Papicha veut dire belle fille en françarabe. C’est aussi le titre d’un film récent qui relate une histoire vraie, celle de quatre étudiantes dans l’Alger des années 1990 – dite la période noire. Celle où l’armée islamique du salut et le GIA (Groupe Islamique Armé) voulaient renverser le pouvoir en place, et perpétraient des attentats quotidiens contre les citoyens algériens. Les statistiques estiment que cette guerre civile aurait fait entre 60 et 150 000 morts. Bien qu’approximatifs, ces chiffres sont le reflet de la terreur qu’a vécue la population pendant près de 10 ans.

L’héroïne de Papicha s’appelle Nedjma. C’est une jeune femme pleine de vie, qui rêve d’être styliste. En attendant, elle est contrainte de se cacher, d’user de subterfuges et payer des bakchich pour sortir de l’internat, où elle est logée avec ses amies. Alors que sa grande sœur,  journaliste, s’apprête à partir en reportage, toutes deux rendent visite à leur mère, qui vit dans un quartier excentré. Après une après-midi remplie de rires et complicité, la sœur ainée de Nedjma est assassinée de sang-froid par une femme en hidjab, sous ses yeux.

Sidérée puis totalement effondrée, Nedjma se relève pour faire la toilette du corps de sa sœur en compagnie de sa mère, avant de le recouvrir d’un linceul blanc et procéder à son inhumation. Se déroulent sous nos yeux les gestes rituels où se mélangent la douleur et la tendresse.

Ces femmes musulmanes accomplissent les mêmes gestes que ceux de la tradition juive, la Tohora, la purification rituelle du mort.

La première mention d’une toilette avant inhumation apparait dans Mishna Shabbat 23:5 : ‘On accomplit tous les actes nécessaires [pour prendre soin] d’une dépouille, on l’oint et la lave pourvu qu’on ne bouge aucun de ses membres.’

La Torah ne nous dit pas si les deux fils d’Abraham, Ishmaël et Yitzhak ont accompli la toilette rituelle de leur père, lorsqu’ils se sont retrouvés pour lui rendre leurs derniers hommages.

וַיִּקְבְּר֨וּ אֹת֜וֹ יִצְחָ֤ק וְיִשְׁמָעֵאל֙ בָּנָ֔יו אֶל־מְעָרַ֖ת הַמַּכְפֵּלָ֑ה אֶל־שְׂדֵ֞ה עֶפְרֹ֤ן בֶּן־צֹ֙חַר֙ הַֽחִתִּ֔י אֲשֶׁ֖ר עַל־פְּנֵ֥י מַמְרֵֽא׃

« Et Yitzhak et Yishmael ses fils, l’ont enterré dans le caveau de Makhpela, dans le domaine d’Efron, fils de Tzohar le Héthéen, qui est en face de Mamré. »

Mais ce verset a un autre mérite, celui de souligner la valeur de l’accompagnement d’un proche à sa dernière demeure. Et cela, en mettant les vieilles querelles de côté, comme cela semble le cas pour les deux fils d’Abraham. Ce court verset pourrait passer presqu’inaperçu et pourtant il est essentiel. Il permet de pleurer ses morts dans la sérénité et l’apaisement.

La sidra  Hayye Sarah commence par le décès de Sarah et finit, comme  nous venons de le voir, par celle d’Abraham.

Les tout premiers rites funéraires apparaissent dans ce récit biblique. Ils nous sont familiers car ce sont nos pratiques jusqu’à aujourd’hui.

Lorsque Sarah meurt à 127 ans, Abraham s’effondre en pleurs, et en même temps honore sa femme, en évoquant son souvenir lors de l’éloge funèbre.

וַיָּבֹא֙ אַבְרָהָ֔ם לִסְפֹּ֥ד לְשָׂרָ֖ה וְלִבְכֹּתָֽהּ׃

Et Abraham vint dire l’éloge de Sarah et la pleurer.

Ici apparait pour la première fois le verbe lispod : dire l’oraison funèbre, le hesped. Puis il prend le deuil. La durée n’est pas précisée. Rapidement, Abraham se relève, car il a la lourde tâche de trouver un emplacement pour inhumer Sarah dans cette terre étrangère. Il négocie cela avec Efron à Hébron, ce sera la grotte de Makhpela, qui jusqu’à ce jour est au centre de tensions territoriales extrêmes.

Abraham pleure, raconte et se souvient, accompagne et enterre sa princesse et compagne d’une vie Sarah. Mais où sont ses enfants, Isaac et Ismael ? Pourquoi n’honorent ils pas leur mère ? Mystère, il faudra attendre l’enterrement de leur père pour les retrouver…

En ce mois de novembre, j’ai accompagné deux familles qui enterraient leur mère ashkénaze pour l’une, et leur père sépharade pour la deuxième. Les membres de ces deux familles s’étaient totalement coupées de la pratique du judaïsme, tout en se considérant profondément juifs. Tous deux avaient laissé des directives anticipées que leurs enfants suivaient du mieux qu’ils pouvaient. Chacune de ces familles avait son pan ‘orthodoxe’ et son pan ‘athée’. Il fallait composer avec les deux, ne pas heurter la sensibilité ni des uns ni des autres. Ce moment de retrouvailles autour de la tombe d’un cher disparu pouvait s’avérer délicat. Les disparus avaient tous deux émis le vœu qu’on dise le kaddish sur leur tombe.

Que soit béni, loué, élevé, exalté, célébré, magnifié et glorifié le nom du Saint Béni Soit Il’. Aucune autre prière n’encense davantage le Dieu auquel ils ne croyaient pas. Cette vieille prière qui date du premier temple, n’en était pas une à l’origine. C’étaient les mots de conclusion d’un éloge funèbre destiné à un savant de la Torah. Comme l’exprime le rabbin américain Maurice Lamm, « le kaddish est la prière qui marque l’épilogue d’une vie, comme elle est celle qui marque la fin de l’étude de la Torah ». On sanctifie Dieu, ce qui honore un disparu et tout cela en communauté. Ainsi au moment de leur mort, ceux qui nous semblent les plus éloignés du judaïsme demandent en quelque sorte à réintégrer leur place dans la lignée des générations juives, qui culmine dans celle du premier couple à l’origine de notre peuple : Abraham et Sarah. Et afin d’accomplir ces rituels, ils intiment à leurs enfants de retrouver le chemin d’une communauté qui pourra les accompagner et, qui sait, peut-être qu’ils retrouveront aussi le chemin de la Torah ?

Ken Yhie Ratzon, Chabbat shalom.