Hier nous avons vécus en communion avec nos frères et sœurs, une des pires journées de toutes celles déjà très douloureuses vécues par les familles israéliennes depuis 504 jours. Une journée où on était tous comme Aharon muets devant l’énormité de son deuil, celle de ses deux fils emportés par le feu divin.
Là ce sont deux fils et leur mère qui sont morts assassinés, on ne sait encore par quels moyens. Et nous avons assisté impuissants à cette mise en scène macabre, véritable torture morale… qui s’est poursuivie ce matin lorsqu’on a appris que l’un des corps n’était pas celui de Shiri, la mère de ces deux bambins. A tout cela, nous ne devons répondre que par la dignité et le deuil silencieux avec juste le secret espoir que cette fois le monde comprendra…
Malheureusement ces scènes d’horreur, ces supplices (je ne veux pas utiliser le mot « martyre », car ce serait, me semble t il ; un blasphème) se répètent depuis tant de générations au sein de notre peuple, que nous pouvons puiser dans un répertoire infini de versets, de prières, de poèmes, et de chants plus tragiques les uns que les autres. Les lire et les écouter ne nous console pas, mais la force de ces mots est une berceuse à nos oreilles meurtries. Ces mots nous prennent un peu dans leurs bras, pour nous aider à exprimer cet intense chagrin, sans tomber dans la folie ou la haine.
Vous connaissez surement ces paroles d’une chanteuse renommée israélienne, Sarit Hadad qui chante k’shé halev bokhé, « quand le cœur pleure » chant qu’on écoute en temps normal en souriant, car il est un peu kitch. Sa justesse m’a fait frémir hier ; quand le cœur pleure, seul Dieu entend, la peine qui monte du fond de notre âme, quand un être tombe avant de s’effondrer, sa courte prière transperce le silence. Shema Israël mon Dieu, à présent vois ma solitude, donne-moi la force mon Dieu, fais que je n’ai pas peur, la douleur est immense, et je n’ai nulle part où m’enfuir, fais que cela cesse, car ma vigueur m’a abandonnée…
Dans n’importe quel système de valeurs, s’en prendre de sang-froid à un enfant, à un bébé et à une mère, les prendre en otage, les torturer puis les assassiner représente l’horreur absolue.
La scène de leur prise d’otages restera à jamais gravée dans toutes les mémoires, les caméras du monde entier en ont aussi été témoins. Et pourtant, le monde s’est tu, le monde n’a pas appliqué le même système de valeurs à ces enfants-là. Le monde n’a ni manifesté ni pleuré ni alors, ni à présent. Une communauté internationale rassemblée dans son désintérêt total ! Elle a probablement pensé au mieux qu’ils étaient des dommages collatéraux d’un conflit vieux de plus de 100 ans, ou, au pire, que c’était un acte de résistance. « Une communauté internationale » qui cherche à expliquer, comparer, contextualiser…
Qu’il est douloureux d’écrire et de réfléchir à ce propos, quand on est pris par l’émotion et qu’on oscille entre rage et effondrement.
La seule chose susceptible de nous protéger et nous maintenir debout est la foi en une justice non pas divine, mais humaine, non pas mue par la vengeance, mais par l’application d’une loi internationale, même si là aussi on a pu déplorer ses limites et son parti pris…
La Loi en Occident prend racine dans celle transmise au Sinaï, ce minimum éthique représenté par les 10 commandements. Système de lois complété par nos textes, cette semaine dans la paracha Michpatim qui veut dire les lois, puis par tous les législateurs, ces rabbins qui se sont succédé et avaient à cœur une transmission de lois emplies de sagesse, de compassion et guidés par l’éthique juive.
Le droit est essentiel, car il nous redresse et redresse aussi, comme ce terme l’indique, les torts. Même et surtout les plus abjects.
Faute de compassion, faute de solidarité, c’est notre seule source d’espoir dans l’avenir.
En étudiant mercredi les lois concernant la libération des captifs, nous avons réfléchi à ce constat : au fil des mois et de la guerre sans fin qui a lieu à Gaza, une ligne de fracture s’est lentement creusée entre juifs laïcs et libéraux d’un côté, et juifs sionistes religieux et ultra-orthodoxes, de l’autre.
Etonnamment, les plus libéraux ont utilisé depuis le début de ce conflit le leitmotiv halakhique de Maïmonide : « il n’y a pas de plus grande mitsva que la libération des captifs, Ein mitsva guedola k’pidyon shvouïm ». Pourquoi cette mitsva est-elle placée au-dessus des autres ? Le sauvetage des captifs figure en haut de la hiérarchie des mitsvot car leur libération va permettre d’accomplir plusieurs mitsvot : les sauver de la faim, de la soif, de la nudité, et in fine du danger mortel. La solidarité du peuple juif envers ses frères et sœurs prime selon cette halakha sur toute autre considération. Cette solidarité envers les captifs figure en bonne place aussi dans le christianisme et l’islam.
