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Il y a quelques jours, Romane se faisait l’écho de ses amis un peu froum , observants qui lui demandaient si un rabbin libéral observe le shabbat ? Sous-entendu est ce qu’un rabbin libéral est un rabbin « comme les autres » ? Et s’il ne l’est pas, pourquoi ? Est-il/elle un ‘vrai’ rabbin « cacher » ?

En apparence, cette question semble porter sur le respect de la Loi, de la Halakha? Mais, de manière plus insidieuse, elle pose une question qui nous obsède un peu trop à savoir : qui est « vraiment » Juif ? ce qui nous préoccupe presque autant que les questions d’antisémitisme…

Comme un leitmotiv ces questions reviennent aussi dans le Talmud (je viens de passer quelques mois à les étudier justement). L’obsession des barrières (sayyagim) et des séparations pour préserver la sainteté du peuple juif, date au moins de l’époque babylonienne…et les plus anciens versets bibliques figurent dans le livre de Nehemia.

Nos rabbins ont à chaque génération, essayé d’interpréter la parole divine et de s’approcher au plus près de cette sainteté commandée par Dieu. Dans le Lévitique ch11 :44 de Chemini notre paracha, il est dit : « Je suis l’éternel votre Dieu, sanctifiez-vous et vous serez saints, car je suis saint, Moi, l’Eternel votre Dieu ».

Pour satisfaire à ce commandement, les rabbins ont élaboré des catégories : ce qui est du domaine du Temple Mikdash  par rapport aux autres lieux, ce qui est en lien le chabbat ou les fêtes, par rapport aux autres jours de la semaine ou de l’année. De manière générale ils ont tenté de distinguer entre Hol (profane) et kodesh (sacré).

Les catégories concernent aussi les êtres humains, la distinction entre les Cohen, les Levi, Israel et les non-juifs. Les esclaves par rapport aux hommes libres. Les hommes des femmes.

Ils n’ont pas hésité à créer de nouvelles catégories comme : les tumtum (qui ont des ’attributs sexuels indifférenciés), les hermaphrodites (qui ont les deux), …A chaque catégorie correspondent des obligations et des exemptions spécifiques.

Le talmud est une collection de points de vue halakhiques de plusieurs générations de rabbins n’est que le début de cette lente élaboration de textes, commentaires et superposition de lois. Il reste dans sa conception d’une grande ouverture, et se présente comme un dialogue entre plusieurs Sages hakhamim, d’époques différentes. Parfois ces rabbins sont de la même génération, mais appartiennent à 2 écoles, et ont eu un réel dialogue et parfois non.

Dans ce dernier cas, ce sont les éditeurs du Talmud qui les juxtaposent pour ajouter un argument, le confirmer l’infirmer. Tous les avis, tant majoritaires que minoritaires sont scrupuleusement consignés dans le Talmud.

Les disputes sont fréquentes, on peut presqu’entendre les voix avec parfois des notes de colère, d’humour, de défi, ou au contraire d’humilité. Ces échanges redonnent vie au texte et nous enseignent à quel point il est essentiel de laisser la porte ouverte à l’autre et au questionnement.

L’étude du talmud est une marque de fabrique du monde juif, c’est une méthode pédagogique qui invite à l’ouverture, à la flexibilité et au respect de l’autre.

Mais une véritable révolution dans le monde talmudique eut lieu près de 8 siècles plus tard à Tzfat, Le rabbin Joseph Karo déjà agé, écrit le Shulchan Arukh La première édition de 1565 est un ouvrage exhaustif, mais c’est aussi un résumé du recueil titanesque précédent du meme auteur: le Beth Yossef. Le Schulchan Arukh « table dressée » fixe les lois dans tous les domaines de la vie juive : personnelle et familiale, politique, économique, religieuse!La table dressée est ensuite commentée et complétée par son collègue ashkénaze Moses Isserles avec ‘la mappa’, la nappe.

L’adoption de l’autorité du Shulkhan Arukh a eu des avantages : celui d’harmoniser des pratiques juives à travers le monde, et d’apporter des réponses écrites à tous. Mais cela a un énorme désavantage : celui de figer la loi et d’en arrêter l’évolution dans le domaine du mariage et du divorce par ex..

