Joseph commence sa vie comme un jeune homme solitaire, il reste dans la maison paternelle pendant que ses frères s’affairent dans les champs et courent après les brebis.
Ce n’est pas franchement le héros musclé qui va au-devant du danger. Bien au contraire… Joseph a un profil qui revient dans les récits bibliques. Profil que les rédacteurs de la Torah semblent priser particulièrement, ce sont des anti-héros, des solitaires et des mal aimés. Ils vivent dans le confort intérieur de la tente et de leur psyché. Les similitudes avec les caractères d’Abel, d’Isaac, et bien sûr, de son père, Jacob sautent aux yeux.
Joseph est naturellement le préféré de son père, car issu de sa femme adorée Rachel. Il le distingue en lui offrant une tunique magnifique…qui ne peut se porter qu’à l’intérieur. Joseph est, contrairement à eux, ce fils qui reste à la maison, qui tient compagnie à leur père et se montre habile avec les mots. C’est un jeune homme qu’on peut qualifier de spirituel… Bien entendu, pour toutes ces raisons, ses frères grognent de jalousie à son égard. Face à cela, grâce à ses rêves notamment, Joseph se tient à distance, un peu détaché de la réalité matérielle. Il est le plus grand rêveur biblique et aussi le plus résilient. Comment ces caractéristiques vont-elles de pair ?
Justement Joseph rêve par paires. Six rêves ponctuent le récit de Joseph, deux qu’il fera lui-même et les 4 suivants qu’il sera amené à interpréter. Ces trois paires de rêves transformeront son destin.
Ses deux premiers rêves sont faciles à interpréter même pour ses frères un peu simples et brutaux. Ils sont ensemble et confectionnent des gerbes de blé. Et voilà que les gerbes se mettent à danser et les 11 gerbes de ses frères s’inclinent devant la sienne. Puis il rêve de 11 étoiles et la lune et le soleil qui s’inclinent devant lui. Le résultat ne se fait pas attendre : ses deux premiers rêves lui valent d’être jeté dans un puits et vendu comme esclave.
Il vivra quelque temps avec Potiphar et sa femme qui l’accuse faussement d’avoir tenté de la posséder. Pour cela, il sera jeté en prison et c’est ce moment de son histoire qui est relaté dans l’extrait de la paracha que nous lirons demain matin. Là, à nouveau, les rêves sont par paires : celui de l’échanson puis celui du panetier, ses voisins de cellule. Joseph arrive à point nommé pour les aider à les comprendre. Le talmud nous dit d’ailleurs qu’« un rêve non interprété est comme une lettre non lue ? »[1] et Joseph dit avoir ce pouvoir divin…rien de moins. Pour l’échanson l’issue promise sera positive et il sera restauré dans sa fonction auprès de Pharaon mais pour le panetier ce sera la peine de mort…On ne connait pas la faute qui les a jetés en prison. C’est un midrash qui vient combler ce vide. L’échanson, qui est le chef des sommeliers en quelque sorte aurait laissé servir une coupe de vin dans laquelle une mouche serait tombée, alors que le chef boulanger aurait servi un pain avec un caillou à l’intérieur. L’échanson n’est pas responsable d’une mouche qui vole, mais le pannetier est pleinement responsable d’offrir un pain préparé par ses boulangers qui contient un caillou…
Grâce à cette interprétation, des années après, l’échanson, va se souvenir enfin de son voisin de cellule et présenter Joseph, qui croupit toujours en prison, à Pharaon. Joseph va solutionner les deux rêves de Pharaon. Ses rêves par paires sont là pour apporter de l’emphase et démontrent sa capacité de connexion au divin. Dans un de ces rêves, comme par hasard, il y aura de nouveau des gerbes de blés…La boucle sera bouclée et la vie de Joseph sera non seulement sauvée, mais une véritable success story pourra commencer, dont plus tard, il fera aussi bénéficier toute sa famille. …
Dans l’antiquité les rêves ne sont pas interprétés comme des messages de notre inconscient, ainsi que Freud le théorisera en son temps. Mais plutôt comme des messages divins, quelque peu prophétiques. Ils sont évalués selon leur viabilité : qui est le rêveur et dans quel moment historique ce rêve a lieu ? Puis on juge leur véracité, en fonction de leur récurrence. Ensuite un rêve doit être ‘importé’ : c’est à dire interprété par minimum 3 ‘professionnels’. Enfin, on évaluera leur caractère divin s’ils s’accomplissent[2]. Le talmud ne dit-il pas que : « le feu constitue un soixantième du purgatoire ; le miel, un soixantième de la manne ; le shabbat, un soixantième du monde à venir ; le sommeil, un soixantième de la mort, et le rêve, un soixantième de la prophétie »[3].
