Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

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Drasha Emor – 16 mai 2025, sainteté humaine vs sainteté divine – KEREN OR

« Il n’y a pas de meilleur déclic pour la pensée que le rire. Et l’ébranlement du diaphragme en particulier, offre habituellement de meilleures chances aux idées que l’ébranlement de l’âme. » C’est Walter Benjamin qui le disait en 1934 alors qu’il s’était réfugié à Paris…

Il me semble qu’on a un peu oublié de rire ces derniers temps, on a oublié notre sens de l’humour qui permet à notre peuple de se distancier des situations les plus délicates. Oui, on se prend tous un peu trop au sérieux, heureusement que la soirée d’hier est venue nous détendre les mâchoires et le diaphragme !

Est-ce que ce sont les réseaux sociaux, cette arène où on s’étripe sans filtre, chacun se sentant obligé de donner son avis, pour ou contre le débat en cours, qui nous rendent aussi sinistres ?

A moins de vivre sur une ile déserte, vous avez tous suivi le dernier épisode qui a ébranlé le landernau juif et au-delà. Une courte déclaration de ma collègue, le rabbin Delphine Horvilleur s’est attiré les foudres d’un pan non négligeable de nos coreligionnaires qui n’attendaient que cela pour se jeter telle une meute sur ses paroles, somme toute de sagesse : la famine ne peut être une arme de guerre, non, on n’affame pas une population, même en période de guerre. Non, on ne se rabaisse pas au niveau des terroristes, et autres pogromistes, ce n’est pas digne de la tradition juive. Se taire c’est cautionner ce qu’il se passe. Et le devoir d’un rabbin qui représente une figure éthique est de le dire haut et fort, même si cela ne plait pas à tout le monde. Même si certains considèrent qu’elle a outrepassé son devoir de réserve.

Ce qu’il s’est passé ces derniers jours constitue en quelque sorte un cas d’école, qui nous offre l’opportunité d’une étude sociologique de la communauté juive franco-israélienne de 2025. Allons regarder de plus près ces deux camps qui semblent irréductibles et irréconciliables aux lumières de la Torah et plus particulièrement de la notion de Kedousha.

Que vient faire cette notion qu’on traduit souvent par sainteté dans cette affaire ? La Kedousha est au cœur du judaïsme et il en est question dans cette partie du Lévitique que nous lisons depuis deux semaines, appelée par les commentateurs « le livre de la sainteté ».

C’est une idée complexe qui apparait des centaines de fois dans la Torah, elle parcourt également notre liturgie en particulier dans la Amida où on se lève sur la pointe des pieds en répétant trois fois kadosh comme pour se rapprocher du divin.

L’origine de la sainteté c’est Dieu lui-même, le Saint Béni Soit Il, comme on l’appelle dans nos textes. C’est à travers Lui que nous sommes guidés vers la sainteté. Au sens premier, la sainteté demande que l’on se sépare, qu’on crée une distance avec ce qui ne l’est pas.  Il y a un temps profane et un temps de sainteté, une nourriture conforme et une autre qui ne l’est pas, des fiancés qui sont bénis par un rituel de kedousha par lequel ils sont exclusivement liés l’un à l’autre. La liste est longue.

Mais la notion reste un peu obscure et comme le disait le rabbin John Rayner, peut être que « la meilleure façon de définir l’essence de la kedousha est de décrire ce qu’elle produit : Car l’une des principales caractéristiques de la sainteté est qu’elle inspire la crainte, le respect, l’humilité et même la honte. Isaïe, submergé par l’aura de sainteté qu’il perçoit dans le Temple, s’écrie : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; car mes yeux ont vu le Roi, l’Eternel des armées » (Isaïe 6 :5). Ézéchiel, dans des circonstances similaires, tombe sur son visage et se prosterne, frappé de crainte, sur le sol. Et Moïse, sentant la présence impressionnante de Dieu dans le buisson ardent, ressent une impulsion intérieure qui lui dit : « N’approche pas d’ici ; enlève tes souliers de tes pieds, car l’endroit où tu te tiens est une terre de sainteté » (Exode 5:5). »

Ces trois moments bibliques décrivent cette humilité humaine face à la sainteté de Dieu. Mais que veut dire la sainteté pour un être humain ? pour paraphraser de nouveau le rabbin Rayner : « la sainteté, au niveau humain, implique, une fois encore, l’idée de pureté, non pas tant la pureté rituelle que la pureté morale. Elle implique un cœur pur, un esprit pur et une conduite irréprochable. Elle implique également la séparation : la séparation de tout ce qui souille et pollue : la cruauté et la malhonnêteté »…Les qualités indissociables de la sainteté sont : se montrer chaleureux, généreux, compatissant, avoir une prédisposition à penser du bien de son prochain, et à pardonner.

Le penchant vers la kedousha implique d’être capable, quand les dérives sont aussi ostentatoires, de dire qu’il y a une limite, en particulier lorsque ce sont ceux de notre peuple qui dévient, car notre tradition n’est pas qu’une jolie suite de rituels et de prescriptions mais d’abord un chemin de vie, une responsabilité éthique qui implique la mise en conformité de notre pensée, de nos paroles et de nos actes !

Cher Samuel, toi qui as décidé de te frotter à un sujet complexe – la notion de blasphème – que tu nous exposeras demain matin et qui figure aussi dans cette paracha à coté de la dimension de sainteté ; je te souhaite de continuer à te montrer aussi curieux et responsable et à mettre à ton tour en conformité ta pensée, tes paroles et tes actes sans oublier un peu de légèreté.

Un grand mazal tov à toi et ta famille à l’occasion de ta bar mitsva !

Chabbat shalom !

Drasha Tazria-Metzora – savoir se mettre à l’écart – 2 mai 2025

Mardi soir dernier à l’occasion de Yom Hazikaron, moment particulièrement solennel et de communion national pour les Israéliens et les Juifs à travers le monde, deux attaques particulièrement abjectes ont eu lieu concomitamment, dans deux synagogues libérales à Netanya et à Raanana (https://fr.timesofisrael.com/raanana-emeute-a-la-synagogue-accueillant-la-retransmission-dune-ceremonie-israelo-palestinienne/,) pendant la projection d’une commémoration commune d’Israéliens et Palestiniens en l’honneur de leurs chers disparus. La milhemet ahim, la guerre entre frères empoisonne déjà depuis plusieurs années la société israélienne et la guerre sans fin menée à Gaza n’a fait que renforcer ces fractures internes.

Alors que ce pays et les Juifs dans leur ensemble vivent une période de très grande crise existentielle, les menaces internes font une triste concurrence aux menaces externes. Ne sommes-nous plus capables de partager un projet commun, et de coexister en paix sur cette terre sainte tant désirée ?

Ces mêmes graves dissensions intra-communautaires, on peut les constater malheureusement hors d’Israël, que ce soit aux Etats-Unis : entre Juifs qui soutiennent la politique de son président et Juifs progressistes qui prennent leurs distances vis-à-vis de cette politique.

En Angleterre la récente déclaration de 36 membres du Board of Deputies (équivalent du CRIF) dans le Financial Times le 15 avril dernier qui critique vertement la reprise des combats à Gaza et l’abandon d’une voie diplomatique à la résolution du conflit et qui permettrait le retour des otages a mis le feu aux poudres. S’en est suivie une véritable chasse aux sorcières interne avec mise au banc des 36 membres considérés comme dissidents.

Ainsi, la diversité d’opinions au sein de notre peuple, qui a constitué sa richesse et sa force vive à travers les siècles, et dont les discussions talmudiques sont certainement le plus éclatant témoignage, est de plus en plus menacée aujourd’hui.

La balance penche à droite toute, et tous ceux et celles qui expriment des nuances voire des désaccords profonds sont taxés de  «gauchistes » et sont frappés de Herem de bannissement pour « hérésie », par une frange auto-proclamée comme unique voix/voie du judaïsme d’aujourd’hui.

Cette mise à l’index, cette marginalisation du courant progressiste en Israël et en diaspora, car c’est de cela qu’il s’agit, n’est pas sans rappeler les deux visions qui s’entrechoquent dans le judaïsme moderne et auxquelles le rabbin Rivon Krygier a consacré un remarquable ouvrage qu’il nous a récemment présenté : un judaïsme humaniste qui se heurte à un judaïsme fondamentaliste. Cette dernière voie se veut exclusive et se proclame la seule véridique et authentique. Elle prône la pureté de la doxa, d’une loi immuable à travers les âges : depuis le don de la Torah au Sinaï jusqu’à nos jours.

