soleil à son coucher comme à son lever…

Symbole de gratuité, de don et de ressource inépuisable, c’est un ‘bien non rival’ nous dit Emma Carenini…Le soleil est notre boussole, Hélios est au centre de nos vies qu’on dit héliocentrées,  et influencerait même notre tempérament, voire notre intelligence, une vie proche du soleil méditerranéen était bien plus prisée que celle des contrées du Nord de l’Europe. Chacun cherchait sa place au soleil, dans l’Antiquité comme aujourd’hui.

Le soleil fait vivre comme il fait mourir, et aujourd’hui comme dans l’Antiquité, cette fois sur la base de données scientifiques, on craint qu’un jour il ne s’éteigne. Comme tout astre ou organisme vivant, il est amené à disparaitre…

L’été dernier, le soleil source de toute vie et protecteur s’est transformé en un astre brûlant tout sur son passage, on le fuit, on en a peur et on retournerait bien dans des cavernes bien à l’abri.

Toutefois le réchauffement climatique n’est pas dû au soleil mais plutôt aux terriens qui en ont abusé, jusqu’à dégager dans son atmosphère une telle quantité de carbone que le filtre ne fonctionne plus, nous faisant subir des températures extrêmes.

Le moment de réciter la bénédiction sur le soleil reviendra en 2037, dans quinze ans … est ce qu’entretemps le monde aura fait sa révolution et décidé de modifier sa manière de vivre afin de protéger notre planète terre ? Est-ce qu’on pourra de nouveau s’émerveiller devant les bienfaits du soleil…sans craindre qu’il nous anéantisse ? Chaque Roch Hachana, cet anniversaire symbolique de la création de la vie sur terre, nous rappelle à nos devoirs de gardiens de notre planète, et pour nous souvenir je vous propose de dire ensemble la bénédiction :

Baroukh ata adonaï Eloheinou Melekh haOlam maassé bereshit!

Bénis sois tu Eternel souverain de l’Univers, créateur du monde !

Chana tova oumetouka !


[1] TB Berakhot 59b

[2] TB Berakhot 59b

[3] Deutéronome 17 :3-5

Drasha Kol Nidré – KEREN OR, 15 septembre 2021

Vous connaissez cette fameuse histoire :

Deux rabbins se disputent tard dans la nuit à propos de l’existence de Dieu et, à l’aide d’arguments solides tirés de la Torah et du Talmud, finissent par réfuter indiscutablement son existence. Le lendemain, l’un des rabbins est surpris de voir l’autre entrer dans la synagogue pour l’office du matin. « Je pensais que nous étions d’accord sur le fait que Dieu n’existait pas », a-t-il dit. « Oui bien sur, mais quel est le rapport ? » répondit l’autre.

Vous vous êtes sûrement vous aussi déjà demandé quel était cet appel, cet impératif qui vous faisait lâcher votre quotidien, couper vos téléphones et vous rassembler dans une synagogue tous les ans pendant une journée ?
Fermez les yeux et imaginez toute une humanité juive à travers le monde au même moment, en rangs serrés les uns contre les autres tendue vers le même objectif prier ensemble, être pardonné, lavé de ses fautes, régénéré.
Certains diront ces prières avec grande ferveur, d’autres les murmureront à peine au fond de leur cœur.
Certains s’assiéront au fond de la salle et régulièrement essuieront un bâillement, alors que d’autres seront anxieux de bien faire, ne pas manquer une ligne, ne pas se tromper, persuadés que cela aggraverait leur cas…
Certains viennent uniquement pour retrouver de vieilles connaissances, pour ce moment suspendu à la saveur hors du commun. Pour d’autres c’est leur rdv annuel avec eux-mêmes.
Tous sont là, poussés par un commandement ancestral, leurs parents et grands-parents faisaient la même chose, ils ne peuvent eux être les premiers à rompre cette chaine des générations…
Un spectacle unique d’unité du peuple juif, une fois par an, une communauté – une eda rassemblée en prière, répétant les mêmes mots de concert.
Et pourtant, je ne vous apprends rien, c’est de l’hébreu, on a besoin d’un guide pour en comprendre le sens, et une fois qu’on le comprend, on réalise à quel point certains de ces mots sont désuets, parfois même à côté de nos croyances …Quelques-uns viennent en découdre, et déposer leur colère après ces deux années gâchées, privées des autres, où on a du prier trop souvent cloîtré.
Pour d’autres c’est encore le cas cette année…

Et il y a ceux qui arrivent tête baissée, conscients de leurs offenses ; petits arrangements avec la réalité, vexations par inadvertance ou maladresse, les colériques, les mal embouchés, certes on est loin du crime capital, les errements ordinaires, banals et humains…ils espèrent que leur simple présence et quelques  mots prononcés les rendront quittes de toutes leurs iniquités…
Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, les juifs ont fermé leurs magasins, et consentent ainsi à être pointés du doigt, à être repérés là où ils vont d’habitude travailler, s’entendre dire avant ou après : « ah oui c’est/c’était Kippour ! » et supporter aussi les non-dits : « ces pauvres fous vont encore une fois prier et jeûner toute une journée dans leur synagogue. Et pourtant ils en ont connu des malheurs…ils n’ont pas encore compris que leur Dieu les a abandonnés ? Ca ne leur a pas suffi ? Encore aujourd’hui dès que les choses vont de travers c’est eux qu’on désigne d’un doigt en forme de revolver, ces éternels boucs-émissaires ! De quoi sont-ils donc faits pour si bien résister ? »

Ceux qui parlent ainsi oublient que tant d’entre nous après avoir vécu l’enfer avaient décidé de ‘fermer boutique’, trop c’est trop.

