La terre en cadeau

Savez-vous ce qu’est l’ « overview effect » ? C’est un concept qui a vu le jour il y a 30 ans attribué à Franck White qui a écrit un livre à ce sujet.

Cet effet a été ressenti par les premiers astronautes et cosmonautes qui en regardant de la lune notre planète bleue ont ressenti une immense émotion face à sa beauté, sa fragilité et son calme. Cela a transformé leur rapport à la terre… L’expression a été traduite en français par « l’effet de surplomb »,

Il y a deux ans, après de nombreuses années de recherche, et une collaboration fructueuse avec la Nasa, une nouvelle technologie a été mise au point par un physicien franco-israélien – Michaël Boccara et un mathématicien français – Jean Pierre Goux, tous deux anciens collègues d’école d’ingénieurs et amoureux de la Terre. Cette technologie permet à partir d’images collectées par un satellite de la Nasa, de créer un film où on voit la terre tourner sur elle-même. L’application Blue turn qu’ils ont lancée il y a un an et demi, c’est « l’overview effect » à la disposition de tous !

Mais pourquoi ce projet leur tenait tant à cœur ? Ces 2 amis, écologistes militants pensent qu’en alliant émotion et raison, il est possible de créer une prise de conscience et inciter un plus grand nombre de terriens à s’engager en faveur de la préservation de notre planète.

Chaque année qui commence nous renvoie à un début. Roch Hachana est intimement lié à la Création du monde, c’est sa date anniversaire selon la Mishna[1]. Il est évident que tout cela n’est que symbole. N’est-ce pas une chance de célébrer cet anniversaire de la terre, et de la voir à nouveau, comme un cadeau qui nous a été offert ?

Un des grands penseurs du judaïsme contemporain le rabbin Abraham Joshua Heschel nous invite à ressentir quotidiennement un profond émerveillement face au monde qui nous entoure – ce qu’il nomme le radical amazement  je le cite:

“Notre but devrait être de vivre dans un état permanent d’émerveillement ….se lever le matin et regarder le monde en considérant que rien n’est acquis. Tout ce qui nous entoure est extraordinaire, incroyable ; ne considère rien avec indifférence. Etre une personne spirituelle c’est être émerveillé.”

Cependant la Torah contient deux récits de la Création et de plus, deux récits qui a priori sont contradictoires. Dans le premier (Genèse 1) qui se termine par la création de l’être humain à l’image de Dieu, les verbes utilisés sont: v’irdou – dominez (les animaux) et plus loin vekivshouah occupez (la terre). Cela dénote une vision où l’homme domine le monde et l’utilise à son profit.

Mais dans le deuxième récit de la Création en Genèse 2 , Dieu crée l’homme et la femme et les place dans le jardin d’Eden, l’être humain doit travailler la terreovda et en prendre soinshomra.… ils ont comme consigne de le préserver, signe d’une alliance universelle entre l’homme et Dieu. Le Talmud commente cette incohérence, un rabbin expliquant que l’homme représente le summum de la création, le second rabbin le contredisant et expliquant qu’il a été créé en dernier afin d’empêcher l’être humain d’être arrogant et de se croire tout puissant.  Il ne doit pas oublier que les moucherons l’ont précédés dans l’ordre de la création.

Les deux récits successifs sont en dialogue, selon certaines interprétations, le premier récit est là pour affirmer l’omnipotence divine et non humaine, et le second, pour énoncer les devoirs de l’homme envers son environnement. Ainsi on lit dans Kohelet Rabbah (Midrash sur le livre de l’Ecclésiaste) 7 :13 :

« Regarde l’oeuvre de l’Eternel – car qui peut redresser ce qu’il a créé courbé (Ecc 7 :13)? Quand l’Eternel a créé le premier homme, il lui a fait contempler les arbres du jardin d’Eden et lui a dit :’Regarde mes œuvres, qu’elles sont belles et estimables ! Et tout ce que j’ai créé c’est pour toi que je l’ai créé ! Fais attention de ne pas abîmer ou détruire mon monde. Si tu l’abîmes, il n’y aura personne pour le réparer après toi.’ »