Cela n’est pas sans rappeler la dichotomie très présente dans le livre du Lévitique, rédigé par la caste sacerdotale des israélites, entre ce qui est pur et ce qui est impur : Tahor et tamé en hébreu. Ce qui rentre dans la catégorie tamé, on ne doit pas s’en approcher, on ne doit pas le consommer dans le cas de la nourriture, et s’il s’agit de personnes en état de tum’ah, ils doivent, pour une certaine période, rester à l’écart et ne pas interférer avec le reste du peuple ou s’approcher du Tabernacle et de la présence divine.

Dans certains cas comme la tzaraat, l’affection de la peau ou de la maison, ce sont les Cohanim qui doivent diagnostiquer ceux et celles qui sont atteints de tzaraat et les accompagner de l’état de Tum’ah au retour à l’état de tahara…

Les rabbins se demandent toutefois si être dans un état de tum’ah est forcément négatif ? Est-ce que ce serait une punition divine ? Et là les choses ne sont pas si simples, car cette tum’ah se contracte aussi après un accouchement, ou lors des menstruations, ou après des relations sexuelles, et aussi au contact de la mort…

Selon le rabbin Harold Kushner, dans la parasha Tazria, la tum’ah est contractée par des hommes et des femmes spécifiquement lors d’états liminaux entre vie et mort, et en passant par la maladie. Des moments existentiels qui nous rapprochent naturellement de Dieu par leur intensité. Dans ces périodes-là, il devient superflu de suivre des rituels fixes, dans certains lieux et à des moments définis. Ainsi le rabbin Kushner parle de deux catégories de sainteté : celle qui est d’origine naturelle (naissance, maladie, mort) et celle qui est stipulée par le rite religieux et elles sont exclusives l’une l’autre.

Réfléchir à ces notions si éloignées de notre quotidien, sans les rejeter comme obsolètes, permet aussi de percevoir une certaine sagesse et nous invite à la réflexion.

Cette période de guerre qui n’en finit pas échauffe les esprits et nous dresse les uns contre les autres d’une manière terriblement mortifère. Le rituel de la tum’ah nous rappelle qu’il est nécessaire de savoir rester à l’écart quand nous sommes dans un état trop exalté, et qu’on a vécu des évènements trop anxiogènes, douloureux. Plus vulnérables, on peut s’embraser facilement, et tomber dans une passion mortifère. Ouvrons-nous plutôt au doute, à la compassion.

Le peuple juif est à une croisée de chemin et s’est engagé sur une route qui ressemble à une longue errance. Mais c’est dans le rassemblement des forces vives, le dialogue, l’ouverture d’esprit et la recherche de voies nouvelles qu’on pourra sortir de cette paralysie collective.

C’est en cette période tourmentée que notre jeune Solal célèbre sa bar mitsva, il a beaucoup réfléchi à la notion de pureté et impureté, et à son sens métaphorique que les rabbins ont relié à la calomnie.

Tu as atteint un âge où non seulement tu as ta place pleine et entière au sein de KEREN OR, mais aussi où tu vois le monde tel qu’il est dans sa complexité. Tu es à présent capable d’analyser une situation et de t’engager à défendre les valeurs qui te sont chères enrichies par ta connaissance du judaïsme. Comme le dit une des paroles des pères dans la michna : Lo aleikha hamelakha ligmor, velo ata bein horin livatel mimena. ce n’est pas à toi de terminer le travail, mais tu n’es pas dispensé de le commencer.[1]

Mazal tov et hazak veématz :sois fort et courageux !

Ken yhié ratzon,

Chabbat shalom


[1] Pirké Avot 2 :16

Préservons nos tabernacles – chabbat Pékoudé 28 mars 2025

Savez-vous que KEREN OR, notre « rayon de lumière » fête ses 35 printemps cette année ? Et que nous sommes installés dans ce beau bâtiment depuis bientôt 10 ans ? On peut en profiter pour regarder le chemin accompli, alors qu’on clôture aussi la lecture du livre de l’Exode ce chabbat, qui parachève le récit de la construction du Tabernacle. C’est l’occasion de faire une pause et réfléchir aux différentes constructions qui jalonnent nos vies.

Celle d’une synagogue comme KEREN OR a nécessité un travail ardu, elle a mobilisé beaucoup de bénévoles, de temps et d’argent et a donné lieu à des moments de grand enthousiasme mais aussi de découragement, voire de disputes féroces sur la couleur d’une chaise, ou le choix du matériau pour le sol. La plupart d’entre vous sont arrivés après cette phase de construction. A l’époque j’étais en première année d’études à Londres et j’observais tout cela de loin mais avec beaucoup de passion…

On pense souvent que tout ce qu’il se passe dans cette kehila kedosha, ce lieu de sainteté devrait refléter la sainteté du lieu, autrement dit : l’abnégation, l’engagement, la compassion, la bienveillance… autrement dit, un comportement exemplaire. Que néni, nous ne sommes que des hommes et des femmes ordinaires en quête de quelque chose, qui apportons avec nous nos névroses, nos besoins de reconnaissance, voire nos ambitions très terre à terre. Certaines de ces motivations sont bien éloignées de la sainteté.

Parfois ceux qui nous rejoignent viennent régler des comptes avec la religion, leurs parents et famille, ou tout simplement espèrent que leur présence régulière en ce lieu leur servira de thérapie.

Cahin caha, en août 2015 nous avons finalisé la construction de ce bâtiment. Depuis, cette belle communauté s’est davantage épanouie ce qui ne l’empêche pas d’être vulnérable : il suffit parfois d’un évènement malheureux, d’un dérapage, d’un conflit inter-personnel pour que l’ambiance devienne irrespirable. Chacun et chacune est responsable de ce qu’il apporte avec lui ou elle en ce lieu et participe de l’atmosphère qui y règne: plus ou moins agréable, plus ou moins pacifique et sereine.

Il est vrai que collectivement et moi en particulier en tant que rabbin, nous souhaitons réussir à faire de cet endroit un lieu un peu plus amical, un peu plus accueillant, un peu plus inclusif que celui qu’on trouve hors de ces murs. Un lieu de partage de valeurs humanistes, entre tradition et contemporanéité, un lieu au fragile équilibre où les extrêmes n’ont pas leur place. C’est ce « temple » que nous nous engageons à construire avec beaucoup de méticulosité et de précaution. C’est-à-dire une forme de reflet de cet ancien tabernacle dont la construction s’étend sur 5 parachiot, et occupe tant l’esprit des hébreux, que leurs mains. Selon les dires du rabbin Sacks «ce  fut l’élément essentiel de la naissance de la nation ».

Et à notre niveau, l’élément central de notre construction communautaire.

Bâtir une synagogue, c’est tenir ses comptes, encourager la générosité de ses membres, entretenir ses bâtiments, accueillir ses membres, sympathisants et ceux qui sont en visite ponctuelle. C’est un travail continu, qui occupe nos cœurs, nos âmes et nos esprits, un travail dont le moteur est l’ amour du judaïsme et de notre prochain, Alors il est naturel de le protèger farouchement des intrusions, des esprits malveillants, du « je m’en foutisme », de l’individualisme et des égoïsmes qui rongent nos sociétés.

J’ose espérer que l’état d’esprit qui anime cette construction irrigue par goutte à goutte nos foyers, que les questions que l’on se pose ici, alimentent des discussions dans vos maisons également, que le monde tel qu’il ne va pas vous chiffonne suffisamment pour en parler à cœur ouvert avec vos enfants…que chaque parent ou grand parent se considère à son tour comme un paravent suffisamment solide face aux forces destructrices qui prolifèrent au dehors. Ces forces qui pénètrent nos foyers et nos murs de manière virtuelle mais tout aussi réelle, par les sournoises influences des réseaux sociaux. Ce monde parallèle a ses codes et ses repères, et met trop souvent en danger spirituellement et physiquement nos jeunes en toute impunité, sans garde fous, sans repères, ni cadre protecteur . Ce monde parallèle violente les esprits les plus vulnérables, peu critiques. Face à cela on se sent très démunis.

