C’est la rentrée ! Qui dit rentrée dit fêtes de Tichri et cette année comme vous le savez cela commence tôt, dès le 18 septembre ! Il est en effet temps de se mettre en objectifs, alors que le mois d’Eloul est bien entamé. Ce mois est dévolu traditionnellement à la préparation spirituelle précédant les fêtes de Tichri. Ce mois dont l’acronyme est Ani ledodi vedodi li ‘je suis à mon bien aimé et mon bien aimé est à moi’ un extrait d’un verset du Cantique des Cantiques est une invitation à regarder l’autre avec empathie, à partager ses joies comme ce soir, mais aussi, ses peines.

Nous n’avons pas manqué d’occasions pour faire preuve de compassion ces dernières semaines. Du mouvement ‘Black Lives Matter’, à l’explosion du port de Beyrouth qui a fait près de deux cents victimes et en même temps détruit les stocks de blé de la population libanaise tout entière. En passant par la répression sanglante des manifestations anti gouvernementales en Biélorussie, la température est montée d’un cran dernièrement. Certes, mais notre compassion collective est retombée rapidement, pour se recentrer de nouveau sur ce qui nous préoccupe ici et maintenant : la rentrée sous la menace de la COVID et la façon dont cette pandémie continue à bouleverser nos vies. Il est si difficile de compatir aux malheurs des autres, surtout à des milliers de kilomètres…lorsque nous sommes nous-mêmes dans l’angoisse d’une triple crise sanitaire, sociale et économique.

D’après le précurseur de la recherche sur l’intelligence émotionnelle, Daniel Goleman auteur du best-seller ‘L’intelligence émotionnelle’, nous ressentons de l’empathie essentiellement pour les membres de notre groupe, ceux qui nous ressemblent, notre tribu en quelque sorte, et cela demande un réel effort, voire un entrainement pour exercer cette empathie envers un outsider, quelqu’un qui nous est étranger. Ainsi l’appartenance à une communauté, à une religion serait le plus grand frein à notre aptitude à ressentir de l’émotion pour l’autre.

Est-ce pour cette raison que le judaïsme répète à l’envi que nous devons nous souvenir de notre propre souffrance en Egypte et en mémoire de cette souffrance, être attentifs à celle de l’autre ? L’autre est regroupé sous l’archétype de l’étranger –le guer. Cela est répété à 36 reprises, c’est-à-dire deux fois 18 chiffre symbolisant de la vie haï,. 36 étant une vie double : la notre et celle de l’autre, duquel on ne peut se dissocier. Nous devons nous préoccuper des minorités, de TOUS ceux qui souffrent, et pour cela nous devons nous détacher, de temps en temps, de nos écrans, regarder et écouter ce qu’il se passe autour de nous, et agir. D’après le professeur Micah Goodman, c’est ce souvenir éternellement présent de notre statut d’étranger et d’ancien esclave, qui permet d’abolir la notion d’espace-temps, et de réduire la fracture entre nous et l’autre. Mais aussi de sortir de notre zone de confort, et de notre tendance à rester indifférent à autrui.

Dans la paracha Ki Tetze, un verset que nous lirons demain matin rappelle de nouveau ce commandement après avoir répété le droit à l’égalité de traitement et à la justice sociale de l’étranger, la veuve et de l’orphelin.

וְזָכַרְתָּ֗ כִּ֣י עֶ֤בֶד הָיִ֙יתָ֙ בְּמִצְרַ֔יִם וַֽיִּפְדְּךָ֛ יְהוָ֥ה אֱלֹהֶ֖יךָ מִשָּׁ֑ם עַל־כֵּ֞ן אָנֹכִ֤י מְצַוְּךָ֙ לַעֲשׂ֔וֹת אֶת־הַדָּבָ֖ר הַזֶּֽה׃

Rappelle-toi que tu as été esclave en Egypte et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a affranchi; c’est pour cela que je t’ordonne d’agir de la sorte. (Deut. 24 :18)