Joseph, ce grand rêveur continue à nous faire rêver jusqu’à ce jour car les rêves sont notre nourriture spirituelle. L’anagramme de halom rêve en hébreu, est soit lehem le pain, soit melah, le sel. Les rêves sont comme le pain et le sel de notre vie, aussi indispensables que l’air que l’on respire et la lumière qui nous éclaire. Rêver est vital pour notre santé mentale et permet de nous projeter au-delà d’un moment présent particulièrement anxiogène.
Alors en ce deuxième jour de Hanoukka, profitons pleinement de ces lumignons pour nous laisser aller à nos rêveries qui, sait-on jamais, peuvent être porteuses de messages divins ?
Ken yhié ratzon,
Hag samea’h et chabbat shalom !
[1] Berakhot 55a
[2] Professeur Jack Sasson, https://www.thetorah.com/article/joseph-and-the-dreams-of-many-colors
[3] TB Berakhot 57b
Dvar Torah paracha Chemot – Bar Mitsva Nathan , 5 janvier 2024
de Daniela Touati
On 15 janvier 2024
dans Commentaires de la semaine
L’année civile commence par un nouveau livre, celui de l’Exode qui s’appelle en hébreu Chemot, les deux termes n’ont rien à voir, puisque Chemot veut dire Les Noms. Comme le veut la tradition biblique, le premier mot d’un livre et d’une paracha donne le nom au livre ou à la paracha de la semaine.
Et de noms il est question tout au long de cette paracha. Elle commence par une énumération des noms des douze tribus descendues en Egypte. Les douze tribus qui ont gardé leurs noms et leurs traditions pendant les 200 ans qui séparent Joseph et son Pharaon, de Moïse et son Pharaon. Un nouveau Pharaon règne en Egypte qui a oublié les bienfaits apportés par Joseph et qui n’est pas tendre avec le peuple hébreu. Au contraire c’est un tyran, et un parangon parmi les tyrans, un tyran qui se prend pour Dieu et qui s’oppose à Lui !
Face à ce Pharaon, l’histoire se met en marche et nous présente celui qui pourrait s’apparenter à un hébreu moyen, né d’un couple moyen de la tribu de Lévi. Un hébreu moyen qui deviendra le héros des 5 livres dits de Moïse ! Et dans ces premiers chapitres du livre de Chemot, on fait sa connaissance, on suit son histoire et on entend ses premiers mots.
Le début est plus que difficile, puisqu’il est promis à une mort certaine, soumis au décret royal de génocide, comme tous ses frères. Mais une main providentielle, non seulement le sauve, mais le place directement dans « la gueule du loup » si on peut dire : la Cour de Pharaon ! Son nom Moshé, intraduisible bien que la Torah en donne une explication, lui est donné par la fille de Pharaon. Il sera élevé dans ce monde étranger mais ses origines hébreux restent profondément ancrées dans son inconscient. Cette double appartenance lui donnera des compétences particulières, celles d’être un pont entre deux civilisations, entre ses frères hébreux et les Égyptiens. Il sera celui qui parle les deux langues et non un double langage et ce bien qu’étant peu habile avec les mots…tant de paradoxes en un seul personnage !
