Celly, Sharna, Cerna, Céline, autant de prénoms et de petits noms qui correspondent aux étapes d’une vie et aux facettes nombreuses de la femme, maman et mamie qu’a été ma maman,
Son prénom Cerna, elle le tenait de sa grand-mère paternelle, décédée à 53 ans, en 1935 l’année de sa naissance. Son grand-père, David s’est remarié avec Betty Segall, qui est devenue sa grand-mère de cœur. Un mur de tendresse entourait ma mère dans son enfance. Ce mur s’est transformé en mur de protection, contre la haine gratuite et féroce qui s’est répandu sur le monde pendant les 6 années noires de la deuxième guerre mondiale. Cette haine qui avait déjà frappé sa famille en Ukraine quelques 50 ans auparavant…elle était juste un peu endormie.
A 6 ans à peine, elle a connu la fuite, l’angoisse et le déplacement forcé. Avec sa famille élargie, elle a vécu dans des conditions déplorables et insupportables, d’abord dans un camp pour déplacés pendant un an, puis la déportation dans un camp de concentration à ciel ouvert, la Transnistrie.
L’ennemi était multiforme, portait uniforme noir et casquette bien ajustée, avait une allure respectable, suivait les ordres et les faisait respecter scrupuleusement. L’ennemi était d’abord roumain, puis ukrainien – dans ce cas sans uniforme – et bien sûr allemand. Mais le mur de protection la gardait à distance, ses besoins vitaux essentiels étaient assurés, c’est-à-dire le minimum : un peu de pain, une pomme de terre et de l’eau ; les grands jours : un morceau de sucre. Son père Benish z’l était très débrouillard, un super commerçant et sa mère une femme de tête qui indiquait la direction à suivre.
La première direction était celle des études, celui qu’elle-même avait dû interrompre, mais il n’était pas question que sa fille unique, ma maman, ne puisse pas aller au bout de ses capacités, qui se sont révélées très grandes. Son frère ainé était son meilleur ami, c’est auprès de lui qu’elle a appris les rudiments de l’alphabet, la lecture, et le calcul. Si bien qu’après-guerre elle a pu rentrer à l’école primaire presque sans retard. Mais ce n’était pas suffisant, il fallait être première partout et tout le temps. Ce virus, si on peut dire elle me l’a bien transmis aussi !
Pendant ses études elle tourne la tête aux étudiants, elle aime particulièrement les soirées dansantes, les copines – nombreuses et rapidement elle fait chavirer le cœur d’un jeune homme très discret, très solitaire, mon papa. Ils se marient très jeunes à 23 et 22 ans mais je ne naitrai que 8 ans plus tard. Ils rêvaient de liberté et d’Israël…et à force d’attendre, ils se sont résolus à ce que je naisse là-bas, dans ce pays communiste, dur et antisémite.
En 1973, après pas mal de péripéties, le graal est arrivé, c’est-à-dire les papiers d’autorisation de sortie du territoire, en renonçant à tout, ou plutôt à pas grand-chose si ce n’est leur nationalité roumaine qui leur a été reprise…mais la guerre de Kippour a mis à l’épreuve de nouveau leur patience. Arrivés en Israël pendant le cessez le feu, le choc a été immense, ils sont passés de l’obscurité à la lumière, du verglas au grand soleil resplendissant même en novembre et aussi de la dictature à une démocratie. On a aussi retrouvé le peu de famille qui était déjà sur place, à Haïfa du coté de mon papa et à Tel Aviv et aux alentours pour ma maman. Que de déjeuners et diners d’accueil succulents et pleins de rires et tendresse !
Leur cercle intime d’amis roumains Rodica et Marius, Marlena et Sigi, Rozica et Albert, Tinela et Miron, a pour la plupart suivi (ou précédé) ce mouvement, ce qui fait que le cordon sanitaire amical était reconstitué. On s’est transplanté avec succès dans cette terre si longuement promise. Jusqu’à l’arrivée de mes grands – parents : Benich et Roza et la perte 3 semaines plus tard de ma grand-mère maternelle…un énorme coup dans le ventre…
La terre promise ne l’est pas restée longtemps : l’ambiance après la guerre de Kippour était un peu tristouille les attentats quasi quotidiens et le climat de tension et de crise économique les a fait déchanter. 3 ans plus tard, mon père partait en éclaireur et se retrouvait détourné de la trajectoire américaine initiale pour atterrir en région parisienne, auprès de mon oncle Manolé et ma tante Michou. Une fois qu’il a eu un travail, il nous a fait venir toutes les deux, ma mère pensait que Paris serait cette nouvelle terre promise comme son frère le lui avait dit. Elle a déchanté, devant les difficultés à trouver un travail, là aussi en 1977, le chômage avait atteint le chiffre vertigineux du million de personnes. Devenue Céline après naturalisation, elle s’est contentée d’un rôle de technicienne de laboratoire, pour reprendre pied en entreprise, sans bien connaitre ni la langue ni les codes. Mais rapidement elle a grimpé les échelons et a été très appréciée par collègues et direction.
Coquette, très vive d’esprit, une sorte de Huggy les bons tuyaux pour nous tous, quand on ne savait pas, Celly savait…et n’avait pas besoin des réseaux pour cela ! Et puis elle recevait, des diners amicaux et familiaux il fallait mettre les petits plats dans les grands, manie qu’elle m’a aussi transmise. Ses petits-enfants chéris, Romane et Ivan adoraient sa cuisine bien sûr. Hervé aussi d’ailleurs, son unique fils. Mais surtout, ils venaient se réchauffer à son contact si affectueux. Comme moi, des années auparavant qui m’asseyais à la cuisine pendant des heures, en lui racontant mes péripéties qui me semblaient si essentielles. Depuis Lyon aussi je l’appelais, pas tous les jours mais aussi souvent que possible pour lui dire, lui raconter, presque tout. Elle était devenue mon cordon sanitaire, mon mur des lamentations, où je partageais le plus possible, mes joies et mes bonheurs pour à mon tour lui réchauffer le cœur.
Naïve que j’étais, je pensais que cela allait durer encore de très nombreuses années, …et puis elle m’a été arrachée à moi comme à nous tous, comme une rose, mon amie la rose
On est bien peu de chose, Et mon amie la rose, Me l’a dit ce matin, À l’aurore je suis née
Baptisée de rosée, Je me suis épanouie, Heureuse et amoureuse, Aux rayons du soleil
Me suis fermée la nuit, Me suis réveillée vieille, Pourtant j’étais très belle, Oui, j’étais la plus belle, Des fleurs de ton jardin…[1]
Celly, Sharna, Cerna, Céline maman, mamie il est temps de te dire au revoir, cela m’arrache le cœur mais c’est ainsi, eshet haïl femme de combats si nombreux et douloureux tu mérites le repos et d’aller en ligne droite auprès de notre Créateur, puisse ton souvenir continuer à nous tenir chaud et être promesse de bénédictions.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=2ICFtXx546A
Strang
Quel bel hommage ! Je l’ai lu avec ferveur : il me semble la connaître
Je t’embrasse 😘
Laurence et Bernard
Tout au long de cette lecture notre cœur s’est serré et notre émotion a grandi.nous ne la connaissions pas et elle nous est pourtant devenue si proche ! Cette maman nous a aussi rappelé la nôtre. Nous sommes à vos côtés Rabbi, nous prions pour elle.