Les dix jours qui viennent de s’écouler sont parmi les plus intenses du calendrier en Israël mais aussi pour nous juifs de diaspora. Entre Yom HaShoah (veHagvura), Yom HaZikaron et Yom HaAtzmaout, qu’on vive ici ou là-bas, ce sont les montagnes russes émotionnelles. Tant de nos coreligionnaires sont tombés, qui dans des camps de l’horreur et qui au champ d’honneur. Même s’ils ne sont pas directement de notre famille ou de nos amis, il nous reste les noms, une photo et parfois quelques bribes de récit, de ces hommes, femmes et enfants. Et nous ressentons une immense peine lorsque leurs noms sont récités à voix haute dans nos villes ou égrenés à la télévision israélienne le jour de Yom HaZikaron.

Ces commémorations si rapprochées, même si elles n’ont pas de lien direct, finissent par unir les civils et les soldats qui sont morts ou ont été assassinés parce que juifs, résolus à défendre leur identité, puis leur autonomie sur leur terre, depuis un siècle voire davantage. Ces morts, injustes, prématurées et violentes, nous incitent à rechercher malgré tout un sens pour continuer à vivre et à défendre ce que nous sommes en tant que juifs. Cette inspiration, je l’ai trouvée pour ma part le jour de Yom HaZikaron en lisant un article dans Yediot Aharonot (posté sur FB par la chanteuse Noa) de l’ancien chef de l’état-major de Tzahal  Yair Golan, (il a quitté ses fonctions en 2016).

Golan commence par une expression répétée tous les ans lors de la commémoration de Yom HaZikaron, issue d’un poème de H N Bialik : ‘car à travers leur mort, ils nous ont commandé de vivre et à travers leurs actes et leur conduite, ceux qui ne sont plus sont pour nous des modèles de vie.’ Il se pose la question de ce qu’est cette exemplarité, et cet héroïsme ? Comment ces morts pour Israël peuvent encore nous inspirer ? Et il cite celui qu’il appelle son professeur et son rabbin, Yitzhak Sade, mort avant la naissance de Golan, il fut l’un des fondateurs du Palmach, puis de la Hagannah et le chef d’état-major de Tzahal à sa création. L’’ancien’ comme le surnommaient ses camarades soldats, n’était pas rabbin, mais il avait écrit plusieurs essais qui ont défini l’éthique de l’armée israélienne. Sade disait que ce qui définit l’héroïsme c’est le sens du sacrifice et il n’est pas seulement réservé aux soldats. C’est héroïsme est empreint d’humanisme, d’engagement, et d’amour du prochain, quel qu’il soit. Sans amour du prochain, il n’y a pas de sacrifice disait Sade.

Les qualités humaines que Sade décrit peuvent se résumer dans le concept de Kiddoush HaShem sanctification du nom qui figure dans notre paracha je cite (Lev.22 :31-32) :

‘Gardez mes commandements et pratiquez-les: je suis l’Éternel. Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie.’

Selon Nechama Leibowitz, ces versets sont un appel général adressé de manière indifférenciée à tout le peuple concernant la sanctification du Nom et un avertissement à l’encontre de son opposé : la profanation du Nom de Dieu.[1] Ces deux notions ne sont pas toujours faciles à comprendre.

C’est à travers notre comportement exemplaire que nous montrons notre amour envers Dieu. Cela commence par l’étude de la Torah puis par son enseignement, qui donnent les clés pour aimer son prochain, être honnête en affaires et en toute situation, et c’est notre publicité de ce qu’est le judaïsme aux autres peuple. C’est ainsi qu’est défini la sanctification du Nom dans le traité Yoma 86a.

A contrario le Hilloul HaShem, nous dit le Talmud, s’applique à quelqu’un qui a étudié la Torah et les préceptes MAIS ne se comporte pas avec bienveillance envers son prochain et n’est pas honnête en affaires, ainsi il déshonore son peuple et son prochain, et fait une très mauvaise publicité au judaïsme. 

Le 30 avril un article du Times Of Israel reprenait les accusations de la chaine 13  de la télévision israélienne contre deux rabbins, Eliezer Kashtiel et Giora Redler, formateurs de l’académie prémilitaire d’Eli et de la Yeshiva Bnei David (toutes deux situées en Cisjordanie et de tendance sioniste religieuse). Dans des enregistrements en caméra cachée, Eliezer Kashtiel affirmait que les arabes avaient des problèmes génétiques et étaient des êtres inférieurs. Quant à son collègue Redler il disait, je le cite : « la véritable Shoah ce n’est pas quand ils ont assassiné les Juifs…l’humanisme et la culture laïque de ‘nous croyons en l’Homme’, c’est ça la Shoah. » Bien sur ces paroles une fois rendues publiques ont été fermement condamnées, par des députés de l’opposition qui ont demandé à couper les vivres à ces académies …Mais le mal était fait. Ils avaient violemment profané le nom de Dieu.

D’un côté, on se sent mortifiés par les paroles de ces rabbins, qui occupent une position d’autorité et d’influence auprès de la jeunesse israélienne. Ces dérives de la parole et de la pensée sont à présent monnaie courante dans de nombreux pays, mais on espérait qu’Israël ferait exception en ce domaine.

De l’autre côté, on est favorablement surpris de trouver tant de sagesse, d’humilité et de clairvoyance inspirée par un authentique ‘kiddoush haShem’, dans les paroles d’un ancien Major de l’armée…

Je voudrais finir en citant l’écrivain David Grossmann, ces quelques mots qu’il avait écrit à la mémoire de son fils Uri, mort pendant la deuxième guerre du Liban en 2006 :

« [Mais] j’ai appris d’Uri [..] Que nous devons certes nous défendre. Mais ceci dans les deux sens : défendre nos vies, mais aussi s’obstiner à protéger notre âme, s’obstiner à la préserver de la tentation de la force et des pensées simplistes, de la défiguration du cynisme, de la contamination du cœur et du mépris de l’individu qui sont la vraie, grande malédiction de ceux qui vivent dans une zone de tragédie comme la nôtre. »

C’est un défi quotidien de vivre en respectant nos préceptes dans ce jeune pays en guerre qu’est Israël. Le Deutéronome nous dit qu’à chaque instant nous avons le choix entre la vie et le bien, la mort et le mal, et il nous est commandé de choisir la vie, en aimant l’Eternel, en suivant ses voies, et je rajouterai, en sanctifiant son Nom par nos actions de tous les jours.

En ce 71e anniversaire, que l’Eternel bénisse et garde l’Etat d’Israël, et qu’Il lui accorde la paix !

Ken Yhie Ratzon, Shabbat shalom !


[1] Nechama Leibowitz, Studies in Vayikra, p212