« Il n’y a pas de meilleur déclic pour la pensée que le rire. Et l’ébranlement du diaphragme en particulier, offre habituellement de meilleures chances aux idées que l’ébranlement de l’âme. » C’est Walter Benjamin qui le disait en 1934 alors qu’il s’était réfugié à Paris…
Il me semble qu’on a un peu oublié de rire ces derniers temps, on a oublié notre sens de l’humour qui permet à notre peuple de se distancier des situations les plus délicates. Oui, on se prend tous un peu trop au sérieux, heureusement que la soirée d’hier est venue nous détendre les mâchoires et le diaphragme !
Est-ce que ce sont les réseaux sociaux, cette arène où on s’étripe sans filtre, chacun se sentant obligé de donner son avis, pour ou contre le débat en cours, qui nous rendent aussi sinistres ?
A moins de vivre sur une ile déserte, vous avez tous suivi le dernier épisode qui a ébranlé le landernau juif et au-delà. Une courte déclaration de ma collègue, le rabbin Delphine Horvilleur s’est attiré les foudres d’un pan non négligeable de nos coreligionnaires qui n’attendaient que cela pour se jeter telle une meute sur ses paroles, somme toute de sagesse : la famine ne peut être une arme de guerre, non, on n’affame pas une population, même en période de guerre. Non, on ne se rabaisse pas au niveau des terroristes, et autres pogromistes, ce n’est pas digne de la tradition juive. Se taire c’est cautionner ce qu’il se passe. Et le devoir d’un rabbin qui représente une figure éthique est de le dire haut et fort, même si cela ne plait pas à tout le monde. Même si certains considèrent qu’elle a outrepassé son devoir de réserve.
Ce qu’il s’est passé ces derniers jours constitue en quelque sorte un cas d’école, qui nous offre l’opportunité d’une étude sociologique de la communauté juive franco-israélienne de 2025. Allons regarder de plus près ces deux camps qui semblent irréductibles et irréconciliables aux lumières de la Torah et plus particulièrement de la notion de Kedousha.
Que vient faire cette notion qu’on traduit souvent par sainteté dans cette affaire ? La Kedousha est au cœur du judaïsme et il en est question dans cette partie du Lévitique que nous lisons depuis deux semaines, appelée par les commentateurs « le livre de la sainteté ».
C’est une idée complexe qui apparait des centaines de fois dans la Torah, elle parcourt également notre liturgie en particulier dans la Amida où on se lève sur la pointe des pieds en répétant trois fois kadosh comme pour se rapprocher du divin.
L’origine de la sainteté c’est Dieu lui-même, le Saint Béni Soit Il, comme on l’appelle dans nos textes. C’est à travers Lui que nous sommes guidés vers la sainteté. Au sens premier, la sainteté demande que l’on se sépare, qu’on crée une distance avec ce qui ne l’est pas. Il y a un temps profane et un temps de sainteté, une nourriture conforme et une autre qui ne l’est pas, des fiancés qui sont bénis par un rituel de kedousha par lequel ils sont exclusivement liés l’un à l’autre. La liste est longue.
Mais la notion reste un peu obscure et comme le disait le rabbin John Rayner, peut être que « la meilleure façon de définir l’essence de la kedousha est de décrire ce qu’elle produit : Car l’une des principales caractéristiques de la sainteté est qu’elle inspire la crainte, le respect, l’humilité et même la honte. Isaïe, submergé par l’aura de sainteté qu’il perçoit dans le Temple, s’écrie : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; car mes yeux ont vu le Roi, l’Eternel des armées » (Isaïe 6 :5). Ézéchiel, dans des circonstances similaires, tombe sur son visage et se prosterne, frappé de crainte, sur le sol. Et Moïse, sentant la présence impressionnante de Dieu dans le buisson ardent, ressent une impulsion intérieure qui lui dit : « N’approche pas d’ici ; enlève tes souliers de tes pieds, car l’endroit où tu te tiens est une terre de sainteté » (Exode 5:5). »
Ces trois moments bibliques décrivent cette humilité humaine face à la sainteté de Dieu. Mais que veut dire la sainteté pour un être humain ? pour paraphraser de nouveau le rabbin Rayner : « la sainteté, au niveau humain, implique, une fois encore, l’idée de pureté, non pas tant la pureté rituelle que la pureté morale. Elle implique un cœur pur, un esprit pur et une conduite irréprochable. Elle implique également la séparation : la séparation de tout ce qui souille et pollue : la cruauté et la malhonnêteté »…Les qualités indissociables de la sainteté sont : se montrer chaleureux, généreux, compatissant, avoir une prédisposition à penser du bien de son prochain, et à pardonner.