Appelé de l’intérieur d’un buisson, il répond Hineni me voici, comme son ancêtre Abraham et pourtant il est à des années lumières de cet ancêtre. André Neher nous dit qu’il est le premier qui éprouve « la souffrance de la vocation prophétique »[1]. Cette souffrance transparait dans sa négociation avec Dieu, ses premiers mots expriment ce rejet de sa mission et son argument est qu’il a langue lourde, la parole lente (peut être aussi l’esprit ?). Rashi commentant ce verset en déduit qu’il bégaye, mais peut-être qu’il n’a pas cette vivacité d’esprit nécessaire à un bon meneur d’hommes, qu’il manque d’à-propos et de répondant ?
Rashi nous dit encore qu’il a fallu une semaine entière à Dieu pour convaincre Moïse d’accepter sa mission…qu’il se serait assis à ses côtés et aurait argumenté longuement, jusqu’à perdre patience et s’énerver en disant : Et יהוה lui dit : « Qui donne la parole aux hommes ? Qui les rend muets ou sourds, voyants ou aveugles ? N’est-ce pas moi, יהוה ?
Paradoxalement, Moïse est un homme de mots lorsqu’il négocie avec YHWH, là il ne bégaye pas, bien au contraire…Toute cette argumentation démontre ses doutes, c’est un prophète du doute, contrairement à Abraham et c’est un prophète qui se révolte.
Alors YHWH lui concède un adjoint en la personne de son frère Aharon, qui parlera pour lui, ainsi deux intermédiaires seront nécessaires pour s’adresser au peuple d’un côté, et à Pharaon de l’autre.
Mem shin hé- Moshé et Hashem – hey shin mem son palindrome se parlent face à face pendant 40 ans. Celui ou Celle qui n’a pas de nom, l’imprononçable, l’indescriptible, l’inatteignable aura ce dialogue ininterrompu avec son prophète favori Moïse. Lorsque Moïse voudra connaitre son nom, ce nom lui échappera, et la réponse de l’Eternel prendra la forme d’une pirouette : ‘Ehyé Asher Ehyé’[2] ‘Je suis ce que je suis’, ou encore ‘je serai ce que je serai’.
D’après les commentateurs, Ehyé Asher Ehyé est une exégèse, une explication du tétragramme, Yod Hey Vav Hey qui peut se traduire par‘Celui qui met en existence, qui cause la vie’.
Dérivé d’une racine qui est une variante de celle du verbe être, hey vav hey, YHWH est en devenir, selon Erich Fromm[3] en cela il est comme l’être humain, mais reste totalement insaisissable par notre finitude d’être humain. Et par conséquent la seule manière d’appréhender Dieu est d’être attentif à ce qu’Il produit dans nos vies, et, si nous avons de la chance, de ressentir sa présence à nos côtés, à la manière de la promesse faite à Moise : ehyé yimakh, je serai avec toi…
Ce nom il est interdit de le prononcer et à la place nous disons Adonaï. Mais lorsqu’on le découpe en Yod-inspiration, Hey – expiration, Vav – inspiration et de nouveau Hey – expiration, nous entendons et ressentons la vie soufflée quotidiennement par l’Eternel dans nos narines.
Ce souffle a conduit Nathan à vivre ce moment, au moment opportun, le moment où il a pu dire ‘hineni’ me voici et se présenter devant nous tous !
Alors un grand mazal tov, cher Nathan, et chabbat shalom à tous,
Bonne et heureuse année, une année que je vous souhaite à tous pleine de souffle, pour vivre pleinement les nouvelles aventures qui vous attendent avec tous ceux et celles que vous aimez !
[1] Prophètes et prophéties, André Neher, p.199, ed. Payot rivages.
[2] Genèse 3:14
[3] « You shall be as Gods » Erich Fromm, 1966