« Que les sectaires et les apostats n’aient plus d’espoir, que les hérétiques soient anéantis, que les arrogants et les pêcheurs, tous Tes ennemis et ceux qui Te haïssent soient détruits. »

Ainsi était formulée la douzième bénédiction de la Amida dans les siddourim traditionnels. Appelée ‘birkat haminim’ – la bénédiction contre les hérétiques, elle est attribuée à Samuel Hakatan rabbin du 1er siècle de notre ère, et aurait été ajoutée aux bénédictions originales à une période un peu troublée, celle de la naissance d’une nouvelle religion : le christianisme.

La violence exprimée reflète ce contexte historique où une lutte intestine avait lieu entre les différentes sectes et groupes séparatistes..

Dans notre siddour voilà comment cette bénédiction a été reformulée (p.58) :

« que le mal ne soit plus, que ceux qui sont dans l’erreur reviennent vers Toi et que la cruauté disparaisse bientôt et de nos jours. »

Outre le fait que le texte a été adapté à notre contexte historique, il reflète plus sincèrement notre théologie où les adeptes d’autres religions ou bien ceux qui s’écartent d’un judaïsme traditionnel ne sont plus considérés comme des hérétiques  et nous n’appelons plus à l’anéantissement de ceux qui ne pensent pas comme nous !

Et voilà que cette semaine nous lisons un des récits parmi les plus dérangeants de la Torah, situé à la jonction de deux sidrot Balak et Pinchas. La paracha Balak se termine par l’histoire de Pinchas, petit fils d’Aharon, qui transperce tel un chiche kebab[1] Zimri l’israélite et Kozbi la madianite fille de Tsour, prince de Madian, qui s’adonnent à un acte sexuel sous la Tente d’assignation.

Et notre paracha commence par la réponse divine à ce crime, Pinchas n’est pas puni bien au contraire. D’une part, son acte met fin au fléau ayant décimé 24000 israélites. D’autre part, Dieu conclut avec Pinchas une alliance de paix…étonnant non ? Devant Moise et tous les sages, Pinchas anéantit au nom de Dieu, sans autre forme de procès préalable, ceux qu’il considère comme des hérétiques, un hébreu qui aurait été entrainé par une madianite à adorer leur dieu : Baal Peor.

Dans le texte biblique, il est fait référence au Dieu jaloux, El Kanna qui est calmé par la violence d’un de ses adorateurs Pinchas. Le verset nous dit que c’est grâce à l’emportement zélé – b’kan’o de Pinchas que Dieu a pu calmer sa colère, sa jalousie et son désir de vengeance et n’a pas détruit les Bnei Israel : et kinati betokhem v’lo khiliti et bnei Israel be’tokhem.

Dans la loi orale, en l’occurrence la Mishna[2], les rabbins autorisent le groupe appelé les Kannaim, traduits en grec par le mot zélotes, à tuer s’ils prennent un des leurs en train de copuler avec une femme aramite. Plusieurs conditions assez improbables doivent être réunies pour que cet acte soit permis par les rabbins : qu’un acte sexuel ait lieu et qu’il y ait des témoins. Cela restreint fortement la loi.

Les rabbins postérieurs ont cependant eu des difficultés avec cet acte extra-judiciaire et deux écoles s’affrontent sur le sujet. Selon certains, Pinchas aurait mérité d’être excommunié plutôt que d’être confirmé dans ses fonctions de prêtre et même selon le livre de Josué devenir le Grand Prêtre. Pinchas est un représentant des groupes de zélotes qui ont existé à différentes époques de notre histoire, les Maccabées étaient leurs plus prestigieux représentants, des sortes de soldats de Dieu, et plus tard, lors de la guerre avec les romains, les soldats judéens n’ont pas hésité à massacrer les leurs, sans autre forme de procès, considérés comme des traitres car trop assimilés.

En extrapolant, de tels groupes existent de nos jours, ils se croient aussi investis d’une mission divine et vont au-delà de ce que la Loi exige, ‘lifnim mi-shurat hadin’.  Le zèle ultra-religieux et la bigoterie de certains de nos co-religionaires peut aller jusqu’au meurtre comme nous l’avons malheureusement vu au cours de l’histoire récente.

La question de l’autorité rabbinique revient ici avec force, ainsi que celle de l’évolution de la loi et son interprétation. La Torah et nos rabbins ont eu la sagesse de déclarer que la Loi ne se trouve pas au ciel[3] – ‘lo bashamayyim hi’, mais elle est définie par les humains sous inspiration divine et doit être réinterprétée à chaque génération, pour s’adapter aux nouvelles circonstances. Elle est souple et agile, dans la mesure où elle n’est pas placée dans les mains de jusqu’aux-boutistes qui s’érigent à la place de Dieu. Les manipulateurs de notre religion oublient l’éthique pour se consacrer à une relation exclusive à Dieu, où ils sont convaincus de savoir ce que Dieu attend d’eux. C’est une maladie, qui fait oublier la notion de justice universelle, au profit d’intérêts particularistes.

Dans son livre ‘Mettre Dieu en Second’[4], le rabbin Donniel Hartmann, directeur du Hartmann institute à Jérusalem, arrive à la conclusion qui peut sembler hérétique pour un rabbin, que le fondamentalisme est ce chemin où on s’égare en plaçant Dieu sur un piédestal sacré, en priorité sur toute autre considération.  Ce qu’il nomme la Manipulation voire l’Intoxication par Dieu est en germe dans toute religion monothéiste. Il faut s’en méfier et s’en protéger. L’interprétation pervertie de la notion de peuple élu, rend la maladie encore plus résistante ! La religion est transformée en idéologie. Au lieu de relier, elle aboutit à une fracture qui érige des murs entre les différentes composantes de la société. Au final, elle met Dieu dans une petite case…L’étude de ces textes, la connaissance de leur contexte nous permettent d’avoir un regard distancié et de les manipuler avec beaucoup de précaution, comme cela a été fait dans notre livre de prières. Le judaïsme est un chemin de paix  et de lien à l’autre, et aucun texte ne pourra servir de prétexte à l’intimidation, à l’excommunication voire au crime en son nom.

Ken Yhie ratzon, Shabbat shalom


[1] Expression empruntée au Dr Laliv Clenman, professeure de Talmud au LBC

[2] Mishna Sanhedrin 9:6

[3] Deut. 30:11 et commentaire du Talmud B.M 59b

[4] Rabbi Donniel Hartman, ‘Putting God Second’, Beacon Press Boston, 2016.