Le penchant vers la kedousha implique d’être capable, quand les dérives sont aussi ostentatoires, de dire qu’il y a une limite, en particulier lorsque ce sont ceux de notre peuple qui dévient, car notre tradition n’est pas qu’une jolie suite de rituels et de prescriptions mais d’abord un chemin de vie, une responsabilité éthique qui implique la mise en conformité de notre pensée, de nos paroles et de nos actes !
Cher Samuel, toi qui as décidé de te frotter à un sujet complexe – la notion de blasphème – que tu nous exposeras demain matin et qui figure aussi dans cette paracha à coté de la dimension de sainteté ; je te souhaite de continuer à te montrer aussi curieux et responsable et à mettre à ton tour en conformité ta pensée, tes paroles et tes actes sans oublier un peu de légèreté.
Un grand mazal tov à toi et ta famille à l’occasion de ta bar mitsva !
Chabbat shalom !
Drasha Shoftim KEREN OR, 30 août 2025 – le 11ème commandement : la lutte contre l’antisémitisme?
de Daniela Touati
On 29 août 2025
dans Commentaires de la semaine
Il fût un temps où la trêve estivale était respectée, où on mettait les soucis, les projets et nos cerveaux au vert, mais depuis quelques années ce n’est plus le cas…je ne sais pas pour vous, mais en tout cas pour moi cet été n’a pas eu ce goût léger et ressourçant habituel. L’été a été chaud, non seulement par sa température mais aussi par les trop nombreuses informations inquiétantes, révoltantes voire tragiques qui sont venues nous troubler ….
Le fil d’infos comme des électrochocs nous a tenu en alerte jusqu’à nos lieux de villégiature. On a suivi en direct un enchainement effrayant d’actes malveillants à l’encontre de jeunes juifs français, de jeunes et moins jeunes juifs israéliens, à se demander consternés jusqu’à quel niveau peut grimper le thermomètre de l’abjection ?
Et cela ne concerne pas que la France, mais le monde entier.
Face à cette déferlante de haine qui nous touche de plein fouet, chacun de nous attend légitimement des actes forts, des décisions politiques fermes et innovantes à la mesure de la situation, L’intervention d’une police et d’une justice qui mettent le holà à cette violence. Mais les différentes institutions et associations semblent dépassées face à ce qu’il se passe. Et en sont réduites à des actes symboliques, comme planter des oliviers dans chaque villes pour créer une forêt de lutte contre l’antisémitisme, et je remercie maitre Alain Jakubowicz pour cette initiative qui se dissémine avec succès dans toute la France. Je crains cependant que ces arbres ne cachent la forêt, et ne fassent pas bouger d’un pouce les porteurs de cette haine.
Ma génération, née 20 ans après la Shoah, a du attendre les années 1990 et la loi Gayssot pour que la spécificité de l’antisémitisme parmi les racismes soit prise en compte. Il ne s’agissait pas à l’époque ni à présent, de créer de hiérarchie entre ces différentes discriminations et haines, mais juste de prendre en considération que l’antisémitisme a cela de particulier qu’il est persistant, comme une mauvaise herbe, et qu’il mute et revient avec plus ou moins de force à chaque génération ! Nous sommes malheureusement témoins de sa résurgence dans des proportions sans commune mesure avec ce qu’était l’antisémitisme des années 1990.