Face à cela le rabbin Zalman Melamed un rabbin ultra-orthodoxe très influent en Israël, a légiféré dans un sens différent mettant la priorité sur la manifestation de force et de sécurité au détriment de la solidarité. Pour lui, la mitsva de pidyon shvouïn est relative, car libérer à tout prix les otages peut remonter le moral des terroristes et donner lieu à une surenchère sur le marché des otages.
A ce rabbin, nous pouvons répondre que l’ancien grand rabbin sépharade d’Israël Ovadia Yossef tout aussi ultra-orthodoxe a légiféré en suivant plutôt le point de vue de Maïmonide.
Lors de l’enlèvement de l’avion d’El Al par le groupe palestinien FPLP en 1976, il a émis un psak din (une loi) disant qu’il fallait sauver des otages pour davantage que leur valeur (valeur difficile à déterminer mais au-delà d’un homme pour un homme), lorsqu’ils sont en danger mortel. La priorité étant de se préoccuper du danger immédiat qui était connu plutôt que d’un danger à venir, celui d’un énième cycle de violence et de prise d’otages…Il ajoutait même pour justifier sa position, que nous n’étions pas en mesure de comprendre les règles militaires ni les implications géopolitiques de la libération des otages et prétendre cela ne pourrait que nous mener à oublier les règles et leur importance éthique.
Les tergiversations et pressions politiques des extrêmes ont conduit à un dilemme inconnu jusque là au sein de la société israélienne, cela a retardé les négociations pour la libération des otages et a mis en danger leur vie, jusqu’au résultat que nous connaissons. Bien sur la responsabilité première en revient aux terroristes, mais on ne peut ignorer ce qui agite la conscience israélienne également. Notre peuple n’a pas le luxe de se diviser en une pareille période, et la priorité doit rester de sauver les vies humaines quand elles peuvent l’être et d’enterrer nos morts dignement. La loi morale d’humanité et solidarité doit l’emporter sur toute autre considération,
Ken yhié ratzon, Chabbat shalom !
Préservons nos tabernacles – chabbat Pékoudé 28 mars 2025
de Daniela Touati
On 28 mars 2025
dans Commentaires de la semaine
Savez-vous que KEREN OR, notre « rayon de lumière » fête ses 35 printemps cette année ? Et que nous sommes installés dans ce beau bâtiment depuis bientôt 10 ans ? On peut en profiter pour regarder le chemin accompli, alors qu’on clôture aussi la lecture du livre de l’Exode ce chabbat, qui parachève le récit de la construction du Tabernacle. C’est l’occasion de faire une pause et réfléchir aux différentes constructions qui jalonnent nos vies.
Celle d’une synagogue comme KEREN OR a nécessité un travail ardu, elle a mobilisé beaucoup de bénévoles, de temps et d’argent et a donné lieu à des moments de grand enthousiasme mais aussi de découragement, voire de disputes féroces sur la couleur d’une chaise, ou le choix du matériau pour le sol. La plupart d’entre vous sont arrivés après cette phase de construction. A l’époque j’étais en première année d’études à Londres et j’observais tout cela de loin mais avec beaucoup de passion…
On pense souvent que tout ce qu’il se passe dans cette kehila kedosha, ce lieu de sainteté devrait refléter la sainteté du lieu, autrement dit : l’abnégation, l’engagement, la compassion, la bienveillance… autrement dit, un comportement exemplaire. Que néni, nous ne sommes que des hommes et des femmes ordinaires en quête de quelque chose, qui apportons avec nous nos névroses, nos besoins de reconnaissance, voire nos ambitions très terre à terre. Certaines de ces motivations sont bien éloignées de la sainteté.
Parfois ceux qui nous rejoignent viennent régler des comptes avec la religion, leurs parents et famille, ou tout simplement espèrent que leur présence régulière en ce lieu leur servira de thérapie.
Cahin caha, en août 2015 nous avons finalisé la construction de ce bâtiment. Depuis, cette belle communauté s’est davantage épanouie ce qui ne l’empêche pas d’être vulnérable : il suffit parfois d’un évènement malheureux, d’un dérapage, d’un conflit inter-personnel pour que l’ambiance devienne irrespirable. Chacun et chacune est responsable de ce qu’il apporte avec lui ou elle en ce lieu et participe de l’atmosphère qui y règne: plus ou moins agréable, plus ou moins pacifique et sereine.
Il est vrai que collectivement et moi en particulier en tant que rabbin, nous souhaitons réussir à faire de cet endroit un lieu un peu plus amical, un peu plus accueillant, un peu plus inclusif que celui qu’on trouve hors de ces murs. Un lieu de partage de valeurs humanistes, entre tradition et contemporanéité, un lieu au fragile équilibre où les extrêmes n’ont pas leur place. C’est ce « temple » que nous nous engageons à construire avec beaucoup de méticulosité et de précaution. C’est-à-dire une forme de reflet de cet ancien tabernacle dont la construction s’étend sur 5 parachiot, et occupe tant l’esprit des hébreux, que leurs mains. Selon les dires du rabbin Sacks «ce fut l’élément essentiel de la naissance de la nation ».
