Un récit talmudique assez célèbre raconte une histoire poignante, celle de 4 Sages, tous célèbres et très estimés du 1er siècle de notre ère. Ils rentrent dans le Pardes – le Gan Eden pour visiter ‘le back office’ si je peux m’exprimer ainsi, ce côté mystérieux où ils espèrent rencontrer leur Créateur. Mais cette initiative n’est pas couronnée de succès pour trois d’entre eux : R. Ben Azzai meurt, R. Ben Zoma perd la raison, R. Elisha Ben Abouya perd la foi et seul rabbi Akiva en ressort sain et sauf.
Je vais m’attacher à, l’un des personnages de cette histoire, r. Elisha Ben Abouya car il me semble que son parcours peut susciter quelques réflexions utiles, et ; peut-être, nous éclairer dans cette période tourmentée.
R. Elisha Ben Abouya est un agnostique, et qui sera surnommé dans le Talmud ‘l’autre’- Aher. Naturellement, il a retenu l’attention des commentateurs et apparait dans plusieurs récits talmudiques. L’un d’entre eux, dans le traité Kiddoushin, énonce l’origine de ce que les rabbins ont considéré comme son hérésie.
Selon ce récit, il a assisté à une scène qui l’a bouleversé : celle où un jeune garçon va à la demande de son père accomplir la mitsva du shilouakh haken. Le shilouakh haken, est un commandement, où on renvoie la mère des oisillons avant de prendre ces oisillons. C’est un acte de hessed, de compassion envers la mère, qui, selon la Torah est récompensé par ‘la longueur des jours’ de celui/celle qui l’accomplit, autrement dit, une longue vie. Malheureusement, ce jeune garçon grimpe à l’arbre, accomplit la mitsva, puis tombe et meurt. Elisha assiste, médusé, à cette scène. Il se demande, comme d’autres rabbins, comment, alors qu’il est expressément écrit dans la Torah qu’accomplir cette mitsva rallonge les jours de celui qui l’accomplit, un jeune garçon innocent et méritant meurt juste après avoir accompli cette bonne action ? Dans le talmud suivent de nombreuses interprétations rabbiniques qui cherchent toutes à disculper Dieu, afin de préserver notre système de croyances.
Pour Elisha Ben Abouya cependant, aucune explication ne tient, si le jeune garçon meurt alors tout l’édifice du judaïsme s’écroule comme un château de cartes . Et Aher décide de se détourner de la Loi, et même de transgresser publiquement le shabbat en continuant à se promener sur son âne au-delà de la limite permise. Il demande cependant à son élève, Rabbi Meïr, qui l’accompagne de retourner au village pour que lui respecte le shabbat. R. Meïr demande à Elisha de rentrer avec lui, mais Elisha refuse car sa sentence a déjà été prononcée et il sait qu’il ne sera pas pardonné, aucune teshouva n’est possible pour lui.
Après être entré dans le Pardes, son hérésie, est décrite par une métaphore « Akher kitzetz bint’yot » « Aher coupait les pousses des jeunes arbres » ‘. Selon les Sages, cela fait allusion à son influence sur la jeunesse : son comportement irrespectueux détourne en quelque sorte, la jeune génération du respect du judaïsme. Il coupe les jeunes feuilles, leur potentiel de devenir des talmideï hakhamim des sages à leur tour…
Cet Aher qui appuie là où ça fait mal, bien que ‘autre’, est responsable de ce que vont devenir ses ouailles, en premier lieu de rabbi Meïr son disciple. Aher qui a la même racine que le terme ahraïout : responsabilité. Pour avoir posé ces questions embarrassantes, et avoir semé le doute dans ces jeunes cerveaux, Aher a été mis au ban de sa communauté, comme Spinoza des siècles plus tard, il a du vivre hors de celle-ci, à la périphérie. On nous dit même qu’une fois mort, il a été condamné au Guéhinom, la géhenne, et un seul de ses disciples, r. Yohanan, était prêt à lui tendre la main pour le sauver.
Le judaïsme a produit de nombreux aherim (pluriel de aher) ces autres qui ont douté, voire abandonné la pratique de leur foi. Par fidélité et pour honorer la mémoire de ceux partis en fumée, ils ont pris à la lettre ce commandement du Zakhor – souviens toi ! Ils se sont souvenus et ont mis Dieu lui-même sur le banc des accusés pour finalement le faire passer par pertes et profits.
La question qu’Aher pose nous taraude jusqu’à ce jour.
Alors qu’une nouvelle génération de juifs et non juifs endure les souffrances causées par une guerre non loin de chez nous, on continue à se demander où est Dieu lorsque des innocents souffrent ? Et pourquoi les méchants prospèrent ?
Alors cet aher, ce n’est pas l’autre, mais nous tous, notre peuple considéré comme un éternel aher, marginal, différent, parfois même dérangeant par une partie non négligeable de la communauté humaine.
En 1975, lors de son congrès mondial, la WUPJ organe fédérateur du judaïsme libéral a réhabilité Spinoza et annulé le herem qui a été prononcé contre lui en 1656. Les leaders de notre mouvement ont montré, il y a près de 50 ans, qu’il était tout à fait possible d’inclure même ceux qui ne pensent pas comme nous, qui ont une autre relation à Dieu, plutôt que de chercher à les stigmatiser et les ‘excommunier’. N’est-ce pas là notre responsabilité ? notre ahraïout collective en tant que peuple juif ? N’avons-nous pas tous, le droit à cheminer avec nos doutes, nos questionnements et notre liberté de conscience tout en gardant sa place au sein du judaïsme ?