Comme ce héros d’un récit autobiographique d’Edgar Hilsenrath dans ‘Fuck America’. Il s’appelle Nathan Bronsky personnage désespéré et désespérant, débarqué aux Etats Unis en 1952 après avoir connu les affres du ghetto de Varsovie, et quelques années en Israël.  Cet homme tente tant bien que mal de se reconstruire, conscient qu’il a perdu le sens de sa vie après des épreuves bien trop douloureuses. Ecoutons ses mots :
« Rabbin », dit Nathan Bronsky. « Nous avons perdu nos âmes. Nous les avons cherchées dans la cave, mais nous ne les avons pas trouvées »
– « Les avez-vous cherchées dans vos yeux ? »
– « Oui, nous les avons cherchées dans nos yeux »
– « C’est grave », dit le rabbin
– « Oui, c’est grave », dit Nathan Bronsky.
Le rabbin réfléchit un moment. Puis il dit :
– « Personne ne peut perdre son âme »
– « Pourtant, c’est ce qui nous est arrivé », dit Nathan Bronsky
– « C’est juste une impression », dit le rabbin
– « Nos yeux n’ont plus d’éclat », dit Nathan Bronsky
– « C’est vrai », dit le rabbin
– « Nous avons perdu nos âmes »
– « Non », dit le rabbin, « vous n’avez perdu que l’éclat »
– « Où est passé l’éclat de nos yeux ? », demanda Nathan Bronsky
– « Il est là-haut », dit le rabbin, et il montra le ciel
– « Là-haut ? »
– « Là-haut »
– « Comment l’éclat a fait pour s’envoler comme ça ? »
– « Il ne s’est pas envolé. Il a été emporté, c’est tout »
– « Par qui ? »

Cette sensation de courir après son âme, qui d’entre nous ne l’a pas ressentie au moins furtivement, voire de manière plus durable ? Peut-être qu’un peu désespéré, vous avez fait le déplacement ce soir pour la retrouver ?

Et pourtant, on est des gens rationnels, qui en temps normal vaquons à nos affaires, mais là, une petite voix nous dit que quelque chose peut se passer ce soir ou, au plus tard demain, juste avant que les portes du ciel ne se ferment. Peut-être pendant que nous chanterons ces fameux versets composés par Moshé Ibn Ezra :  El nora alila, el nora alila[1], hamtzi lanou mekhila bishaat haneïla bishaat haneïla. Eternel, redoutable et formidable, capable de hauts faits, accorde nous le pardon à l’heure de la fermeture [des portes du ciel ]…

Non, on ne peut manquer ce rendez-vous, on ne peut reporter Kippour à après-demain, ou la semaine prochaine, il y a une plage horaire limitée, un moment espérons le favorable, ‘veani tefilati lekha adonaï et ratzon, elohim berov hasdekha aneni beemet yshekha[2], Cependant ma prière s’élève vers toi, Eternel, au moment propice; ô Dieu, dans ta bonté infinie, exauce-moi, en m’accordant ton aide fidèle…

Un midrash nous dit que la prière est comme un mikvé avec des heures d’ouverture et fermeture, alors que la teshouva elle est comme la mer, à notre disposition quand on le souhaite[3]

Hâtons-nous, ne perdons pas de temps, c’est l’heure. Les portes s’entrouvrent, mais lesquelles ? Elles sont au nombre de quatre, retenez bien : les shaareï tefila les portes de la prière, les shaareï dim’a les portes des larmes, les shaareï teshouva les portes de la repentance et les shaareï tzedek les portes de la droiture, lesquelles s’ouvriront pour nous en ce Yom Kippour pour épancher notre cœur ? Et à qui adresserons nous nos supplications ? …

Peu importe, venez, il est l’heure, commençons le Kol Nidré !

Gmar hatima tova et tzom kal !


[1] Réf Psaume 66 :5

[2] Psaume 69:14

[3] Pesikta de Rav Kahana (mandelboïm), section 24.

