Qui nous donnera de la viande à manger? Il nous souvient du
poisson que nous mangions pour rien en Egypte, des concombres et des melons,
des poireaux, des oignons et de l’ail.[1]
Après deux ans passés dans le désert, le peuple exprime de nouveau
son mécontentement. Il se languit de la nourriture qu’il dégustait en
Egypte…Cela peut nous faire sourire, car ils ne meurent pas de faim, Dieu fait
tomber du ciel la manne tous les jours. Alors de quoi se plaignent-ils
exactement ? Et qui rouspète parmi eux ? Comment peut-on même avoir
de la nostalgie pour un pays où on a été maltraité, où on a subi l’esclavage,
sans aucun droit, ni liberté ? Et pourquoi se souvenir de la
nourriture ? Qu’est-ce que c’est que ce comportement d’enfants
gâtés ?
Les sages nous donnent quelques explications : selon certains
la nourriture Egyptienne était plus raffinée que la manne. La vue des
concombres, oignons et autres melons leur manque. Les couleurs, les formes
étaient variées, la manne elle est uniforme, elle ressemble à un alicament,
c’est bon pour la santé mais ça ne rassasie pas du désir de nourriture.
D’autres commentateurs nous expliquent que la manne prenait le goût de ce qu’on
désirait sauf de ces cinq aliments typiquement Egyptiens[2]…était
ce peut être pour les sevrer de leur passé ? Le peuple hébreu se montre
très immature, insécurisé, il a peur de l’avenir et de ce fait, fait preuve de
beaucoup d’ingratitude.
La Torah nous pointe du doigt des coupables, ce ne sont pas vraiment
les hébreux qui se plaignent mais ce qu’on qualifie d’assafssouf, ce
ramassis d’étrangers, d’Egyptiens qui se sont joints aux hébreux lors de leur
fuite, se plaçant sous les ailes protectrices du Dieu d’Israël impressionnés
surement par sa force et ses prodiges. Et à présent, cette multitude mêlée regarde
en arrière et semble avoir des regrets…ce faisant, ils endoctrinent aussi leurs
compagnons de voyage, et la grogne monte. Peut-être que leur nostalgie pour la
nourriture égyptienne n’est qu’une fausse barbe ? Selon le midrash, le peuple se
plaint en réalité de tous ces nouveaux commandements qui leur pèsent et compliquent
leur vie.[3] En
Egypte ils étaient certes des esclaves, mais ils n’étaient soumis à aucune
règle de vie. A présent ils doivent respecter les interdits concernant l’adultère,
l’inceste, le vol tout un code éthique si complexe qu’ils préfèreraient s’en
passer…Tout cela leur est étranger et au lieu de pouvoir l’exprimer clairement,
ils prennent le prétexte de la nourriture pour se plaindre.
Depuis la traversée de la mer des Joncs, ces plaintes se répètent.
C’est la troisième fois que le peuple se rebelle par peur de manquer de ses
besoins fondamentaux et Moïse perd patience, il a ses mots poignants : « est-ce
donc moi qui ai conçu tout ce peuple, moi qui l’ai enfanté pour que tu me dises
porte le dans ton sein comme le nourricier porte le nourrisson jusqu’au pays
que tu as promis par serment à ses pères ? »[4]
Il ne veut plus avoir la responsabilité de ce peuple qui passe son temps à
se plaindre, c’est trop lourd et le mot ‘fardeau’ est répété par Moïse à trois
reprises.
Cet épisode de la vie des hébreux dans le désert est un clin d’œil
à ce que nous vivons aujourd’hui, alors que nous venons de rouvrir les portes
de la synagogue et que de nouveau nous pouvons nous attabler aux terrasses des
cafés. Aujourd’hui aussi nous devons collectivement nous adapter à de nouvelles
règles, de nouvelles mesures pour préserver notre santé. Et cette réalité nous
pousse à regretter le monde d’avant, à avoir de la nostalgie pour un monde sans
contraintes, où nous pouvions nous asseoir à une terrasse de café sans masque
et sans craindre d’être trop proche de son voisin. Il nous est difficile d’accepter
une nouvelle façon de vivre et à s’adapter à elle, on oublie vite pourquoi ces
règles ont été mises en place et on râle, contre le gouvernement, ou ce que l’on
considère comme la toute-puissance de la science et ses conseillers.
