Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."
Lekol ish yesh shem
shenatan lo elohim
venatnu lo aviv ve’imo
Chacun a un nom, celui que Dieu lui a donné
et celui que lui ont donné son père et sa mère.
Ainsi commence un célèbre poème de Zelda poétesse contemporaine, israélienne d’origine polonaise, (cousine du rabbin Loubavitch Schneerson).
Ce poème est souvent associé à la mémoire de la Shoah, ce jour, où les communautés juives libérales ont institué la lecture publique des noms des déportés Juifs de France. Nous lisons à haute voix tous ces noms pour leur donner une mémoire et une sépulture, pour qu’ils ne soient pas morts en vain ; le shav de la racine ש ו א, celle du mot Shoah.
71 ans après la libération des camps, alors que le nombre de survivants diminue comme peau de chagrin et que la mémoire de la Shoah est malmenée ou instrumentalisée par certains, cette journée du souvenir est plus que jamais nécessaire. Commémorer le crime contre l’humanité qu’a été la Shoah , n’est pas nous complaire dans notre particularisme, au contraire, c’est faire œuvre de pédagogie, c’est un message universel.
Mais après l’holocauste, il était difficile et douloureux de donner du sens à sa vie, cela ne s’est pas fait sans peine, ni en un jour, ’Elie Wiesel lui-même l’a expérimenté… Dans un article de Haaretz, du mois d’avril, l’historien Joel Rappel, chargé, entre autres, de classer les archives de l’écrivain, dévoilait avoir retrouvé un manuscrit en hébreu, première version de son best-seller, « la Nuit ». Dans ce manuscrit initial, Elie Wiesel était en proie à la haine, au sentiment de revanche contre ses bourreaux qui lui avaient fait vivre l’enfer à Auschwitz. Face à cette découverte, 2 approches sont possibles : se dire que ce manuscrit porte ombrage à toute son œuvre et par conséquent, se demander lequel reflète la véritable conscience d’Elie Wiesel ? Ou alors être admiratif face à son courage, et sa capacité à faire face à une réaction naturelle de colère et de haine? Les interventions du prix Nobel de la paix ont toujours été exemplaires, preuve du travail qu’il a entrepris sur lui-même par l’écriture. Il a su s’arracher à sa condition de victime, et s’est construit une vie de témoin. Elie Wiesel est ainsi devenu un modèle de résilience.
A la fin de la paracha Emor, que nous lisons cette semaine, figure un court récit en 8 versets, comme une incongruité dans cette longue liste de lois de pureté rituelle. Il nous parle d’un homme, qui, pour avoir maudit Dieu est condamné à mourir par lapidation. Selon les commentateurs ce récit sert de base à la jurisprudence – la punition que mérite le blasphème c’est la peine capitale, qui existait encore au temps biblique.
La Bible nous raconte peu de choses sur cet homme. Son ascendance maternelle est répétée et précisée à trois reprises. Le fils d’une israélite, devient le fils de l’Israelite puis le fils de la femme de l’israélite.
( בן אשה ישראלית\ בן ה ישראלית\ בן האשה האשראלי(
Cette répétition a probablement un sens : pointer du doigt la mère Shlomit Bat Dibri et la signification de son nom, qui comme souvent dans la Torah, nous donne des indices sur son histoire. Le père égyptien, ainsi que son fils, restent, eux, dans l’anonymat.
Ce récit a intrigué nos Sages et a donné lieu à de nombreuses interprétations.
Dans levitique rabba 32:5, le midrash nous apprend que Shlomit Bat Dibri appartient à la tribu de Dan, cette tribu mal considérée par les Judéens, parce qu’elle avait construit son propre Temple.
Le nom de cette femme est commenté ainsi : Shlomit vient de shalom car elle disait bonjour à tous ceux qu’elle croisait, bat dibri, qui peut être traduit par « fille de la parole », est appelée ainsi parce qu’elle parle à tort et à travers. Les Sages vont jusqu’à la traiter de prostituée et imputer son viol par l’Egyptien à sa trop grande loquacité.
Le père, serait le même Egyptien, que Moise a assassiné au début du récit de l’Exode au ch 2, parce qu’il maltraitait les esclaves hébreux. (ceci est un commentaire de la Renaissance (fin 15e siècle) de Shlomo Ephraim ben Aaron Luntschitz plus connu sous le nom de son oeuvre Kli Yakar).
Le midrash pose aussi la question de l’origine de cet homme au verset 10, d’où sort il (ויצא בתוך) ? que cherche t il ? L’un des commentateurs parle de la difficulté de cet homme à être admis parmi les membres de la tribu maternelle de Dan à laquelle il souhaite s’intégrer.
