Il fût un temps où la trêve estivale était respectée, où on mettait les soucis, les projets et nos cerveaux au vert, mais depuis quelques années ce n’est plus le cas…je ne sais pas pour vous, mais en tout cas pour moi cet été n’a pas eu ce goût léger et ressourçant habituel. L’été a été chaud, non seulement par sa température mais aussi par les trop nombreuses informations inquiétantes, révoltantes voire tragiques qui sont venues nous troubler ….
Le fil d’infos comme des électrochocs nous a tenu en alerte jusqu’à nos lieux de villégiature. On a suivi en direct un enchainement effrayant d’actes malveillants à l’encontre de jeunes juifs français, de jeunes et moins jeunes juifs israéliens, à se demander consternés jusqu’à quel niveau peut grimper le thermomètre de l’abjection ?
Et cela ne concerne pas que la France, mais le monde entier.
Face à cette déferlante de haine qui nous touche de plein fouet, chacun de nous attend légitimement des actes forts, des décisions politiques fermes et innovantes à la mesure de la situation, L’intervention d’une police et d’une justice qui mettent le holà à cette violence. Mais les différentes institutions et associations semblent dépassées face à ce qu’il se passe. Et en sont réduites à des actes symboliques, comme planter des oliviers dans chaque villes pour créer une forêt de lutte contre l’antisémitisme, et je remercie maitre Alain Jakubowicz pour cette initiative qui se dissémine avec succès dans toute la France. Je crains cependant que ces arbres ne cachent la forêt, et ne fassent pas bouger d’un pouce les porteurs de cette haine.
Ma génération, née 20 ans après la Shoah, a du attendre les années 1990 et la loi Gayssot pour que la spécificité de l’antisémitisme parmi les racismes soit prise en compte. Il ne s’agissait pas à l’époque ni à présent, de créer de hiérarchie entre ces différentes discriminations et haines, mais juste de prendre en considération que l’antisémitisme a cela de particulier qu’il est persistant, comme une mauvaise herbe, et qu’il mute et revient avec plus ou moins de force à chaque génération ! Nous sommes malheureusement témoins de sa résurgence dans des proportions sans commune mesure avec ce qu’était l’antisémitisme des années 1990.
Dans la réponse du président Macron au premier ministre Netanyahou par suite de ses accusations de ne pas lutter suffisamment contre l’antisémitisme, le président fait référence à l’adoption par la France de la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui ajoute aux critères habituels la condamnation de l’antisionisme comme un antisémitisme. Mais là aussi, cela ne suffit pas. A se demander si pour renforcer encore notre protection, il ne faudrait inscrire une loi spécifique de protection des Juifs dans notre constitution ?
Nous aimerions tellement que cela soit scellé dans le marbre, une fois pour toutes, comme sur les tablettes divines une forme de onzième parole qui pourrait ressembler à cela : « tu n’humilieras pas le Juif, tu ne le haïras point dans ton cœur, tu ne le molesteras ni n’attentera à sa vie, car rappelles toi que tu as été toi aussi un juif en Palestine. »
Le deutéronome et en particulier la paracha choftim que nous lisons cette semaine est une forme de plan directeur de la constitution du peuple juif, selon le professeur d’études juives et bibliques Bernard Levinson[1]. Des lois primitives qui datent du 7eme siècle avant notre ère et qui fixent pour les générations à venir les prémices de l’organisation politique et juridique de notre peuple. Ce plan servira de modèle aux civilisations occidentales en combinaison avec le droit romain bien sûr.
הֲפָךְ בָּהּ וַהֲפָךְ בָּהּ, דְּכֹלָּא בָהּ[2]
Tourne-la et retourne-la encore car tout est là, dit une parole des Sages à propos de la Torah.
Cette maxime rappelle d’abord que la Bible ‘le livre des livres’, a été pendant des générations le seul livre de la bibliothèque familiale !
Mais appliqué à la paracha choftim, cet aphorisme indique que la Torah est notre code suprême, celui auquel on doit se tourner pour nous instruire dans tous les domaines de la vie, des relations humaines à celles avec le divin.
Cette autorité suprême énonce qu’un roi doit étudier tous les jours, ce serait même sa principale occupation (comme Dieu selon le midrash !). Il n’a pas cependant de prérogatives de magistrat, cette partie étant confiée à des professionnels juges et policiers. Et dans les cas les plus ambigus, c’est-à-dire s’il n’y a pas de preuves matérielles, ni de témoins, il revient à un tribunal composé de prêtres et de juges de trancher entre les parties.
