Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."
Vous avez surement tous entendu parler de cet épisode, un fait divers peu banal, concernant la pierre de quelques 100 kilos tombée au petit matin, le lendemain du 9 Av du Mur des Lamentations. Ce vieux mur de 2000 ans montrait donc des failles et où cela ? Juste au-dessus de l’esplanade de prière mixte utilisé par les libéraux et massortis du côté de l’arche de Robinson.
Certains, en l’occurrence l’adjoint au maire de Jérusalem Dov Kalmanovitch y ont vu un signe du courroux divin face à ces faux juifs, mécréants, c’est-à-dire nous ! Encore une fois…
D’autres ont répondu très justement, que si Dieu souhaitait nous faire signe et montrer sa désapprobation, il aurait pu choisir une heure plus tardive où justement, une de mes amies rabbins Valérie Stessin allait célébrer la bar mitsva d’un jeune de sa synagogue de Jérusalem. Arrivée très tôt sur les lieux, quelle ne fût pas sa surprise, et sa terreur. Elle a du trouver un autre emplacement pour la cérémonie…c’est d’ailleurs grâce à elle, que j’ai appris la nouvelle !
Le philosophe d’origine franco-marocaine, Ami Bouganim composa dans les jours qui suivirent un midrash à propos de cette chute.
Il imagina une convention de Sages, une sorte de Sanhédrin qui délibèrent sur ce qu’il convient de faire dans ce cas : faut-il mettre la pierre sous cloche et l’exposer au public ? Faut-il proférer des malédictions contre les libéraux ? Finalement les Sages se mettent à prier et disent même le kaddish sur cette pierre…Pierre qui selon le philosophe, incarne pour eux le verset : « car du mur la pierre crie et de la charpente le chevron répond »[1] ! Ce midrash qui mélange si bien réalité et absurde est plein d’humour, si vous souhaitez le lire en entier, voici le lien:
Quant à moi je me mis à imaginer un conseil des Pierres du Mur, des pierres qui parlent. Elles parlent et se plaignent, de qui ? De nous tous, qui nous affrontons autour de ce Mur… pour qui ? Pour quoi ? Pour des pierres plurimillénaires et plus fragiles qu’on ne le croit, qui risquent de nous tomber sur la figure. Ce mur qui devient objet de convoitise et de luttes fratricides, nous l’avons folklorisé à force de le sacraliser…bref nous l’avons bien abîmé et avons dénaturé sa fonction. Comment peut-il encore accueillir nos plaintes et nos prières ? Ce Mur pour lequel nous nous sommes tant languis et battus, ce Mur des Lamentations !
Pourquoi cette histoire de vieilles pierres ? Parce qu’elle illustre parfaitement le thème de notre paracha KI TAVO, où Moïse juste avant la traversée du Jourdain continue à sermonner son peuple. Il met le peuple en garde en déclinant une longue liste de bénédictions et malédictions qui pourraient s’abattre sur le peuple d’Israël s’il suit ou non les commandements. C’est cette théologie un peu naïve dite de la rétribution, qui a inspiré l’adjoint au maire de Jérusalem: la chute d’une pierre est le signe d’une punition divine !
Les pierres dans notre paracha ont une fonction spécifique, ou plutôt deux. D’une part il y a les pierres où sera gravée la Loi dans Deut 27 .
(2) Et quand vous serez arrivés au delà du Jourdain, dans le pays que l’Éternel ton Dieu t’accorde, tu érigeras pour toi de grandes pierres, que tu enduiras de chaux; et tu y écriras toutes les paroles de cette Torah après ta traversée, pour mériter d’entrer dans le pays que l’Éternel ton Dieu te destine, pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes ancêtres.
Ainsi la Torah devra être gravée sur de la pierre enduite de chaux et érigée sur le mont Ebal pour être visible par tous. Imaginez la scène décrite dans notre paracha : d’un coté, 6 tribus proclament les bénédictions sur le Mont Gerizim et de l’autre, 6 leur font face en déclamant les malédictions sur le Mont Ebal.
Cette pierre enduite de chaux, véritable monument commémoratif sur lequel sont inscrits les commandements, s’appelle aussi une matzeva, écoutez comme cela sonne à l’oreille presque comme mitzva.
Cette pierre du souvenir ne devra surtout pas devenir une statue et nous faire trébucher vers l’idolâtrie, car voilà qu’on nous parle, au chapitre suivant, d’une deuxième sorte de pierres, celles de la malédiction !
(64) Et l’Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d’une extrémité de la terre à l’autre; et là tu serviras des dieux étrangers, jadis inconnus à toi comme à tes pères, faits de bois et de pierre.
Ce sentier que nous devons emprunter chaque jour, où l’on nous commande d’ériger un monument de pierre mais pas une statue, est un sentier très étroit.
