Dans un récent article du journal libanais Raseef 22[1] intitulé ‘Ces femmes arabes interdites d’intimité’, une femme égyptienne raconte sa vie de femme mariée. Lorsque pour la première fois en trois ans de mariage, son mari part seul en voyage, elle se pose la question de retourner dans la maison maternelle, comme il est de coutume pour une femme mariée de le faire, ou bien de rester seule dans sa propre maison…A 40 ans, elle fait le choix qui, dans cette culture apparait comme révolutionnaire, de rester seule chez elle ! s’est posée alors la question pour elle qui n’avait jamais connu cette liberté de disposer de temps et d’espace, de ce qu’elle allait en faire ? Rester blottie dans son canapé pendant une semaine ou sortir et faire mille et une choses qu’elle avait envie de faire seule ? Pour mieux en profiter, elle prend même une semaine de congés.
Depuis son enfance, elle n’avait pas pu disposer d’une chambre à elle. Petite, elle avait partagé sa chambre avec son grand frère, puis, quand elle devient pubère, et donc plus en âge de la partager, ses parents lui mettent généreusement à disposition le canapé du salon …elle n’aura jamais su ce qu’est une chambre avec une porte qu’elle peut fermer sur son intimité. Et ce qu’elle décrit est le sort de toutes les jeunes filles et femmes de son entourage en Egypte, et dans les pays arabes en général. Et cela non pas par manque de moyens, car elle vient d’une famille aisée, mais seulement parce que c’est ainsi que les jeunes filles sont élevées dans son monde. Elle ne s’en plaint pas d’ailleurs, car cela ne l’a pas empêchée de suivre des études et d’exerce un métier, mais d’espace à elle…elle n’en a eu point.
Cette histoire moyen-orientale rappelle celle biblique des 5 filles de Tzelophehad : Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirza, qui elles se sont battues pour obtenir leur propre espace, leur territoire auprès de Moise et de Dieu. Pour rappel, dans la paracha de la semaine dernière, ces 5 filles orphelines, demandent à être comptées dans le recensement précédant le tirage au sort pour répartir le territoire entre les 12 tribus. Car n’ayant pas de frère, elles trouvent injustes d’être privées de la succession de leur père. Dieu va dans leur sens et accepte leur requête, une nouvelle loi est édictée : même si la règle est qu’un père lègue son héritage à son fils, dans ce cas exceptionnel, où ce père n’aura eu que des filles, elles peuvent être ses héritières. La justice est ainsi rétablie et cet épisode sert depuis que le féminisme a imprégné l’étude biblique, à démontrer que la loi peut évoluer, que les femmes ont le droit à la parole et lorsqu’elles la prennent, cela fait la différence.
Cependant dans notre paracha, à la toute fin du livre des Nombres, on assiste en quelque sorte à un retour en arrière, ou plutôt à une limitation de ce droit, à la suite d’une contre-revendication des chefs de clans de la tribu de Manassé. Les 5 sœurs peuvent disposer d’un territoire seulement si elles restent mariées à des hommes de la tribu de leur père, c’est-à-dire celle de Manassé justement. Ainsi, en se mariant avec leurs cousins germains, le territoire revient en fin de compte aux successeurs mâles initiaux qui en auraient hérité si la loi n’avait pas évolué. Cela s’appelle une négociation…et comme le commentent Lisa Edwards et Jill Berkson Zimmermann dans ‘la Torah : un commentaire par des femmes’[2], cela reste une avancée, d’une part parce qu’elles ont pris en mains leur destin et qu’elles ne sont plus dans une position de dépendance et d’infériorité comme le sont habituellement les orphelin.e.s et les veuves de la Torah, d’autre part, parce que l’accession à l’égalité nécessite aussi des compromis, mais pas de compromission !
Pour aller encore plus loin, si elles s’étaient arcboutées sur leur revendications, cela aurait pu les mener à l’exclusion, à la rupture non seulement avec leur clan mais avec le peuple tout entier, et cela même si Moise et Dieu avaient parlé en leur faveur la première fois…et couper ainsi les liens peut être bien plus douloureux que d’accepter d’écorner un peu l’acquis initial.
