L’année civile commence par un nouveau livre, celui de l’Exode qui s’appelle en hébreu Chemot, les deux termes n’ont rien à voir, puisque Chemot veut dire Les Noms. Comme le veut la tradition biblique, le premier mot d’un livre et d’une paracha donne le nom au livre ou à la paracha de la semaine.

Et de noms il est question tout au long de cette paracha. Elle commence par une énumération des noms des douze tribus descendues en Egypte. Les douze tribus qui ont gardé leurs noms et leurs traditions pendant les 200 ans qui séparent Joseph et son Pharaon, de Moïse et son Pharaon. Un nouveau Pharaon règne en Egypte qui a oublié les bienfaits apportés par Joseph et qui n’est pas tendre avec le peuple hébreu. Au contraire c’est un tyran, et un parangon parmi les tyrans, un tyran qui se prend pour Dieu et qui s’oppose à Lui !

Face à ce Pharaon, l’histoire se met en marche et nous présente celui qui pourrait s’apparenter à un hébreu moyen, né d’un couple moyen de la tribu de Lévi. Un hébreu moyen qui deviendra le héros des 5 livres dits de Moïse ! Et dans ces premiers chapitres du livre de Chemot, on fait sa connaissance, on suit son histoire et on entend ses premiers mots.

Le début est plus que difficile, puisqu’il est promis à une mort certaine, soumis au décret royal de génocide, comme tous ses frères. Mais une main providentielle, non seulement le sauve, mais le place directement dans « la gueule du loup » si on peut dire : la Cour de Pharaon ! Son nom Moshé, intraduisible bien que la Torah en donne une explication, lui est donné par la fille de Pharaon. Il sera élevé dans ce monde étranger mais ses origines hébreux restent profondément ancrées dans son inconscient. Cette double appartenance lui donnera des compétences particulières, celles d’être un pont entre deux civilisations, entre ses frères hébreux et les Égyptiens. Il sera celui qui parle les deux langues et non un double langage et ce bien qu’étant peu habile avec les mots…tant de paradoxes en un seul personnage !

Appelé de l’intérieur d’un buisson, il répond Hineni me voici, comme son ancêtre Abraham et pourtant il est à des années lumières de cet ancêtre. André Neher nous dit qu’il est le premier qui éprouve « la souffrance de la vocation prophétique »[1]. Cette souffrance transparait dans sa négociation avec Dieu, ses premiers mots expriment ce rejet de sa mission et son argument est qu’il a langue lourde, la parole lente (peut être aussi l’esprit ?). Rashi commentant ce verset en déduit qu’il bégaye, mais peut-être qu’il n’a pas cette vivacité d’esprit nécessaire à un bon meneur d’hommes, qu’il manque d’à-propos et de répondant ?

Rashi nous dit encore qu’il a fallu une semaine entière à Dieu pour convaincre Moïse d’accepter sa mission…qu’il se serait assis à ses côtés et aurait argumenté longuement, jusqu’à perdre patience et s’énerver en disant : Et יהוה lui dit : « Qui donne la parole aux hommes ? Qui les rend muets ou sourds, voyants ou aveugles ? N’est-ce pas moi, יהוה ?

Paradoxalement, Moïse est un homme de mots lorsqu’il négocie avec YHWH, là il ne bégaye pas, bien au contraire…Toute cette argumentation démontre ses doutes, c’est un prophète du doute, contrairement à Abraham et c’est un prophète qui se révolte.

Alors YHWH lui concède un adjoint en la personne de son frère Aharon, qui parlera pour lui, ainsi deux intermédiaires seront nécessaires pour s’adresser au peuple d’un côté, et à Pharaon de l’autre.

Mem shin hé- Moshé et Hashemhey shin mem son palindrome se parlent face à face pendant 40 ans. Celui ou Celle qui n’a pas de nom, l’imprononçable, l’indescriptible, l’inatteignable aura ce dialogue ininterrompu avec son prophète favori Moïse. Lorsque Moïse voudra connaitre son nom, ce nom lui échappera, et la réponse de l’Eternel prendra la forme d’une pirouette : ‘Ehyé Asher Ehyé’[2] ‘Je suis ce que je suis’, ou encore ‘je serai ce que je serai’.

D’après les commentateurs, Ehyé Asher Ehyé est une exégèse, une explication du tétragramme, Yod Hey Vav Hey qui peut se traduire par‘Celui qui met en existence, qui cause la vie’.

Dérivé d’une racine qui est une variante de celle du verbe être, hey vav hey, YHWH est en devenir, selon Erich Fromm[3] en cela il est comme l’être humain, mais reste totalement insaisissable par notre finitude d’être humain. Et par conséquent la seule manière d’appréhender Dieu est d’être attentif à ce qu’Il produit dans nos vies, et, si nous avons de la chance, de ressentir sa présence à nos côtés, à la manière de la promesse faite à Moise : ehyé yimakh, je serai avec toi…

Ce nom il est interdit de le prononcer et à la place nous disons Adonaï. Mais lorsqu’on le découpe en Yod-inspiration, Hey – expiration, Vav – inspiration et de nouveau Hey – expiration, nous entendons et ressentons la vie soufflée quotidiennement par l’Eternel dans nos narines.

Ce souffle a conduit Nathan à vivre ce moment, au moment opportun, le moment où il a pu dire ‘hineni’ me voici et se présenter devant nous tous !

Alors un grand mazal tov, cher Nathan, et chabbat shalom à tous,

Bonne et heureuse année, une année que je vous souhaite à tous pleine de souffle, pour vivre pleinement les nouvelles aventures qui vous attendent avec tous ceux et celles que vous aimez !


[1] Prophètes et prophéties, André Neher, p.199, ed. Payot rivages.

[2] Genèse 3:14

[3] « You shall be as Gods » Erich Fromm, 1966