Nous qui vivons entre deux rives celle de la France dotée d’une constitution qu’on espère solide et Israël qui n’en possède pas, nous pouvons observer comment l’état de droit est menacé dans ces deux pays. Et à quel point la montée des populismes, et de la violence mettent à mal la démocratie sur ces deux rives …et cela m’a fait m’interroger si tout au fond, il n’y avait pas un lien potentiel entre la vague autoritaire anti-démocratique qui s’empare de tant de pays dans le monde et la montée de l’antisémitisme ? le judaïsme serait-il le par feu à éliminer, car porteur d’un code éthique qui dérange ? Un code où est inscrite la protection sociale du plus faible, la fraternité humaine et l’amour de l’étranger, l’équilibre et la séparation des pouvoirs, en résumé le sens de la justice qu’il faut poursuivre sans relâche…
Tous ces principes ont été édictés dès l’Antiquité, ils sont le socle commun de l’humanité, et ils sont malheureusement balayés d’un coup de main lorsque la machine économique s’emballe, et que le repli sur soi prend le dessus, sans parler des guerres…
Chacun et chacune d’entre nous est l’héritier et gardien de ses valeurs et doit les protéger quelle que soit l’époque, quelles que soient les menaces qui pèsent sur notre environnement, c’est cela avoir fait le choix du judaïsme et parfois c’est bien lourd à porter mais ensemble nous y arriverons !
Chabbat shalom, bonne rentrée et hizkou v’imtzou soyons forts et courageux ensemble !
[1] https://www.thetorah.com/article/the-origins-of-constitutional-thought-found-in-deuteronomy
[2] Pirke Avot 5 :22
Drasha Paracha Ki Tétzé – du « droit à l’oubli » au « devoir de mémoire » – 5 septembre 2025 KEREN OR
de Daniela Touati
On 7 septembre 2025
dans Commentaires de la semaine
Vous avez surement entendu parler de cette notion relativement récente du ‘droit à l’oubli’ ? c’est une loi mise en place par l’Union Européenne depuis 2014, dans la continuité de la loi sur la protection des données, qui consiste à donner le droit à chaque individu de faire appel à un tiers pour effacer de la toile des informations qui pourraient lui nuire. Cela peut nous faire sourire à première vue, cette possibilité d’effacer ses frasques, ses photos dénudées ou dans un état d’ébriété avancée, ou encore ses déclarations intempestives, ses engagements dans des associations religieuses ou politiques parfois un peu extrêmes, tout ce qui pourrait donner une couleur particulière, ou ternir notre réputation lorsqu’on est en recherche d’emploi, de fonds pour investir, ou de l’âme soeur tout simplement !
Il m’arrive de googliser ceux qui frappent à la porte de notre synagogue par exemple, pour des raisons de sécurité, mais on googlise plus souvent par curiosité, par ennui. Ce droit à l’oubli concerne d’autres aspects, et a des applications très concrètes et utiles lorsqu’on cherche tout simplement à contracter une assurance ou un emprunt à la suite d’une longue maladie…
Il est vrai qu’internet et à présent l’IA ont une mémoire d’éléphant et n’oublient rien, car nous laissons des empreintes de notre vie partout, et cela nous poursuit même après la mort ! Bien pire que cela, les outils numériques se nourrissent littéralement de nos données et nos traces et cela devient une source légitime d’inquiétude…Qui peut accéder à cette profusion de données ? pourquoi faire ? Et pour combien de temps ?
Cette capacité à tout garder en mémoire à stocker les moindres faits et gestes de chacun et chacune n’est pas sans nous rappeler ce qui était, jusqu’à il y a quelques décennies, du seul domaine du divin. Oui nos textes nous disent que Dieu n’oublie rien, scrute nos faits et gestes et se souvient…et à notre tour par mimétisme, nous devons suivre Son exemple et nous conformer au devoir de mémoire.
L’expression ‘devoir de mémoire’ concerne depuis le 20ème siècle, les évènements tragiques qu’il nous faut commémorer à leur date anniversaire.