 

Le vocabulaire de la Torah exprime ce lien physique entre l’homme et la nature en le nommant Adam : le terrien ou le glébeux selon le rabbin Chouraqui, être indissocié de la terre : Adama . De ces temps bibliques où l’homme était en premier lieu un berger et un paysan, il subsiste de nombreuses traces dans nos textes, le plus familier étant le texte du deuxième paragraphe du Shema (Deut. 6) où le respect des mitsvot aurait des répercussions directes sur la pluie et l’abondance des récoltes. Même si cette théologie peut nous sembler peu en phase avec la pensée progressiste du judaïsme, en l’interprétant de manière plus symbolique, elle a son utilité afin de se rendre compte que nous ne sommes que des locataires de cette terre et que nos actes ont des conséquences et peuvent conduire à notre auto-destruction.

Le concept révolutionnaire du Shabbat, ce temps sanctifié nous met en garde contre la tendance de l’homme à surexploiter la nature. Au contraire, le shabbat est un temps d’arrêt ; les 39 travaux interdits sont précisément ceux qui transforment le monde naturel. L’année sabbatique, tous les 7 ans, répète cette injonction pendant 365 jours.

Ces dernières décennies, l’humanité a  accompli d’énormes progrès techniques, qui ont permis de lutter efficacement contre la famine, la pauvreté du moins dans les pays occidentaux. Mais suite au désastre humanitaire des deux guerres mondiales du nazisme et du communisme, c’est la lutte pour la dignité humaine qui a concentré nos efforts. La préservation de la nature est passée au second plan. Même le monde juif libéral francophone a mis à l’arrière plan cette préoccupation.

Et pourtant, des organisations juives qui luttent pour l’écologie existent aux Etats Unis depuis les années 1980.

Au début des années 2000 deux organisations importantes ont vu le jour : Aytzim  et Hazon . Toutes deux font du lobbying afin de développer la conscience écologique des juifs en Israël et aux Etats Unis. En 2014, Aytzim a développé une branche de son organisation internationale composée uniquement de rabbins et hazanim qui s’appelle Shomrei Bereshit pour donner une voix juive religieuse à la lutte pour la préservation de l’environnement : pour marquer le lancement de l’organisation, les rabbins ont été invités à sonner du choffar à Roch Hachana 5775, qui était de plus la dernière année d’un cycle de 7 ans, une année de Shmita. C’était une manière de sonner le glas de nos mauvaises habitudes qui mettent notre terre en danger.

Un des rabbins de Shomrei bereshit est notre voisin à Londres, de la synagogue Massorti NNLS. Rabbi Wittenberg a lancé le projet Eco Synagogue inspiré d’Eco Church, qui consiste en un label qui soutient les initiatives écologiques et met à disposition des outils pédagogiques. Pour le moment 5 synagogues orthodoxes et libérales ont adhéré au projet et ont nommé un éco-man dans leur synagogue.

Des projets simples, qui ne génèrent pas de coûts peuvent facilement être mis en place dans chacune de nos synagogues. Quand on sait par ex les dégâts causés par l’utilisation du plastique dans le monde et le problème de recyclage (79% du plastique n’est pas recyclé !), pourquoi ne pas prendre l’engagement de ne plus utiliser de vaisselle en plastique pour les kiddoushim et autres seoudot qui se déroulent à l’AJLT ? Il suffit de poser une première pierre et d’autres suivront.

Comme le disait rabbi Tarfon dans les Pirke Avot (2:16):

לֹא עָלֶיךָ הַמְּלָאכָה לִגְמֹר, וְלֹא אַתָּה בֶן חוֹרִין לִבָּטֵל מִמֶּנָּה

Ce n’est pas ta responsabilité d’achever l’ouvrage, mais tu n’es pas non plus libre de t’y soustraire.

Prenons au moins un premier engagement en cette nouvelle année, et faisons, nous aussi, un cadeau à la terre !

Ken Yhie Ratzon,

Chana tova Oumetouka à vous et tous ceux qui vous sont chers !

 

[1] m R.H. 1 :1