Drasha Devarim – Chazon, KEREN OR ‘Shabbat around the world’ 16 July 2021

This Shabbat before tisha b’av is not the most joyous time in the Jewish calendar. It is called Shabbat Chazon, the first word of the haftara of Isaiah that we will read tomorrow morning, ‘The Vision of Isaiah son of Amotz’, and is one of the three haftarot of admonition that precede Tisha b’Av…

In general, summer is a time for relaxation, barbecues, music or theatre festivals, fireworks and balls on the 14th of July. It is so true that every year it is difficult for us to immerse ourselves in this « period of the so-called ‘nine days of mourning » which precede tisha b’av, in as much as our mind anticipates the light, languid holidays…But this year is different from other years, and we still cannot relax completely. We keep our eyes on the Covid count which keeps climbing, our ears attentive to our President’s ominous ritual televised speeches…

And as if that were not enough, exceptional heat waves and floods have been hitting different parts of the planet for the past month: regions that are accustomed to it and others that are much less so. Stunned by these disasters that have left entire regions devastated by fire, or water, we are also astonished by the statistics on the number of deaths resulting from these ‘natural’ disasters, in addition to those linked to Covid…

According to the sages of the Talmud, a curse is placed on the month of Av, as it is during this period that the Jewish people and, more recently, humanity in general have fallen victim to so many disasters. The month of Av, however, has taken on the name menachem Av – Av the consoling month, because we hope that despite this (superstitious?) curse, the Eternal will take pity on us and console us.

We still have to wait, however. The words of consolation will come only after Tisha b’Av …Isaiah, whom we will read every Shabbat for the next 8 weeks is the first of the biblical prophets, but also the most voluminous . His prophecies cover a period of 200 years, between the middle of the 8th century until the middle of the 6th century. This has led exegetes to speak of 2 Isaiahs, the first of whom is a historical figure who tries unsuccessfully to get the Hebrew sovereigns to listen to his prophecies about their choice of political alliances. The second is a consoling Isaiah who gives hope to his people and predicts the return from the Babylonian exile.

His words this week are particularly harsh. As the spokesman for the Eternal, he ruthlessly rebukes his people and predicts the worst misfortunes: ‘Your land is a waste, your cities burnt down, before your eyes, the yield of your soil is consumed by strangers, a wasteland overthrown by strangers’[1]. Jerusalem is compared to Sodom and Gomorrah. One remains doubtful about the pedagogical effect of such verbal vehemence? Will it have any positive outcome? It seems that the prophet himself doubts this when he says: ‘al mé toukou od?’ translated as ‘why do you seek further beatings?’ This can be interpreted in two ways: is there still room on your (bruised) body to hit you? or will it have any effect to hit you again? [2]   Every educator knows very well that violence, whether verbal or physical, only leads to a vicious cycle of greater violence…so what is the point? Is the spokesman of the Eternal One mistaken? He uses metaphorical and poetic language, but it seems that these words fall on deaf years and he toils in vain. Or perhaps the Hebrew people were not able to hear him and let him rant in vain… God himself, when he invested Isaiah as a prophet, so to speak, predicted that his words would not be heard, a bit like the haftara reading on Saturday morning when the audience sinks into a slight torpor: Let the heart of this people be thickened, hear indeed but do not understand, see, indeed but do not grasp, Dull that people’s mind, stop its years and seal its mind. Lest seeing with its eyes and hearing with its years, it also grasp with its mind, and repent and save itself. [3] It is so difficult and courageous to stand up and firmly share one’s beliefs, which come from the depths of one’s being, and yet in the case of Isaiah…the Eternal himself speaks of the vanity of these words, as if he did not let his people repent.

We might as well use an automatically generated speech, as the scholar Damon Mayaffre did when using Artificial Intelligence, he generated Emmanuel Macron’s candidacy speech for his second term as president in 2022, and it sounded very true![4]

And yet, these prophetic words that have come down to us through the mists of time are probably the ones we should listen to most carefully, not only for their literary beauty, but above all for their denunciation of the hypocrisy, injustice, and lack of ethics of those who ruled then, and who are so similar to those who rule today…

Through these words, which are supposed to shake us to the core of our being, God seeks our presence and too often finds only absence.[5] Most of the time, we turn to him only in desperation to lament, without taking responsibility for our actions, which have led us straight into the disaster of global warming or caused us to encroach on space occupied by wild species with the effects we have all observed. Not everything is attributable to human intervention, but there is that epsilon between a heat wave that happens randomly every x years and the peak that we have experienced in recent weeks, where the hand of humanity has its share of responsibility.

Let’s become again those childlike souls, permeable and sensitive, let’s let the words penetrate us and transform us, let’s listen to what they have to tell us maybe just to save us from our cynicism and indifference and, who knows, have some impact on this world !

Ken Yhie ratzon, shabbat shalom!


[1] Isaiah 1:7 JPS

[2] Isaiah 1:5, commentary by Yeshaya Dalsace https://akadem.org/sommaire/paracha/5770/haftarat-hachavoua-5770/vers-la-revolution-de-justice-devarim-28-06-2010-8196_4315.php

[3] Isaiah 6:10

[4] ‘Macron ou le mystère du verbe’, Damon Mayaffre, 2021, éd. de l’Aube, quoted by JDD May 2 2021, p. 13

[5] From God in search of Man, by 060Abraham Heschel

Drasha Tetsavé Pourim – 26 février 2021

Après les élections à la mairie de Lyon, qui ont vu pour la première fois une majorité écologique accéder à l’hôtel de ville, chacun se demandait quelle serait la première décision de la nouvelle équipe et donnerait le ton à la mandature ? Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai appris que cette décision concernait l’adoption de l’écriture inclusive pour tous les comptes rendus de conseils municipaux et autres échanges épistolaires officiels de la mairie de Lyon.

