Qui va là ? Ami ou ennemi ? C’est par ces mots qu’on accueillait traditionnellement l’étranger de passage.

J’ai pensé à cette devise en entendant parler de la prise d’otages à Colleyville au Texas à shabbat dernier. J’ai pensé au rabbin Cytron Walker qui a tendu la main à celui qui a frappé à sa porte à l’improviste un samedi matin, juste avant l’office, sans poser de questions. Il l’a accueilli par une tasse de thé et l’a écouté raconter son histoire. Car accueillir l’autre, surtout lorsqu’il semble être en détresse, c’est ce qu’on est censé faire en tant que rabbin.

Certes, il semblait un peu confus cet anglais d’origine afghane, il est resté et s’est joint à l’office, avant de sortir une arme et prendre en otage les 3 fidèles qui étaient dans le sanctuaire de Beit Israël. Les autres membres avaient préféré suivre l’office en ligne en cette période de forte contagiosité…Comme un miracle cet épisode a eu une fin heureuse les otages ont été libérés grâce au rabbin lui-même, 11 heures après … Le calme et le sang-froid du rabbin Cytron Walker a été admiré par le FBI et il est apparu comme un héros dans les medias . Son intervention a sauvé 3 personnes. Certes, il avait bénéficié d’une formation à la sécurité, mais qui d’entre nous sait comment il aurait réagi dans de telles circonstances, hass veshalom ?  Faire face à des terroristes en plein office, c’est le pire cauchemar de n’importe quel rabbin … et toutes les formations, tous les vigiles et autres vitres blindées s’avèrent dérisoires, le jour où cela se produit.

Ennemi ou ami ? le récit de la traversée de la mer rouge se termine dans la paracha précédente par le surgissement d’on ne sait où de l’ennemi ‘Amalek’, qu’il nous est commandé de combattre sans merci. L’Eternel s’est engagé à effacer son nom de la surface, et a demandé à Moïse d’inscrire cet épisode dans les annales, pour ne rien oublier de génération en génération.

La paracha de cette semaine commence par nous parler d’Yitro, un ami, étranger au peuple hébreu et beau-père de Moise. Yitro donne même son nom à la paracha, qui met dos à dos l’ennemi et l’ami. D’un côté, celui qu’il faut éliminer, de l’autre celui sur lequel on peut compter, faire alliance voire incorporer …

Qu’est-ce qu’un ennemi ? Selon un article de la revue de défense nationale, jusqu’à la fin de la guerre froide, il était facile de définir qui est l’ennemi. Le monde était divisé en deux camps : les pays où les hommes étaient libres et ceux où ils vivaient enfermés derrière le rideau de fer. Cependant, depuis la fin du 20è siècle, dans un monde multipolaire, il est de plus en plus malaisé de définir l’identité d’une nation et par conséquent ses ennemis, tout cela semble à géométrie variable selon le contexte et les dirigeants en place. Pour Régis Debray il y a « deux catégories d’êtres humains qui menacent le monde aujourd’hui : ceux qui ont trop de religion d’un côté et ceux qui n’en ont pas assez de l’autre. En d’autres termes ceux qui souffrent de n’avoir pas assez d’ego, les fanatiques, et ceux qui souffrent d’en avoir un peu trop, les sceptiques, nous. Manque le juste milieu. Au secours de la République et sa laïcité. »[1],

Cette définition moderne n’est pas bien différente de celle qu’on trouve dans la Torah, où l’archétype de l’ennemi – Amalek – est considéré comme tel, parce qu’il attaque par derrière, au moment où le peuple est en position de faiblesse et sans raison. Lâche, irrationnel cet ennemi-là déborde de haine gratuite. Pour cette raison, il nous est commandé de garder cet épisode en mémoire cela, de le mettre par écrit.…Les modes d’action des attaques terroristes ressemblent à s’y méprendre à celles d’Amalek: attaquer des personnes en prière un shabbat matin est le comble de la lâcheté et de l’ignominie, et sa motivation est la haine gratuite .

La Torah ne nous laisse pas dans cette vision désespérée de l’être humain. Au contraire, le verset qui suit immédiatement la victoire sur Amalek, introduit le personnage d’Yitro. Au chapitre 18 de l’Exode on peut lire : Vaïchma Yitro, khohen Midian, hoten Moshé et kol asher assa Elohim leMoshé, oul’Israël amo, ki hotzi Adonaï et Israel miMitzraïm. « Mais Yitro, le prêtre de Madian, beau-père de Moïse entendit tout ce que l’Eternel avait fait à Moise et son peuple Israël, lorsque l’Eternel libéra Israël d’Egypte. »

Les rabbins se sont demandés ce qu’Yitro avait entendu exactement pour aller rejoindre Moïse? Etaient ce les miracles perpétués par l’Eternel  qui l’avaient mis en marche? Ou bien plutôt l’histoire d’Amalek  ? Dans un midrash les rabbins se posent la question et ne sont pas d’accord : Qu’a-t-il entendu qui l’a poussé à venir (et à se joindre à Israël) ? La guerre avec Amalek, qui est juxtaposée à cette section. Ce sont les mots de R. Yehoshua. Il a entendu parler du don (futur) de la Torah et il est venu.[2]

Peut être que la motivation d’Yitro à rejoindre Moïse est de montrer son admiration envers ce petit peuple opprimé qui a réussi avec l’aide de Dieu à se sortir de tant de mauvais pas, et les rabbins ont même imaginé que son admiration est telle qu’Yitro s’est converti. La deuxième hypothèse n’est pas moins intéressante : il veut être présent lors du don de la Torah, car lui-même est un leader religieux et politique et un homme de loi. Et il conseille Moïse sur l’organisation à mettre en place pour alléger sa charge et faire en sorte que la loi soit rendue de manière plus efficiente appelée la Torah d’Yitro, elle sera amalgamée à celle de l’Eternel, rien de moins.

Yitro est l’opposé d’Amalek, c’est l’archétype du philosémite, d’un allié sincère et véritable sur le plan stratégique et géopolitique pour le peuple hébreu. Yitro est un ami – un haver en hébreu avec lequel il est possible d’envisager un hibour, une association.

Puisse chacun d’entre nous avoir la sagesse de distinguer entre amis et ennemi. Puisse ton chemin de vie Alexandre être parsemé d’amis sincères, puisses-tu les écouter avec confiance et respect !

Ken yhié ratzon !

Shabbat shalom et mazal tov à Alexandre !


[1] Régis Debray, colleque ‘Qui est l’ennemi’ organisé par le CSFRS, décembre 2015, cité dans l’article d’Amaury de Pillot de Coligny https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-1-page-65.htm

[2] Mekhilta d’Rabbi Yishmael Exode 18 :1 :1