Lorsque nos rabbins se réfèrent à la Halakha (avec H majuscule) ils font référence à l’œuvre de Joseph Karo. Mais ils oublient de se référer à ce qui a précédé du temps de la Mishna et du Talmud. A l’image des premiers couples rabbiniques de la Mishna, certains se montraient plus stricts et littéralistes c’était l’école de Shammaï, alors que d’autres étaient plus humanistes et réalistes, l’école de Hillel.

Shammaï et Hillel sont emblématiques de 2 visions du judaïsme : l’une strictement orthodoxe dite mehadrin, qui veut dire observance méticuleuse, suivi littéral de ce qui est prescrit.

Cette vision du judaïsme oblige à vivre entre soi, à construire des barrières voire des murs entre ceux qui se sont fixés ces règles de pratique et l’environnement extérieur, en diaspora mais aussi en Israel.

L’autre vision du judaïsme est plus préoccupée par l’esprit de la lettre, par la morale et l’éthique de notre code.  Nos actes doivent être en conformité avec cette éthique, ce que Leo Baeck appelle l’Essence du Judaïsme dans son livre du même nom.

La pratique religieuse garde son importance mais elle sera évolutive en fonction de l’environnement dans lequel nous vivons, ce qui était pris en compte sous le nom de « minhag » (coutume) par les rabbins du talmud.

Ainsi la cacherout ou le chabbat sont observées par les Juifs de tradition dite libérale. L’observance de la cacherout est l’occasion de se poser des questions sur ce que l’on mange, l’origine des produits qu’on achète ou la quantité de viande consommée…et d’adapter ainsi ses pratiques.

Le chabbat reste un jour qui se différencie des autres jours de la semaine en cela qu’il est consacré aux relations humaines et à la vie familiale et marque un temps d’arrêt avec les activités profanes : nous faisons en sorte d’être plutôt que de faire. L’observance de la cacherout est l’occasion de se poser des questions sur ce que l’on mange, l’origine des produits qu’on achète ou la quantité de viande consommée…et revoir ainsi sa consommation.

L’épisode qui nous est conté à travers les fils d’Aharon cette semaine : Nadav et Avihou est aussi en lien avec l’interprétation de la loi et de sa pratique. Mus par une impulsion de servir Dieu et de s’en rapprocher davantage, ils apportent, sans que Dieu ne le leur demande, un feu étranger un esh zara. L’Eternel les condamne immédiatement et sans discussion à être littéralement avalés par ce feu. Cet épisode à première vue très cruel et peu compréhensible, a donné lieu à de nombreuses interprétations.

Pour certains rabbins Nadav et Avihou ont été punis car ils s’étaient montrés trop impulsifs ou alors trop ambitieux ? Ils se voyaient déjà à la place d’Aharon et Moise !

Le grand Rabbin orthodoxe allemand Samson Raphael Hirsch n’a pas hésité à donner une autre explication à cet épisode comparant Nadav et Avihou aux juifs progressistes, ceux qui ont mal interprété la demande divine et ont apporté le « feu étranger » dans le judaïsme… vous aurez compris qu’il était très inquiet du succès grandissant du judaïsme libéral.

Sans rentrer dans cette polémique, je pense qu’il faut continuer à commenter cet épisode très complexe qui interroge notre foi et notre pratique.

Classer et créer des catégories, sous prétexte de sainteté voire de pureté est surtout une manière de céder aux angoisses les plus primitives: la peur du changement et celle du monde qui nous entoure.

Nous avons vécu suffisamment de cataclysmes au siècle dernier, dans le sens négatif et positif du terme, pour nous rendre compte que notre alliance a évolué.

Le judaïsme libéral a fait le choix d’une alliance centrée sur la relation humaine, où pour être à l’image de Dieu nous nous devons d’être respectueux et aimants les uns avec les autres. Notre alliance ne s’arrête pas au peuple juif mais englobe l’humanité.

Quelle que soit notre étiquette et notre appartenance religieuse faisons place à l’humour, au doute et gardons nos parois poreuses. Ce sera notre meilleur rempart contre la violence d’une lecture idolâtre des textes.

Shabbat shalom