Ce récit qui porte, en partie, sur le blasphème, nous parle, de manière détournée, du statut du demi israélite (par la mère). Son portrait est peu flatteur. Les rédacteurs de la Bible commençaient déjà à se poser la question du statut et de l’appartenance. Comme aujourd’hui, il y a une suspicion sur ces personnes qui vivent à la marge de la communauté, qui se situent hors patrilinéarité qui était la règle de transmission dans l’Antiquité. Les Sages vont jusqu’à imaginer une conversion du fils de Shlomit Bat Dibri et le considèrent comme un mamzer, fils d’une union illégale. Ce qui est anachronique, puisque ces statuts n’ont été définis qu’ultérieurement à l’époque de la Mishna et du Talmud.i
Ce jeune homme qui n’a pas de nom, puisqu’il n’a pas de père reconnu, ne peut s’inscrire dans une généalogie, même celle de la tribu de Dan pourtant déconsidérée. Le midrash met sa violence lorsqu’il se bat contre le fils d’un israélite et sa colère qui lui fait maudire Dieu, sur le compte de l’injustice qui lui a été faite.
Cette histoire qui pourrait presque passer inaperçue, nous parle de ce qui est souvent, encore de nos jours, vécu comme un drame familial.
La douleur de l’exclusion, la non-appartenance porte en germe la violence.
Cette année commémore les 500 ans de la construction du ghetto. Nous qui avons si souvent été cloitrés derrière des murs par les autres peuples, sommes aussi très doués, à force de suspicion, de recherche de pureté, et surtout de peur, pour exclure.
Le poème de Zelda continue plus loin par cette strophe:
Lekol ish yesh shem,
shenatnou lo sonav
venatna lo ahavato :
chaque humain a un nom,
que lui donnent ses ennemis
et que lui a donné son amoureux (se).
La haine gratuite a trop souvent été un mobile pour se moquer, déclasser, voire oblitérer le nom de nos ancêtres.
Malheureusement elle est aussi présente aujourd’hui contre celle ou celui qui est dissemblable, juif, chrétien ou musulman, sur lequel on est prompt à mettre une étiquette.
L’histoire singulière de notre paracha et celle collective de la Shoah sont des balises ou des re-pères pour se souvenir de nos pères et nos mères, d’où nous venons et où nous allons. Nous devons rester dignes des femmes et des hommes, sans oublier les enfants qui nous ont précédés et dont le nom a été rappelé le 5 mai dernier.
Ken Yhie Ratzon, shabbat shalom !
iJe remercie ma professeure Laliv Clenman d’avoir attiré mon attention sur la problématique de la matrilinéarité et l’instabilité qui en découle <dans la Bible.
Paracha Emor
de Daniela Touati
On 13 mai 2016
dans Commentaires de la semaine
Lekol ish yesh shem
shenatan lo elohim
venatnu lo aviv ve’imo
Chacun a un nom, celui que Dieu lui a donné
et celui que lui ont donné son père et sa mère.
Ainsi commence un célèbre poème de Zelda poétesse contemporaine, israélienne d’origine polonaise, (cousine du rabbin Loubavitch Schneerson).
Ce poème est souvent associé à la mémoire de la Shoah, ce jour, où les communautés juives libérales ont institué la lecture publique des noms des déportés Juifs de France. Nous lisons à haute voix tous ces noms pour leur donner une mémoire et une sépulture, pour qu’ils ne soient pas morts en vain ; le shav de la racine ש ו א , celle du mot Shoah.
71 ans après la libération des camps, alors que le nombre de survivants diminue comme peau de chagrin et que la mémoire de la Shoah est malmenée ou instrumentalisée par certains, cette journée du souvenir est plus que jamais nécessaire. Commémorer le crime contre l’humanité qu’a été la Shoah , n’est pas nous complaire dans notre particularisme, au contraire, c’est faire œuvre de pédagogie, c’est un message universel.
Mais après l’holocauste, il était difficile et douloureux de donner du sens à sa vie, cela ne s’est pas fait sans peine, ni en un jour, ’Elie Wiesel lui-même l’a expérimenté… Dans un article de Haaretz, du mois d’avril, l’historien Joel Rappel, chargé, entre autres, de classer les archives de l’écrivain, dévoilait avoir retrouvé un manuscrit en hébreu, première version de son best-seller, « la Nuit ». Dans ce manuscrit initial, Elie Wiesel était en proie à la haine, au sentiment de revanche contre ses bourreaux qui lui avaient fait vivre l’enfer à Auschwitz. Face à cette découverte, 2 approches sont possibles : se dire que ce manuscrit porte ombrage à toute son œuvre et par conséquent, se demander lequel reflète la véritable conscience d’Elie Wiesel ? Ou alors être admiratif face à son courage, et sa capacité à faire face à une réaction naturelle de colère et de haine? Les interventions du prix Nobel de la paix ont toujours été exemplaires, preuve du travail qu’il a entrepris sur lui-même par l’écriture. Il a su s’arracher à sa condition de victime, et s’est construit une vie de témoin. Elie Wiesel est ainsi devenu un modèle de résilience.