On est prêt à se révolter au moindre prétexte et à manifester son
mécontentement face aux restrictions de nos libertés. Déjà des philosophes accompagnent
ce mouvement et donne raison aux rebelles.
André Comte Sponville en appelle
même à Montaigne pour appuyer son propos :
« Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu
meurs de ce que tu es vivant ». Et Comte Sponville continue :’La mort
fait partie de la vie et c’est parce que les gens ont oublié, parfois, ou font
semblant d’oublier qu’ils sont mortels, qu’ils ont tellement peur quand la mort
se rappelle à leur esprit de façon spectaculaire comme c’est le cas avec cette
pandémie. Si nous pensions davantage à la mort, nous vivrions mieux, de façon
plus intense…’
Il ajoute : attention de ne
pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à
toutes les questions. Aujourd’hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu
près vingt médecins pour un économiste.
Ainsi deux écoles s’affrontent, celle qui met la
santé au-dessus de tout et la considère comme une valeur et celle qui comme le
philosophe André Comte Sponville, nous met en garde contre ces excès de vigilance
et nous rappelle que le risque zéro n’existe pas. Par contre en agissant dans l’excès
de précaution, nous mettons en péril le bien-être des générations futures et
notamment l’économie. Comme pour d’autres sujets, la crise que nous vivons a
cela de salutaire qu’elle nous invite à faire un pas de côté et revoir
certaines certitudes. Il nous reste à trouver le juste milieu, celui qui permet
d’accepter les nouvelles règles mises en place et de prendre les précautions
nécessaires pour nous permettre d’avoir la joie de se retrouver, sans tomber malades
ni dans la psychose de l’excès de prudence. Encore un équilibre à trouver !
Je sais toutefois que, quelles que soient les
décisions prises et les procédures mises en place, ici comme à l’extérieur,
certains ne manqueront pas de trouver des raisons pour se plaindre, notre
nature de juifs français se rappellera rapidement à nos bons souvenirs : ne
sommes-nous pas les plus grands râleurs du monde ? Shabbat shalom !
[1] Nombres 11 :4-5
[2] TB Yoma 75a
[3] Sifrei
Bamidbar 87 :1
[4] Nombres 11 :12
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Qui nous donnera de la viande à manger? Il nous souvient du poisson que nous mangions pour rien en Egypte, des concombres et des melons, des poireaux, des oignons et de l’ail.[1]
Après deux ans passés dans le désert, le peuple exprime de nouveau son mécontentement. Il se languit de la nourriture qu’il dégustait en Egypte…Cela peut nous faire sourire, car ils ne meurent pas de faim, Dieu fait tomber du ciel la manne tous les jours. Alors de quoi se plaignent-ils exactement ? Et qui rouspète parmi eux ? Comment peut-on même avoir de la nostalgie pour un pays où on a été maltraité, où on a subi l’esclavage, sans aucun droit, ni liberté ? Et pourquoi se souvenir de la nourriture ? Qu’est-ce que c’est que ce comportement d’enfants gâtés ?
Les sages nous donnent quelques explications : selon certains la nourriture Egyptienne était plus raffinée que la manne. La vue des concombres, oignons et autres melons leur manque. Les couleurs, les formes étaient variées, la manne elle est uniforme, elle ressemble à un alicament, c’est bon pour la santé mais ça ne rassasie pas du désir de nourriture. D’autres commentateurs nous expliquent que la manne prenait le goût de ce qu’on désirait sauf de ces cinq aliments typiquement Egyptiens[2]…était ce peut être pour les sevrer de leur passé ? Le peuple hébreu se montre très immature, insécurisé, il a peur de l’avenir et de ce fait, fait preuve de beaucoup d’ingratitude.
