קדושים תהיו כי קדוש אני יהוה אלוהיכם  (lev 19 :2).

Ce verset qui débute la paracha Kedoshim donne lieu à pléthore d’interprétations et contresens…quelle est cette notion de Kedusha – traduit habituellement par sainteté, partie intégrante de l’identité juive ? La première occurrence du mot kadosh qui a pour racine kuf dalet shin apparait dans Genèse 2:3 lorsque Dieu sanctifie le shabbat. Comme la plupart des racines hébraïques, le mot kadosh est polysémique : il signifie ‘saint’, mis de coté et renvoie aussi à la notion de retrait et de désengagement (ici du quotidien). C’est donc le temps qui est sanctifié en premier, c’est un accomplissement du travail de Création. Le shabbat est séparé des autres jours de la semaine.

Dans notre paracha cette injonction à la sainteté est immédiatement suivie par deux autres:

1/ d’une part la révérence – ir’ah (ou terreur)  que nous devons manifester envers nos parents, similaire à celle que nous devons manifester envers Dieu.

2/ et d’autre part, le respect du shabbat.

Les deux sont aussi importants, et ceci nous rappelle comme le précise Rachi, qu’au cas où nos parents nous induiraient en erreur, en nous détournant du commandement du respect du shabbat, nous devons au contraire, résister, en suivant le précepte du respect du shabbat.

Dans un sermon datant de janvier 1957, le rabbin anglais John Rayner dresse une liste de tout ce qui est sanctifié et ainsi ‘séparé’ dans le judaïsme. Le temps comme nous venons de le voir mais aussi des objets, des personnes, des lieux. Le shabbat et les fêtes – mikrae kodesh, les prêtres kohanim, Israel – la terre sainte eretz hakodesh, le Temple – Beit haMikdash , Jérusalem Yir hakodesh, le peuple am kadosh, mais aussi la Torah –torat hakodesh et la langue hébraïque – lashon hakodesh…Il y a aussi des actes considérés saints comme le mariage où le futur mari dit une bénédiction par laquelle sa future femme lui est consacrée : הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל.

Lors d’un décès, les bénévoles de la Hevra Kadisha prennent en charge l’un des commandements le plus difficile qui soit, parce qu’il exige beaucoup de compassion et est totalement désintéressé, c’est un acte de sainteté. Le travail de la Hevra Kadisha est méconnu et reste pour la plupart d’entre nous centré sur la toilette rituelle alors qu’il va bien au-delà avec la prise en charge et l’accompagnement de la famille endeuillée..!

D’où provient cette sainteté ? C’est Dieu qui la confère: que ce soit au temps, ou encore aux actes et aux objets. Mais surtout à nous les humains qui en respectant les commandements nous permet d’y accéder.

La liturgie elle-même nous parle de cette sainteté. Lors de la Amida et la prière dite de la Kedusha ne dit-on pas à trois reprises « kadosh kadosh kadosh » en se levant sur nos pointes de pieds comme si nous attendions de recevoir une petite aspersion de sainteté ?

Neshama Leibowitz précise que le verset de Kedoshim a une formulation particulière, ‘daber el kol adat bnei Israel’ : ce commandement doit être dit devant toute la communauté. La sainteté – Kedusha est égalitaire et concerne tout un chacun, pas seulement une certaine caste, celle des prêtres par ex.

A contrario, son frère Yeshayahou Leibowitz nous alerte contre le danger d’une certaine interprétation qui nous amène à croire que tout le peuple d’Israël de par sa nature même est saint, que nous ne sommes, par conséquent, pas responsables de nos actes, mais somme des élus passifs de Dieu. D’ailleurs dans la bénédiction sur le vin du kiddush que nous réciterons bientôt, l’élection est juxtaposée à la kedusha : « ki vanu vakharta  veotanou kidashta (mikol haamim)» : « car Tu nous as choisis et nous a sanctifiés parmi tous les peuples  » les deux semblent intimement liés…l’élection est une notion très mal comprise et définie à tort comme une forme de supériorité. Même en corrigeant l’erreur d’interprétation, vers son sens réel, de responsabilité, nous sommes mal à l’aise avec l’idée de séparation, de mise à l’écart, de ghettoïsation, qu’implique parfois la kedusha. Surtout si nous sommes plutôt portés vers l’universalisme !

Or une lecture distanciée de la notion de kedusha peut au contraire nous réconcilier avec cette idée et nous donner goût à sa pratique.

Si nous vivons tous les jours de manière indifférenciée, sans mettre de côté un temps pour souffler, nous ressourcer, réfléchir, échanger avec ceux qui nous sont chers, n’est-ce pas nous condamner à mourir ? Si nous ne pensons qu’à nous-mêmes et préférons les plaisirs en petit comité, séparés d’une kehila – d’une communauté, combien de temps survivrons-nous ? Si nous ne marquons pas par des rituels les moments importants de notre vie, qu’en restera-t-il?

C’est en cela que la sainteté est précieuse, c’est un espace-temps et un temps-relation qui est mis à part et qui est traité de manière distincte, avec beaucoup de soin et de respect.

Le rabbin John Rayner nous dit encore, « Dieu nous a sanctifiés par ces commandements et en contrepartie il nous est aussi demandé de sanctifier Dieu ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Peut-être est-ce agir en ayant conscience de sa propre kedusha-sainteté ? C’est-à-dire être très exigeant envers soi-même et son comportement envers autrui et dans le monde en général. N’oublions pas que ce n’est pas un privilège mais une responsabilité sainte ! Le rabbin Rayner nous dit aussi que c’est le plus haut degré de pureté qu’une personne peut atteindre, non pas une pureté rituelle mais une pureté de cœur et d’esprit.

La kedusha c’est être prêt à donner le meilleur de soi-même, à mettre tout son talent à l’ouvrage. C’est être engagé, diligent mais aussi rechercher une grande qualité d’exécution dans son travail qu’il soit rémunéré ou bénévole, dans la mesure où il nous tient à coeur.

En ces temps troublés, où nous sommes pris en tenaille entre ces barbares dits ‘religieux’, et des hommes et femmes politiques qui prônent un retour au populisme et/ou au fascisme, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, pour semer en nous et autour de nous ces graines de kedusha afin que ce monde soit plus vivable.

Nous avons de la chance de pouvoir temporairement laisser le profane et le quotidien à l’extérieur. Profitons de ce temps à part pour partager en cette – kehila kedosha – jeune pousse, dont il faut prendre soin et aider à grandir et à s’épanouir- un moment de complétude et de paix, de shlemut et de shalom !

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom,