Shema Kola, écoute sa
voix, c’est ce que Dieu enjoint à Abraham à propos de Sarah, lorsque sa femme
lui demande de renvoyer sa concubine Hagar devenue mère d’Ishmaël, et qui
depuis fait preuve de trop d’arrogance face à sa maîtresse, la prenant de haut
et la méprisant à cause de sa stérilité.
Shema Kola Ces
dernières semaines, c’est à cette exercice que je me suis prêtée régulièrement,
écouter la voix de femmes, qui se sentent dans une profonde détresse renforcée
encore par le stress à l’approche des fêtes de Tichri. Ces femmes, des mères et
encore plus souvent des grands-mères se sentent perdues et m’appellent en
désespoir de cause pour raconter leur histoire familiale douloureuse et
demander un conseil rabbinique…
C’est souvent la même histoire qui se répète : elle-même ou
leur fille ou leur fils a fait un mariage mixte, par là, ils se sont soit coupés
du judaïsme ou ont été rejetés par le consistoire, car, selon eux, leurs
enfants ou petits enfants ne sont pas casher. Ces femmes terriblement inquiètes
souhaitent à tout prix que ces petits enfants rejoignent leur lignée juive,
qu’ils retrouvent en quelque sorte ce qu’elles pensent être ‘le bon chemin’. Parfois
leur discours est violent, envers le pan juif de la famille, qui a rejeté cette
mixité ou envers la partie non-juive de la famille qui les empêche de faire
partie du ‘peuple élu’…Elles se sentent coupables, ont la sensation d’avoir
fauté, ou plus exactement, comme l’exprime le verbe , לחטוא d’avoir ‘raté la
cible’ pour ne pas avoir su garder leurs enfants, ou petits enfants, dans le
judaïsme.
Touchée par ces histoires, je peux me connecter à leur souffrance
bien réelle, même si parfois leurs mots sont maladroits et ne rendent pas
justice à leur ressenti.
Shema Kola, écoute sa
voix, la rabbin américaine Sarah Davidson Berman a écrit un midrash au sujet de
ce bout de verset qui nous parle de la matriarche Sarah. Son argument insiste
sur le fait que Dieu demande à Abraham, non pas d’écouter les mots prononcés
par Sarah c’est-à-dire le contenu du discours, mais juste d’écouter sa voix…kola.
Shema Kola c’est la première occurrence biblique du verbe shema sous cette
forme…
Shema
écoute, c’est le premier mot de notre profession de foi, notre crédo, c’est une
voix impérieuse qui nous enjoint d’écouter…mais écouter qui ? Dieu ?
Notre voix intime ? ou celle de son prochain ? En écoutant ces
femmes, j’ai réalisé que ce que l’on doit écouter en tout premier lieu, ce ne
sont pas les mots prononcés, mais la souffrance de chacun, la nôtre et celle de
l’autre, c’est elle qui d’âme à âme doit nous guider et nous toucher et c’est à
elle que l’on doit répondre.
La récitation bi-quotidienne du shema est accompagnée d’un geste,
on pause ses doigts sur nos yeux fermés, pour se tourner vers nous-mêmes, pour
se concentrer et se préparer à la rencontre. On récite ce texte parfois par
cœur, mais en étant attentifs à chaque mot, même à voix basse, on doit entendre
distinctement ce que l’on dit. Peu importe notre position, on peut réciter le shema
assis, couché ou debout. C’est notre intention qui compte, et notre engagement,
de répéter ces paroles à nous-mêmes et aux générations futures. C’est en résumé
ce que dit le premier paragraphe du Shema, avec ce premier mot qui donne son
titre au paragraphe issu du chapitre 6 du Deutéronome : v’ahavta,
traduit par ‘tu aimeras ton Dieu’ puis est ajouté de toute ton âme et de toutes
tes forces’. C’est de foi qu’il s’agit, celle que l’on place en Dieu. Ce
premier paragraphe proclame la souveraineté divine.
C’est aussi la partie la plus ancienne du Shema, elle daterait du
1er temple, donc du 6è siècle avant notre ère.
Puis se sont ajoutés les deux autres paragraphes. Le paragraphe
issu du Deutéronome 11, a une terminologie assez proche du premier paragraphe,
mais il introduit une relation à Dieu assez différente. On nous dit que ce
Dieu là punit ou récompense son peuple en fonction de son respect ou non
des lois. Ce Dieu là peut aller jusqu’à affamer ses sujets et les
anéantir, il est omnipotent et omniscient, mais aussi extrêmement sévère.
Cette théologie, comme vous le savez, très présente dans nos
textes a été remise en question par les premiers juifs réformés et encore
davantage après la Shoah. Le siddour qui reflète nos croyances a été amendé par
les rabbins réformés, et, dès le début du 20è siècle, ils ont proposé non pas
de le remplacer, mais de proposer une alternative à ce deuxième paragraphe, en
introduisant celui que nous avons lu ici le vendredi soir, issu du Deutéronome
30.
