En pleine canicule, j’ai découvert cet été qu’il existait une coutume pour le moins curieuse dans le judaïsme, celle de bénir le soleil. Coutume, que dis-je mitsva ! Mitzva qui revient de manière cyclique, tous les 28 ans, à une certaine date du mois de Nissan. Tous les 28 ans, selon nos sages, le soleil se retrouve à la même place que le jour où il a été créé selon la tradition, c’est-à-dire le 4è jour de la création !

« Les Sages ont enseigné : Celui qui voit le soleil au début de son cycle, la lune dans sa puissance, les planètes dans leur orbite, ou les signes du zodiaque alignés dans leur ordre récite : Béni…Auteur de la création. » [1]

C’est ainsi que le talmud nous présente la prescription de ce commandement. Puis s’en suit une mahloket dispute talmudique entre rabbi Yehoshua et rabbi Eliezer concernant le mois où a eu lieu la Création du monde, pour r. Yehoshoua c’était au mois de Nissan alors que pour r. Eliezer c’était en Tichri (réf). Comme vous voyez c’est l’opinion de r. Yehoshoua qui a prévalu…probablement parce que les jours rallongent à partir de Nissan alors qu’ils décroissent à partir de Tichri et on met le soleil à l’honneur lorsque sa lumière dure plus longtemps.

Le rite de bénédiction du soleil s’appelle Birkat hahama,[2] la bénédiction de celle qui réchauffe autrement dit du soleil. La dernière fois qu’il a eu lieu était le 8 avril 2009 et la prochaine fois ce sera le 8 avril 2037, lors de l’équinoxe de printemps.

Selon notre longévité sur cette terre, nous aurons la chance de dire cette bénédiction tout au plus 3 fois dans une vie et ce seulement si l’Eternel nous prête une vie suffisamment longue !

Le soleil est appelé tout d’abord dans la Genèse ‘grand luminaire’ hamaor hagadol. Le terme moderne shemesh est assez rare et apparait à 15 reprises dans le Houmash et plus souvent dans le reste du Tanakh et le talmud, et enfin dans le livre de Job apparait le terme heres  – objet en terre, poterie, faisant référence surement à un soleil qui ‘forme’ la terre, à l’orrigine de la Création ?

Ainsi notre tradition entretient une relation quelque peu ambiguë avec le grand astre lumineux : le soleil est à l’origine de toute vie sur terre, sans lui on n’existerait plus, de l’autre côté, nos Sages se méfiaient du soleil qui dans d’autres traditions comme celle mésopotamienne était considéré comme un dieu. C’était surtout le cas chez les Égyptiens. peuple au milieu duquel nos ancêtres ont vécu, il n’est pas étonnant que le culte du soleil ait perduré bien après la sortie d’Egypte parmi les Bnei Israël.  La Torah insiste sur l’interdit de l’idolâtrie à longueur de versets comme ici dans le Deutéronome où la référence aux astres est clairement mentionnée :[3]

S’il se trouve dans ton sein, dans l’une des villes que l’Éternel, ton Dieu, te donnera, un homme ou une femme qui fasse quelque chose de mal aux yeux de l’Éternel, ton Dieu, en violant son alliance; 3 qui soit allé servir d’autres divinités et se prosterner devant elles, ou devant le soleil ou la lune, ou quoi que ce soit de la milice céleste, que je n’aurai pas commandé: 4 et si cela t’est rapporté par ouï-dire, tu feras une enquête approfondie ; et si la chose est avérée, si cette infamie s’est commise en Israël, 5 tu feras conduire aux portes de la ville cet homme ou cette femme, coupable d’un tel crime, l’homme ou la femme! Et tu les lapideras par des pierres, pour qu’ils meurent.

Ainsi le terme shemesh, vient de shamash, Dieu cananéen, dont les archéologues ont trouvé des traces. Les noms des villes tels que Beit Shemesh – maison du soleil, et Yericho (de Yarea’kh- la lune mais aussi le mois) sont des vestig            0es de ces cultes anciens aux astres. Le talmud nomme les idolâtres Ovdeï Kokhavim les serviteurs des étoiles…

En hébreu shemesh a un sens différent et veut dire ‘serviteur’ (comme le shamash de la synagogue) peut être pour nous signifier que le shemesh n’a qu’à bien se tenir et se soumettre au Dieu des hébreux plutôt que de rentrer en compétition avec l’Eternel ?  

Bénir le soleil serait alors une concession faite aux hébreux puis aux juifs pour reconnaitre l’importance de cet astre, aux cotés de la lune, dans nos vies.

La philosophe Emma Carini a récemment consacré un livre entier au Soleil, à son histoire aux mythes qui l’entourent et à son influence sociale, voire économique…dans un monde boulversé par le réchauffement climatique son livre arrive à point…

Elle rappelle que l’énergie solaire est indispensable pour la vie, on vit tous sous le soleil qui est à l’origine de toutes les énergies, notamment de la découverte du feu qui a permis à l’humanité de sortir des cavernes, et de se sédentariser puis maitriser la technique. Le soleil est une source de lumière et de chaleur, c’est lui qui en premier nous a permis de nous situer dans le temps avec les horloges solaires.

Le talmud commence par cette question Méémataï ? A partir de quand doit on réciter la prière du Shema ? et ce qui répond à la question est la position du soleil à son coucher comme à son lever…

Symbole de gratuité, de don et de ressource inépuisable, c’est un ‘bien non rival’ nous dit Emma Carenini…Le soleil est notre boussole, Hélios est au centre de nos vies qu’on dit héliocentrées,  et influencerait même notre tempérament, voire notre intelligence, une vie proche du soleil méditerranéen était bien plus prisée que celle des contrées du Nord de l’Europe. Chacun cherchait sa place au soleil, dans l’Antiquité comme aujourd’hui.

Le soleil fait vivre comme il fait mourir, et aujourd’hui comme dans l’Antiquité, cette fois sur la base de données scientifiques, on craint qu’un jour il ne s’éteigne. Comme tout astre ou organisme vivant, il est amené à disparaitre…

L’été dernier, le soleil source de toute vie et protecteur s’est transformé en un astre brûlant tout sur son passage, on le fuit, on en a peur et on retournerait bien dans des cavernes bien à l’abri.

Toutefois le réchauffement climatique n’est pas dû au soleil mais plutôt aux terriens qui en ont abusé, jusqu’à dégager dans son atmosphère une telle quantité de carbone que le filtre ne fonctionne plus, nous faisant subir des températures extrêmes.

Le moment de réciter la bénédiction sur le soleil reviendra en 2037, dans quinze ans … est ce qu’entretemps le monde aura fait sa révolution et décidé de modifier sa manière de vivre afin de protéger notre planète terre ? Est-ce qu’on pourra de nouveau s’émerveiller devant les bienfaits du soleil…sans craindre qu’il nous anéantisse ? Chaque Roch Hachana, cet anniversaire symbolique de la création de la vie sur terre, nous rappelle à nos devoirs de gardiens de notre planète, et pour nous souvenir je vous propose de dire ensemble la bénédiction :

Baroukh ata adonaï Eloheinou Melekh haOlam maassé bereshit!

Bénis sois tu Eternel souverain de l’Univers, créateur du monde !

Chana tova oumetouka !


[1] TB Berakhot 59b

[2] TB Berakhot 59b

[3] Deutéronome 17 :3-5