Et cette question qui me semblait jusque-là plutôt anecdotique est arrivée récemment jusqu’à l’Assemblée Nationale via un député de la majorité LREM François Jolivet qui est opposé à écriture inclusive et a déposé pour cela un projet de loi pour l’interdire dans les administrations.Il a obtenu le soutien d’une soixantaine de députés.[1]

Mais de quoi parle t on et pourquoi cette tempête dans un bénitier ou plutôt dans un verre d’eau ? L’écriture inclusive comprend plusieurs axes : d’abord l’aspect le plus connu d’exprimer à la fois le masculin et le féminin lorsqu’on parle d’un groupe, en écrivant (mais cela passe moins bien à l’oral) par exemple candidat-e-s ou encore député-e-s. Un autre volet encourage à féminiser les métiers et fonctions, et l’académie a accepté depuis 2019 d’inclure ces nouvelles appellations dans le dictionnaire, même si cela ne fonctionne pas à tous les coups, comme par ex avec pharmacien/pharmacienne ou rabbin/ rabbine car au lieu de féminiser la fonction, cela crée une confusion entre le métier exercé et la femme de… Un troisième volet permet d’accorder l’adjectif le plus proche au genre et ne pas utiliser systématiquement le masculin pluriel.

Cette écriture inclusive permet-elle effectivement de faire progresser l’égalité femmes/hommes ? Ou bien cette bonne intention occasionne-t-elle encore plus de confusion ? C’est l’avis de Denise Bombardier une polémiste et essayiste canadienne, qui dit je la cite « le combat pour l’écriture inclusive est la meilleure façon d’achever le français », [car cela rend] « la langue lourde et besogneuse » ; en d’autres termes ridicule. Et cela complique la vie aux enseignants de français qui ont déjà du mal à combler les lacunes en orthographe de leurs élèves. Et ‘ces fondamentalistes féministes’ comme les appelle Denise Bombardier semblent par ailleurs passer à côté de sujets bien plus concrets qui permettraient d’arriver enfin à une réelle égalité femmes/hommes.[2]

Passons à présent des hautes sphères de la polémique francophone, aux discussions plus terre à terre du Talmud. Que disent nos rabbins à propos du genre et de l’inclusion ? La question est complexe, car d’un côté, la Torah, dès le premier chapitre parle d’un Dieu qui crée l’homme à son image mâle et femelle il les créa[3] qui selon le midrash représente la création d’un être à deux faces et possédant les deux caractéristiques sexuelles, en d’autres termes un hermaphrodite. Et cet être double est dans un deuxième temps séparé en deux[4].

Le talmud va encore plus loin et liste 6 genres différents : Zakhar mâle, Nekeva femelle, androgynos qui a les caractéristiques mâle et femelle à la fois, toumtoum dont les caractéristiques sont indéterminées car il n’en a aucune, ailyonit née avec un sexe féminin et à la puberté développe un sexe masculin, saris né avec un sexe masculin et développe des caractéristiques féminines à la puberté.

Ce classement en six catégories a pour objectif de différencier la loi qui s’applique à chacune d’entre elles. Dans le cas des femmes, la loi des rabbins exclue les femmes des mitsvot positives liées au temps. Mais savez-vous quelle a été la logique de nos rabbins pour arriver à cette conclusion ? En ce qui concerne le commandement de l’étude par ex. : l’accord au pluriel masculin du verset du Shema ‘velimadtem otam et b’neikhem ledaber bam’ et vous les enseignerez à vos garçons/enfants pour qu’ils le répètent à leur tour’ sert de référence à nos rabbins pour exempter les femmes du commandement de la transmission du judaïsme à leurs fils.  De plus, comme ce verset peut se lire sans ponctuation ‘oulemadtem otam’, vous étudierez toujours au masculin pluriel, le talmud en conclue que les femmes sont à la fois dispensées d’étudier et d’enseigner… Ah si seulement ils avaient utilisé l’écriture inclusive à l’époque du Talmud, que de disputes auraient pu être évitées !

Une fois les règles statuées pour les femmes, les rabbins ont décidé pour les genres ‘indéterminés’ cités plus haut, que ces personnes devaient respecter les mitsvot les plus sévères, donc ceux qui s’appliquent aux hommes…

Le genre a comme vous le voyez un impact direct sur la place de chacun d’entre nous dans l’espace religieux juif. Religion qui aime créer des catégorises et classifications, même si cela ne l’empêche pas de faire preuve de flexibilité et de se montrer inclusive également.

Hier soir, on a lu la Meguila d’Esther, qui met en scène non pas une, ni deux mais trois modèles de femmes, qui, chacune à sa manière influence son environnement. Ce récit pose de manière assez insistante la question du rapport entre les genres. Vu avec une perspective post-moderne, il nous incite à réfléchir, me semble t il, aux stéréotypes de genre, qu’il s’agit de remettre en question et dépasser.

