Une fête qui est aimée de tous petits et grands, une fête que nous attendons avec excitation et enthousiasme, au cours de laquelle nous nous retrouverons de nouveau autour d’une table bien garnie et d’un plateau symbolique, avec tous ceux que l’on aime, et au-delà… se réunir et espérer à nouveau en la rédemption, en notre libération.

Voilà nous y sommes, le chabbat HaHodech, ce chabbat qui annonce le Grand mois de Nissan, mois qui débute le cycle des fêtes juives selon nos Sages, mois de la Grande fête par excellence : Pessa’h.

Cette année, la fête aura sans doute une saveur bien particulière, car 134 des nôtres sont toujours captifs depuis 182 jours aujourd’hui, 6 longs mois qu’on décompte jour après jour avec appréhension car, les jours passants, notre espoir de les voir revenir vivants vacille au risque de s’éteindre. Notre Omer a commencé le 7 octobre l’année dernière, ou le 21 Tichri de cette année…182 jours de deuil qui n’en finit pas, tant qu’ils ne seront pas libérés. Leur absence cruelle et celle de ceux qui ont été assassinés de manière effroyable sera perceptible autour de chaque table du seder.

Ils seront en même temps très présents, dans chaque bol d’eau salée symbolisant nos larmes, dans les gouttes de vin que nous enlèverons de la coupe en énumérant les 10 plaies à laquelle on pourra ajouter une onzième, celle du cancer du terrorisme et de la déshumanisation et une douzième celle de toutes les souffrances causées par la guerre. Certains proposent d’ajouter un bol vide par empathie pour les Palestiniens qui se meurent de faim. Et aussi nous pourrons prévoir une chaise vide pour un otage…Ils seront avec nous aussi lorsqu’on entreposera un verre pour Elie, en priant de tout notre cœur pour que cette année, enfin, un miracle se produise et qu’un chemin menant à la paix soit enfin fermement creusé. ….

Naturellement, les haggadot de 5784 seront mises au goût du jour, si je peux dire, on y ajoutera poèmes et proses de rabbins et intellectuels qui feront vibrer notre tréfonds d’humanité juive, pour nous aider à passer le cap. Ce rituel aura peut-être la force de nous faire espérer qu’il est possible de réparer les êtres humains qui tombent dans la haine antisémite, à défaut de guérir ceux qui se comportent comme des bêtes féroces, ceux catégorisés dans notre paracha comme des abominations, interdits à la consommation. Tout ce sheketz ainsi dénommé dans la Torah, catégorie d’animaux volants ou rampants, détestables parce qu’ils se nourrissent principalement de chair arrachée directement sur d’autres êtres vivants…

Croire surtout que si la libération a été possible pour nos ancêtres esclaves, cela le sera pour nous aussi, encore une fois, on chantera et on dira lachana habaa b’Yerouchalaim avec un cœur serré… car « Combien de crises existentielles pouvons-nous affronter en même temps ? Combien de menaces pour notre stabilité – physique, intellectuelle et émotionnelle ? » ce sont les questions que posaient avec justesse mon cher collègue et maitre le rabbin Richard Jacobi en 2022, il y a deux ans déjà … !

Mais avant cela, le chabbat hagadol sonne le signal du réveil pour nous juifs, d’ici et de tous les recoins les plus reculés du monde, un réveil qui nous rappelle qu’il ne reste plus que deux petites semaines pour mener à bien les nombreux préparatifs de cette fête, car même tristes et fatigués, il faudra s’y mettre. Et qui sait ? Peut-être que ce grand ménage pascal, tous ces tris, ces rangements et nettoyages minutieux, habituellement vécus comme des corvées quasi-névrotiques, nous seront réellement bénéfiques cette année et agiront comme un médicament. Par ces gestes, aussi nombreux qu’épuisants, nous tenterons de cautériser nos plaies, pour vivre Pessa’h dans une joie un peu contenue, avec nos frères et sœurs juifs partout dans le monde et en particulier en Israël.

Nous nous efforcerons, comme tous les ans, de nous tenir debout devant l’Eternel lors de cette convocation sainte. Se tenir debout, c’est justement, selon nos Sages ce qui sous-tend l’interdit de manger ces shratzim rampants, je vous cite le verset dans le Lévitique chapitre 11 :

Ki kol holekh al gahon…lekhol hasheretz hashoretz al haAretz lo tokhlum ki sheketz hem.[1]

Tout ce qui se traîne sur le ventre (ou qui est penché),[ ..], tous les reptiles rampant sur le sol, vous n’en mangerez point, car ce sont choses abominables.

Le mot gahon dans ce verset littéralement « ventre » a la particularité d’être écrit avec un grand vav dans la Torah. Ce vav indique pour les scribes, qu’ils ont atteint la lettre médiane de la Torah, une sorte de nombril de la Torah.

Mais le vav indique aussi cette posture unique de l’être humain, qui est le seul à se tenir debout. Le rabbin Harold Kushner nous dit que ce vav est essentiel et nous rappelle métaphoriquement, qu’il y a quelque chose de répugnant chez un être humain à ramper, plutôt qu’à se tenir debout pour défendre ses croyances et convictions.

Alors, ne laissons pas qui que ce soit nous obliger à ramper ni même nous courber, ou nous recroqueviller sur nous-mêmes, en particulier en ce moment, où l’ambiance est détestable, et où les idées et les paroles qui circulent sont pleines d’étroitesse, voire d’abomination.

Au seuil du mois de Nissan, qui commencera lundi soir, et dont la racine Ness nous rappelle les nombreux prodiges survenus dans le passé pour nos ancêtres, rêvons très fort à un nouveau miracle et soyons dressés comme autant de lettres vav pour le reconnaitre et l’accueillir le jour venu.

Ken Yhié ratzon, Chabbat shalom !


[1] Lév. 11 :42