La pierre devient ainsi une belle métaphore de notre libre arbitre, du choix qui nous est donné et de ce qu’elle va représenter pour nous : avec elle, nous avons la possibilité de construire ou détruire ce que Dieu nous a confié.
Et me vient une image de ces pierres si banales et considérées sans valeur, voire comme une calamité, celles du désert qui elles aussi peuvent être totalement transfigurées, et se transformer à force d’effort, en terres cultivables, en champs de fleurs. Ce fût le cas dans le Neguev. Ce n’était pas de la magie, mais la vision d’un homme : Ben Gourion et le travail acharné de beaucoup d’autres qui croyaient en son rêve…faire fleurir Israël dans le désert.
Il me semble que la chute de la pierre du Mur est arrivée à point nommé ce lendemain du 9 Av, cette pierre rebelle, qui Dieu soit loué n’a pas fait de victimes, est venue nous crier sa vérité. Nous avons encore et toujours à lutter contre la tentation d’enfermer Dieu dans la pierre et de rigidifier le judaïsme.
La Torah est un fluide, comparée tantôt à de l’eau tantôt à du lait ou encore du miel, qui nous nourrit où que l’on soit et quel que soit notre forme de pratique. Et notre terre promise est celle où nous laissons couler en nous ce lait et ce miel…
Ki Tavo 31 août 2018
de Daniela Touati
On 31 août 2018
dans Commentaires de la semaine
Vous avez surement tous entendu parler de cet épisode, un fait divers peu banal, concernant la pierre de quelques 100 kilos tombée au petit matin, le lendemain du 9 Av du Mur des Lamentations. Ce vieux mur de 2000 ans montrait donc des failles et où cela ? Juste au-dessus de l’esplanade de prière mixte utilisé par les libéraux et massortis du côté de l’arche de Robinson.
Certains, en l’occurrence l’adjoint au maire de Jérusalem Dov Kalmanovitch y ont vu un signe du courroux divin face à ces faux juifs, mécréants, c’est-à-dire nous ! Encore une fois…
D’autres ont répondu très justement, que si Dieu souhaitait nous faire signe et montrer sa désapprobation, il aurait pu choisir une heure plus tardive où justement, une de mes amies rabbins Valérie Stessin allait célébrer la bar mitsva d’un jeune de sa synagogue de Jérusalem. Arrivée très tôt sur les lieux, quelle ne fût pas sa surprise, et sa terreur. Elle a du trouver un autre emplacement pour la cérémonie…c’est d’ailleurs grâce à elle, que j’ai appris la nouvelle !
Le philosophe d’origine franco-marocaine, Ami Bouganim composa dans les jours qui suivirent un midrash à propos de cette chute.
Il imagina une convention de Sages, une sorte de Sanhédrin qui délibèrent sur ce qu’il convient de faire dans ce cas : faut-il mettre la pierre sous cloche et l’exposer au public ? Faut-il proférer des malédictions contre les libéraux ? Finalement les Sages se mettent à prier et disent même le kaddish sur cette pierre…Pierre qui selon le philosophe, incarne pour eux le verset : « car du mur la pierre crie et de la charpente le chevron répond »[1] ! Ce midrash qui mélange si bien réalité et absurde est plein d’humour, si vous souhaitez le lire en entier, voici le lien:
http://www.euromed.institute/post/chronique-de-jerusalem-la-larme-que-versa-le-mur-pour-protester-contre-les-prieres-melees
Quant à moi je me mis à imaginer un conseil des Pierres du Mur, des pierres qui parlent. Elles parlent et se plaignent, de qui ? De nous tous, qui nous affrontons autour de ce Mur… pour qui ? Pour quoi ? Pour des pierres plurimillénaires et plus fragiles qu’on ne le croit, qui risquent de nous tomber sur la figure. Ce mur qui devient objet de convoitise et de luttes fratricides, nous l’avons folklorisé à force de le sacraliser…bref nous l’avons bien abîmé et avons dénaturé sa fonction. Comment peut-il encore accueillir nos plaintes et nos prières ? Ce Mur pour lequel nous nous sommes tant languis et battus, ce Mur des Lamentations !
Pourquoi cette histoire de vieilles pierres ? Parce qu’elle illustre parfaitement le thème de notre paracha KI TAVO, où Moïse juste avant la traversée du Jourdain continue à sermonner son peuple. Il met le peuple en garde en déclinant une longue liste de bénédictions et malédictions qui pourraient s’abattre sur le peuple d’Israël s’il suit ou non les commandements. C’est cette théologie un peu naïve dite de la rétribution, qui a inspiré l’adjoint au maire de Jérusalem: la chute d’une pierre est le signe d’une punition divine !
Les pierres dans notre paracha ont une fonction spécifique, ou plutôt deux. D’une part il y a les pierres où sera gravée la Loi dans Deut 27 .