Car ces questions de genre, au-delà des caractéristiques biologiques de naissance, ou celles choisies par la suite sont devenues un des principaux sujets d’études universitaires dans le monde anglo-saxon et depuis quelques années français.

En discutant récemment avec Tamara Eskenazi une très célèbre professeure de littérature et d’histoire biblique de l’école rabbinique du HUC à Los Angeles, elle me confirmait que c’était également le sujet qui secouait profondément le microcosme juif progressiste.

J’ai observé régulièrement sur les signatures de mails, où des rabbins demandent expressément qu’on les appelle ‘they, them’ ‘eux’ plutôt que ‘il’ ou ‘elle’.

L’association LGBT+ Keshet a récemment mis au point un lexique à destination des bnei mitsva avec un tout nouveau vocabulaire pour appeler les jeunes à la Torah par exemple. Plutôt que taamod pour une fille et yaamod pour un garçon, ils sont appelés, s’ils le désirent, par ‘na laamod’ pluriel non-genré qu’on peut traduire par ‘veuillez monter’.

Ce débat arrive subrepticement aussi en France et dans le milieu des synagogues libérales notamment. Il me semble qu’à KEREN OR on peut aussi ouvrir ce questionnement du cadre et de l’inclusion. Faut-il flouter les lignes de démarcation de genre ? Je n’ai pas de réponse à apporter ce soir, mais je propose de continuer cette discussion de manière ouverte et respectueuse, car in fine, nous avons tous à cœur, comme on peut lire dans la paracha de cette semaine, de faire résider la shekhina parmi nous[5], quelle que soit la manière dont on se définit !

Ken Yhie Ratzon,

Shabbat shalom


[1] https://www.lejdd.fr/Societe/quest-ce-que-lecriture-inclusive-4026119

[2] https://www.lejdd.fr/Societe/le-combat-pour-lecriture-inclusive-est-la-meilleure-facon-dachever-le-francais-3503705

[3] Genèse 1 :26

[4] Bereshit Rabbah 8 :1

[5] Exode 29 :45

Yom Kippour, 28 septembre 2020

Au début du talmud dans le traité Berakhot, figure une histoire un peu surnaturelle, dont nos rabbins ont le secret. Cette aggada raconte la rencontre du prophète Elie par un quidam qui voyage lorsqu’il s’arrête pour réciter une des 3 prières quotidiennes. Cette rencontre se passe dans une ruine à Jérusalem.

« Une fois, je marchais le long de la route, lorsque pour prier, je suis entré dans les ruines d’un vieux bâtiment abandonné parmi les ruines de Jérusalem. J’ai remarqué qu’Elie le prophète, de mémoire bénie, était là et gardait l’entrée pour moi. Il attendait que je termine ma prière. Une fois ma prière terminée, je suis sorti de ces ruines, Élie m’interpelle alors avec respect comme s’il s’adressait à un rabbin : Je te salue, mon rabbin. Je lui répondis : Salutations à toi, mon Rabbin, mon maître. Et Élie me dit : Mon fils, pourquoi es-tu entré dans ces ruines ? Je lui réponds : Pour prier. Et Elie me dit : Tu aurais dû prier sur la route. Je n’ai pas pu prier sur la route, je lui réponds, car j’avais peur d’être interrompu par d’autres voyageurs et de ne pas pouvoir me concentrer. Elie me dit enfin : Tu aurais dû réciter la prière abrégée instituée justement pour de telles circonstances. »

Rachel Adler, rabbin et professeure, grande figure du féminisme juif, dans l’épilogue de son livre ‘Engendering Judaism’ commente exactement ce texte La lecture qu’elle en fait m’a bouleversée. Tout à coup, j’étais comme physiquement en présence de ces rabbins d’il y a deux mille ans. J’avais une jambe sur une rive : aux cotés de la génération qui avait vécu la destruction du 2e Temple. Et une autre sur l’autre rive : avec la génération qui m’a précédée, celle des survivants de la Shoah.

Touchée au cœur, je cherchais frénétiquement quel sens donner, à mon tour, à cette prière au milieu des ruines ? Comment pouvait-on prier là ? Et qui priait-on ? un Dieu absent, qui nous a abandonné à notre triste sort ? Pourquoi trouve t on cette histoire presqu’au tout début du talmud ? Comment interpréter cette entrée en matière ? Pourquoi cet homme gaspille son temps à prier plutôt que de s’atteler à reconstruire ce qui a été détruit ?

Les rabbins du talmud ont donné un nouveau souffle au judaïsme et l’ont fait renaitre des cendres du Temple. Ils ont offert au peuple juif les synagogues, et les maisons d’étude comme le rappelle Rachel Adler. Au lieu d’être des juifs errants et désespérés par la perte de leur centre spirituel, les rabbins ont démultiplié ces centres et nous ont montré la voie d’une « partie portative »[1].