Et à notre niveau, l’élément central de notre construction communautaire.
Bâtir une synagogue, c’est tenir ses comptes, encourager la générosité de ses membres, entretenir ses bâtiments, accueillir ses membres, sympathisants et ceux qui sont en visite ponctuelle. C’est un travail continu, qui occupe nos cœurs, nos âmes et nos esprits, un travail dont le moteur est l’ amour du judaïsme et de notre prochain, Alors il est naturel de le protèger farouchement des intrusions, des esprits malveillants, du « je m’en foutisme », de l’individualisme et des égoïsmes qui rongent nos sociétés.
J’ose espérer que l’état d’esprit qui anime cette construction irrigue par goutte à goutte nos foyers, que les questions que l’on se pose ici, alimentent des discussions dans vos maisons également, que le monde tel qu’il ne va pas vous chiffonne suffisamment pour en parler à cœur ouvert avec vos enfants…que chaque parent ou grand parent se considère à son tour comme un paravent suffisamment solide face aux forces destructrices qui prolifèrent au dehors. Ces forces qui pénètrent nos foyers et nos murs de manière virtuelle mais tout aussi réelle, par les sournoises influences des réseaux sociaux. Ce monde parallèle a ses codes et ses repères, et met trop souvent en danger spirituellement et physiquement nos jeunes en toute impunité, sans garde fous, sans repères, ni cadre protecteur . Ce monde parallèle violente les esprits les plus vulnérables, peu critiques. Face à cela on se sent très démunis.
Je vous invite à regarder à ce sujet la série « Adolescence » qui fait beaucoup parler d’elle. Le pire arrive sans prévenir dans un foyer tout à fait normal, aimant et protecteur, et un beau matin les parents tombent des nues face au désastre produit par leur propre fils.
Face à cela, l’école, l’enseignement, fait son possible, mais de manière très insuffisante. Le talmud torah aussi cherche à contribuer à cette transmission et se pose aussi en garde fous, mais que faire en deux heures de temps face à une déferlante, un tsunami présent 24h/24h devant leurs yeux ?
Une histoire talmudique s’appuie sur un verset du livre d’Isaïe que je vous cite : Tous tes enfants seront les disciples de l’Eternel; ainsi grande sera la paix parmi tes enfants[1]. Et nous dit que plus la communauté des disciples de l’Eternel augmente, plus la paix a de la chance de grandir dans le monde. Les enfants d’Israël banaïkh sont à lire aussi avec une vocalisation légèrement différente comme bonaïkh ceux qui construisent ce tabernacle de paix, ce royaume divin sur terre. [2]
Ainsi notre responsabilité collective est immense ici et dans chaque maison d’étude, quelle qu’elle soit, laïque ou religieuse, synagogue, école ou foyer, chacun a pour mission d’en faire une tente protectrice, une tente imprégnée de bienveillance et de générosité afin que chaque jeune ait envie d’apprendre, de comprendre et de devenir à son tour un paravent protecteur de notre humanité.
Et comme le veut la tradition à la clôture d’un livre de la Torah, nous disons en coeur et avec coeur : Hazak Hazak v’nithazek !
Chabbat shalom !
[1] Isaïe 54 :13
[2] אָמַר רַבִּי אֶלְעָזָר אָמַר רַבִּי חֲנִינָא; תַּלְמִידֵי חֲכָמִים מַרְבִּים שָׁלוֹם בָּעוֹלָם, שֶׁנֶּאֱמַר; וְכׇל בָּנַיִךְ לִמּוּדֵי ה’ וְרַב שְׁלוֹם בָּנָיִךְ, אַל תִּקְרֵי « בָּנָיִךְ » אֶלָּא « בּוֹנָיִךְ »
יְהִי שָּׁלוֹם בְּחֵילֵךְ שַׁלְוָה בְּאַרְמְנוֹתָיִךְ: לְמַעַן אַחַי וְרֵעָי אֲדַבְּרָה נָּא שָּׁלוֹם בָּךְ: לְמַעַן בֵּית ה’ אֱלֹהֵינוּ אֲבַקְשָׁה טוֹב לָךְ: וּרְאֵה בָנִים לְבָנֶיךָ שָּׁלוֹם עַל יִשְׂרָאֵל: שָׁלוֹם רָב לְאֹהֲבֵי תוֹרָתֶךָ וְאֵין לָמוֹ מִכְשׁוֹל: ה’ עֹז לְעַמּוֹ יִתֵּן ה’ יְבָרֵךְ אֶת עַמּוֹ בַשָּׁלוֹם: