Une des qualités qu’on attribue couramment à nos coreligionnaires israéliens est leur houtspa. C’est cette houtspa qui aurait permis aux habitants de ce jeune pays de faire tomber les obstacles et de construire si vite un état comparable aux grandes démocraties occidentales. C’est aussi grâce à cette houtspa qu’Israël s’est élevé au statut de start-up nation …
Que veut dire houtspa, quelle est son étymologie
exacte ?
Construit sur la racine het tzadi pé – hatzaf, au
sens positif du terme, cela veut dire faire preuve d’audace, de courage et d’intrépidité,
dans son acception plus négative, un houtspan, ou une houtspanit est
une personne insolente et arrogante.
Ce terme n’apparait pas dans la Torah, en tout cas pas dans le
hoummash. Mais on peut dire que le premier houtspan de la Torah est sans doute
Abraham, lorsqu’il négocie d’égal à égal avec L’Eternel pour sauver ne
serait-ce que 10 justes alors queles villes de Sodome et Gomorrhe sont menacées
d’anéantissement.
Les rabbins, eux, ont une approche assez ambivalente de cette notion. Rabbi Eliezer dans le talmud évoque la houtspa dans son sens négatif, comme un signe annonciateur de la fin des temps et la venue du Messie, voici la citation dans son contexte :
(Rabbi Eliezer le grand) a également dit : Lorsqu’on approchera du temps de la venue du Messie, la parole impudente croitra houtspa yisga, comme le coût [des produits]…. Et la monarchie se tournera vers l’hérésie, et personne ne se lèvera pour lui faire des remontrances. Le lieu de rencontre des Sages deviendra un lieu de promiscuité, la Galilée sera détruite, le Gavlan sera dévasté, et les hommes de la frontière iront de ville en ville pour chercher la charité, mais personne n’aura de compassion pour eux.[2]
Ainsi la houtspa est ici interprétée comme ce qui sort-houtz
de la bouche-pé, houtz pé de manière irréfléchie et sur son
passage sème le malheur…
Ce qui sort de la bouche d’Isaac sur son lit de mort est au
contraire une bénédiction. Destinée au départ à son fils préféré l’ainé Esau, elle
atterrit finalement sur la tête de Jacob. Rebecca la mère qui a fomenté ce
subterfuge prête son concours à l’accomplissement
de la prophétie divine – ‘L’ainé servira le cadet’- en déguisant son fils avec
des peaux de bête, en lui préparant un plat que son père apprécie
particulièrement. Elle manipule
son fils Jacob, jusqu’à ce que ce dernier transforme même sa voix pour tromper
son père.
Mais voyons aussi cette histoire du point de vue d’Isaac, ce père
presqu’aveugle qui ne distingue plus celui qui prend soin de lui et qui aura
droit à sa bénédiction. Isaac étant devenu le fils unique d’Abraham après le
départ forcé d’Ismaël, pense ne disposer que d’une seule et unique bénédiction,
et que celle-ci n’est destinée qu’à l’ainé. Lorsqu’il se rend compte de son
erreur, celle d’avoir béni Jacob déguisé en Esau, il est saisi de tremblements
nous dit la Torah ! Ces tremblements font écho à ceux de Jacob qui
craignait au départ d’être maudit en trompant ainsi son père. Ce n’est que
lorsque sa mère dit qu’elle prendra sur elle cette potentielle malédiction
qu’il accepte d’être complice de cette tromperie. Et Rashi explique que Isaac
est terrorisé à l’idée d’avoir inversé l’ordre des choses, la loi entre ainé et
puiné. Mais lorsqu’Esau lui confirme que Jacob lui avait déjà acheté le droit d’ainesse
contre un plat de lentilles, Isaac est apaisé et confirme sa bénédiction à Jacob.[3]
Et il trouve ensuite également des mots pour bénir Esau sans défaire sa
première bénédiction.
Il bénit Jacob avec ces mots : « que tes peuples t’obéissent,
que des nations tombent à tes pieds, sois le chef de tes frères, Et que les
fils de ta mère se prosternent devant toi, malédiction à qui te maudira et qui
te bénira soit béni. »[4] Et
il bénit Esau en disant : « mais tu seras tributaire de ton
frère, pourtant après avoir plié sous le joug, ton cou s’en affranchira ».[5]
Ainsi, la mirma – la ruse et le mensonge se transforment en paroles de brakha de bénédiction. Mais est-ce bien une bénédiction de léguer à ses fils un héritage de confrontation, de mise en concurrence et de jalousie ?
Malheureusement c’est ainsi qu’est trop souvent comprise la houtzpa,
comme une mise en concurrence d’une personne envers son prochain, qui résulte
en un vainqueur et un vaincu, ce qui bien entendu perpétue le cycle de
violence. Isaac n’arrive pas à sortir de la destinée qui a été la sienne, même
en ce moment ultime, où il transmet à la génération suivante les mêmes rivalités
dont il a été lui-même victime.
Martin Buber raconte dans un livre d’histoires hassidiques, un conte
à propos de la lettre yod, ce petit point insignifiant. Ces deux lettres placées
côte à côte forment le nom de Dieu, mais au-delà, ces deux lettres au même
niveau sont là pour rappeler que ‘lorsque deux Juifs sont ensemble, cela
signifie le nom divin. Mais quand un Juif est au-dessus de l’autre, ce n’est
pas le nom divin.’ [6]
Isaac n’a pas eu la houtspa nécessaire pour renverser le
destin funeste promis à ses deux fils. Celle qui aurait permis de mettre en
mouvement ce qui semblait figé et mortifère, en sortant de sa bouche des
paroles qui réparent et projettent Jacob et Esau vers un meilleur avenir. Cette
houtspa dont le modèle reste Abraham, est la foi en la
possibilité de changer le cours des choses et qu’à travers chaque Juif, chacun
d’entre nous, il y a le potentiel de devenir une source de bénédictions non seulement
pour nos familles et notre peuple, mais aussi pour toutes les familles de la
terre.[7]
Ken Yhie Ratzon,
Shabbat shalom !
[1] Genèse
Rabbah 98 :7
[2] Talmud
Sotah 49b
[3] Rashi
sur Genèse 27 :36 « Pourquoi Isaac a-t-il tremblé ? Il pensait : Peut-être que
j’ai transgressé en bénissant le plus jeune avant l’aîné, changeant ainsi
l’ordre des relations entre eux. Mais quand Ésaü se mit à crier, « car il
m’a supplanté deux fois », son père lui demande : « Que t’a-t-il fait ?
Il répondit : « Il m’a pris mon droit d’ainesse ». Isaac dit alors :
« C’est à cause de cela que j’ai été affligé et que je me suis mis à
trembler : croyant que j’avais enfreint la loi. Mais maintenant, je sais que
j’ai vraiment béni le premier-né – « Et il sera vraiment béni »
[4] Genèse
27 :29
[5] Genèse
27 :40
[6] Martin
Buber, Gog et Magog, p.74
[7] Genèse
12 :2-3
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de Daniela Touati
On 20 novembre 2020
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Une des qualités qu’on attribue couramment à nos coreligionnaires israéliens est leur houtspa. C’est cette houtspa qui aurait permis aux habitants de ce jeune pays de faire tomber les obstacles et de construire si vite un état comparable aux grandes démocraties occidentales. C’est aussi grâce à cette houtspa qu’Israël s’est élevé au statut de start-up nation …
Que veut dire houtspa, quelle est son étymologie exacte ?
Construit sur la racine het tzadi pé – hatzaf, au sens positif du terme, cela veut dire faire preuve d’audace, de courage et d’intrépidité, dans son acception plus négative, un houtspan, ou une houtspanit est une personne insolente et arrogante.
Ce terme n’apparait pas dans la Torah, en tout cas pas dans le hoummash. Mais on peut dire que le premier houtspan de la Torah est sans doute Abraham, lorsqu’il négocie d’égal à égal avec L’Eternel pour sauver ne serait-ce que 10 justes alors queles villes de Sodome et Gomorrhe sont menacées d’anéantissement.
Les rabbins, eux, ont une approche assez ambivalente de cette notion. Rabbi Eliezer dans le talmud évoque la houtspa dans son sens négatif, comme un signe annonciateur de la fin des temps et la venue du Messie, voici la citation dans son contexte :
(Rabbi Eliezer le grand) a également dit : Lorsqu’on approchera du temps de la venue du Messie, la parole impudente croitra houtspa yisga, comme le coût [des produits]…. Et la monarchie se tournera vers l’hérésie, et personne ne se lèvera pour lui faire des remontrances. Le lieu de rencontre des Sages deviendra un lieu de promiscuité, la Galilée sera détruite, le Gavlan sera dévasté, et les hommes de la frontière iront de ville en ville pour chercher la charité, mais personne n’aura de compassion pour eux.[2]
Ainsi la houtspa est ici interprétée comme ce qui sort-houtz de la bouche-pé, houtz pé de manière irréfléchie et sur son passage sème le malheur…
Ce qui sort de la bouche d’Isaac sur son lit de mort est au contraire une bénédiction. Destinée au départ à son fils préféré l’ainé Esau, elle atterrit finalement sur la tête de Jacob. Rebecca la mère qui a fomenté ce subterfuge prête son concours à l’accomplissement de la prophétie divine – ‘L’ainé servira le cadet’- en déguisant son fils avec des peaux de bête, en lui préparant un plat que son père apprécie particulièrement. Elle manipule son fils Jacob, jusqu’à ce que ce dernier transforme même sa voix pour tromper son père.