Je vous invite à regarder à ce sujet la série « Adolescence » qui fait beaucoup parler d’elle. Le pire arrive sans prévenir dans un foyer tout à fait normal, aimant et protecteur, et un beau matin les parents tombent des nues face au désastre produit par leur propre fils.

Face à cela, l’école, l’enseignement, fait son possible, mais de manière très insuffisante. Le talmud torah aussi cherche à contribuer à cette transmission et se pose aussi en garde fous, mais que faire en deux heures de temps face à une déferlante, un tsunami présent 24h/24h devant leurs yeux ?

Une histoire talmudique s’appuie sur un verset du livre d’Isaïe que je vous cite : Tous tes enfants seront les disciples de l’Eternel; ainsi grande sera la paix parmi tes enfants[1]. Et nous dit que plus la communauté des disciples de l’Eternel augmente, plus la paix a de la chance de grandir dans le monde. Les enfants d’Israël banaïkh sont à lire aussi avec une vocalisation légèrement différente comme bonaïkh ceux qui construisent ce tabernacle de paix, ce royaume divin sur terre. [2]

Ainsi notre responsabilité collective est immense ici et dans chaque maison d’étude, quelle qu’elle soit, laïque ou religieuse, synagogue, école ou foyer, chacun a pour mission d’en faire une tente protectrice, une tente imprégnée de bienveillance et de générosité afin que chaque jeune ait envie d’apprendre, de comprendre et de devenir à son tour un paravent protecteur de notre humanité.

Et comme le veut la tradition à la clôture d’un livre de la Torah, nous disons en coeur et avec coeur : Hazak Hazak v’nithazek !

Chabbat shalom !


[1] Isaïe 54 :13

[2] אָמַר רַבִּי אֶלְעָזָר אָמַר רַבִּי חֲנִינָא; תַּלְמִידֵי חֲכָמִים מַרְבִּים שָׁלוֹם בָּעוֹלָם, שֶׁנֶּאֱמַר; וְכׇל בָּנַיִךְ לִמּוּדֵי ה’ וְרַב שְׁלוֹם בָּנָיִךְ, אַל תִּקְרֵי « בָּנָיִךְ » אֶלָּא « בּוֹנָיִךְ »
יְהִי שָּׁלוֹם בְּחֵילֵךְ שַׁלְוָה בְּאַרְמְנוֹתָיִךְ: לְמַעַן אַחַי וְרֵעָי אֲדַבְּרָה נָּא שָּׁלוֹם בָּךְ: לְמַעַן בֵּית ה’ אֱלֹהֵינוּ אֲבַקְשָׁה טוֹב לָךְ: וּרְאֵה בָנִים לְבָנֶיךָ שָּׁלוֹם עַל יִשְׂרָאֵל: שָׁלוֹם רָב לְאֹהֲבֵי תוֹרָתֶךָ וְאֵין לָמוֹ מִכְשׁוֹל: ה’ עֹז לְעַמּוֹ יִתֵּן ה’ יְבָרֵךְ אֶת עַמּוֹ בַשָּׁלוֹם:

Le jour d’après… – Drasha Mishpatim KEREN OR 21 février 2025

Hier nous avons vécus en communion avec nos frères et sœurs, une des pires journées de toutes celles déjà très douloureuses vécues par les familles israéliennes depuis 504 jours. Une journée où on était tous comme Aharon muets devant l’énormité de son deuil, celle de ses deux fils emportés par le feu divin.

Là ce sont deux fils et leur mère qui sont morts assassinés, on ne sait encore par quels moyens. Et nous avons assisté impuissants à cette mise en scène macabre, véritable torture morale… qui s’est poursuivie ce matin lorsqu’on a appris que l’un des corps n’était pas celui de Shiri, la mère de ces deux bambins. A tout cela, nous ne devons répondre que par la dignité et le deuil silencieux avec juste le secret espoir que cette fois le monde comprendra…

Malheureusement ces scènes d’horreur, ces supplices (je ne veux pas utiliser le mot « martyre », car ce serait, me semble t il ; un blasphème) se répètent depuis tant de générations au sein de notre peuple, que nous pouvons puiser dans un répertoire infini de versets, de prières, de poèmes, et de chants plus tragiques les uns que les autres. Les lire et les écouter ne nous console pas, mais la force de ces mots est une berceuse à nos oreilles meurtries. Ces mots nous prennent un peu dans leurs bras, pour nous aider à exprimer cet intense chagrin, sans tomber dans la folie ou la haine.

Vous connaissez surement ces paroles d’une chanteuse renommée israélienne, Sarit Hadad qui chante k’shé halev bokhé, « quand le cœur pleure » chant qu’on écoute en temps normal en souriant, car il est un peu kitch. Sa justesse m’a fait frémir hier ; quand le cœur pleure, seul Dieu entend, la peine qui monte du fond de notre âme, quand un être tombe avant de s’effondrer, sa courte prière transperce le silence. Shema Israël mon Dieu, à présent vois ma solitude, donne-moi la force mon Dieu, fais que je n’ai pas peur, la douleur est immense, et je n’ai nulle part où m’enfuir, fais que cela cesse, car ma vigueur m’a abandonnée…

Dans n’importe quel système de valeurs, s’en prendre de sang-froid à un enfant, à un bébé et à une mère, les prendre en otage, les torturer puis les assassiner représente l’horreur absolue.

La scène de leur prise d’otages restera à jamais gravée dans toutes les mémoires, les caméras du monde entier en ont aussi été témoins. Et pourtant, le monde s’est tu, le monde n’a pas appliqué le même système de valeurs à ces enfants-là. Le monde n’a ni manifesté ni pleuré ni alors, ni à présent. Une communauté internationale rassemblée dans son désintérêt total ! Elle a probablement pensé au mieux qu’ils étaient des dommages collatéraux d’un conflit vieux de plus de 100 ans, ou, au pire, que c’était un acte de résistance. « Une communauté internationale » qui cherche à expliquer, comparer, contextualiser…

Qu’il est douloureux d’écrire et de réfléchir à ce propos, quand on est pris par l’émotion et qu’on oscille entre rage et effondrement.

La seule chose susceptible de nous protéger et nous maintenir debout est la foi en une justice non pas divine, mais humaine, non pas mue par la vengeance, mais par l’application d’une loi internationale, même si là aussi on a pu déplorer ses limites et son parti pris…  

La Loi en Occident prend racine dans celle transmise au Sinaï, ce minimum éthique représenté par les 10 commandements. Système de lois complété par nos textes, cette semaine dans la paracha Michpatim qui veut dire les lois, puis par tous les législateurs, ces rabbins qui se sont succédé et avaient à cœur une transmission de lois emplies de sagesse, de compassion et guidés par l’éthique juive.

Le droit est essentiel, car il nous redresse et redresse aussi, comme ce terme l’indique, les torts. Même et surtout les plus abjects.

Faute de compassion, faute de solidarité, c’est notre seule source d’espoir dans l’avenir.

En étudiant mercredi les lois concernant la libération des captifs, nous avons réfléchi à ce constat : au fil des mois et de la guerre sans fin qui a lieu à Gaza, une ligne de fracture s’est lentement creusée entre juifs laïcs et libéraux d’un côté, et juifs sionistes religieux et ultra-orthodoxes, de l’autre.

Etonnamment, les plus libéraux ont utilisé depuis le début de ce conflit le leitmotiv halakhique de Maïmonide : « il n’y a pas de plus grande mitsva que la libération des captifs, Ein mitsva guedola k’pidyon shvouïm ». Pourquoi cette mitsva est-elle placée au-dessus des autres ? Le sauvetage des captifs figure en haut de la hiérarchie des mitsvot car leur libération va permettre d’accomplir plusieurs mitsvot : les sauver de la faim, de la soif, de la nudité, et in fine du danger mortel. La solidarité du peuple juif envers ses frères et sœurs prime selon cette halakha sur toute autre considération. Cette solidarité envers les captifs figure en bonne place aussi dans le christianisme et l’islam.

Face à cela le rabbin Zalman Melamed un rabbin ultra-orthodoxe très influent en Israël, a légiféré dans un sens différent mettant la priorité sur la manifestation de force et de sécurité au détriment de la solidarité. Pour lui, la mitsva de pidyon shvouïn est relative, car libérer à tout prix les otages peut remonter le moral des terroristes et donner lieu à une surenchère sur le marché des otages.