Deutéronome 27:2-3
(2) Et quand vous serez arrivés au delà du Jourdain, dans le pays que l’Éternel ton Dieu t’accorde, tu érigeras pour toi de grandes pierres, que tu enduiras de chaux; et tu y écriras toutes les paroles de cette Torah après ta traversée, pour mériter d’entrer dans le pays que l’Éternel ton Dieu te destine, pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes ancêtres.
דברים כ״ז:ב׳-ג׳
(ב) וְהָיָ֗ה בַּיּוֹם֮ אֲשֶׁ֣ר תַּעַבְר֣וּ אֶת־הַיַּרְדֵּן֒ אֶל־הָאָ֕רֶץ אֲשֶׁר־יְהוָ֥ה אֱלֹהֶ֖יךָ נֹתֵ֣ן לָ֑ךְ וַהֲקֵמֹתָ֤ לְךָ֙ אֲבָנִ֣ים גְּדֹל֔וֹת וְשַׂדְתָּ֥ אֹתָ֖ם בַּשִּֽׂיד׃ (ג) וְכָתַבְתָּ֣ עֲלֵיהֶ֗ן אֶֽת־כָּל־דִּבְרֵ֛י הַתּוֹרָ֥ה הַזֹּ֖את בְּעָבְרֶ֑ךָ לְמַ֡עַן אֲשֶׁר֩ תָּבֹ֨א אֶל־הָאָ֜רֶץ אֲֽשֶׁר־יְהוָ֥ה אֱלֹהֶ֣יךָ ׀ נֹתֵ֣ן לְךָ֗ אֶ֣רֶץ זָבַ֤ת חָלָב֙ וּדְבַ֔שׁ כַּאֲשֶׁ֥ר דִּבֶּ֛ר יְהוָ֥ה אֱלֹהֵֽי־אֲבֹתֶ֖יךָ לָֽךְ׃
Ainsi la Torah devra être gravée sur de la pierre enduite de chaux et érigée sur le mont Ebal pour être visible par tous. Imaginez la scène décrite dans notre paracha : d’un coté, 6 tribus proclament les bénédictions sur le Mont Gerizim et de l’autre, 6 leur font face en déclamant les malédictions sur le Mont Ebal.
Cette pierre enduite de chaux, véritable monument commémoratif sur lequel sont inscrits les commandements, s’appelle aussi une matzeva, écoutez comme cela sonne à l’oreille presque comme mitzva.
Cette pierre du souvenir ne devra surtout pas devenir une statue et nous faire trébucher vers l’idolâtrie, car voilà qu’on nous parle, au chapitre suivant, d’une deuxième sorte de pierres, celles de la malédiction !
Deutéronome 28:64
(64) Et l’Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d’une extrémité de la terre à l’autre; et là tu serviras des dieux étrangers, jadis inconnus à toi comme à tes pères, faits de bois et de pierre.
דברים כ״ח:ס״ד
(סד) וֶהֱפִֽיצְךָ֤ יְהוָה֙ בְּכָל־הָ֣עַמִּ֔ים מִקְצֵ֥ה הָאָ֖רֶץ וְעַד־קְצֵ֣ה הָאָ֑רֶץ וְעָבַ֨דְתָּ שָּׁ֜ם אֱלֹהִ֣ים אֲחֵרִ֗ים אֲשֶׁ֧ר לֹא־יָדַ֛עְתָּ אַתָּ֥ה וַאֲבֹתֶ֖יךָ עֵ֥ץ וָאָֽבֶן׃
Ce sentier que nous devons emprunter chaque jour, où l’on nous commande d’ériger un monument de pierre mais pas une statue, est un sentier très étroit.
La pierre devient ainsi une belle métaphore de notre libre arbitre, du choix qui nous est donné et de ce qu’elle va représenter pour nous : avec elle, nous avons la possibilité de construire ou détruire ce que Dieu nous a confié.
Et me vient une image de ces pierres si banales et considérées sans valeur, voire comme une calamité, celles du désert qui elles aussi peuvent être totalement transfigurées, et se transformer à force d’effort, en terres cultivables, en champs de fleurs. Ce fût le cas dans le Neguev. Ce n’était pas de la magie, mais la vision d’un homme : Ben Gourion et le travail acharné de beaucoup d’autres qui croyaient en son rêve…faire fleurir Israël dans le désert.
Il me semble que la chute de la pierre du Mur est arrivée à point nommé ce lendemain du 9 Av, cette pierre rebelle, qui Dieu soit loué n’a pas fait de victimes, est venue nous crier sa vérité. Nous avons encore et toujours à lutter contre la tentation d’enfermer Dieu dans la pierre et de rigidifier le judaïsme.
La Torah est un fluide, comparée tantôt à de l’eau tantôt à du lait ou encore du miel, qui nous nourrit où que l’on soit et quel que soit notre forme de pratique. Et notre terre promise est celle où nous laissons couler en nous ce lait et ce miel…
Shabbat shalom
[1] Habakuk 2 :1
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