Deux mille ans plus tard, ce sont en majorité des juifs laïcs qui se sont levés, après le plus grand désastre qu’ait connu le peuple juif et cette fois l’espoir s’est matérialisé dans un mouvement inverse, le retour en Israël et la construction d’une patrie réelle cette fois, pour ceux qui le désiraient en tout cas. Entre ces deux cataclysmes, il y en a eu beaucoup d’autres et à chaque époque les personnes concernées ont apporté une réponse ingénieuse à la situation permettant à notre peuple de survivre.

La, ou plutôt les crises, que nous vivons aujourd’hui sont universelles, elles impactent toute l’humanité, et assaillis de doutes nous continuons à prier dans les ruines d’une époque. Ainsi, ce qui caractérise cette période est la vitesse du changement auquel nous sommes confrontés, qui nous emporte dans son tourbillon et laisse beaucoup de monde sur le bas-côté sans qu’ils aient eu le temps de s’adapter. En réalité, personne n’a le temps de s’adapter à cette tornade, où chaque pas que nous faisons, chaque décision prise doit être réfléchie et pesée…

En ce Yom Kippour, nous avons dû, pour la première fois, nous isoler dans nos maisons. Et cela amplifie la sensation d’un deuil symbolique, de prier sur les ruines d’un ancien monde, sans avoir encore de réelle vision du monde qui adviendra. Nous sommes dans cet entre-deux, bousculés et comme le dit le philosophe Frédéric Worms[2], en état de sidération. Le cadre ancien celui qui nous unissait au sein d’une même nation est, je le cite :

‘…devenu fragile, parce que tant de voix aujourd’hui, devenues cris ou railleries, appellent au contraire à la destruction de ce cadre, sans voir qu’elles prolongent et aggravent ainsi ce contre quoi elles prétendaient faussement s’indigner. Ah, vous qui parliez de « pensée unique », devant les gens qui défendaient en réalité des principes communs, vous voici devant un champ de ruines.’

Nous vivons sur un double champ de ruines, conséquence d’une part de la pandémie, mais aussi de la fragilisation des idées qui nous unissaient jusque-là autour d’un socle commun.

Et le texte de ce midrash nous met en garde, par la voix intemporelle d’Elie le prophète, celui qui unit les générations : on ne prie pas dans des ruines. Pour prier il nous faut sortir de cette sidération et de notre tendance à regarder dans le rétroviseur et à nous lamenter sur notre sort, on doit retrouver l’espoir et le chemin vers la vie.

Nous avons besoin de réactualiser les idées qui ont permis à nos démocraties de s’épanouir. La voix presque prophétique de personnalités, comme celle, disparue le jour de Roch haChana, de la juge de la cour suprême américaine Ruth Bader Ginsburg z’’l. Une figure de la lutte pour l’égalité des droits hommes femmes, de l’inclusion des minorités, dont un des moteurs, disait-elle, était l’idéal de justice sociale prôné par le judaïsme. Bien que disparue, son héritage, comme celui d’autres personnalités du même acabit, doit continuer à irriguer nos démocraties, l’dor vador, de génération en génération. C’est notre oxygène, et à nous de nous hisser à la hauteur de l’utopie que cette génération incarnait, pour mieux respirer.

Nous sommes dans un entre deux difficile, entre Eikha, le point d’interrogation qui introduit le livre des Lamentations, qui s’appelle Eikha en hébreu d’ailleurs. Cette méguila poignante qui témoigne de l’époque où la ville de Jérusalem grouillait de monde, à présent abandonnée par ses habitants qui ont dû fuir en exil.

Eikha s’exclame la voix de Sion : ‘Comment ? Comment est ce possible que Dieu ait laissé faire cette destruction de sa propre maison qu’Il ait abandonné de son peuple ?’ ‘Comment survivre à un tel cataclysme ?’

Mais ce Eikha contient en lui la possibilité de relever et même de chanter un chant nouveau et libérateur. En écho à Eikha, on peut tendre l’oreille et entendre le Ayeka divin. La question que Dieu pose à Adam dans le jardin d’Eden, après qu’il ait mangé de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Ayeka : ‘où es-tu’ ?

Eikha et Ayeka en hébreu sont composés exactement des mêmes lettres, seule la vocalisation et le contexte en modifient la lecture. Le Eikha du désespoir actuel attend son Ayeka ? Où es-tu ? Où est chacun d’entre nous? Quelle réponse chacun va apporter à cet état de sidération ? A ce défi  qu’appelle notre époque?

Ce rendez-vous annuel de Yom Kippour peut être le moment où on restaure ses forces, et retrouve cet élan, chantons ensemble un chant nouveau qui permettra de rebâtir la maison commune, nous relier les uns aux autres pour répondre un collectif : hineni, nous voici !

Ken yhie ratzon,

Chana tova !


[1] Daniel Boyarin ‘Une patrie portative’, 2016, les éditions du Cerf.

[2] Worms, Frédéric. Sidération et résistance : Face à l’événement (2015-2020) (Cahiers) (French Edition) (p. 12). Desclée De Brouwer. Édition du Kindle.

Drash Rosh Hashana – 17 Septembre 2020 KEREN OR

Un invité de marque est parmi nous pour ces fêtes, comme chaque année ce sera notre intermédiaire, celui qui ouvrira pour nous les portes du ciel. T’kia, shevarim, t’roua, il ouvrira aussi nos cœurs. Vous avez compris : il s’agit du shoffar, qui va nous accompagner à partir de ce soir et tout au long de ces fêtes de Tichri.