Ken yhie ratzon, Shabbat shalom
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Je vais m’attacher à, l’un des personnages de cette histoire, r. Elisha Ben Abouya car il me semble que son parcours peut susciter quelques réflexions utiles, et ; peut-être, nous éclairer dans cette période tourmentée.
R. Elisha Ben Abouya est un agnostique, et qui sera surnommé dans le Talmud ‘l’autre’- Aher. Naturellement, il a retenu l’attention des commentateurs et apparait dans plusieurs récits talmudiques. L’un d’entre eux, dans le traité Kiddoushin, énonce l’origine de ce que les rabbins ont considéré comme son hérésie.
Selon ce récit, il a assisté à une scène qui l’a bouleversé : celle où un jeune garçon va à la demande de son père accomplir la mitsva du shilouakh haken. Le shilouakh haken, est un commandement, où on renvoie la mère des oisillons avant de prendre ces oisillons. C’est un acte de hessed, de compassion envers la mère, qui, selon la Torah est récompensé par ‘la longueur des jours’ de celui/celle qui l’accomplit, autrement dit, une longue vie. Malheureusement, ce jeune garçon grimpe à l’arbre, accomplit la mitsva, puis tombe et meurt. Elisha assiste, médusé, à cette scène. Il se demande, comme d’autres rabbins, comment, alors qu’il est expressément écrit dans la Torah qu’accomplir cette mitsva rallonge les jours de celui qui l’accomplit, un jeune garçon innocent et méritant meurt juste après avoir accompli cette bonne action ? Dans le talmud suivent de nombreuses interprétations rabbiniques qui cherchent toutes à disculper Dieu, afin de préserver notre système de croyances.
Pour Elisha Ben Abouya cependant, aucune explication ne tient, si le jeune garçon meurt alors tout l’édifice du judaïsme s’écroule comme un château de cartes . Et Aher décide de se détourner de la Loi, et même de transgresser publiquement le shabbat en continuant à se promener sur son âne au-delà de la limite permise. Il demande cependant à son élève, Rabbi Meïr, qui l’accompagne de retourner au village pour que lui respecte le shabbat. R. Meïr demande à Elisha de rentrer avec lui, mais Elisha refuse car sa sentence a déjà été prononcée et il sait qu’il ne sera pas pardonné, aucune teshouva n’est possible pour lui.
Après être entré dans le Pardes, son hérésie, est décrite par une métaphore « Akher kitzetz bint’yot » « Aher coupait les pousses des jeunes arbres » ‘. Selon les Sages, cela fait allusion à son influence sur la jeunesse : son comportement irrespectueux détourne en quelque sorte, la jeune génération du respect du judaïsme. Il coupe les jeunes feuilles, leur potentiel de devenir des talmideï hakhamim des sages à leur tour…
Cet Aher qui appuie là où ça fait mal, bien que ‘autre’, est responsable de ce que vont devenir ses ouailles, en premier lieu de rabbi Meïr son disciple. Aher qui a la même racine que le terme ahraïout : responsabilité. Pour avoir posé ces questions embarrassantes, et avoir semé le doute dans ces jeunes cerveaux, Aher a été mis au ban de sa communauté, comme Spinoza des siècles plus tard, il a du vivre hors de celle-ci, à la périphérie. On nous dit même qu’une fois mort, il a été condamné au Guéhinom, la géhenne, et un seul de ses disciples, r. Yohanan, était prêt à lui tendre la main pour le sauver.
Le judaïsme a produit de nombreux aherim (pluriel de aher) ces autres qui ont douté, voire abandonné la pratique de leur foi. Par fidélité et pour honorer la mémoire de ceux partis en fumée, ils ont pris à la lettre ce commandement du Zakhor – souviens toi ! Ils se sont souvenus et ont mis Dieu lui-même sur le banc des accusés pour finalement le faire passer par pertes et profits.
La question qu’Aher pose nous taraude jusqu’à ce jour.
Alors qu’une nouvelle génération de juifs et non juifs endure les souffrances causées par une guerre non loin de chez nous, on continue à se demander où est Dieu lorsque des innocents souffrent ? Et pourquoi les méchants prospèrent ?
Alors cet aher, ce n’est pas l’autre, mais nous tous, notre peuple considéré comme un éternel aher, marginal, différent, parfois même dérangeant par une partie non négligeable de la communauté humaine.
En 1975, lors de son congrès mondial, la WUPJ organe fédérateur du judaïsme libéral a réhabilité Spinoza et annulé le herem qui a été prononcé contre lui en 1656. Les leaders de notre mouvement ont montré, il y a près de 50 ans, qu’il était tout à fait possible d’inclure même ceux qui ne pensent pas comme nous, qui ont une autre relation à Dieu, plutôt que de chercher à les stigmatiser et les ‘excommunier’. N’est-ce pas là notre responsabilité ? notre ahraïout collective en tant que peuple juif ? N’avons-nous pas tous, le droit à cheminer avec nos doutes, nos questionnements et notre liberté de conscience tout en gardant sa place au sein du judaïsme ?
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