Une polémique bien de chez nous entache cette rentrée scolaire : fallait-il ou non interdire le port d’un vêtement à connotation religieuse à l’école ? cette règle énoncée par le nouveau ministre Gabriel Attal à la veille de la rentrée aux enseignants n’est pas une loi, mais une directive, car une loi dans ce domaine serait anticonstitutionnelle, car elle s’opposerait à la liberté de chacun de s’habiller comme il ou elle le souhaite.
Et pourtant, la loi du 15 mars 2004 énonce clairement : « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.«
A gauche du spectre politique, on s’oppose clairement à cette nouvelle directive et on menace de déposer des recours, à droite on applaudit des deux mains. Et voilà une nouvelle ligne de démarcation, où deux camps s’affrontent sous nos yeux.
Malheureusement, quelle que soit la décision, directive ou absence de directive énoncée, on est piégé par ceux et celles qui cherchent à montrer de manière ostensible, sinon provocatrice, son appartenance à un groupe religieux pour faire bouger les lignes de la République.
Il est de plus en plus évident que des brèches, voire des abîmes existent entre ceux et celles qui se réclament de la laïcité et de son socle républicain d’un côté, et de l’autre, ceux qui, pour différentes raisons s’en sont détournés, voire qui cherchent à remettre en question ce pacte.
Faire partie de la République semble évident aux français juifs de tradition libérale que nous sommes, dont les ancêtres ont été si avides de s’intégrer, d’être adoubés par la République et d’y prendre une part pleine et entière. Depuis plusieurs générations, avec la dramatique exception des années noires de la 2è guerre mondiale, nous le vivions et le vivons encore comme une protection, la capacité de vivre son judaïsme en toute liberté et sérénité dans la sphère privée, tout en participant à la vie de la cité. Et c’est ce contrat là qui est malmené par des groupes malveillants, qui manipulent ses failles.
Pourtant, le judaïsme comme l’islam sont des religions encadrées par des règles très méticuleuses qui accompagnent le fidèle de son lever à son coucher et tout au long de sa vie. Règles qui peuvent, pour certaines être en porte à faux par rapport celles qui régissent le pays dans lequel ils vivent. Ainsi, lorsque Napoléon a posé douze questions au Grand Sanhédrin réuni en 1806 et 1807, les notables et rabbins juifs ont débattu et décidé qu’il fallait que la loi juive puisse s’harmoniser à celle de la République en appliquant le précepte talmudique ‘dina demalkhouta dina’ la loi du pays (ou du roi à l’époque) est la loi.
La religion juive est une alliance entre un peuple et son Créateur. Dans les derniers chapitres du Deutéronome que nous lisons à quelques semaines des fêtes de Tichri, Moïse rappelle les lois qui régissent cette alliance et notamment les conséquences tragiques de leur non-observance.
Une mise en scène dramatique précède cette énumération de bénédictions et malédictions. Les règles de la Torah devront être gravées sur de la pierre enduite de chaux qui sera érigée sur le mont Ebal pour être visible de tous.
Imaginez la scène décrite dans notre paracha : d’un coté, 6 tribus proclament les bénédictions sur le Mont Guérizim et de l’autre, 6 leur font face en déclamant les malédictions sur le Mont Ebal. Le rabbin Sacks z’’l rappelle que le peuple hébreu, puis juif, faute de territoire pendant les deux millénaires précédant la création de l’état d’Israël, n’avait que les mots de a Torah pour rester unifié et perdurer. Le dernier long discours de Moïse dans la Torah joue ce rôle et nous lie par une brit, une alliance à durée indéterminée.
Le contrat d’alliance dans notre paracha commence par l’énoncé des malédictions individuelles qui frapperont chaque hébreu qui contreviendrait à douze lois fondamentales, parmi lesquelles l’idolâtrie, le non-respect des parents, le non-respect des droits de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin etc. Chaque malédiction est amorcée par l’impératif ‘arour’ ‘maudit [soit] celui’…la sonorité rr frappe nos oreilles et une crainte nous étreint en les prononçant. Chaque arour est ponctué par un amen. Qui indique à la fois notre consentement à ces malédictions prononcées, notre fidélité et l’acceptation des conséquences de notre désobéissance.