Cette année le shofar a été au cœur des discussions rabbiniques. D’une part, COVID oblige, les rabbins ont fortement recommandé de masquer le shofar afin d‘éviter les projections des fameuse microgouttelettes. Ca lui donne une drôle d’allure à notre shofar, presque un visage humain.

Chaque shofar a sa forme particulière, sa sonorité, et il doit se laisser apprivoiser. Beaucoup d’entraînement et de souffle sont nécessaires pour en sortir les trois sons traditionnels T’kia, shevarim, t’roua. Fabriqué à partir des cornes de n’importe quel bovidé, même non casher, même d’un koudou, qui est une sorte d’antilope africaine, le plus couramment, il sera fait à partir d’une corne de bélier. La corne de bélier appelle à nous souvenir du récit de la Akeda, la ligature d’Isaac et que c’est un bélier, qui, au dernier moment a été substitué à Isaac, sous le couteau sacrificiel de son père – Abraham. Ce nouvel an juif, dont un des noms est Yom zikhron t’roua[1] – le jour, du souvenir, de la sonnerie. Comme vous voyez, le shofar est un gisement de symboles…

Pourtant, pour la plupart d’entre nous, le shofar est associé plutôt à la fin de la fête de Kippour, où la sonnerie est le signal de la délivrance, du retour à nos pré-occupations ordinaires. En réalité, cet instrument de musique très ancien est le symbole par excellence du nouvel an , dont un autre nom est Yom T’rouah, le jour de la sonnerie[2]. On va le sonner pas moins de 100 fois lors de l’office de Moussaf de Roch Hachana.

Pour aller encore plus loin, c’est dès le mois d’Eloul, qui précède Roch Hachana, qu’il nous faut sonner le shofar tous les matins lors de l’office de chaharit. Car, c’est grâce à lui que, petit à petit, on sonne notre éveil spirituel. En sonnant du shofar, on demande la clémence du ciel pour nos erreurs passées.

La répétition des sonneries si particulières du shofar finissent par ouvrir une voie de communication directe entre la terre et le ciel, c’est notre autoroute spirituelle.

Shofar vient de la racine shin- fé-resh et il a une double signification ; d’abord avec le verbe leshaper qui veut dire améliorer ou réparer. En araméen cette racine renvoie au mot shoufra qui veut dire beau. Est-ce à dire que la beauté des sons du shofar nous aident à nous réparer et à réparer le monde ? Est-ce pour nous rappeler qu’en sonnant le shofar nous renouvelons notre alliance avec Dieu ?

Cette année on a une difficulté. C’est une mitsva de sonner et d’entendre le shofar, sauf si, comme cette année Rosh Hashana ‘tombe’ un shabbat ! On retrouve cette contradiction dans les discussions talmudiques qui ne manquent pas de piquant à ce sujet. La mishna[3] nous dit qu’on pouvait sonner le shofar dans le Temple à shabbat et par extension cela est permis dans les villes où siège un beit din. Puis, cette mishna a été réinterprétée dans le talmud : un simple tribunal ne suffit pas, il faut un sanhedrin. Tribunal qui ne s’est pas réuni en France depuis 1804, lorsqu’il avait été convoqué par Napoléon lui-même ! De plus, les rabbins craignent que le baal t’kia l’apporte de la maison à la synagogue à shabbat. Pour toutes ces raisons, la pratique orthopraxe interdit de sonner le shofar le shabbat.

Pourtant, à KEREN OR, on a réglé le problème. Nous avons un spécialiste du shofar, notre baal t’kia, Julien qui a trente ans d’expérience, et je vous rassure, le shofar n’a pas quitté la synagogue. Par conséquent, comme dans d’autres synagogues libérales, nous sonnerons demain le shofar  pour votre plus grand bonheur!

Comment sonne t on le shofar ? Il y a un ordre qui est discuté sur plusieurs pages du talmud : Teki’a – shevarim- t’rua -teki’a.

La teki’a ressemble à un long gémissement, les shevarim, composés de trois coups saccadés, sont comme des pleurs et la t’roua un ululement qui se répète à neuf reprises.

Quand sonne t on le shofar ? On le sonne pas seulement à Tichri mais aussi pour annoncer l’année jubilaire, et à Rosh Hodesh. Le shofar est aussi l’appel au secours du peuple en période de danger, c’est ainsi qu’on va le sonner lorsqu’une guerre éclate mais aussi, pour appeler les coreligionnaires à se mobiliser pour une cause. Par exemple, les rabbins américains ont sonné le shofar au début de l’année sabbatique, en septembre 2015 pour éveiller la conscience écologique et la nécessité de protéger notre terre. En mars dernier, le son du shofar a retenti depuis le mur des lamentations, à l’appel du rabbinat Israélien, pour faire cesser la pandémie et ses ravages.