A ce rabbin, nous pouvons répondre que l’ancien grand rabbin sépharade d’Israël Ovadia Yossef tout aussi ultra-orthodoxe a légiféré en suivant plutôt le point de vue de Maïmonide.

Lors de l’enlèvement de l’avion d’El Al par le groupe palestinien FPLP en 1976, il a émis un psak din (une loi) disant qu’il fallait sauver des otages pour davantage que leur valeur (valeur difficile à déterminer mais au-delà d’un homme pour un homme), lorsqu’ils sont en danger mortel. La priorité étant de se préoccuper du danger immédiat qui était connu plutôt que d’un danger à venir, celui d’un énième cycle de violence et de prise d’otages…Il ajoutait même pour justifier sa position, que nous n’étions pas en mesure de comprendre les règles militaires ni les implications géopolitiques de la libération des otages et prétendre cela ne pourrait que nous mener à oublier les règles et leur importance éthique.

Les tergiversations et pressions politiques des extrêmes ont conduit à un dilemme inconnu jusque là au sein de la société israélienne, cela a retardé les négociations pour la libération des otages et a mis en danger leur vie, jusqu’au résultat que nous connaissons. Bien sur la responsabilité première en revient aux terroristes, mais on ne peut ignorer ce qui agite la conscience israélienne également.  Notre peuple n’a pas le luxe de se diviser en une pareille période, et la priorité doit rester de sauver les vies humaines quand elles peuvent l’être et d’enterrer nos morts dignement. La loi morale d’humanité et solidarité doit l’emporter sur toute autre considération,

Ken yhié ratzon, Chabbat shalom !   

Drasha Shemot – KEREN OR 17 janvier 2025

וַיָּ֥קׇם מֶֽלֶךְ־חָדָ֖שׁ עַל־מִצְרָ֑יִם אֲשֶׁ֥ר לֹֽא־יָדַ֖ע אֶת־יוֹסֵֽף

Un nouveau roi s’est élevé sur l’Egypte qui ne connaissait pas Joseph.[1]

Ce verset m’a sauté à la figure en lisant la paracha cette semaine, et peu importe si, comme le disent les biblistes avertis, ce verset est là probablement pour d’une manière un peu grossière lier l’histoire des ancêtres figurant dans la Genèse à celle du peuple hébreu qui débute dans l’Exode…

Même si on se réfère aux Sages du Talmud et des commentateurs comme Rachi, là aussi on est face à des contradictions, car au moins 300 ans séparent ces deux récits bibliques. Bien sûr que Joseph ne pouvait être qu’inconnu du nouveau Pharaon qui régnait au temps de l’esclavage des hébreux.

Cependant dans ce verset, la Torah dans sa grande sagesse veut surement nous indiquer que l’histoire humaine est faite de cycles, de tournants qu’on pourrait qualifier d’historiques. Et à nous de rester en état d’alerte face à ces tournants, d’avoir une forme de prescience et une capacité à interpréter les signes annonciateurs de ces changements, qui, lorsqu’on est focalisé sur le quotidien pourraient nous échapper.

Joseph a pu sauver sa famille de la famine notamment grâce à sa position auprès d’un monarque hors du commun, qui avait son écoute, qui était aussi, d’une certaine façon, intéressé par le bien-être de son peuple. Le nouveau monarque est totalement différent, il a d’autres priorités, le pouvoir absolu, son bien-être et sa fortune personnelles. Il use de la force, voire de la violence pour s’imposer. Il n’hésite pas à asservir tout un peuple pour mener des chantiers hors-normes. Il s’avère être un dictateur sans scrupule qui pense concurrencer Dieu car il est considéré comme un dieu par son peuple.

L’Exode marque un nouveau cap, celui où, à l’appel divin, les hébreux vont se sortir de leur torpeur, et vont à leur manière créer une révolution, celle de leur libération, libération de laquelle naîtra le peuple hébreu.

Il y a une dizaine d’années, le philosophe spécialiste de la politique, Michael Walzer a publié un livre qui s’appelle : « Les politiques de Dieu, leçons de la Bible hébraïque ». A travers ce livre, il a étudié les liens entre religion et politique, et surtout l’influence de la religion sur le politique. La recension du livre par le rabbin Jonathan Sacks, de souvenir béni est passionnante et je vous en livre quelques éléments ce soir.

D’abord Michael Walzer répertorie les différents acteurs qui disposent de pouvoir dans la Bible et réalise que l’essence même des écritures est de créer des contre-pouvoirs. En même temps que la royauté est mise en place apparaissent les prophètes pour les critiquer et leur tenir tête. Ce que le texte biblique craint par-dessus tout est l’abus de pouvoir et, de nombreux passages recensent des lois pour limiter ce pouvoir.

Il relate aussi toutes les tensions irrésolues qui figurent dans la Bible, comme l’alliance abrahamique dans la Genèse basée sur la parentalité face à celle avec Moïse qui est une alliance basée sur le volontariat (descendance versus consentement). Il en va de même à propos de la monarchie celle de droit divin de David versus celle plus humaine de Samuel/Saul. Il arrive à la conclusion que toute la Bible est construite comme un champ de tensions[2] et contrairement à la philosophie grecque, notre tradition ne donne pas de solution sur la meilleure manière de gouverner un état.

Les prophètes bibliques sont des partisans du laisser-faire, et prônent face aux pouvoirs en présence d’être très pragmatiques. Car selon la théologie juive qui envisage un Dieu qui intervient dans l’histoire, ces problématiques dépendent in fine de la providence divine.

En tant qu’humains, nous devons respecter des préceptes qui concernent des vérités universelles et sont applicables bien au-delà des frontières de l’état, comme le dit le rabbin Jonathan Sacks z’’l : tout d’abord le mouvement émancipateur qui a servi de modèle à tant de peuples, mais aussi des aspects aussi ordinaires que le bien-être du journalier, les dettes et leur rémission, la sauvegarde de l’environnement naturel tout cela vise à la pacification de la société en général. L’étude de nos textes selon Walzer sont là pour nous questionner et laisser les réponses à notre bon entendement. La plus actuelle me semble celle-ci : comment les civilisations conservent-elles les énergies morales qui les ont conduites à leur grandeur ?

Un nouveau roi s’est élevé sur l’Egypte qui ne connaissait pas Joseph.

Ce verset sonne le glas du monde tel qu’on l’a connu jusque-là, il résonne dans ma tête car je ressens intimement ce tournant qui est en train d’être pris et qui me fait frémir. Nous sommes face à un nouvel ordre mondial qui remet en question ouvertement et sans vergogne les bases éthiques, parfois seulement théoriques, sur lesquelles était bâtie notre civilisation depuis la fin de la 2ème guerre mondiale. Que ce soit la relation au pouvoir, à l’argent, à l’information et aux faits, à l’histoire, à la prise de décisions, on assiste à l’émergence de nouveaux dirigeants, qui se vantent de puiser leurs valeurs à la source biblique alors qu’ils ne font que la déformer et la distordre à leur bénéfice.

Mais n’oublions pas que nous vivons par cycles, qui par nature ont un début et une fin et un nouveau voire plusieurs dirigeants se lèveront au moment où on s’y attendra le moins qui puiseront leurs valeurs à une meilleure source avec Derekh Eretz c’est-à-dire de manière décente et honorable et seront dignes de notre confiance…

Ce soir, savourons une étape inattendue de signature d’un cessez le feu et du retour de 33 otages dans leurs foyers, même si notre joie est mitigée car tous ne sont pas en vie…broukhim habaïm ! soyez les bienvenus dans vos foyers et que TOUS rentrent bimhera beyamenou dans leurs foyers et que cela aboutisse à la signature d’un accord de paix durable, Ken yhié ratzon, Chabbat shalom ! 


[1] Exode 1 :8

[2] https://www.jstor.org/stable/41720939

Drasha Choftim – KEREN OR, 6 septembre 2024

Les Israéliens et nous tous avons été particulièrement choqués et éprouvés par la semaine écoulée après l’annonce de l’assassinat de 6 jeunes otages israéliens par le Hamas, juste avant leur libération par l’armée israélienne. S’en sont suivies des manifestations monstres et une grève générale à l’appel du principal syndicat du pays : la histadrout, ce qui en soi a constitué une première. La société civile et en son centre les familles d’otages demandent inlassablement un accord permettant la libération de leurs proches et à défaut la démission du gouvernement. Mais, depuis des mois déjà, le gouvernement reste sourd à ces demandes répétées, manquant totalement d’empathie et de vision stratégique et ce quel que soit le nombre de manifestants.

