opera 9

Est-ce que vous avez déjà entendu parler de Pulsa dinura ? ce n’est pas de l’italien mais de l’araméen…Pour ma part j’ai découvert ce terme et le rituel qui va avec dans le dernier film d’Amos Gitaï qui relate l’assassinat d’Ytzhak Rabin,

le PULSA DINURA est évoqué notamment dans le traité Hagiga 15a à propos d’Elisha Ben Abuya appelé aussi Akher qui est pour les rabbins du talmud, la figure type de l’hérétique …il est par conséquent puni par 60 coups d’anneaux chauffés et attachés à un fouet (littéralement ce que veut dire pulsa dinura). Cela fait partie du herem – l’excommunication.

Mais certains groupes ultra-orthodoxes adeptes du kabbalisme l’ont totalement dévoyé et ont transformé la punition en malédiction. Le rituel est assez complexe, cela se rapproche de la magie noire; une suite d’invocations prononcées par 10 rabbins (moralement irréprochables sic) à minuit au son du shoffar, à la lumière de bougies noires, contre « une cible » censée mourir dans l’année. Mais pour dissuader les plus fanatiques, l’invocation peut avoir un effet boomerang et se retourner contre les rabbins qui l’ont invoquée Si ils se trompent « de cible »,!

Le Pulsa Dinura aurait été pratiqué à 3 ou 4 reprises dans l’histoire : contre Trotski et plus récemment contre Yitzhak Rabin et Ariel Sharon…dont on connait l’issue fatale.

Comment des personnes qui se disent religieuses et respectueuses de la parole de Dieu peuvent se prêter à de telles cérémonies qui incitent au meurtre ? Comment en est-on arriver à mélanger religion et politique, jusqu’à conduire à l’assassinat d’un premier ministre qui a changé le cours de l’histoire ?

L’onde de choc a été terrible et les plus optimistes se sont pris à rêver qu’on avait atteint le fond et qu’Israël ne pouvait qu’en tirer les conséquences, cela signait la fin de ces dangereux extrémistes…Mais 20 ans après quelles leçons a-t-on tiré de ce crime abominable ? Quelles  mesures ont été prises contre ces dangereux énergumènes qui pervertissent le judaïsme ?  Y a-t-il eu un vrai débat dans le pays à ce sujet ? Malheureusement, le religieux et le politique n’ont fait que s’emmêler davantage dans une pelote qui semble aujourd’hui inextricable et incontrôlable, on a même assisté depuis à une escalade de la violence et ponctuellement à d’autres actes criminels (contre des palestiniens, des chrétiens)

Vous vous demandez pourquoi pointer du doigt ces cas isolés perpétrés en Israël alors que les crimes islamistes se comptent par milliers et nous menacent bien davantage ? Malheureusement les crimes perpétrés « chez nous » ou « chez eux » ont pour origine un même fanatisme, un même désir d’être sous le feu des projecteurs ne serait-ce qu’une minute, donner un simulacre de sens à une vie qui n’en a aucun….

Oui ils sont moins fréquents parmi nos coreligionnaires– mais leur existence même doit nous alerter !

Nous vivons une époque où des tabous sont tombés, Comment peut-on invoquer Dieu pour maudire et détruire ? Quel esprit perverti peut imaginer que c’est  cela ce que Dieu attend de nous ?

Nous avons le choix alors de nous tourner plutôt vers les paroles qui ont permis de conserver la Création : les 10 commandements. Nous lirons demain matin ces 14 versets qui apparaissent une première fois dans la paracha  Yitro, nous les lirons à nouveau à Shavuot puis  dans le Deutéronome paracha Ethanan. Pour certains rabbins ces 10 paroles étaient la quintessence de la Torah, d’autres ont pensé que c’était une hérésie de créer ainsi une hiérarchie entre les commandements. Ce n’est pas étranger à la crainte d’être absorbé par le christianisme qui avait fait du décalogue un élement central de sa foi et de sa liturgie (à l’exception du commandement sur le Shabbat).

Les dix commandements sont la base éthique (notion qui selon Paul Ricoeur renvoie à la visée d’une vie accomplie) et morale (code de conduite) adopté par les 3 monothéismes  est un socle pour vivre en société, le minimum vital pour qu’un groupe humain puisse perdurer.

Selon le commentateur médiéval Abraham Ibn Ezra tous nos commandements peuvent être classés en 3 catégories: les commandements du cœur, de la parole et des actes. Les 10 commandements n’échappent pas à cette règle, ils ont de plus une organisation symétrique (chiasme). Les 5 premiers nous parlent de notre relation à Dieu : et sont des commandements du cœur. Les 5 derniers sont des actes interdits.

Je vous propose de mettre en lumière l’un d’entre eux,  le 6è: lo tirtzakh : tu ne tueras pas. Cela semble clair, il ne peut y avoir de doute, de « oui mais », pas de condition à ces 2 termes. Mais le questionnement existe pour les Juifs, les chrétiens et les musulmans ! est que la racine  resh tzadik khet se réfère au meurtre uniquement ou à toute manière d’oter la vie ? est ce que par conséquent la peine capitale doit être prohibée ? L’avortement ? La version musulmane de cet interdit est même formulée de manière conditionnelle : « Nous avons commandé aux enfants d’Israël que quiconque tue une personne – à moins qu’elle n’ait commis un meurtre ou semé la corruption dans le pays – c’est comme s’il avait tué tous les hommes .» (Sourate 5:v32)…

Mais pourquoi cet interdit de tuer ? Quelles sont les conséquences selon la Bible ? MA Ouaknin nous dit dans son livre sur les 10 cdts : que cela veut dire « nier que l’autre a un visage, son unicité, la précieuse individualité qui fait que Dieu s’est révélé de manière particulière en chacun de nous. Or en hébreu c’est la racine shav (shin vav aleph) qui désigne l’indistinction entre les êtres. le terme shoah est issu de cette même racine shav: car la Shoah a tenté de créer une uniformité morbide, ce qui est aussi le but du fascisme religieux! C’est cela la leçon de la Shoah, alors que nous commémorons ce dimanche la libération d’Auschwitz pour la 71 fois, l’actualité nous rappelle qu’il faut plus que jamais méditer sur ce legs la ! Car qu’est ce que la Shoah sinon le résultat de mots et de discours de haine envers l’autre?

Et si nous-mêmes, qui en avons été victimes, ne l’avons pas intégré, comment attendre qu’il en soit autrement de l’autre ?

Nachman de Brastlav, le fondateur du mouvement hassidique Braslav (à la fin du 18e siècle) nous a transmis ces mots qui font partie de notre liturgie : « kol haolam koulo gesher tzar meod, vehaykar lo lefahed klal » « le monde entier est un pont très étroit et l’essentiel est de ne jamais avoir peur ». Oui la voie est très étroite. Quel antidote avons-nous à cela ?

Le discernement et le courage sont plus que jamais nécessaires. A cette haine et cette violence nous devons opposer l’amour de Dieu et de son prochain, une vie faite de liens et tournée vers l’autre sans contrepartie, le pire qui peut nous arriver c’est d’en éprouver de la joie !

Etre conscient de la fragilité et des besoins de l’autre dans notre tradition cela s’appelle le hessed. Ce terme complexe est décrit ainsi par le théologien américain Michael Fishbane : agir en ayant Dieu dans notre esprit et dans notre cœur et être à son image c’est tendre la main, soutenir, être une béquille pour celui qui chancelle, faire preuve de gentillesse et de générosité. Le hessed est un travail sacré de rédemption.

Ken Yhye ratzon, shabbat shalom