D’ailleurs, un midrash nous dit que les sanglots des shevarim et des t’rouot sont semblables à des humains brisés qui ont besoin du soutien des tekiot qui l’encadrent pour les soutenir. Cette année, nous ressemblons tous à des ‘shevarim’, ces sons brisés par la crise, le mashber terme construit sur la même racine que shevarim…

Mais nous ne cessons d’espérer en un jugement favorable, non seulement chacun pour soi et les siens, mais collectivement, tous ici réunis, et pour le monde entier, car nous savons à quel point nous dépendons les uns des autres.

Quand les mots de nos prières, que nous disons avec tant de ferveur pendant ces jours redoutables n’ont plus la force de plaider pour nous, nous nous en remettons à cet instrument ancestral, qui porte les ululements de nos ancêtres. Une chaîne de tradition d’Abraham jusqu’à nos jours. Et si ce n’est pas pour nos mérites, puissent nos prières être entendues pour le mérite de ceux et celles qui nous ont précédés.

En ce jour anniversaire du monde, en écoutant le shofar comme une histoire sans paroles, réveillons-nous de l’indifférence, de l’apathie, brisons ce qui nous contraint à l’intérieur, purifions nos cœurs et notre esprit, et que ce cri primal ouvre la porte à une renaissance de nous-mêmes au monde et du monde en chacun.

Chana tova oumetouka à vous tous, puissiez-vous être inscrits dans le livre de la vie en cette nouvelle année 5781


[1] Lévitique 23 :24

[2] Nombres 29 :1

[3] Mishna RH 4 :1  et BT RH 29b

Faire communauté – Pessah 5780

Comme dans le jeu des 7 familles, dans la famille des 4 fils, je demande le racha – le méchant.

Quelle signification a pour vous cette cérémonie ‘(Exode 12:26).? La question du racha est celle que je me répète en boucle depuis quelque temps déjà : quel sens à la fête de Pessah et son rite si élaboré cette année ?

Les 4 questions du ma nishtana comme cellesdes quatre fils se brisent en mille et une interrogations qui me torturent faute de réponses …

En temps normal, Pessah illumine nos journées printanières d’un nouvel espoir, celui de la liberté retrouvée. C’est le temps des réunions familiales, amicales, synagogales, des grandes tablées et des grandes assemblées, des échanges de fous rires et du nettoyage frénétique, des bonnes odeurs qui embaument nos maisons. Le temps du plaisir à retourner vers les pages écornées et tâchées d’un vieux livre de cuisine. Avec un peu de chance, ce livre est en fait un cahier légué par l’une de os matriarches et écrit de sa main.

Pessah est le temps du kavod, du respect. Un temps où chacun retrouve la place qui lui revient autour de la table comme celle de la hiérarchie familiale et où la parole des ‘anciens’ qui nous reconnecte à l’essentiel est mise à l’honneur. Ce temps où on se tourne vers ceux ornés d’une couronne de cheveux blancs pour recevoir leur bénédiction. Le temps où, lorsqu’on entend la ritournelle des questions, on écoute religieusement celui ou celle qui, du bout de la table, nous répond. Alors, on fait semblant d’avoir oublié les réponses, pour pouvoir chaque année recommencer.

Le seder, c’est un certain ordre : celui de la dégustation des mets prescrits, qui reflète aussi celui qu’on a mis dans nos maisons et encore mieux, dans nos têtes.

Mais cette année est bien différente et les questions restent pour la plupart en suspens, voire désordonnées …

Comment communiquer ces belles traditions enfermé chacun chez soi ?

Comment ressentir, de derrière un bocal, le lien avec l’extérieur ?

Comment transmettre l’enseignement de la liberté alors qu’on est confiné ?

Comment parler des dix plaies, alors qu’on a l’impression que l’une d’entre elles est en train de nous frapper ?

Comment honorer sans être en mesure de partager ?

Comment accueillir alors que notre porte doit rester fermée ?

Comment ajouter avec bonne foi et kavana[1] une assiette et la coupe d’Elie à notre tablée, alors que tant d’humains sont en train de décéder ?

Et puis ça encore …

Quel genre de communauté est-on en train de construire, si chaque moment de nos vies est mis en scène et diffusé ? Si notre succès est mesuré à l’aune du nombre de personnes ayant partagé ?

Quelle famille, quelle communauté, quelle société se profilent pour ‘l’après’?

Comment protéger ce qu’on a de plus précieux – nos amours, nos familles et tout simplement notre humanité – des réseaux sans filet affamés d’exposer nos vies privées ?

Et bekhol zot, malgré tout cela, comme vous, j’apprends en marchant, pas à pas, j’essaie de transformer ce balagan en une vie presque normale.

Et surtout, je me mets à espérer, que notre destin va s’illuminer. Que l’histoire de l’Exode prendra un nouveau sens, que des quatre coins du monde, elle rassemblera dans leurs différences, tous les dispersés. Les épreuves traversées seront alors comme un ciment et, de cela, peut être que naitra une communauté régénérée et revivifiée.

Que cette fête de Pessah 5780 puisse réjouir vos cœurs et vos foyers !

Hag samea’h !


[1] intention

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