Il apparait de plus en plus clairement que plusieurs blocs s’affrontent dans une milhemet ahim une guerre entre frères au sein même de la société israélienne. Certains analystes n’hésitent pas à mettre de l’huile sur le feu … ainsi Dov Maimon directeur de recherche au JPPI, un think tank basé à Jérusalem, très influent en matière de réflexion et planification en Israël lui-même prévisionniste et conférencier international écrit cette semaine de manière provocante :

C’est une lutte pour l’hégémonie culturelle qui se joue en Israël aujourd’hui, et elle est bien plus profonde que ce que les médias nous montrent.

Cette bataille idéologique oppose deux visions d’Israël, deux blocs historiques en formation :

D’un côté, nous avons l’élite sioniste qui a construit le pays. Laïque, progressiste en apparence, souvent d’origine ashkénaze, elle a longtemps défini ce qu’était l’israélité. Ses bastions ? Les tribunaux, les universités, les médias, les syndicats, l’armée de l’air, l’intelligence militaire, la high-tech. Elle craint la levantinisation et pense que sans elle, le pays ne peut pas tenir et ses arguments font sens. Sans être ashkénaze, j’appartiens à cette élite et je partage un grand nombre de ses valeurs libérales.

De l’autre, émerge un « Nouvel Israël ». Plus religieux, plus traditionaliste, composé de Sépharades, de Russes, d’immigrants, d’orthodoxes. Longtemps marginalisé, ce groupe s’affirme désormais. Il est majoritaire dans l’armée de terre, dans les zones périphériques. Il revendique une autre vision de l’identité israélienne.

J’ai frémi en lisant ces mots avec lesquels je me sens en total désaccord…Cette analyse simpliste des fractures qui traversent la société israélienne où tant de blocs aux intérêts divergents s’affrontent m’a laissée pantoise.

Il y a certes une évolution démographique qui explique la situation politique d’aujourd’hui, mais l’opposition au gouvernement actuel a commencé à propos de la réforme judiciaire et, elle avait et a, des bases éthiques et non de préservation hégémonique du pouvoir ! 

Quel système judiciaire doit avoir Israël pour respecter ses minorités ? Quel avenir veut-on pour ce pays composé de tant de groupes ethniques, religieux, laïcs, juifs, chrétiens et arabes, comment chacun d’entre eux peut trouver sa place, être respecté, traité de manière juste et égalitaire ? Peut-on laisser sans broncher Israël tomber aux mains d’un dirigeant et sa clique d’ambitieux malveillants et égoïstes qui le transforment en un état autoritaire voire une dictature ?

Ce sont les préoccupations de ce groupe ‘libéral’ très divers, contrairement à ce qu’en dit Dov Maïmon, où des traditionnalistes, côtoient des libéraux, des hilonim, des intellectuels, comme des professeurs ou des employés, tous attachés aux valeurs qui ont fondé ce pays dans sa Déclaration d’Indépendance… C’est pour préserver cela que le peuple a commencé à manifester dès janvier 2023.

La polarisation de la société israélienne dure depuis des années, elle s’est exacerbée encore plus ces derniers mois, ce qui l’a affaiblie. A cela s’est ajouté une coalition au pouvoir qui sert les intérêts d’une frange de la population, au détriment de l’intérêt général. Ainsi, les décisions prises avant le 7 octobre concernant la sécurité des citoyens ont été désastreuses.

La paracha Choftim -les Juges, commence par déclarer qu’il faut nommer des juges et des policiers impartiaux, condition préalable, nous dit la Torah, à l’établissement durable du peuple sur la terre promise. La paracha poursuit sur cette voie de la justice, en rappelant que lorsque le peuple décidera d’appointer un roi, ce dernier ne devra posséder ni trop d’or, ni trop de chevaux, ni trop de femmes, et devra étudier tous les jours et écrire un sefer Torah au cours de sa vie, afin de rester humble et acquérir la sagesse nécessaire à la prise de décisions parfois très délicates !

Lorsqu’une guerre sera déclarée contre une ville, l’armée devra prendre toutes les mesures pour l’éviter et appeler d’abord la ville à la paix. Une fois une guerre engagée elle doit l’être avec le plus de compassion possible !

 Isaac Arama (1420-1494) théologien espagnol et philosophe écrit :

« [il faut d’abord faire] Des supplications et des demandes formulées de la manière la plus conciliante possible, afin de tourner leurs cœurs (…) car cela découle nécessairement de la sagesse humaine de [vouloir] la paix, et de la volonté divine (…) ainsi nous trouvons qu’Il a ordonné « tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la cognée: » [Deut. 20:19], à plus forte raison devons-nous veiller à ne pas causer de dommages et de destructions aux êtres humains. »[1]

Si toutes les discussions diplomatiques sont épuisées, alors seulement les hébreux devront partir en guerre.

Une émotion m’étreint à la lecture de ces lois de la guerre, tant elles résonnent avec l’actualité immédiate ! 11 mois se sont écoulés sans aboutir à aucun accord de cessez le feu ni de libération de ces pauvres otages. Qui est responsable de ce qu’on peut appeler un désastre ? alors que la priorité déclarée de Netanyahou en octobre dernier était que tous les otages rentrent à la maison ? Il est évident que négocier avec un groupe terroriste aussi fourbe et sanguinaire n’est pas une sinécure, mais des proches du pouvoir et des négociateurs sont très critiques envers le premier ministre et sa coalition qui ont délibérément fait capoter plusieurs rounds de négociation.

Un pays aussi fragile qu’Israël, un pays en guerre depuis sa création, doit encore plus que d’autres démocraties veiller à se choisir des dirigeants moralement irréprochables, des gardiens du socle sur lequel ce pays a été bâti qui soient aussi des visionnaires.

Cette trempe de dirigeants est rare à dénicher, mais à défaut, on peut au moins espérer qu’ils fassent preuve d’une mesure de rahamim – de compassion, tant envers les familles désespérées de retrouver leurs proches, qu’envers tout un pays endeuillé.

Espérons que la dernière tragédie en date et la pression du peuple fera basculer l’état d’esprit de ses gouvernants vers davantage de justice et de compassion,

Ken yhié ratzon,

Chabbat shalom !


[1] commentaire sur la torah trad. Eliahou Munk

Drasha Kora’h – Israël et les conscrits – BM Mathieu Aïoun KEREN OR 5 Juillet 2024

Je voudrais du soleil vert
Des dentelles et des théières
Des photos de bord de mer
Dans mon jardin d’hiver…

Je n’ai pas trouvé mieux que ces paroles pour traduire mon état d’esprit du moment, à deux jours d’élections peu réjouissantes, et alors que la guerre entre Israël et le Hamas rentre dans son 9è mois ce 7 juillet. Le temps d’une grossesse, le temps d’une naissance…celle d’une réalité à laquelle on aimerait pouvoir échapper.

Quand l’avenir est sombre, on replonge avec délectation dans la nostalgie d’un passé perdu, qui nous semble, à postériori bien plus séduisant, et plus simple que le présent.

Pour ma part, l’étude de la Torah a aussi cette fonction, elle me permet de me retirer momentanément du monde pour le regarder sous un angle distancié et à défaut de réconfort, de m’apporter quelques arguments à ajouter au débat.

La paracha Kora’h est parsemée de conflits, luttes de pouvoir, ambitions démesurées, combats fratricides qui se déroulent entre le cousin de Moïse, Kora’h et sa clique et Moïse et Aaron. Comme vous voyez toute ressemblance avec des faits réels n’est pas totalement fortuite …

Les versets qu’on vient de lire se déroulent une fois ce conflit résolu, de manière un peu brutale certes, puisqu’une faille s’ouvre devant ceux qui ont fomenté cette révolte ainsi que tous ceux qui les ont soutenus et ils périssent avalés par la terre…

A présent, le récit se concentre sur la répartition des rôles purement religieux, dévolus à la tribu de Lévi. Tribu qui est celle de Moïse d’Aaron et de Myriam, tribu qui se verra confier le leadership politique d’un côté avec Moïse et, religieux de l’autre, avec Aaron, et sa descendance, famille de prêtres. La tribu de Lévi est par conséquent séparée en deux castes : Aaron et ses descendants sont des Cohanim, et tous les autres seront les serviteurs des Cohanim, les Lévites, ce qui en hébreu veut dire accompagnateurs.

