Quel est l’essence du judaïsme auquel nous nous attachons depuis deux mille ans? Nos rabbins se posaient la même question et ont même, pour certains, trouvé le verset de la Torah qui l’exprime. Mais bien sur ils n’étaient pas d’accord :

Pour rabbi Akiva c’était le verset du Lévitique: ‘et tu aimeras ton prochain comme toi-même’, alors que pour Ben Azzai c’était le verset de la Genèse : ‘voici l’énumération des générations d’Adam’.[1]

Dans le verset ‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’, ‘ton prochain’ peut se limiter à sa famille, son cercle d’amis, voire à sa communauté. La responsabilité est limitée à ceux qui nous ressemblent, ou à ceux qui partagent les mêmes idées et les mêmes croyances. Rabbi Ben Azzai vient nous enseigner que notre responsabilité va bien au-delà et s’inscrit dans la chaîne des générations, envers la pérennité de l’humanité et la vie sur terre.

En quoi cette mahloket– cette querelle rabbinique est importante ? Et est-il raisonnable de réduire l’enseignement de la Torah à un principe premier, fût-il universel ?

En ce soir de Kol Nidre, je vous propose de faire une Teshouva shleima, un retour complet vers ce qui nous permet à tous de vivre ici et maintenant : notre terre.  Revisitons ensemble ce que le judaïsme a à nous dire concernant le sujet brûlant de l’écologie.

Mon viduï ou confession personnelle est aussi celui d’une génération : l’écologie n’a pas été au centre de nos préoccupations. Il n’en est pas de même pour les jeunes générations qui nous ont ouvert les yeux en se mobilisant pour cette cause…

Sans nous disculper, il est probable que nous ayons eu quelques excuses. Le siècle dernier a été marqué par un désastre humanitaire des deux guerres mondiales, après lesquelles il a fallu reconstruire non seulement des immeubles mais notre humanité. Ce sont les luttes pour la dignité humaine et la fraternité qui ont concentré nos efforts.

Et pourtant, deux versets de la Torah qui nous parlent de responsabilité environnementale apparaissent dans un contexte de guerre. Voilà ce qu’on peut lire dans le Deutéronome (ch.20):

« 19 Lorsque tu feras le siège d’une ville que tu attaques pour t’en rendre maître, tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la hache: ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui, l’arbre du champ c’est l’homme même, tu l’épargneras dans les travaux du siège. 20 Seulement, l’arbre que tu sauras n’être pas un arbre fruitier, celui-là tu peux le sacrifier et l’abattre, pour l’employer à des travaux de siège contre la ville qui est en guerre avec toi, jusqu’à ce qu’elle succombe. »

Ainsi, c’est pendant les guerres, où la préservation de la nature pourrait être le dernier de nos soucis, qu’il nous est rappelé qu’il y a des lois primordiales, universelles à ne pas oublier. L’arbre et l’homme sont indissociables, l’un comme l’autre doivent être protégés dans les circonstances les plus extrêmes.

De ces deux versets ont découlé la loi du Bal Taschit : l’interdit du gaspillage et de la destruction inutile. Maimonides, synthétise cette loi ainsi : ‘[la préservation] ne s’applique pas seulement aux arbres, mais à celui qui brise inutilement des récipients, qui déchire les vêtements, détruit un bâtiment, bouche une source d’eau, gaspille la nourriture, celui-là transgresse le commandement de bal taschit’.