Des rives du Nil, à celles du Jourdain, continuons le voyage jusqu’à une station dans le désert américain de l’Arizona, et retournons au 21ième siècle, là où se déroule le film oscarisé Nomadland, qui met à l’honneur une femme d’une extraordinaire humanité, une femme qui, après le décès de son mari et la perte de son emploi et de sa maison des suites de la fermeture de l’usine où ils travaillaient tous les deux, décide de prendre la route avec son camping-car.
Au début mon regard était empli de compassion pour cette femme seule qui errait comme une SDF, dans le froid, en occupant des emplois précaires, puis je me suis entichée, comme elle, d’un homme, d’un compagnon d’errance qui lui faisait pudiquement la cour. J’ai espéré alors que sa vie allait se stabiliser auprès de lui, sous un nouveau toit familial …mais curieusement elle refuse cette vie confortable et met un terme à ces liens familiaux pour retourner sur les routes de l’Arizona, à sa vie emplie d’incertitudes et coupée de toute attache affective durable. Car elle tient farouchement à son indépendance, un peu malgré elle et même si cela n’est pas le chemin le plus direct vers le bonheur !
Ces différentes femmes m’ont fait réfléchir aux choix et parfois aux non-choix qui s’offrent à nous, à cette rencontre non pas avec l’autre mais avec son soi le plus intime et au courage de s’affirmer parfois contre sa famille, son clan, sa culture. Vivre jusqu’au bout ses convictions, même si cela risque de mener à prendre des chemins de traverse…des décisions qui sont, encore aujourd’hui, plus ardues lorsqu’on est une femme. Voici pour finir quelques extraits d’un poème de Mary Odlum[3] en hommage aux 5 pionnières du féminisme dans la Torah :
Les filles qui sont recherchées sont les filles de cœur, les mères et les épouses, celles qui bercent dans des bras pleins d’amour, les vies les plus puissantes et les plus frêles,
Les filles intelligentes, spirituelles, brillantes, peu les comprennent,
Ah Mais pour les filles sages, aimant leur foyer, il y a une régulière et constante demande !
Ouvrons nos cœurs à ces filles et ces femmes différentes, à celles qui dérangent l’ordre établi et laissons-les libres de prendre leur place à leur façon…et comme on le dit à chaque clôture d’un livre de la Torah :
Hazak hazak venithazek qu’on pourrait librement traduire par ‘que la force soit avec nous !’,
Chabbat shalom !
[1] article traduit dans le courrier international daté du 1 juillet ‘Ces femmes arabes interdites d’intimité’ http://lirelactu.fr/source/courrier-international/5bce87f3-9cf4-4ca1-bc37-79f1ef2f691f
[2] The Torah : a Women’s commentary, p1033, ed. WRJ, 2008.
[3] The Torah : a women’s commentary, ‘The girls that are wanted’, p. 1036, ed. WRJ, 2008 – traduction Daniela Touati

Drasha Devarim – Chazon, KEREN OR ‘Shabbat around the world’ 16 July 2021
de Daniela Touati
On 15 juillet 2021
dans Commentaires de la semaine, Fêtes
This Shabbat before tisha b’av is not the most joyous time in the Jewish calendar. It is called Shabbat Chazon, the first word of the haftara of Isaiah that we will read tomorrow morning, ‘The Vision of Isaiah son of Amotz’, and is one of the three haftarot of admonition that precede Tisha b’Av…
In general, summer is a time for relaxation, barbecues, music or theatre festivals, fireworks and balls on the 14th of July. It is so true that every year it is difficult for us to immerse ourselves in this « period of the so-called ‘nine days of mourning » which precede tisha b’av, in as much as our mind anticipates the light, languid holidays…But this year is different from other years, and we still cannot relax completely. We keep our eyes on the Covid count which keeps climbing, our ears attentive to our President’s ominous ritual televised speeches…
And as if that were not enough, exceptional heat waves and floods have been hitting different parts of the planet for the past month: regions that are accustomed to it and others that are much less so. Stunned by these disasters that have left entire regions devastated by fire, or water, we are also astonished by the statistics on the number of deaths resulting from these ‘natural’ disasters, in addition to those linked to Covid…
According to the sages of the Talmud, a curse is placed on the month of Av, as it is during this period that the Jewish people and, more recently, humanity in general have fallen victim to so many disasters. The month of Av, however, has taken on the name menachem Av – Av the consoling month, because we hope that despite this (superstitious?) curse, the Eternal will take pity on us and console us.
We still have to wait, however. The words of consolation will come only after Tisha b’Av …Isaiah, whom we will read every Shabbat for the next 8 weeks is the first of the biblical prophets, but also the most voluminous . His prophecies cover a period of 200 years, between the middle of the 8th century until the middle of the 6th century. This has led exegetes to speak of 2 Isaiahs, the first of whom is a historical figure who tries unsuccessfully to get the Hebrew sovereigns to listen to his prophecies about their choice of political alliances. The second is a consoling Isaiah who gives hope to his people and predicts the return from the Babylonian exile.
His words this week are particularly harsh. As the spokesman for the Eternal, he ruthlessly rebukes his people and predicts the worst misfortunes: ‘Your land is a waste, your cities burnt down, before your eyes, the yield of your soil is consumed by strangers, a wasteland overthrown by strangers’[1]. Jerusalem is compared to Sodom and Gomorrah. One remains doubtful about the pedagogical effect of such verbal vehemence? Will it have any positive outcome? It seems that the prophet himself doubts this when he says: ‘al mé toukou od?’ translated as ‘why do you seek further beatings?’ This can be interpreted in two ways: is there still room on your (bruised) body to hit you? or will it have any effect to hit you again? [2] Every educator knows very well that violence, whether verbal or physical, only leads to a vicious cycle of greater violence…so what is the point? Is the spokesman of the Eternal One mistaken? He uses metaphorical and poetic language, but it seems that these words fall on deaf years and he toils in vain. Or perhaps the Hebrew people were not able to hear him and let him rant in vain… God himself, when he invested Isaiah as a prophet, so to speak, predicted that his words would not be heard, a bit like the haftara reading on Saturday morning when the audience sinks into a slight torpor: Let the heart of this people be thickened, hear indeed but do not understand, see, indeed but do not grasp, Dull that people’s mind, stop its years and seal its mind. Lest seeing with its eyes and hearing with its years, it also grasp with its mind, and repent and save itself. [3] It is so difficult and courageous to stand up and firmly share one’s beliefs, which come from the depths of one’s being, and yet in the case of Isaiah…the Eternal himself speaks of the vanity of these words, as if he did not let his people repent.
We might as well use an automatically generated speech, as the scholar Damon Mayaffre did when using Artificial Intelligence, he generated Emmanuel Macron’s candidacy speech for his second term as president in 2022, and it sounded very true![4]
And yet, these prophetic words that have come down to us through the mists of time are probably the ones we should listen to most carefully, not only for their literary beauty, but above all for their denunciation of the hypocrisy, injustice, and lack of ethics of those who ruled then, and who are so similar to those who rule today…
Through these words, which are supposed to shake us to the core of our being, God seeks our presence and too often finds only absence.[5] Most of the time, we turn to him only in desperation to lament, without taking responsibility for our actions, which have led us straight into the disaster of global warming or caused us to encroach on space occupied by wild species with the effects we have all observed. Not everything is attributable to human intervention, but there is that epsilon between a heat wave that happens randomly every x years and the peak that we have experienced in recent weeks, where the hand of humanity has its share of responsibility.
Let’s become again those childlike souls, permeable and sensitive, let’s let the words penetrate us and transform us, let’s listen to what they have to tell us maybe just to save us from our cynicism and indifference and, who knows, have some impact on this world !
Ken Yhie ratzon, shabbat shalom!
[1] Isaiah 1:7 JPS
[2] Isaiah 1:5, commentary by Yeshaya Dalsace https://akadem.org/sommaire/paracha/5770/haftarat-hachavoua-5770/vers-la-revolution-de-justice-devarim-28-06-2010-8196_4315.php
[3] Isaiah 6:10
[4] ‘Macron ou le mystère du verbe’, Damon Mayaffre, 2021, éd. de l’Aube, quoted by JDD May 2 2021, p. 13
[5] From God in search of Man, by 060Abraham Heschel