Les Cohanim ont ce statut particulier qui leur interdit de s’approcher des morts pour ne pas devenir impurs. Ils ont aussi l’interdiction de tuer car dans le cas contraire, ils perdent l’autorisation de bénir le peuple, ce qui est l’une de leurs plus importantes prérogatives.

A partir de ces deux limitations halakhiques, certains rabbins ont considéré que les Cohanim ne peuvent s’engager dans l’armée et devenir des soldats. Cependant lorsque l’ancien grand rabbin d’Angleterre Joseph H. Hertz se voit poser la question par le gouvernement britannique à propos de la conscription des Cohanim britanniques en 1916, en pleine 1ère guerre mondiale, il répond positivement : oui ils peuvent et doivent devenir des soldats britanniques et défendre leur patrie.[1] Commence alors un débat très vif entre le grand rabbin Hertz et le rabbin en chef du Beit Din de Leeds au nord de l’Angleterre qui maintenait que les Cohanim doivent être exemptés de la guerre, pour les raisons citées plus haut. Alors quels étaient les arguments du Grand Rabbin Hertz ?

D’une part, il a rappelé qu’un Cohen peut se rendre impur en inhumant un mort qui n’a personne pour l’enterrer, acte qui s’appelle un met mitsva. Par conséquent, il peut devenir impur pendant la guerre et en plus potentiellement sauver des vies ! D’autre part, les Hasmonéens étaient des Prêtres qui ont mené une guerre victorieuse contre les Séleucides dans les années 167 à 140 avant notre ère, guerre relatée dans le livre des Maccabées et célébrée à Hanoucca. Dans le talmud Yeroushalmi (Nazir 7:1), il est mentionné que R. Hyyia qui était un Cohen s’est rendu impur pour honorer le roi de l’époque et servir l’armée du roi. Enfin, dans le Deutéronome, il est mentionné trois cas où un homme est exempté d’aller à la guerre : s’il vient de construire une nouvelle maison, s’il vient de planter une vigne ou s’il vient d’épouser une femme, les personnes qui sont dans ces trois cas de figure sont exemptées pendant un an de l’armée. Aucune mention d’exemption n’est indiquée pour les Cohanim.

La question vient percuter une actualité brulante qui divise Israël depuis des décennies et en particulier depuis la réforme judiciaire soutenue par Netanyahou et sa coalition. Les Cohanim des textes bibliques et talmudiques sont les archétypes de cette caste qui dédie sa vie à la religion et plus précisément à l’étude de la Torah, c’est-à-dire les haredim modernes. Ils bénéficient depuis 1949 d’une exemption du service militaire, allouée par le premier ministre Ben Gourion à l’époque comme un compromis pour les rallier au projet de création de l’état. A l’époque, ils ne représentaient que quelques centaines alors qu’ils représentent selon le recensement de 2019 69% des jeunes hommes en âge de faire l’armée et 59% des femmes ! Cette exemption n’est pas une loi mais est mise en œuvre par une directive de l’armée. Elle a été sujette à de nombreuses controverses au cours des décennies. L’arrangement appelé Torato Omanouto la torah est son occupation est au départ un principe qui permet de retarder l’âge de la conscription, mais en réalité, les jeunes quittent leur étude de la torah à 30 ans n’ont aucun risque d’être appelés à l’armée. En 1998, la Cour Suprême s’est attaquée à ce principe considérant que cela crée une discrimination insupportable entre les citoyens israéliens. En 2014 une nouvelle loi devait permettre l’enrôlement progressif des haredim dans l’armée et après 3 ans ils devraient payer une amende pour non-engagement dans l’armée. Les coalitions qui ont suivi ont vu les haredim s’allier avec Netanyahou, le status quo a par conséquent été prorogé

Depuis le début de la guerre, la donne a changé et au contraire, un nouveau projet de loi datant de février de cette année indiquait qu’il fallait proroger la durée du service obligatoire pour les conscrits et les réservistes et aussi de mettre fin à l’exemption de service militaire pour les haredim. 63000 étudiants de yeshivot devaient en principe rejoindre l’armée depuis le 1 avril, et le budget alloué aux yeshivot était gelé jusqu’à ce que ces jeunes rejoignent Tzahal. En réalité, rien n’ayant bougé depuis, la cour suprême a été saisie et la majorité absolue des juges s’est prononcée le 25 juin dernier en faveur de l’obligation de conscription des jeunes haredim.

Il est particulièrement choquant de voir le pays divisé sur une question d’égalité de traitement qui sacrifie certains citoyens au détriment des autres…On peut se demander où est passée l’application de la loi juive pour cette frange de la population qui se réclame de sa stricte observance ?

Mathieu, toi qui célèbre ta bar mitsva ce chabbat et vis dans un pays en paix, je te souhaite de ne jamais connaitre de guerre au cours de ta vie, mais aussi de garder un sens aigu de la justice, de l’égalité, de la fraternité et de la liberté pour réfléchir aux sujets importants de notre société, et de grandir dans ta conscience politique, comme tu l’as fait pendant la préparation de ta bar mitsva. un grand mazal tov à toi et toute ta famille !

Ken yhié ratzon, chabbat shalom !


[1] The Kohen Soldier – Torah Musings

Drasha Nasso – KEREN OR, 14 Juin 2024

Nasso: fais un décompte, c’est la demande que l’Eternel fait à Moïse dans cette deuxième paracha du livre des Nombres. Après avoir compté les onze tribus qui composent le peuple d’Israël, autrement dit le simple peuple, ici il s’agit de compter les membres de la tribu de Lévi. Tribu composée de 3 familles : Gershon Kehat et Merari. Ces Lévites ne disposeront pas d’un territoire en terre de Canaan, mais seront affectés au service du Tabernacle puis du Temple. Leur « fonction support », comme on dit aujourd’hui est définie, avec moult détails, selon leur clan familial, au moment de leur recensement.

Les Lévites sont distingués et élevés (un des sens du verbe nassa) au service du Temple, c’est-à-dire au service de tout le peuple envers lequel ils ont une responsabilité incommensurable : porter l’arche sainte de lieu en lieu, la démonter et la remonter, s’assurer de la répartition des tâches pour que ce rituel puisse être effectué dans les meilleures conditions possibles et préparer tout ce qui est nécessaire pour que les Cohanim, les prêtres – issus eux aussi de la tribu de Lévi – puissent effectuer leur rituel de sacrifice…Leur défaillance aurait des conséquences graves : les offrandes ne seraient plus agréées par l’Eternel et le peuple ne serait plus pardonné !

Pour parler de cette élévation à un rang de responsabilité et de service, le verbe nassa est répété à maintes reprises tout au long de cette paracha. Je voudrais, si vous voulez bien m’arrêter quelques instants sur la polysémie de ce verbe, dont les sens multiples peuvent aussi donner diverses perspectives aux attentes de chacun envers ceux et celles position de responsabilité, qu’elle soit religieuse ou politique bien sûr :

Nassa veut dire élever dans le sens de sortir du lot comme on l’a vu, porter une charge, faire un discours, prendre et recevoir, mais aussi raffermir, pardonner, souffrir et décompter (ou recenser).

Sur cette racine s’est construit le mot Nissouïm mariage : car lorsqu’on épouse un homme ou une femme, selon la tradition juive, on l’élève et on le sépare des autres. Cela a donné également le mot Nassi leader ou président, et on attend du Nassi de prendre de la hauteur par rapport aux autres et par conséquent de décider avec une certaine sagesse. Être en position de responsabilité est aussi une « charge », plus ou moins légère et parfois très lourde, sous laquelle on ploie.

Il est assez stupéfiant de lire cette paracha et ces décomptes très précis de chaque famille de la caste des Lévites, ces serviteurs mis au service du Temple et du peuple, au moment même ou un chaos indescriptible règne dans notre propre pays. Depuis dimanche c’est un vent de panique initié par le Nassi de la Nation qui s’est abattu sur les clans des familles politiques qui passent leur temps à se décompter justement tout en se décomposant littéralement sous nos yeux médusés. Ceux et celles qui ont choisi ce qui normalement s’apparente à la noblesse du service de l’état, montrent, pour certains, leur vrai visage, celui d’une ambition débridée pour garder ou accéder ne serait-ce qu’à une chimère de pouvoir.