A la fin de la paracha Emor, que nous lisons cette semaine, figure un court récit en 8 versets, comme une incongruité dans cette longue liste de lois de pureté rituelle. Il nous parle d’un homme, qui, pour avoir maudit Dieu est condamné à mourir par lapidation. Selon les commentateurs ce récit sert de base à la jurisprudence – la punition que mérite le blasphème c’est la peine capitale, qui existait encore au temps biblique.
La Bible nous raconte peu de choses sur cet homme. Son ascendance maternelle est répétée et précisée à trois reprises. Le fils d’une israélite, devient le fils de l’Israelite puis le fils de la femme de l’israélite.
( בן אשה ישראלית\ בן ה ישראלית\ בן האשה האשראלי(
Cette répétition a probablement un sens : pointer du doigt la mère Shlomit Bat Dibri et la signification de son nom, qui comme souvent dans la Torah, nous donne des indices sur son histoire. Le père égyptien, ainsi que son fils, restent, eux, dans l’anonymat.
Ce récit a intrigué nos Sages et a donné lieu à de nombreuses interprétations.
Dans levitique rabba 32:5, le midrash nous apprend que Shlomit Bat Dibri appartient à la tribu de Dan, cette tribu mal considérée par les Judéens, parce qu’elle avait construit son propre Temple.
Le nom de cette femme est commenté ainsi : Shlomit vient de shalom car elle disait bonjour à tous ceux qu’elle croisait, bat dibri, qui peut être traduit par « fille de la parole », est appelée ainsi parce qu’elle parle à tort et à travers. Les Sages vont jusqu’à la traiter de prostituée et imputer son viol par l’Egyptien à sa trop grande loquacité.
Le père, serait le même Egyptien, que Moise a assassiné au début du récit de l’Exode au ch 2, parce qu’il maltraitait les esclaves hébreux. (ceci est un commentaire de la Renaissance (fin 15e siècle) de Shlomo Ephraim ben Aaron Luntschitz plus connu sous le nom de son oeuvre Kli Yakar).
Le midrash pose aussi la question de l’origine de cet homme au verset 10, d’où sort il (ויצא בתוך) ? que cherche t il ? L’un des commentateurs parle de la difficulté de cet homme à être admis parmi les membres de la tribu maternelle de Dan à laquelle il souhaite s’intégrer.
Ce récit qui porte, en partie, sur le blasphème, nous parle, de manière détournée, du statut du demi israélite (par la mère). Son portrait est peu flatteur. Les rédacteurs de la Bible commençaient déjà à se poser la question du statut et de l’appartenance. Comme aujourd’hui, il y a une suspicion sur ces personnes qui vivent à la marge de la communauté, qui se situent hors patrilinéarité qui était la règle de transmission dans l’Antiquité. Les Sages vont jusqu’à imaginer une conversion du fils de Shlomit Bat Dibri et le considèrent comme un mamzer, fils d’une union illégale. Ce qui est anachronique, puisque ces statuts n’ont été définis qu’ultérieurement à l’époque de la Mishna et du Talmud.i
Ce jeune homme qui n’a pas de nom, puisqu’il n’a pas de père reconnu, ne peut s’inscrire dans une généalogie, même celle de la tribu de Dan pourtant déconsidérée. Le midrash met sa violence lorsqu’il se bat contre le fils d’un israélite et sa colère qui lui fait maudire Dieu, sur le compte de l’injustice qui lui a été faite.
Cette histoire qui pourrait presque passer inaperçue, nous parle de ce qui est souvent, encore de nos jours, vécu comme un drame familial.
La douleur de l’exclusion, la non-appartenance porte en germe la violence.
Cette année commémore les 500 ans de la construction du ghetto. Nous qui avons si souvent été cloitrés derrière des murs par les autres peuples, sommes aussi très doués, à force de suspicion, de recherche de pureté, et surtout de peur, pour exclure.
Le poème de Zelda continue plus loin par cette strophe:
Lekol ish yesh shem,
shenatnou lo sonav
venatna lo ahavato :
chaque humain a un nom,
que lui donnent ses ennemis
et que lui a donné son amoureux (se).
La haine gratuite a trop souvent été un mobile pour se moquer, déclasser, voire oblitérer le nom de nos ancêtres.
Malheureusement elle est aussi présente aujourd’hui contre celle ou celui qui est dissemblable, juif, chrétien ou musulman, sur lequel on est prompt à mettre une étiquette.
L’histoire singulière de notre paracha et celle collective de la Shoah sont des balises ou des re-pères pour se souvenir de nos pères et nos mères, d’où nous venons et où nous allons. Nous devons rester dignes des femmes et des hommes, sans oublier les enfants qui nous ont précédés et dont le nom a été rappelé le 5 mai dernier.
Ken Yhie Ratzon, shabbat shalom !
iJe remercie ma professeure Laliv Clenman d’avoir attiré mon attention sur la problématique de la matrilinéarité et l’instabilité qui en découle <dans la Bible.
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