Eliot nous lira ce paragraphe demain matin, il fait partie de la
paracha Nitsavim. Il est central dans notre liturgie, car c’est aussi ce
paragraphe que nous lisons tous les ans au moment le plus solennel de l’année
juive, à l’office de Minha l’après midi de Kippour.
Pourquoi ce court texte a-t-il pris tant d’importance dans la
liturgie libérale ? Qu’a-t-il à nous dire de si essentiel ? « Cette
loi que je te prescris aujourd’hui, elle n’est ni trop ardue pour toi, ni
placée trop loin de toi … ».
Les rabbins qui ont choisi ce passage ont voulu insister sur la
responsabilité personnelle de chacun. Ces rabbins rationalistes croyaient fermement
à la possibilité de chacun de changer un peu le monde dans lequel il vit. Ceci
tout d’abord, en se rapprochant de la Torah, en l’étudiant, en incorporant son
message éthique et en l’intégrant concrètement dans son action.
Le Shema se finit par un troisième paragraphe, issu du
livre des Nombres, qui aborde un autre sujet non moins essentiel : comment
peut-on à chaque instant se rappeler de tous les commandements que nous devons
suivre ? Et le texte nous dit que c’est en regardant les franges de notre
talit, ceci est répété à trois reprises dans le 3è paragraphe, ces franges sont
comme des pense-bêtes, au cas où nous nous égarions en chemin ; les
regarder nous fera revenir vers la route principale.
En renouvelant l’alliance avec Dieu en cette saison des fêtes de
Tichri, c’est comme si nous nous placions sous un talit géant avec des franges
bien visibles pour nous rappeler l’essentiel : qu’il nous faut écouter
avec notre cœur et que c’est si difficile parfois. Car pour être en résonnance
avec son prochain, il faut d’abord l’être avec soi. Cela nécessite d’ouvrir
notre cœur à la Torah, mais aussi la Torah à notre coeur. A la veille de ces
fêtes de Tichri si particulières, aidons chacun à trouver un peu de sérénité, à
panser ses plaies et celles de ceux qui l’entourent.
Shema kola, écoute sa voix, écoutons ces femmes et ces hommes qui viennent
exprimer leurs souffrances avec tant d’authenticité, accueillons-les sous le
talit et aidons les à trouver un chemin hors de toute culpabilité, un chemin de
paix et de liberté !
Mazal tov à Eliot et sa famille, écoutons-le ce soir et demain matin, écoutons la torah qu’il a à nous transmettre !
Chana tova oumetouka et chabbat shalom!
Articles similaires
Paracha Nitzavim 11 septembre 2020
de Daniela Touati
On 13 septembre 2020
dans Commentaires de la semaine
Shema Kola, écoute sa voix, c’est ce que Dieu enjoint à Abraham à propos de Sarah, lorsque sa femme lui demande de renvoyer sa concubine Hagar devenue mère d’Ishmaël, et qui depuis fait preuve de trop d’arrogance face à sa maîtresse, la prenant de haut et la méprisant à cause de sa stérilité.
Shema Kola Ces dernières semaines, c’est à cette exercice que je me suis prêtée régulièrement, écouter la voix de femmes, qui se sentent dans une profonde détresse renforcée encore par le stress à l’approche des fêtes de Tichri. Ces femmes, des mères et encore plus souvent des grands-mères se sentent perdues et m’appellent en désespoir de cause pour raconter leur histoire familiale douloureuse et demander un conseil rabbinique…
C’est souvent la même histoire qui se répète : elle-même ou leur fille ou leur fils a fait un mariage mixte, par là, ils se sont soit coupés du judaïsme ou ont été rejetés par le consistoire, car, selon eux, leurs enfants ou petits enfants ne sont pas casher. Ces femmes terriblement inquiètes souhaitent à tout prix que ces petits enfants rejoignent leur lignée juive, qu’ils retrouvent en quelque sorte ce qu’elles pensent être ‘le bon chemin’. Parfois leur discours est violent, envers le pan juif de la famille, qui a rejeté cette mixité ou envers la partie non-juive de la famille qui les empêche de faire partie du ‘peuple élu’…Elles se sentent coupables, ont la sensation d’avoir fauté, ou plus exactement, comme l’exprime le verbe , לחטוא d’avoir ‘raté la cible’ pour ne pas avoir su garder leurs enfants, ou petits enfants, dans le judaïsme.
Touchée par ces histoires, je peux me connecter à leur souffrance bien réelle, même si parfois leurs mots sont maladroits et ne rendent pas justice à leur ressenti.
Shema Kola, écoute sa voix, la rabbin américaine Sarah Davidson Berman a écrit un midrash au sujet de ce bout de verset qui nous parle de la matriarche Sarah. Son argument insiste sur le fait que Dieu demande à Abraham, non pas d’écouter les mots prononcés par Sarah c’est-à-dire le contenu du discours, mais juste d’écouter sa voix…kola. Shema Kola c’est la première occurrence biblique du verbe shema sous cette forme…
Shema écoute, c’est le premier mot de notre profession de foi, notre crédo, c’est une voix impérieuse qui nous enjoint d’écouter…mais écouter qui ? Dieu ? Notre voix intime ? ou celle de son prochain ? En écoutant ces femmes, j’ai réalisé que ce que l’on doit écouter en tout premier lieu, ce ne sont pas les mots prononcés, mais la souffrance de chacun, la nôtre et celle de l’autre, c’est elle qui d’âme à âme doit nous guider et nous toucher et c’est à elle que l’on doit répondre.