Nous assistons à un spectacle affligeant, un miroir caricatural des pires pulsions humaines lorsqu’elles sont mises au service des ‘passions tristes’, décrites par Spinoza, comme nous le rappelait mardi soir Jean François Bensahel lors de son étude sur le libre arbitre.

Ce tohu bohu peut s’interpréter par la combinaison de plusieurs facteurs aggravants : la gouvernance sous l’impulsion des réseaux sociaux, considéré comme un sondage permanent, du règne de l’immédiateté au détriment de la réflexion et de la prise de recul, en résumé de la démagogie. Tout ceci est terriblement dangereux et il n’est pas difficile de s’imaginer le scénario du pire, celui où notre démocratie déjà malmenée serait détruite, car prise en otage par les pires extrémistes avides de pouvoir.  

Est-il encore possible d’espérer en une réelle recomposition du paysage politique en faveur d’une famille qui rejette fermement les compromissions avec les antisémites, les racistes, les xénophobes ?

Nous avons plus que jamais besoin d’hommes et de femmes qui sont prêts à apporter leurs offrandes sur l’autel de la République plutôt que de sacrifier leurs valeurs au profit de l’autel du pouvoir. Une famille porteuse d’un vrai projet pour la France … Peut-on espérer ne pas compter les membres de cette famille sur les doigts de nos deux mains ?

Nous avons tant besoin d’une lueur d’espoir, de nous sentir bénis sous la protection du Nom…

Dans la paracha Nasso figure aussi la plus belle bénédiction de la Torah la triple bénédiction sacerdotale Trois puis cinq puis huit mots totalisant le chiffre 15 qui en lettre hébraïques s’écrit yud hey – Ya et c’est un des noms de Dieu, on répond après chacune des bénédictions par ken yhie ratzon (que telle soit Sa volonté).

Ces paroles ne sont pas magiques mais l’intentionnalité compte et je vous offre cette bénédiction pour vous donner de la force pour résister à la période si incertaine qui s’ouvre devant nous :

יְבָרֶכְךָ ה’ וְיִשְׁמְרֶךָ.        Que Dieu vous bénisse et vous garde

יָאֵר ה’ פָּנָיו אֵלֶיךָ וִיחֻנֶּךָּ. Que Dieu illumine sa face vers vous dans sa compassion,

יִשָּׂא ה’ פָּנָיו אֵלֶיךָ וְיָשֵׂם לְךָ שָׁלוֹם. Que Dieu lève sa face vers vous et vous accorde la paix

וְשָׂמוּ אֶת שְׁמִי עַל בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וַאֲנִי אֲבָרֲכֵם et ils mettront mon nom sur les enfants d’Israël et je les bénirai…

Ken Yhié ratzon, shabbat shalom,

Drasha Emor – KEREN OR 17 mai 2024

L’endroit où nous avons raison par Yehouda Amichai (1924 Allemagne, 2000 Israël)

Du lieu où nous avons raison, Les fleurs ne pousseront jamais, Au printemps. Le lieu où nous avons raison Est dur et piétiné Comme une cour. Mais les doutes et les amours Creusent le monde Comme une taupe, ou une charrue. Et un murmure se fera entendre du lieu Où se tenait la Maison, A présent en ruines.

 מִן הַמָּקוֹם שֶׁבּוֹ אָנוּ צוֹדְקִים
  מִן הַמָּקוֹם שֶׁבּוֹ אָנוּ צוֹדְקִים לֹא יִצְמְחוּ לְעוֹלָם
פְּרָחִים בָּאָבִיב. הַמָּקוֹם שֶׁבּוֹ אָנוּ צוֹדְקִים
הוּא קָשֶׁה וְרָמוּס
כְּמוֹ חָצֵר. אֲבָל סְפֵקוֹת וְאַהֲבוֹת עוֹשִׂים
אֶת הָעוֹלָם לְתָחוּחַ
כְּמוֹ חֲפַרְפֶּרֶת, כְּמוֹ חָרִישׁ. וּלְחִישָׁה תִּשְׁמַע בִּמְקוֹם
שֶׁבּוֹ הָיָה הַבַּיִת
אֲשֶׁר נֶחְרַב
   
  

Quand les mots manquent et qu’on a du mal à déchiffrer ce monde, il reste ceux des poètes qui traduisent de belle manière nos pensées et émotions…

Dans l’œuvre prolifique de Yehuda Amihai on trouve, miraculeusement, et à la demande, les mots justes adaptés à l’atmosphère du moment, il nous fait un clin d’oeil, à distance de quelques décennies, en ce 20è siècle pas si lointain: je suis passé par là et je sais ce que vous ressentez et vivez.

Ces mots ne sont pas seulement ceux d’un poète lambda. Yehuda Amihaï mêle subtilement le sacré et le profane, d’un fin connaisseur de la Bible. Ici, il nous parle en filigrane de LA maison, du Temple détruit, non pas par les mains des romains, mais par les mains des bigots de leur temps, de ceux si surs de leur fait et cause, qu’ils étaient prêts à tout détruire, même le plus sacré pour avoir raison. De ces sicaires qui, de génération en génération rejettent violemment l’idée de labourer leur pensée en la « fertilisant »  avec celle de l’autre…

Il semble que notre époque renforce ces murs de raisonneurs qui se drapent de discours moralisateurs pour défendre La seule et unique cause juste, sans jamais faire place au débat contradictoire, au dialogue et encore moins à la complexité. A coup de slogans simplistes et de « guillotine digitale », ils tuent virtuellement, pour le moment, tous ceux qui ne partagent pas leur point de vue, tous ceux considérés comme des obstacles sur l’autoroute de l’idéologie en vogue.

Ce chabbat pourtant dans la double lecture de la semaine à la fois de la paracha et de la haftara, nous avons à faire à une pensée bien plus complexe. Dans le Lévitique , nous lisons le récit ‘du blasphémateur’ et dans le livre de Job, le prologue de cet anti-blasphémateur. Deux textes qui dialoguent entre eux pour mieux nous faire réfléchir et ouvrir des portes dans notre vision du monde.

Le récit du blasphémateur s’apparente à un fait divers : l’histoire d’un homme qui, lors d’une altercation avec un israélite, maudit le nom de Dieu puis est détenu en attente de jugement par Dieu lui-même. Il sera lapidé. Ainsi selon la juridiction biblique le blasphème mérite la peine capitale.

Qui est cet homme ? Fils d’une isréalite et d’un homme égyptien, il est à la marge, et selon les Sages, fait partie du erev rav, la multitude mêlée qui a accompagné les hébreux lors de leur exode d’Egypte. Sa mère s’appelle Shlomit Bat Dibri, son père serait égyptien, et reste anonyme comme son fils le bagarreur.

Le midrash nous apprend que Shlomit Bat Dibri appartient à la tribu de Dan, cette tribu mal considérée par les Judéens, parce qu’elle avait construit son propre Temple.[1] Le nom de cette femme est commenté ainsi : ‘Shlomit’ vient de shalom car elle disait bonjour à tous ceux qu’elle croisait, ‘bat dibri’, peut être traduit par « fille de la parole », appelée ainsi parce qu’elle parle à tort et à travers. Les Sages vont jusqu’à la considérer comme une prostituée qui a été violée par l’Egyptien à cause de sa trop grande loquacité.

Le père du blasphémateur, serait le même Egyptien, que Moise a assassiné au début du récit de l’Exode, parce qu’il maltraitait les esclaves hébreux.[2]

L’origine douteuse de cet homme selon le midrash serait la raison pour laquelle il aurait eu du mal à être admis parmi les membres de la tribu maternelle de Dan. Ce récit qui porte, en partie, sur le blasphème, nous parle, de manière détournée, du statut du demi israélite.

Ce jeune homme qui n’a pas de nom, puisqu’il n’a pas de père reconnu, ne peut s’inscrire dans une généalogie, même celle de la tribu de Dan pourtant déconsidérée. Sa colère qui l’amène à maudire le nom de Dieu, et sa violence envers un autre israélite seraient à mettre sur le compte de l’injustice qui lui a été faite. Cette histoire qui pourrait presque passer inaperçue, nous parle de ce qui est souvent, encore de nos jours, vécu comme un drame familial. La douleur de l’exclusion, la non-appartenance porte en germe la violence.