Du début à la fin, le vocabulaire de la Torah exprime ce lien physique entre l’homme et la nature,  en le nommant Adam : le terrien ou le glébeux selon le rabbin Chouraqui, être indissocié de la terre : Adama. Sans Adama pas d’Adam, notre relation à la terre est  imprégnée de respect et de discernement. La terre ne nous appartient pas, mais nous a été donnée en usufruit. Nous pouvons l’utiliser pour nous nourrir, nous vêtir et nous chauffer tout en la préservant, en ‘bons pères de familles’. Le premier commandement de la Genès est de ‘croitre et multiplier’ et de ‘dominer’ la terre, vient ensuite le commandement d’en être ses ‘gardiens’, car comme dit le midrash Kohelet : « tout ce que J’ai créé, [dit l’Eternel à l’homme] c’est pour toi que je l’ai créé ! Fais attention de ne pas abîmer ou détruire mon monde. Si tu l’abîmes, il n’y aura personne pour le réparer après toi.’ »[2]

La Torah nous enjoint de réfléchir à ce que nous mettons dans notre bouche – tout en étant attentifs à ne pas infliger de souffrance inutile aux animaux, ce que les sages ont nommé le «  tzaar baalei haïm ». Le temps où nous produisons ce que nous consommons est également strictement encadré par la Torah. L’activité de transformation de l’environnement doit s’arrêter le chabbat pour limiter la surexploitation des hommes, des animaux comme de nos ressources. Tous les 7 ans, période qui culmine avec le septième cycle et l’année du jubilé, il est proclamé un chabbat chabbaton de la terre en Israel, une année sabbatique de chmita, où la terre doit être totalement laissée au repos. Yom Kippour est quant à lui, un chabbat chabbaton spirituel, c’est un temps pour nous retrouver avec nous-mêmes, les autres et notre Créateur…  

Tout cela vise à un subtil équilibre entre la nature et les hommes. Ainsi que l’exprime Abraham Heschel :

“Notre but devrait être de vivre dans un état permanent d’émerveillement ….se lever le matin et regarder le monde en considérant que rien n’est acquis. Tout ce qui nous entoure est extraordinaire, incroyable ; ne considèrons rien avec indifférence. Etre une personne spirituelle c’est être émerveillé.”

Pour le rabbin Arthur Green, professeur de philosophie des religions, et auteur du livre ‘radical judaism’ s’émerveiller devant le miracle de la Création éveille notre conscience à sa fragilité.

Le changement, dit-il, ne viendra pas des politiques, ou des lois instaurées par nos gouvernants, mais de la prise de conscience de nos comportements individuels. Dans ce domaine, la religion a son mot à dire, car elle a un langage pour l’exprimer, que ce soit à travers les prières quotidiennes où le vocabulaire est empreint de gratitude pour ce miracle, ou encore à travers certains psaumes qui sont une ode à la nature. Le judaïsme approche l’univers d’un point de vue spirituel tout en embrassant l’évolution des connaissances scientifiques. Les deux niveaux de vérité ne sont pas incompatibles, le rôle des prières étant d’éveiller notre cœur et nos émotions.

Une jeune organisation composée de rabbins, nommée Shomrei bereshit a lancé il y a 5 ans,  un cri d’alarme sur nos responsabilités écologiques. Lorsque ses membres ont sonné le choffar en 5775, ils ont également voulu sonner le glas de nos mauvaises habitudes. Trois ans plus tard, l’un des rabbins de cette organisation, Rabbi Jonathan Wittenberg de la synagogue massorti londonienne New North London, a lancé le projet Eco Synagogue inspiré d’Eco Church. C’est un label qui soutient les initiatives écologiques et met à disposition des outils pédagogiques pour les synagogues. A ce jour, 5 synagogues orthodoxes et libérales ont adhéré au projet et ont nommé un éco-man dans leur synagogue.

Inspirés par cette initiative, nous avons décidé de lancer le projet ECO SYNAGOGUE ici à Lyon. D’abord, nous prendrons le temps de réfléchir. Puis, nous ferons des propositions concrètes pour changer nos comportements à KEREN OR. Cette initiative pionnière, nous l’espérons fera des émules, à la fois  dans d’autres synagogues et d’autres lieux de culte.

Voilà notre engagement en tant que synagogue pour 5780, pour nous inscrire nous aussi dans la chaîne des générations d’Adam.

Tzom kal et gmar hatima tova !


[1] Sifra kedoshim chapitre 4 12 :1

[2] Kohelet Rabbah 7 :13