Ce chabbat est celui consacré à la chmatologie : c’est-à-dire au vêtement, pas n’importe lequel, celui du petit et grand prêtre. Les vêtements sacerdotaux occupent une place non négligeable dans la Torah, on revient sur les accessoires que devra porter le Cohen à plusieurs reprises. Cela clôture le descriptif de la fabrication du Tabernacle avec les outils et sacrifices attenants. Les vêtements du Cohen font partie de ces objets de sainteté destinés uniquement à être portés dans ces moments de service au tabernacle, puis au Temple et jamais en dehors. Ils ont une fonction et ils font la fonction !

Pour le commun des mortels, le vêtement est la première chose que l’on voit lorsqu’on rencontre quelqu’un. Il permet de nous faire une idée, parfois superficielle de ce que cette personne veut bien nous montrer d’elle-même. A contrario, le vêtement est aussi là pour cacher, dissimuler des parties du corps et peut être des imperfections, pour au contraire aiguiller le regard sur ce qu’on souhaite mettre en valeur. Lorsqu’on exerce une fonction publique comme celle d’avocat, de juge ou ici de prêtre, le vêtement est comme une affiche publicitaire qui déclame, tout en mettant une distance, car on rentre en relation avec la fonction et non plus avec l’homme ou la femme qui se cache derrière.

Le vêtement du prêtre lui octroie la sainteté, il est séparé et destiné au service divin, et cela dure le temps du service. Lorsqu’il ôte son habit, le prêtre devient un simple membre du peuple, un Israël.

Pour le prêtre, porter le vêtement est une fonction honorifique mais aussi une charge, qui peut être lourde. Chaque vêtement, selon le midrash est porté pour rappeler l’expiation d’une catégorie de fautes.

Le turban doit expier la faute de l’orgueil, la ceinture celle des pensées impures, le bandeau en or autour de la tête prémunir de l’arrogance et le pectoral des mauvais jugements.

Un attribut essentiel est ‘le pectoral de jugement’ le hoshen hamishpat dans lequel sont insérées les 12 pierres représentant chacune des douze tribus d’Israël. Appelés ourim et toumim traduits par Meschonnic par ‘sorts et sortilèges’, ces pierres parlent et transmettent le message divin pour décider du sort du peuple… Le Cohen porte non seulement des vêtements, mais à travers eux la responsabilité au nom du peuple, des fautes qu’il aurait pu commettre.

Le vêtement sacerdotal habille instantanément le Cohen de prêtrise mais il lui confère également la responsabilité de la mémoire de son peuple…Cette concomitance entre immédiateté et temps longue frappe également lorsqu’on lit la meguilla d’Esther, où ces deux temporalités se heurtent.

La psychanalyste Françoise Athlan dans une étude de la paracha Tétsavé évoque cette analogie entre vêtements du grand prêtre et ceux de la reine. Vatilbach Esther malkhout, nous dit la meguilla[1] et Esther s’habilla de royauté, à l’instant où elle rentre dans le rôle de reine, elle prend conscience de son appartenance au peuple juif et a le courage d’agir pour se et le sauver.

Comme le grand prêtre, Esther doit s’habiller des habits de royauté pour aborder le roi, son mari le roi étant une métaphore de Dieu qu’on ne peut aborder n’importe où et n’importe quand et seulement en portant le vêtement adéquat. C’est seulement alors qu’elle peut faire sa demande et sauver son peuple.

Ce shabbat Zakhor est un shabbat de mémoire qui précède de deux jours Pourim, qui célèbre une victoire : celle de la survie du peuple juif en diaspora – dans l’ancienne Perse.

La méguila d’Esther fait aussi partie de notre mémoire, elle est notre antidote à la peur. Haman, ce cruel conseiller d’Assuérus voulait exterminer tous les juifs du royaume. Il a soif de pouvoir et veut porter des habits démesurés, trop grands pour lui, et qu’il ne mérite pas. La fin n’est un secret pour personne, grâce à Esther et Mordekhaï, ce sont finalement lui et ses enfants qui seront pendus.

Ce shabbat nous lisons 3 versets du Deutéronome 25, ils nous parlent d’Amalek, dont Haman serait un lointain descendant selon la Meguilla. Amalek est inscrit dans la Torah comme l’ennemi perpétuel d’Israël une sorte de monstre qui réapparait sous un masque différent à chaque génération.

Pourquoi Amalek est-il pire que les autres ? Pourquoi notre tradition nous dit-elle qu’il revient et nous menace l’dor vador et que son nom doit être effacé de sous les cieux ? Est-ce une forme de paranoïa collective ?

Pour mieux comprendre, il nous faut analyser les trois apparitions d’Amalek dans le récit biblique.

La première dans l’Exode, où les neuf versets nous parlent d’une bataille contre les Amalekites menée par Josué à Refidim. La fameuse scène où Moïse lève le bras qui porte son bâton, ce qui permet aux hébreux de gagner la bataille. Une fois les Amalekites vaincus, Dieu demande d’inscrire ce nom dans le Livre des souvenirs. Et que l’Eternel Lui-même oblitérera sa mémoire de sous les cieux. [2]

Le deuxième récit apparait dans le Deutéronome. Il y a davantage de détails : Amalek est un lâche qui frappe les plus faibles des hébreux par derrière : les femmes, les enfants et les vieillards. C’est pour cette raison, qu’une fois le peuple arrivé sur sa terre, c’est lui qui devra oblitérer la mémoire d’Amalek de dessous les cieux.[3]

Enfin Amalek apparait dans le livre de Samuel. Saul premier roi des Hébreux livre bataille contre les Amalékites qu’il doit anéantir jusqu’au dernier. Mais il ne suit pas le commandement de Dieu et épargne leur roi, Agag. C’est le juge Samuel furieux qui va s’en charger et le passer au fil de l’épée.

Ces différents textes sont comme un chaîne et trame qui s’entrecroise. Par exemple le verset : « Et tu étais fatigué et épuisé et ne craignant pas Dieu »[4] est très ambigu. Est-ce Amalek qui ne craint pas Dieu ou bien le peuple d’Israël ? La construction de la phrase laisse planer le doute : l’ennemi éternel de notre peuple est-il intérieur ? Ou bien est-il extérieur ? Certains midrashim n’ont pas manqué de relever cette contradiction. Le masque de la religion, le déguisement de la piété sont parfois utilisés pour perpétrer les pires crimes, c’était le cas il y a 29 ans lorsque Baroukh Goldstein a commis le massacre à Hébron, au nom de la religion et en particulier de la meguila d’Esther. Ces zélotes renaissent eux aussi à chaque génération et leurs habits ne doivent pas nous tromper…

Alors à Pourim, lorsque nous nous déguiserons pour honorer la tradition et ne plus distinguer entre Haman et Esther ou Mordekhaï, rappelons-nous qu’aucun masque ni aucun déguisement ne peut nous dissimuler de nous-mêmes ni de Celui qui voit vers l’infini et au-delà !

Ken Yhie Ratzon

Shabbat shalom


[1] Esther 5:1

[2] Exode 17:14

[3] Deut.25 :17

[4] Deut. 25 :18