Il est intéressant de noter que seules les malédictions sont énoncées dans la paracha, peut-être par souci de concision comme l’analyse le Rabbin Steinsaltz ?
Une deuxième série de malédictions, collectives cette fois sont énoncées au chapitre 28 du Deutéronome. Calamités, plaies, sécheresse sont les châtiments menaçant tout le peuple qui finirait en exil à cause de son insubordination.
Lorsque les malédictions sont lues en public, dans la synagogue, il est de tradition de les lire à voix basse, par crainte qu’elles ne se réalisent. Ces textes difficiles ont été pendant longtemps « censurés » dans les synagogues libérales. D’une part, parce que le judaïsme libéral a pris ses distances avec la théologie de justice rétributive et d’autre part, à cause du caractère collectif de la punition. Ce n’est plus le cas de nos jours, où on préfère les maintenir dans le cycle de lecture triennal en prenant la précaution de les commenter.
La solennité de leur lecture cependant nous rappelle, comme le dit le rabbin Heschel notre engagement envers Dieu et nous-mêmes, nous sommes pleinement garants de nos actes et de leurs conséquences sur le cours du monde.
La Torah détermine le cadre éthique au sein duquel nous pouvons agir, sans cela c’est le retour au chaos. A l’école, un contrat doit définir aussi les termes de cette liberté. Il est nécessaire de les protéger des dérives identitaires qui grignotent sur les termes du contrat et bafouent la liberté de chacun, l’égalité et la fraternité, et inverser cette équation n’est qu’une énième manipulation politique.
Ken yhié ratzon, chabbat shalom !
Drasha Béréchit – BM Vadim Mattout 13 Octobre 2023 KEREN OR
de Daniela Touati
On 15 octobre 2023
dans Commentaires de la semaine
Comment prendre la parole aujourd’hui devant vous après la tragédie que nous vivons collectivement depuis le 7 octobre ? il y a une semaine à peine, j’invoquais la joie qui déborde et qui se cumule sans fin, alors qu’on célébrait la bat mitsva d’une jeune israélo-américaine, dès le lendemain un crime contre l’humanité était perpétré à 4000km de nous, dans ces villages et kibboutzim paisibles du Sud d’Israël. La joie se transformait en un instant en sidération, et un chagrin infini assiégeait nos cœurs meurtris.
L’histoire nous a malheureusement habitués de passer de la joie à la peine en s’identifiant à nos frères et sœurs juifs frappés par des actes antisémites et terroristes, ou par la guerre, à se sentir immédiatement en totale communion avec eux, comme il en est aussi pour eux envers nous, où que l’on soit dans le monde.
Être juif c’est être le sismographe des malheurs du monde : on ressent à distance les grosses secousses comme les lointains battements d’ailes de papillons.
Notre éducation, et notre héritage pointent dans la direction des textes de sagesse transmis de génération en génération :
Ouvimkom chéein anachim, tichtadel lihiot ich[1] : dans un lieu où il n’y a plus d’humains, fais l’effort d’être un humain ! Ce sont les paroles d’Hillel l’ancien vieilles de 2000 ans qui n’ont pas pris une ride.
On a fait notre cette maxime, comme on veut croire encore à l’un des versets de la création que nous lisons ce chabbat : vaIvra Elohim et haadam betzalmo, betzelem Elohim bara oto. Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa.
Cette notion de Tzelem Elohim, est répétée à 3 reprises dans la paracha, ici, puis à deux reprises au chapitre 5 de la Genèse, à propos d’Adam créé bidmout Elohim, à la ressemblance divine. Et enfin, dans le même chapitre, à propos de Chet le troisième fils d’Adam, frère d’Abel et Caïn, né après le premier meurtre biblique, d’Abel par son frère Cain. Ce fils Chet qui vient « réparer » l’acte commis par son frère, et il est dit qu’il est né ‘bidmuto k’tzlamo’ ‘dans sa ressemblance, à son image’.