Dans la réponse du président Macron au premier ministre Netanyahou par suite de ses accusations de ne pas lutter suffisamment contre l’antisémitisme, le président fait référence à l’adoption par la France de la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui ajoute aux critères habituels la condamnation de l’antisionisme comme un antisémitisme. Mais là aussi, cela ne suffit pas. A se demander si pour renforcer encore notre protection, il ne faudrait inscrire une loi spécifique de protection des Juifs dans notre constitution ?
Nous aimerions tellement que cela soit scellé dans le marbre, une fois pour toutes, comme sur les tablettes divines une forme de onzième parole qui pourrait ressembler à cela : « tu n’humilieras pas le Juif, tu ne le haïras point dans ton cœur, tu ne le molesteras ni n’attentera à sa vie, car rappelles toi que tu as été toi aussi un juif en Palestine. »
Le deutéronome et en particulier la paracha choftim que nous lisons cette semaine est une forme de plan directeur de la constitution du peuple juif, selon le professeur d’études juives et bibliques Bernard Levinson[1]. Des lois primitives qui datent du 7eme siècle avant notre ère et qui fixent pour les générations à venir les prémices de l’organisation politique et juridique de notre peuple. Ce plan servira de modèle aux civilisations occidentales en combinaison avec le droit romain bien sûr.
הֲפָךְ בָּהּ וַהֲפָךְ בָּהּ, דְּכֹלָּא בָהּ[2]
Tourne-la et retourne-la encore car tout est là, dit une parole des Sages à propos de la Torah.
Cette maxime rappelle d’abord que la Bible ‘le livre des livres’, a été pendant des générations le seul livre de la bibliothèque familiale !
Mais appliqué à la paracha choftim, cet aphorisme indique que la Torah est notre code suprême, celui auquel on doit se tourner pour nous instruire dans tous les domaines de la vie, des relations humaines à celles avec le divin.
Cette autorité suprême énonce qu’un roi doit étudier tous les jours, ce serait même sa principale occupation (comme Dieu selon le midrash !). Il n’a pas cependant de prérogatives de magistrat, cette partie étant confiée à des professionnels juges et policiers. Et dans les cas les plus ambigus, c’est-à-dire s’il n’y a pas de preuves matérielles, ni de témoins, il revient à un tribunal composé de prêtres et de juges de trancher entre les parties.
Nous qui vivons entre deux rives celle de la France dotée d’une constitution qu’on espère solide et Israël qui n’en possède pas, nous pouvons observer comment l’état de droit est menacé dans ces deux pays. Et à quel point la montée des populismes, et de la violence mettent à mal la démocratie sur ces deux rives …et cela m’a fait m’interroger si tout au fond, il n’y avait pas un lien potentiel entre la vague autoritaire anti-démocratique qui s’empare de tant de pays dans le monde et la montée de l’antisémitisme ? le judaïsme serait-il le par feu à éliminer, car porteur d’un code éthique qui dérange ? Un code où est inscrite la protection sociale du plus faible, la fraternité humaine et l’amour de l’étranger, l’équilibre et la séparation des pouvoirs, en résumé le sens de la justice qu’il faut poursuivre sans relâche…
Tous ces principes ont été édictés dès l’Antiquité, ils sont le socle commun de l’humanité, et ils sont malheureusement balayés d’un coup de main lorsque la machine économique s’emballe, et que le repli sur soi prend le dessus, sans parler des guerres…
Chacun et chacune d’entre nous est l’héritier et gardien de ses valeurs et doit les protéger quelle que soit l’époque, quelles que soient les menaces qui pèsent sur notre environnement, c’est cela avoir fait le choix du judaïsme et parfois c’est bien lourd à porter mais ensemble nous y arriverons !
Chabbat shalom, bonne rentrée et hizkou v’imtzou soyons forts et courageux ensemble !
[1] https://www.thetorah.com/article/the-origins-of-constitutional-thought-found-in-deuteronomy
[2] Pirke Avot 5 :22