Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Le jour d’après… – Drasha Mishpatim KEREN OR 21 février 2025

Hier nous avons vécus en communion avec nos frères et sœurs, une des pires journées de toutes celles déjà très douloureuses vécues par les familles israéliennes depuis 504 jours. Une journée où on était tous comme Aharon muets devant l’énormité de son deuil, celle de ses deux fils emportés par le feu divin.

Là ce sont deux fils et leur mère qui sont morts assassinés, on ne sait encore par quels moyens. Et nous avons assisté impuissants à cette mise en scène macabre, véritable torture morale… qui s’est poursuivie ce matin lorsqu’on a appris que l’un des corps n’était pas celui de Shiri, la mère de ces deux bambins. A tout cela, nous ne devons répondre que par la dignité et le deuil silencieux avec juste le secret espoir que cette fois le monde comprendra…

Malheureusement ces scènes d’horreur, ces supplices (je ne veux pas utiliser le mot « martyre », car ce serait, me semble t il ; un blasphème) se répètent depuis tant de générations au sein de notre peuple, que nous pouvons puiser dans un répertoire infini de versets, de prières, de poèmes, et de chants plus tragiques les uns que les autres. Les lire et les écouter ne nous console pas, mais la force de ces mots est une berceuse à nos oreilles meurtries. Ces mots nous prennent un peu dans leurs bras, pour nous aider à exprimer cet intense chagrin, sans tomber dans la folie ou la haine.

Vous connaissez surement ces paroles d’une chanteuse renommée israélienne, Sarit Hadad qui chante k’shé halev bokhé, « quand le cœur pleure » chant qu’on écoute en temps normal en souriant, car il est un peu kitch. Sa justesse m’a fait frémir hier ; quand le cœur pleure, seul Dieu entend, la peine qui monte du fond de notre âme, quand un être tombe avant de s’effondrer, sa courte prière transperce le silence. Shema Israël mon Dieu, à présent vois ma solitude, donne-moi la force mon Dieu, fais que je n’ai pas peur, la douleur est immense, et je n’ai nulle part où m’enfuir, fais que cela cesse, car ma vigueur m’a abandonnée…

Dans n’importe quel système de valeurs, s’en prendre de sang-froid à un enfant, à un bébé et à une mère, les prendre en otage, les torturer puis les assassiner représente l’horreur absolue.

La scène de leur prise d’otages restera à jamais gravée dans toutes les mémoires, les caméras du monde entier en ont aussi été témoins. Et pourtant, le monde s’est tu, le monde n’a pas appliqué le même système de valeurs à ces enfants-là. Le monde n’a ni manifesté ni pleuré ni alors, ni à présent. Une communauté internationale rassemblée dans son désintérêt total ! Elle a probablement pensé au mieux qu’ils étaient des dommages collatéraux d’un conflit vieux de plus de 100 ans, ou, au pire, que c’était un acte de résistance. « Une communauté internationale » qui cherche à expliquer, comparer, contextualiser…

Qu’il est douloureux d’écrire et de réfléchir à ce propos, quand on est pris par l’émotion et qu’on oscille entre rage et effondrement.

La seule chose susceptible de nous protéger et nous maintenir debout est la foi en une justice non pas divine, mais humaine, non pas mue par la vengeance, mais par l’application d’une loi internationale, même si là aussi on a pu déplorer ses limites et son parti pris…  

La Loi en Occident prend racine dans celle transmise au Sinaï, ce minimum éthique représenté par les 10 commandements. Système de lois complété par nos textes, cette semaine dans la paracha Michpatim qui veut dire les lois, puis par tous les législateurs, ces rabbins qui se sont succédé et avaient à cœur une transmission de lois emplies de sagesse, de compassion et guidés par l’éthique juive.

Le droit est essentiel, car il nous redresse et redresse aussi, comme ce terme l’indique, les torts. Même et surtout les plus abjects.

Faute de compassion, faute de solidarité, c’est notre seule source d’espoir dans l’avenir.

En étudiant mercredi les lois concernant la libération des captifs, nous avons réfléchi à ce constat : au fil des mois et de la guerre sans fin qui a lieu à Gaza, une ligne de fracture s’est lentement creusée entre juifs laïcs et libéraux d’un côté, et juifs sionistes religieux et ultra-orthodoxes, de l’autre.

Etonnamment, les plus libéraux ont utilisé depuis le début de ce conflit le leitmotiv halakhique de Maïmonide : « il n’y a pas de plus grande mitsva que la libération des captifs, Ein mitsva guedola k’pidyon shvouïm ». Pourquoi cette mitsva est-elle placée au-dessus des autres ? Le sauvetage des captifs figure en haut de la hiérarchie des mitsvot car leur libération va permettre d’accomplir plusieurs mitsvot : les sauver de la faim, de la soif, de la nudité, et in fine du danger mortel. La solidarité du peuple juif envers ses frères et sœurs prime selon cette halakha sur toute autre considération. Cette solidarité envers les captifs figure en bonne place aussi dans le christianisme et l’islam.

Face à cela le rabbin Zalman Melamed un rabbin ultra-orthodoxe très influent en Israël, a légiféré dans un sens différent mettant la priorité sur la manifestation de force et de sécurité au détriment de la solidarité. Pour lui, la mitsva de pidyon shvouïn est relative, car libérer à tout prix les otages peut remonter le moral des terroristes et donner lieu à une surenchère sur le marché des otages.

A ce rabbin, nous pouvons répondre que l’ancien grand rabbin sépharade d’Israël Ovadia Yossef tout aussi ultra-orthodoxe a légiféré en suivant plutôt le point de vue de Maïmonide.

Lors de l’enlèvement de l’avion d’El Al par le groupe palestinien FPLP en 1976, il a émis un psak din (une loi) disant qu’il fallait sauver des otages pour davantage que leur valeur (valeur difficile à déterminer mais au-delà d’un homme pour un homme), lorsqu’ils sont en danger mortel. La priorité étant de se préoccuper du danger immédiat qui était connu plutôt que d’un danger à venir, celui d’un énième cycle de violence et de prise d’otages…Il ajoutait même pour justifier sa position, que nous n’étions pas en mesure de comprendre les règles militaires ni les implications géopolitiques de la libération des otages et prétendre cela ne pourrait que nous mener à oublier les règles et leur importance éthique.

Les tergiversations et pressions politiques des extrêmes ont conduit à un dilemme inconnu jusque là au sein de la société israélienne, cela a retardé les négociations pour la libération des otages et a mis en danger leur vie, jusqu’au résultat que nous connaissons. Bien sur la responsabilité première en revient aux terroristes, mais on ne peut ignorer ce qui agite la conscience israélienne également.  Notre peuple n’a pas le luxe de se diviser en une pareille période, et la priorité doit rester de sauver les vies humaines quand elles peuvent l’être et d’enterrer nos morts dignement. La loi morale d’humanité et solidarité doit l’emporter sur toute autre considération,

Ken yhié ratzon, Chabbat shalom !   

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Drasha Shemot – KEREN OR 17 janvier 2025

  1. Bernard COHEN

    Je suis sans voix devant ces hordes sauvages qui ont gravé le 7 octobre dans nos âmes . J’ai honte de dire que pointe en moi le besoin de vengeance. Ta foi lumineuse et ton savoir m’aideront à calmer ce bouleversement… merci Rabbi Daniela
    Bernard Cohen

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