L’homme créé betzelem Elohim porte en lui une valeur éthique fondamentale pour les juifs et pour l’humanité. Rentrée dans le langage courant du judaïsme, l’expression a été raccourcie en ‘betzelem’. C’est une sorte de boussole de chaque être humain, celle de ses comportements éthiques. En se rapprochant d’un idéal divin, on se rapproche davantage de notre humanité.
Selon le rabbin David Kimhi (1160-1235, appelé aussi Radak), exégète de la Bible et philosophe médieval français, le terme demout fait référence à une ressemblance physique ou matérielle avec le reste de la création ! Un être humain se compose par conséquent de ces deux ressemblances, physique à tous les humains et morale à la divinité.
Mais que veut dire pour l’être humain d’avoir été créé b’tzelem Elohim ?
Le Rabbin Haim Sabato[2], linguiste et sioniste religieux, récipiendaire de plusieurs prix prestigieux[3], liste 5 caractéristiques qui définissent l’homme créé b’tzelem Elohim :
1/il est capable d’exercer une domination sur la nature, (mais avec le risque de l’épuiser et la détruire),
2/ il est doté d’inventivité et de créativité,
3/ il est libre et fait preuve de discernement,
4/ il fait preuve de libre arbitre,
5/ il est capable d’amour fraternel – hessed et de solidarité envers son prochain.
Avoir été créé à l’image divine comporte des risques, l’un d’entre eux est d’oublier sa place dans la Création et de pécher par excès d’orgueil. Rashi dans son commentaire sur la première occurrence de Tzelem Elohim met en garde contre cette propension de l’homme à manquer d’humilité, et il lit dans le verbe v’irdou– ils descendront, une menace qui pèse sur lui, de dégringoler dans la chaîne de la Création.
De la création d’Adam jusqu’à nos jours des êtres humains se sont transformés en barbares et ont perdu leur humanité, ils se sont transformés en ces monstres bibliques appelés ‘nefilim’ issus de mariages contre nature entre les dieux et les filles de l’homme, ceux qui ont effrayé les hébreux lors de leur exploration de la terre de Canaan, dans l’épisode des explorateurs, ceux qui, à chaque génération ont tenté de détruire leurs frères et sœurs humains ou humilier et voler leur humanité.
De nos jours, un nouvel axe se dessine trop clairement, un axe qui réunit en son sein les dirigeants et les complices, sorte d’héritiers naturels des monstrueux nefilim. Cet axe prend racine à l’extrême Est de la planète et passe par la Russie, l’Iran, le Qatar, la Syrie. Ces dirigeants manipulent à distance les marionnettes du Hezbola au Nord et du Hamas au Sud, en tentant sans succès de serrer dans leurs griffes crochues Israël…afin de le détruire.
Que faire à notre niveau face à cet axe déboussolé qui a perdu tout sens de l’humain ? Le plus important me semble t il est de ne pas sombrer dans la nekama la vengeance, car comme disait l’un de mes amis israéliens Milhama ze lo nekama, la guerre ce n’est pas la vengeance.
Beaucoup d’entre vous ressentent de l’impuissance en ces heures sombres et pourtant chacun peut agir à son niveau, le soutien peut se manifester par la lutte contre la désinformation, par les gestes de solidarité, par votre engagement auprès des associations qui vous sollicitent et même par votre simple présence ici à la synagogue. Il nous incombe de former axe du hessed d’amour fraternel, en se préoccupant les uns des autres, sans se laisser dérober ce que l’on a de plus précieux : notre humanité, c’est cela notre acte de résistance ! Vadim devient bar mitsva ce chabbat, il est fils du commandement c’est à dire porteur de ces mêmes valeurs de hessed et d’humanisme, transmises par ses parents, sa famille et les madrikhim de KEREN OR depuis tant d’années. Mazal tov à toi Vadim, puisses tu être à ton tour, le digne dépositaire de cette lumière dont on a tant besoin, chabbat shalom !
[1] Pirke avot 2:5
[2] https://www.929.org.il/page/5/post/122
[3] Sapir et Ytzhak Sade