Il y a 15 jours, lors de l’étude avec le groupe du mercredi de la paracha Tetzavé, on s’était attardé sur ce curieux objet : les ourim et toumim, deux pierres sur lesquelles étaient gravés les noms des douze tribus d’Israël, placées sur le pectoral du jugement du Grand Prêtre, elles s’éclairaient lorsqu’on leur posait une question. La réponse tel un oracle permettait, dans des circonstances spécifiques, de prendre une décision.

Dans la Torah, les ourim et toumim étaient consultés avant les guerres dites facultative, celle où on s’apprête à conquérir un territoire et où il faut bien peser les risques et les opportunités à partir en guerre.

Dans le traité Sanhédrin, il est précisé qu’un certain nombre de gardes fous ont été mis en place pour qu’un roi ne décide pas de partir à la guerre sur un coup de tête, même lorsque la famine sévit dans le pays. Le grand Roi David lui-même ne pouvait de son propre chef décider de partir à la guerre et devait auparavant consulter le grand Sanhedrin composé de 71 juges qui a leur tour allaient consulter le Grand Prêtre et les Ourim et Toumim. Golda Meir en son temps disait que tout commandant qui n’hésite pas à envoyer des jeunes hommes et femmes à la guerre ne mérite pas d’être un commandant.

Notre petit dictateur à l’égo surdimensionné n’a pas pris toutes ces précautions avant de se lancer dans une guerre de conquête territoriale contre son voisin Ukrainien…Même si cette menace planait au-dessus de nos têtes depuis plusieurs mois, la surprise a été totale lorsque l’attaque a été lancée par l’armée russe au petit matin ce jeudi. 70 ans de calme et sécurité ont été anéantis par le caprice d’un leader totalement inconscient des conséquences désastreuses de ses actes.

La sécurité, bitakhon en hébreu, est un des besoins fondamentaux de tout être humain et c’est exactement ce dont nous avons été privés depuis plus de deux ans déjà. L’insécurité générée par la crise sanitaire, qui s’est transformée en moins de deux, en une insécurité territoriale, où les frontières ne sont plus sûres, car une guerre a éclaté. Voilà à nouveau venu le temps où des hommes, femmes et enfants fuyant les bombes et cherchant un abri, vont se jeter sur les routes à la recherche d’un lieu sûr au-delà de leurs frontières…Les prévisions parlent de 5 Mio d’ukrainiens qui vont chercher refuge dans les pays voisins. Et heureuse surprise, ces pays voisins se sont promptement organisés pour les accueillir, même les plus pauvres d’entre eux, comme la Roumanie ont annoncé accepter jusqu’à 500000 réfugiés potentiels.

Yuval Harari expliquait dans un récent article que deux manières de penser le monde coexistent depuis toujours, ceux qui croient en la capacité humaine à changer, à évoluer et ceux qui pensent que l’histoire est un éternel recommencement, et que le monde est une jungle où le fort se nourrit du plus faible. Il y a eu très peu de guerres de conquête ces dernières décennies, le type de guerre qu’avait connu le début du vingtième siècle était devenu une anomalie… C’était la conséquence d’un choix humain et de notre capacité à opter pour le meilleur choix, le penchant vers le bien[1]

Vayakhel, que nous lisons cette semaine, traite, entre autres, de ce que peut produire un groupe humain lorsqu’il se met au service d’une vision qui le dépasse. «Et il rassembla » nous parle d’un moment biblique quasi idéal, une communauté telle que n’importe quel rabbin, ou Président pourrait en rêver.

Le groupe d’hommes et de femmes décrits ici est diligent à donner qui de ses richesses, qui de son talent. Ils participent, chacun selon ses moyens, avec enthousiasme et empressement à un projet qui les élève et qu’ils veulent réussir : la construction du Mishkan – le temple portatif. Les membres ont un chef qui les inspire, et un «conseil d’administration » en quelque sorte, composé des plus talentueux d’entre eux Bezalel et Oholiab. Ces derniers partagent une vision et organisent minutieusement toutes ces compétences. Mais les dons des Israélites sont si généreux que Moïse doit leur demander d’arrêter d’apporter tant d’offrandes : “le peuple apporte trop d’offrandes au-delà de ce qu’exige l’ouvrage que l’Eternel a ordonné de faire.” « Sur l’ordre de Moïse on fit circuler cette proclamation : Que ni homme ni femme ne préparent plus de matériaux pour la contribution des choses saintes. » [2]

Nehama Leibowitz dans son commentaire sur cette paracha, pointe du doigt les intentions totalement opposées à l’origine de la construction du Mishkan et celles de la construction du veau d’or dans la paracha qui précède. Dans les deux narratifs, le peuple hébreu se montre volontaire et généreux mais ce ne sont pas les mêmes intentions qui guident cette générosité.

On lit dans la paracha Ki Tissa au chapitre 32 « tous rompirent leurs pendants d’or…et les apportèrent à Aaron ». Le terme utilisé « rompre» est un indice de leur manière d’agir. Ils donnent de manière désordonnée, sans réfléchir, sans se coordonner et surtout emportés par la colère et la passion.

Après s’être corrompu dans l’idolâtrie et la perte de repères, le peuple semble à présent prêt à se relever, et à réparer la faute commise, avec encore plus de zèle. A présent, ils font preuve de talent, de sensibilité, de sagesse.

Ces deux épisodes qui se suivent dans la Torah sont un enseignement précieux à mettre en perspective. Nous avons à choisir entre le fait de continuer à construire des veaux d’or ou commencer à construire le Mishkan, tout à la fois en tant qu’individus et en tant que groupe humain.

Cela nous enseigne à la fois la difficulté et la beauté à vivre chacun en harmonie avec son prochain, au sein de nos différents groupes d’appartenance : sa famille et ses amis, son groupe spirituel, son pays et au-delà en tant qu’Homme faisant partie de l’humanité ! Lorsqu’un groupe d’hommes et de femmes perd ses repères et s’adonne à ses pulsions sous la conduite d’un leader qui a perdu la raison, il libère ses bas instincts de manière incontrôlable, et le pire peut arriver. Au contraire, lorsque les talents de chacun sont mis au profit d’un idéal éthique, rien ne peut arrêter ceux qui travaillent ensemble de manière harmonieuse. Même en ces moments sombres, je vous invite à ne pas désespérer de l’humain car le changement est toujours possible et la paix peut poindre de nouveau à l’horizon.

Ken Yhie Ratzon

Shabbat shalom


[1] https://www.economist.com/by-invitation/2022/02/09/yuval-noah-harari-argues-that-whats-at-stake-in-ukraine-is-the-direction-of-human-history

[2] Exode 36:5-6

photo prise par le rabbin Tanya Sakhnovich qui fuit Kiev avec son fils vers la frontière polonaise le 26 février 2022