De son coté, Job le héros du livre éponyme est un homme simple et droit, un pieux parmi les pieux qui ne manque pas une occasion pour prier et offrir des sacrifices de remerciement à Dieu pour tous les bienfaits dont il a été comblé. Arrive l’Adversaire cet émissaire divin censé scruter tous les recoins de l’âme. Et il demande à l’Eternel de défier Job, en le mettant à nu : il perd toutes ces possessions matérielles et dans la foulée il est privé même de ses 10 enfants qui meurent subitement. Satan fait le pari qu’ainsi privé de tout, il perdra aussi sa confiance en Dieu…En réponse, Job se montrera véhément envers Dieu pour ce qu’il ressent comme une grande injustice, mais il ne trébuchera pas et ne maudira pas le Nom.

Les deux lectures nous présentent deux attitudes opposées face aux souffrances de l’homme et au mal qui les frappent. D’un côté, le blasphémateur opte pour la victimisation, de l’autre, Job parle, négocie se met en colère, et effectue un profond travail psychologique et spirituel pour s’unifier et aboutir à une forme de résilience.

« Les doutes et les amours creusent le monde » : souvenons-nous de ces mots lorsque le désespoir nous guette !

Ken yhié ratzon, chabbat shalom 


[1] Lévitique rabba 32:5,

[2] Commentaire de Shlomo Ephraim ben Aaron Luntschitz, plus connu sous le nom de son oeuvre Kli Yakar (15è siècle).

Drasha Metzora Chabbat haGadol– KEREN OR, 19 avril 2024

Cette semaine, en préparation du seder, je me demandais comment aborder les questions qui brûlent l’actualité, lors du seder communautaire : la violence, la guerre, le fondamentalisme religieux, la déshumanisation, le droit et la souveraineté, mais aussi l’empathie envers ses ennemis…

Et à cette occasion, comme chaque année, des collègues américains et israéliens, plus prévoyants, avaient travaillé ces questions en amont et préparé des suppléments à la haggada pour refléter non pas l’air du temps, mais les pierres d’achoppement de notre temps. Grâce à eux, j’ai lu et pu choisir parmi des textes en prose ou en vers, et pu voir aussi des reproductions d’œuvres d’artistes contemporains traversées intimement par ces mêmes préoccupations. J’ai ressenti alors, une forme de communion avec ces Juifs lointains alors qu’une onde de choc me traversait affectivement et intellectuellement.

Une chose est sûre, cette soirée de célébration de notre libération sera différente de toutes les autres nuits…

En Israël plusieurs rabbins ont eu une même idée, et ont puisé à une même source : les haggadot créées en 1946/1947 par les fondateurs des kibboutzim en bordure de la bande de Gaza.  Outre le fait qu’elles étaient illustrées par des dessins d’enfants et écrites en hébreu, à la main puis ronéotypées, les textes et poèmes reflétaient de manière poignante l’état d’esprit de ces jeunes haloutzim qui se relevaient d’un traumatisme d’une ampleur inconnue jusque-là, et ce alors que la psychologie post-traumatique était encore balbutiante. La lecture de ces textes émeut par la capacité de ces hommes et ces femmes à s’absorber dans le travail, la plupart du temps manuel, à défendre leur kibboutz et tout simplement à construire leur vie sur cette terre maintes fois promise en se projetant vers l’avenir.

Comme le dit Mishael Zion, un des rabbins qui s’est replongé dans la haggadah de 1946 du Kibboutz Be’eri, ces hommes et ces femmes « en étaient aux premiers stades de la construction d’une maison sûre et autonome dans le désert, et leurs conditions étaient précaires. L’histoire de Pessa’h, de l’esclavage biblique et de la rédemption, a servi de base à leur propre résilience. […]. De nombreux kibboutzim à travers Israël continuent de fabriquer leurs propres haggadot pour Pessa’h, s’inspirant de manière intemporelle des mêmes espoirs et questions que les fondateurs du kibboutz Be’eri ont inclus en 1946. Mais cette année, six mois après l’attaque des communautés kibboutzniques de l’enveloppe de Gaza, il est particulièrement significatif de faire entendre les voix de ces kibboutzim – leurs inquiétudes et leur optimisme – dans nos conversations autour de la table du seder, en préservant cette histoire de narration, même si les bâtiments et les communautés qu’ils ont construits restent vides pendant ce Pessa’h.

Des maisons qu’ils avaient construites avec amour depuis trois générations, des champs qu’ils avaient ensemencé et cultivé depuis 75 ans et qu’il a fallu fuir et laisser à l’abandon, après le passage de cette tornade exterminatrice. Comment ne pas ressentir que ces maisons ont été polluées par la violence, par tous les impacts et stries profondes laissés par les tirs de fusils, par les incendies et les gravats ? Ces hommes et femmes sont à présent en quarantaine de leur maison et communauté, et on ne sait quand elles seront reconstruites, quand ses habitants pourront y retourner ?

On imagine comment les habitants de ces kibboutzim de la bande de Gaza auraient aimé cette année, plus que toute autre, s’atteler au grand ménage de Pessa’h de leurs modestes pavillons : faire scintiller la vaisselle, nettoyer les tapis et repeindre les murs à la chaux comme le font de nombreux habitants d’Israël chaque année pour se protéger d’une chaleur écrasante…au lieu de cela, ils vivent toujours comme des réfugiés de l’intérieur.

Comme un écho lointain, par association d’idées, j’ai pensé à ces familles palestiniennes qui gardent chacune, comme un trésor, la clé d’une maison qu’ils ont dû fuir en 1948, pendant la guerre d’Indépendance. Deux souffrances, qui se font écho et qu’il est si difficile de faire dialoguer et encore moins de réconcilier.

Dans notre paracha, il est aussi question de maisons ‘malades’, la maladie étant quelque peu mystérieuse lorsqu’on parle de la tzaraat. On la définit comme une plaie, infligée par Dieu et qui ne peut être diagnostiquée que par des cohanim. Nos rabbins ont interprété la tzaraat de manière symbolique. Elle se matérialiserait sur les murs d’une maison et serait comme un avertissement à la famille qui l’habite qu’elle a perdu tout sens moral. Selon les commentateurs la tzaraat des maisons était le résultat d’un comportement égoïste et aveugle aux besoins d’autrui. Et par porosité, les problèmes d’une société avaient ‘infecté’ la maison de chacun.

On est bien sur très loin d’une situation de guerre, comme celle vécue depuis 3 générations par les familles d’israéliens et palestiniens, celle d’une lutte fratricide entre deux peuples pour une même terre.

Mais je ne peux m’empêcher, à la lecture de cette paracha, de penser aux fautes morales qui naissent et s’épanouissent dans les familles des deux camps, qui les poussent chacune de plus en plus vers des idées extrêmes, en excluant l’autre de son champ de vision et d’existence et en le représentant comme l’ennemi à abattre. Ces fondamentalistes juifs et arabes sont victimes, sans le savoir, de manipulateurs politiques, moralement pollués et devenus aveugles aux besoins d’autrui.

Il y a 6 mois, ces extrémistes palestiniens ont frappé intentionnellement les familles les plus désireuses de vivre fraternellement avec leurs voisins, modèles de coexistence pacifique, ce sont eux qui ont vu leurs maisons et communautés réduites à néant.

Ce sont à ces familles que je souhaite de tout cœur à l’occasion de Pessa’h et alors qu’ils vivront cette nouvelle fête du calendrier juif loin de chez eux et dans une attente insupportable, de pouvoir revenir et reconstruire – avec le même esprit que leurs prédécesseurs – leurs communautés, exactement là où elles avaient été construites initialement. Car ce sont ces hommes et ces femmes bâtisseurs des kibboutzim d’Israël qui incarnent aujourd’hui comme hier, cette utopie sur laquelle a été construit Israël, et qu’on souhaite voir perdurer envers et contre tout !

Afin qu’ils puissent scander fièrement : bashana habaa be kibboutz Beeri banouï mihadash…à l’année prochaine au kibboutz Beeri – et tous les autres kibboutzim et villages – reconstruit de nouveau !

ken yhié ratzon, chabbat shalom et hag pessa’h casher v’samea’h

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