La Torah nous pointe du doigt des coupables, ce ne sont pas vraiment les hébreux qui se plaignent mais ce qu’on qualifie d’assafssouf, ce ramassis d’étrangers, d’Egyptiens qui se sont joints aux hébreux lors de leur fuite, se plaçant sous les ailes protectrices du Dieu d’Israël impressionnés surement par sa force et ses prodiges. Et à présent, cette multitude mêlée regarde en arrière et semble avoir des regrets…ce faisant, ils endoctrinent aussi leurs compagnons de voyage, et la grogne monte. Peut-être que leur nostalgie pour la nourriture égyptienne n’est qu’une fausse barbe ? Selon le midrash, le peuple se plaint en réalité de tous ces nouveaux commandements qui leur pèsent et compliquent leur vie.[3] En Egypte ils étaient certes des esclaves, mais ils n’étaient soumis à aucune règle de vie. A présent ils doivent respecter les interdits concernant l’adultère, l’inceste, le vol tout un code éthique si complexe qu’ils préfèreraient s’en passer…Tout cela leur est étranger et au lieu de pouvoir l’exprimer clairement, ils prennent le prétexte de la nourriture pour se plaindre.
Depuis la traversée de la mer des Joncs, ces plaintes se répètent. C’est la troisième fois que le peuple se rebelle par peur de manquer de ses besoins fondamentaux et Moïse perd patience, il a ses mots poignants : « est-ce donc moi qui ai conçu tout ce peuple, moi qui l’ai enfanté pour que tu me dises porte le dans ton sein comme le nourricier porte le nourrisson jusqu’au pays que tu as promis par serment à ses pères ? »[4] Il ne veut plus avoir la responsabilité de ce peuple qui passe son temps à se plaindre, c’est trop lourd et le mot ‘fardeau’ est répété par Moïse à trois reprises.
Cet épisode de la vie des hébreux dans le désert est un clin d’œil à ce que nous vivons aujourd’hui, alors que nous venons de rouvrir les portes de la synagogue et que de nouveau nous pouvons nous attabler aux terrasses des cafés. Aujourd’hui aussi nous devons collectivement nous adapter à de nouvelles règles, de nouvelles mesures pour préserver notre santé. Et cette réalité nous pousse à regretter le monde d’avant, à avoir de la nostalgie pour un monde sans contraintes, où nous pouvions nous asseoir à une terrasse de café sans masque et sans craindre d’être trop proche de son voisin. Il nous est difficile d’accepter une nouvelle façon de vivre et à s’adapter à elle, on oublie vite pourquoi ces règles ont été mises en place et on râle, contre le gouvernement, ou ce que l’on considère comme la toute-puissance de la science et ses conseillers.
On est prêt à se révolter au moindre prétexte et à manifester son mécontentement face aux restrictions de nos libertés. Déjà des philosophes accompagnent ce mouvement et donne raison aux rebelles.
André Comte Sponville en appelle même à Montaigne pour appuyer son propos :
« Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant ». Et Comte Sponville continue :’La mort fait partie de la vie et c’est parce que les gens ont oublié, parfois, ou font semblant d’oublier qu’ils sont mortels, qu’ils ont tellement peur quand la mort se rappelle à leur esprit de façon spectaculaire comme c’est le cas avec cette pandémie. Si nous pensions davantage à la mort, nous vivrions mieux, de façon plus intense…’
Il ajoute : attention de ne pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à toutes les questions. Aujourd’hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu près vingt médecins pour un économiste.
Ainsi deux écoles s’affrontent, celle qui met la santé au-dessus de tout et la considère comme une valeur et celle qui comme le philosophe André Comte Sponville, nous met en garde contre ces excès de vigilance et nous rappelle que le risque zéro n’existe pas. Par contre en agissant dans l’excès de précaution, nous mettons en péril le bien-être des générations futures et notamment l’économie. Comme pour d’autres sujets, la crise que nous vivons a cela de salutaire qu’elle nous invite à faire un pas de côté et revoir certaines certitudes. Il nous reste à trouver le juste milieu, celui qui permet d’accepter les nouvelles règles mises en place et de prendre les précautions nécessaires pour nous permettre d’avoir la joie de se retrouver, sans tomber malades ni dans la psychose de l’excès de prudence. Encore un équilibre à trouver !
Je sais toutefois que, quelles que soient les décisions prises et les procédures mises en place, ici comme à l’extérieur, certains ne manqueront pas de trouver des raisons pour se plaindre, notre nature de juifs français se rappellera rapidement à nos bons souvenirs : ne sommes-nous pas les plus grands râleurs du monde ? Shabbat shalom !
[1] Nombres 11 :4-5
[2] TB Yoma 75a
[3] Sifrei Bamidbar 87 :1
[4] Nombres 11 :12
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