La récitation bi-quotidienne du shema est accompagnée d’un geste, on pause ses doigts sur nos yeux fermés, pour se tourner vers nous-mêmes, pour se concentrer et se préparer à la rencontre. On récite ce texte parfois par cœur, mais en étant attentifs à chaque mot, même à voix basse, on doit entendre distinctement ce que l’on dit. Peu importe notre position, on peut réciter le shema assis, couché ou debout. C’est notre intention qui compte, et notre engagement, de répéter ces paroles à nous-mêmes et aux générations futures. C’est en résumé ce que dit le premier paragraphe du Shema, avec ce premier mot qui donne son titre au paragraphe issu du chapitre 6 du Deutéronome : v’ahavta, traduit par ‘tu aimeras ton Dieu’ puis est ajouté de toute ton âme et de toutes tes forces’. C’est de foi qu’il s’agit, celle que l’on place en Dieu. Ce premier paragraphe proclame la souveraineté divine.
C’est aussi la partie la plus ancienne du Shema, elle daterait du 1er temple, donc du 6è siècle avant notre ère.
Puis se sont ajoutés les deux autres paragraphes. Le paragraphe issu du Deutéronome 11, a une terminologie assez proche du premier paragraphe, mais il introduit une relation à Dieu assez différente. On nous dit que ce Dieu là punit ou récompense son peuple en fonction de son respect ou non des lois. Ce Dieu là peut aller jusqu’à affamer ses sujets et les anéantir, il est omnipotent et omniscient, mais aussi extrêmement sévère.
Cette théologie, comme vous le savez, très présente dans nos textes a été remise en question par les premiers juifs réformés et encore davantage après la Shoah. Le siddour qui reflète nos croyances a été amendé par les rabbins réformés, et, dès le début du 20è siècle, ils ont proposé non pas de le remplacer, mais de proposer une alternative à ce deuxième paragraphe, en introduisant celui que nous avons lu ici le vendredi soir, issu du Deutéronome 30.
Eliot nous lira ce paragraphe demain matin, il fait partie de la paracha Nitsavim. Il est central dans notre liturgie, car c’est aussi ce paragraphe que nous lisons tous les ans au moment le plus solennel de l’année juive, à l’office de Minha l’après midi de Kippour.
Pourquoi ce court texte a-t-il pris tant d’importance dans la liturgie libérale ? Qu’a-t-il à nous dire de si essentiel ? « Cette loi que je te prescris aujourd’hui, elle n’est ni trop ardue pour toi, ni placée trop loin de toi … ».
Les rabbins qui ont choisi ce passage ont voulu insister sur la responsabilité personnelle de chacun. Ces rabbins rationalistes croyaient fermement à la possibilité de chacun de changer un peu le monde dans lequel il vit. Ceci tout d’abord, en se rapprochant de la Torah, en l’étudiant, en incorporant son message éthique et en l’intégrant concrètement dans son action.
Le Shema se finit par un troisième paragraphe, issu du livre des Nombres, qui aborde un autre sujet non moins essentiel : comment peut-on à chaque instant se rappeler de tous les commandements que nous devons suivre ? Et le texte nous dit que c’est en regardant les franges de notre talit, ceci est répété à trois reprises dans le 3è paragraphe, ces franges sont comme des pense-bêtes, au cas où nous nous égarions en chemin ; les regarder nous fera revenir vers la route principale.
En renouvelant l’alliance avec Dieu en cette saison des fêtes de Tichri, c’est comme si nous nous placions sous un talit géant avec des franges bien visibles pour nous rappeler l’essentiel : qu’il nous faut écouter avec notre cœur et que c’est si difficile parfois. Car pour être en résonnance avec son prochain, il faut d’abord l’être avec soi. Cela nécessite d’ouvrir notre cœur à la Torah, mais aussi la Torah à notre coeur. A la veille de ces fêtes de Tichri si particulières, aidons chacun à trouver un peu de sérénité, à panser ses plaies et celles de ceux qui l’entourent.
Shema kola, écoute sa voix, écoutons ces femmes et ces hommes qui viennent exprimer leurs souffrances avec tant d’authenticité, accueillons-les sous le talit et aidons les à trouver un chemin hors de toute culpabilité, un chemin de paix et de liberté !
Mazal tov à Eliot et sa famille, écoutons-le ce soir et demain matin, écoutons la torah qu’il a à nous transmettre !
Chana tova oumetouka et chabbat shalom!
Articles similaires
Précédent
Paracha Ki Tetze – 28 août 2020, KEREN OR
Suivant
Drash Rosh Hashana – 17 Septembre 2020 KEREN OR