Il était une fois un roi, Balak, roi de Moab, qui souhaitait trouver un moyen de se débarrasser des hébreux, car il les considèrait trop nombreux et craignait qu’ils envahissent son territoire. L’histoire de notre paracha ressemble à un conte pour enfants, avec ses bons et ses méchants, une intervention divine qui se rapproche de la magie avec un âne qui parle, des intrigues et rebondissements. Le ‘héros de l’histoire’, est le ‘prophète’ Balaam, que Dieu ridiculise en lui faisant dire une bénédiction au lieu d’une malédiction le fameux Ma Tovu.

Même si le récit biblique apparait quelque peu naïf et humoristique, il traite avec légèreté de plusieurs thèmes très sérieux qui nous préoccupent jusqu’à nos jours.

Le premier est celui de l’antisémitisme, ou plutôt pour ne pas paraitre anachronique celui de la difficulté des hébreux, comme plus tard des juifs,  à être acceptés par les autres nations, leurs voisins, et la haine que notre peuple inspire. Ceci sera développé par Talia demain dans son dvar torah.

Un deuxième thème, que je souhaite aborder ici est la question de la prophétie.  Qu’est ce qu’un véritable prophète ? Comment les distinguer des imposteurs ? Selon le Tanakh, les véritables prophètes sont appelés à leur mission par Dieu et ils ne courent pas après les honneurs ni l’argent, bien au contraire ils se sacrifient pour leur peuple et leurs convictions éthiques. Alors que Balaam  se montre hésitant entre le ‘parti’ de Dieu et celui, plus lucratif, proposé par le roi de Moab : Balak. Ce dernier veut le couvrir d’or et d’argent en contrepartie de ses paroles de malédiction de notre peuple. La seule ligne de défense de Balaam est ‘ce n’est pas ma faute si je ne peux pas maudire les hébreux, c’est leur Dieu qui met les paroles dans ma bouche et je ne peux pas faire autrement’. Il fait preuve d’arrogance et de légèreté, et le midrash en fait une analyse sans concession, en disant que « Dieu tord la bouche à Balaam et la perce comme un homme qui cloue un cadre au mur ». Balaam, ou Bilaam en hébreu – celui qui avale ses propres paroles – n’a ni volonté propre, ni conscience, pour cette raison, nos rabbins le rangent plutôt dans la catégorie des sorciers plutôt que dans celle des prophètes.

Qu’est ce que le rôle d’un prophète dans le judaïsme ? et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?  

Etre un prophète dans le Tanakh, ce n’est pas prédire l’avenir, mais plutôt dénoncer le présent et son impact probable sur l’avenir : notamment la corruption, l’injustice, l’indifférence des élites et leur hypocrisie qui favorise la pratique rituelle au détriment de l’observance des commandements éthiques…il est souvent très mal perçu. C’est un peu l’oiseau de mauvaise augure, ou l’empêcheur de tourner en rond, car il met en garde ses concitoyens des conséquences de leurs actes.

Il y a une rupture dans la prophétie biblique selon nos Sages, elle s’arrête au temps du premier Exile, à partir du 6e siècle avant notre ère. D’après Maimonide, la raison en est l’état de deuil et de colère des juifs suite à la perte de leur centre spirituel et  la faculté de prophétiser se perd à ce moment-là.

Mais y a-t-il une réelle rupture de la prophétie ? Ne retrouve-t-on pas cet engagement pour la justice et la vérité chez les rabbins postérieurs et surtout certains de nos contemporains ? Quel est le rôle des rabbins, seuls représentants du culte qui subsistent suite à la destruction du 2e Temple ?

L’histoire des ordinations rabbiniques nous montre une grande diversité et évolution des rôles. En étudiant le traité Sanhédrin, je me suis aperçue de la volonté des rabbins de l’Antiquité de dresser une continuité avec les prêtres, par exemple, le terme ‘smicha’ à l’origine se réfère essentiellement aux prêtres qui apposent leurs mains sur les bêtes à sacrifier. Dans son commentaire de la mishna, Kehati dresse un parallèle entre le rituel de l’apposition des mains précédant le sacrifice au Temple, et le terme pour ordonner un rabbin en Israel. On utilise le même mot ‘smicha’, mais il ne veut plus dire la même chose : l’ordination privée d’un rabbin par un autre nécessite aussi de prononcer les mots traditionnels qui sont :

« Yore Yore, Yadin, Yadin ». Il enseignera, il enseignera, il jugera, il jugera.

Dans l’Antiquité, le titre de « rabbi » est conféré seulement en Eretz Israël. En Babylone, l’autre centre du judaïsme, les rabbins se nomment  Rav et ne reçoivent pas de smicha.

Que de chemin parcouru jusqu’à nos jours ! Dans le monde juif traditionnel, un rabbin est ordonné par la même formule jusqu’à nos jours , car il a un rôle d’enseignant et de juge et donc de décisionnaire halakhique. A l’heure où on célèbre les 150 ans de l’organisation de rabbins américaine, le CCAR, qui a été instituée par le rabbin Wise en même temps que la Yeshiva libérale HUC à Cincinatti, regardons quelles sont les spécificités d’une ordination libérale.

Cette formule Yore Yore, Yadin Yadin n’est pas utilisée dans le monde libéral où la smicha est octroyée par un rabbin qui fait partie d’une institution  comme le Leo Baeck et non à titre privé et le rôle de juge est secondaire. On est un Rav veMore, rabbin et enseignant en Israël. A la fois prophète, prêtre et rabbin-professeur on se doit de montrer l’exemple dans ces trois domaines, être le garant du rite, de la transmission et nous engager dans la cité dans les domaines de justice sociale et d’éthique au sens large. Puissions-nous, Haim et moi avoir la force d’être à la hauteur des attentes de KEREN OR et plus généralement du judaïsme libéral dans son ensemble,

Ken Yhie Ratzon,

Shabbat shalom,