Mais voyons aussi cette histoire du point de vue d’Isaac, ce père presqu’aveugle qui ne distingue plus celui qui prend soin de lui et qui aura droit à sa bénédiction. Isaac étant devenu le fils unique d’Abraham après le départ forcé d’Ismaël, pense ne disposer que d’une seule et unique bénédiction, et que celle-ci n’est destinée qu’à l’ainé. Lorsqu’il se rend compte de son erreur, celle d’avoir béni Jacob déguisé en Esau, il est saisi de tremblements nous dit la Torah ! Ces tremblements font écho à ceux de Jacob qui craignait au départ d’être maudit en trompant ainsi son père. Ce n’est que lorsque sa mère dit qu’elle prendra sur elle cette potentielle malédiction qu’il accepte d’être complice de cette tromperie. Et Rashi explique que Isaac est terrorisé à l’idée d’avoir inversé l’ordre des choses, la loi entre ainé et puiné. Mais lorsqu’Esau lui confirme que Jacob lui avait déjà acheté le droit d’ainesse contre un plat de lentilles, Isaac est apaisé et confirme sa bénédiction à Jacob.[3] Et il trouve ensuite également des mots pour bénir Esau sans défaire sa première bénédiction.
Il bénit Jacob avec ces mots : « que tes peuples t’obéissent, que des nations tombent à tes pieds, sois le chef de tes frères, Et que les fils de ta mère se prosternent devant toi, malédiction à qui te maudira et qui te bénira soit béni. »[4] Et il bénit Esau en disant : « mais tu seras tributaire de ton frère, pourtant après avoir plié sous le joug, ton cou s’en affranchira ».[5]
Ainsi, la mirma – la ruse et le mensonge se transforment en paroles de brakha de bénédiction. Mais est-ce bien une bénédiction de léguer à ses fils un héritage de confrontation, de mise en concurrence et de jalousie ?
Malheureusement c’est ainsi qu’est trop souvent comprise la houtzpa, comme une mise en concurrence d’une personne envers son prochain, qui résulte en un vainqueur et un vaincu, ce qui bien entendu perpétue le cycle de violence. Isaac n’arrive pas à sortir de la destinée qui a été la sienne, même en ce moment ultime, où il transmet à la génération suivante les mêmes rivalités dont il a été lui-même victime.
Martin Buber raconte dans un livre d’histoires hassidiques, un conte à propos de la lettre yod, ce petit point insignifiant. Ces deux lettres placées côte à côte forment le nom de Dieu, mais au-delà, ces deux lettres au même niveau sont là pour rappeler que ‘lorsque deux Juifs sont ensemble, cela signifie le nom divin. Mais quand un Juif est au-dessus de l’autre, ce n’est pas le nom divin.’ [6]
Isaac n’a pas eu la houtspa nécessaire pour renverser le destin funeste promis à ses deux fils. Celle qui aurait permis de mettre en mouvement ce qui semblait figé et mortifère, en sortant de sa bouche des paroles qui réparent et projettent Jacob et Esau vers un meilleur avenir. Cette houtspa dont le modèle reste Abraham, est la foi en la possibilité de changer le cours des choses et qu’à travers chaque Juif, chacun d’entre nous, il y a le potentiel de devenir une source de bénédictions non seulement pour nos familles et notre peuple, mais aussi pour toutes les familles de la terre.[7]
Ken Yhie Ratzon,
Shabbat shalom !
[1] Genèse Rabbah 98 :7
[2] Talmud Sotah 49b
[3] Rashi sur Genèse 27 :36 « Pourquoi Isaac a-t-il tremblé ? Il pensait : Peut-être que j’ai transgressé en bénissant le plus jeune avant l’aîné, changeant ainsi l’ordre des relations entre eux. Mais quand Ésaü se mit à crier, « car il m’a supplanté deux fois », son père lui demande : « Que t’a-t-il fait ? Il répondit : « Il m’a pris mon droit d’ainesse ». Isaac dit alors : « C’est à cause de cela que j’ai été affligé et que je me suis mis à trembler : croyant que j’avais enfreint la loi. Mais maintenant, je sais que j’ai vraiment béni le premier-né – « Et il sera vraiment béni »
[4] Genèse 27 :29
[5] Genèse 27 :40
[6] Martin Buber, Gog et Magog, p.74
[7] Genèse 12 :2-3
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