Selon le maître du hasidisme polonais du 19è siècle Menahem Mendel Kotzk, dit le Kotzker Rebbe z’’l, les noms et thèmes des péricopes qui nous accompagnent pendant cette période de préparation aux fêtes de tichri sont censés nous guider dans notre démarche. Ainsi la fin du mois Av nous lisons la paracha Réé, ‘Voyez’ avec le fameux verset :

רְאֵ֗ה אָנֹכִ֛י נֹתֵ֥ן לִפְנֵיכֶ֖ם הַיּ֑וֹם בְּרָכָ֖ה וּקְלָלָֽה׃

Voyez, je mets devant vous aujourd’hui la bénédiction ou la malédiction (Deut.11 :26), qui insiste sur notre capacité à nous regarder intérieurement et à distinguer le bien du mal, Dieu propose et on dispose. La paracha Réé met en avant notre libre arbitre et notre capacité à choisir notre chemin ! La suivante est Choftim : les juges, à nouveau selon le Kotzker Rebbe cela nous indique qu’on doit appointer nos propres juges après avoir discerné ce qui est bon ou mauvais dans notre comportement, et mettre en place une stratégie.

Cette semaine, la 3è semaine de préparation commence par les mots

כִּֽי־תֵצֵ֥א לַמִּלְחָמָ֖ה עַל־אֹיְבֶ֑יךָ

Quand tu sortiras faire la guerre contre tes ennemis (Deut 21 :10)

Et l’ingénieux Kotzker Rebbe précise que la guerre est à faire contre nos ennemis intérieurs, notre mauvaise inclination !

La semaine prochaine dans Ki Tavo, nous parlerons de notre arrivée en terre promise, moment où on doit mettre en pratique les commandements, les mitsvot. Chaque mitsva compte, chaque mitsva est un entrainement, avant de nous présenter devant Dieu, la semaine suivante lors de la lecture de la paracha ‘nitzavim’ où tout le peuple est enfin prêt à se tenir devant son Créateur.

אַתֶּ֨ם נִצָּבִ֤ים הַיּוֹם֙ כֻּלְּכֶ֔ם לִפְנֵ֖י יְהוָ֣ה אֱלֹהֵיכֶ֑ם

Vous vous tenez aujourd’hui, vous tous, devant YHWH votre Dieu. (Deut 29 :9)

La recette sur le papier semble d’une simplicité enfantine, pourtant cette année est particulière, on jongle avec des injonctions contradictoires : prier en communauté mais seulement si la capacité de la salle le permet, prendre soin de l’autre mais à minimum d’un mètre de distance, se préoccuper des malades et des endeuillés mais seulement par téléphone, se montrer empathique en cachant son visage derrière un masque !

Et comment gérer les émotions qui nous submergent depuis le début de cette crise sanitaire sans fin ?

Heureusement, le judaïsme est une source infinie de force et de courage qui nous invite à regarder au-delà, à garder l’espoir, ce que nous vivons reste temporaire, extraordinaire.

Notre tradition insiste au-delà de tout sur la force de vie, rien n’est plus précieux que cette vie, une vie de qualité, qui, si Dieu veut, reviendra b’imhera b’yamenou, bientôt et de nos jours. Cette épreuve, comme d’autres que nous avons connu à titre individuel ou collectif, nous met au défi de trouver des ressources nouvelles en nous et auprès des autres.

A présent, réjouissons-nous avec Sasha, notre jeune Bar Mitsva, qui a travaillé dur pour atteindre ce moment, nous sommes là pour lui, pour lui donner cette place et lui montrer l’exemple, l’encourager à être un adulte responsable, soucieux de celui qui est proche comme de celui qui est au loin, parfois à des milliers de kilomètres, mais qui compte sur notre empathie et notre compassion. Car nous avons été nous-mêmes des étrangers opprimés en Egypte, et nous avons été libérés et le serons de nouveau.

Ken yhie ratzon,

Chabbat shalom !