Cependant dans les textes bibliques et rabbiniques, cela va bien plus loin, on doit se souvenir d’avoir été esclaves et étrangers en Egypte, se souvenir aussi des actes de hessed que Dieu a eu envers nous (répétés tout au long de notre liturgie), et aussi ou plutôt se souvenir de nos fautes pour les expier…c’est particulièrement vrai en ce mois d’Eloul où ce heshbon hanefesh, cet examen de conscience doit être au cœur de nos préoccupations ! Ce voyage au cœur de notre âme, s’il a été fait en conscience nous mènera jusqu’à ce Yom Hazikaron, le « jour de la mémoire » autre nom de Rosh Hashana, ces deux jours où Dieu passe en revue son troupeau kivnei maron terme utilisé dans la prière Ounetané Tokef qui selon le talmud aurait trois significations : les vneit Maron seraient des brebis passant devant leur berger ; ou ceux qui gravissent le col escarpé de Beit Maron et doivent monter en file indienne ; ou enfin, les troupes de la maison de David. Ce jour du souvenir conduira au jugement divin. L’Eternel nous évalue un par un et collectivement, comme une armée, son armée ; quel est notre état individuel et collectif au seuil de 5786 ? Qu’avons-nous réalisé de bien ou de moins bien cette année ? comment nous sommes nous comportés vis-à-vis de nous-mêmes d’abord, de l’autre ensuite et de Dieu enfin ?
Lorsqu’on liste les occurrences du terme Zakhor dans la torah, celles qui concernent l’être humain d’un coté et celles qui concernent Dieu de l’autre, on s’aperçoit que Dieu semble se souvenir des souffrances humaines après moult pleurs, râles et cris ! c’est le cas par exemple pour trois des quatre matriarches qui souffrent affreusement et de longues années de leur stérilité, jusqu’à ce que Dieu les visite et se souvienne enfin qu’Il leur avait promis une nombreuse descendance. C’est le cas également et de manière peut être plus tragique encore, car collective, quand Il prend conscience enfin, après 430 ans de la souffrance du peuple hébreu, et qu’Il met en place une stratégie pour faire sortir son peuple du joug de Pharaon ! Se souvient-Il vraiment par intermittence, et notre rôle est-Il de lui rappeler nos mérites, ou du moins les mérites des meilleurs d’entre nous, qui par capillarité deviennent un peu nos mérites ?
Dieu pose un doigt accusateur sur nous une fois par an et parfois comme encore cette année, on aimerait inverser ce doigt et le poser aussi sur Lui pour lui demander : que Fais-tu pour nous ? Ton peuple ton am ségoula ta pierre précieuse qui est relégué au ban des nations ?
Zakhor n’est pas un impératif mais un infinitif absolu[1], à traduire par « se souvenir » : se souvenir qu’on a été esclaves, étrangers, une checklist, un pense bête de la Torah, qui apparait à 196 reprises selon le décompte de l’historien Yossef Yeroushalmi auteur du fameux Zakhor, un infinitif où on entend un impératif, puisqu’il est bien un commandement divin…
Notre paracha se termine par cet oxymore célèbre : Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek, lors de votre voyage, au sortir de l’Egypte; […] tu effaceras la mémoire d’Amalek de dessous le ciel: ne l’oublie point. Ce texte lu dans la paracha Ki Tetzé mais aussi le chabbat Zakhor qui précède Pourim prouve qu’on n’oublie ni d’inscrire ni de lire ce nom, tout en l’effaçant…Amalek devient Haman, ou Hitler, ou encore un militant du Hamas, il revient comme une ritournelle macabre à chaque génération. Serait-ce le prix à payer de notre élection ? Etre au premier rang comme le canari dans la mine ou plutôt la vigie des nations ? Le rabbin de Berditchev dans son commentaire du 18ème siècle Kedushat Levi en donne une autre interprétation :
« Il semble que ce ne soit pas seulement pour cela que la descendance d’Israël reçoit l’ordre d’effacer Amalek, qui est issu de la descendance d’Ésaü. Chaque personne en Israël doit plutôt effacer la partie maléfique qui se cache dans son cœur, connue sous le nom d’Amalek. En effet, chaque fois que la descendance d’Amalek se trouve dans le monde, elle se trouve dans l’être humain, puisque l’être humain est un petit monde, et il existe donc une réalité à « Amalek », à la force du mal intérieur de chaque être humain, il surgit à chaque fois pour faire transgresser l’être humain, et c’est à ce sujet que le souvenir apparaît dans la Torah. »
Sans tomber dans l’auto-flagellation, il est bien évident que ce n’est que de nous-même que le mal peut être extirpé, c’est un exercice permanent et une discipline de tous les instants, car notre action sur le monde se limite à cela, c’est à cela que sert ce ‘devoir de mémoire’ d’abord et avant tout, comme le dit la journaliste Hen Artsi Sror ‘se souvenir est un plan d’action’ afin de construire un avenir meilleur. Ken yhié ratzon, chabbat shalom!
[1] merci Wilhelm Coillet Matillon pour cette précision grammaticale