Le nouveau mois de Chevat, celui où nous célébrons le nouvel an des arbres et la floraison des amandiers, coïncidait cette semaine avec le 27 janvier, date retenue par la communauté internationale pour commémorer la Shoah.

A l’occasion des 75 ans de la libération d’Auschwitz, 50 représentants de différents pays dont les 4 vainqueurs de la seconde guerre mondiale ainsi que de l’Allemagne se sont réunis à Jérusalem dans le cadre du 5è forum sur la Shoah.

Le président allemand Steinmeier a récité en hébreu le shehehyanou la prière inaugurale au début et à la fin de son discours. Selon lui ‘la flamme éternelle de Yad Vashem ne s’éteint pas, la responsabilité de l’Allemagne n’expire pas.’  D’une voix forte il a tonné nie wieder, plus jamais ça, mais a admis que ‘les esprits du mal apparaissent sous une nouvelle forme’. Et que ‘notre souvenir [des victimes] permettra de vaincre l’abime et que nos actions vaincront la haine’.

Le président Macron a déclaré ‘qu’il faut cette unité de l’Europe, de la communauté internationale, car l’antisémitisme resurgit violent, brutal, dans nos démocraties.’

Le président russe Putin a appelé  ‘à la tenue d’une réunion des chefs d’État des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies […] : la Russie, la Chine, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne’ pour lutter contre toutes les menaces actuelles.

Le vice-président américain Pence a rappelé sa récente visite et celle de son épouse à Auschwitz et l’émotion qu’elle a suscitée chez lui, il a demandé un front commun contre le seul pays officiellement négationniste : l’Iran…

Le Prince Charles a parlé de sa grand-mère Alice de Grèce enterrée sur le mont des Oliviers, et considérée comme Hasidei Ummot olam, juste parmi les nations. Il a ajouté que la Shoah ne doit jamais devenir un simple fait de l’histoire et, citant le verset d’Isaïe, que le ceux de notre peuple qui ont vécu cette obscurité soient à jamais ‘une lumière parmi les nations’ pour guider les générations à venir.

La cause de l’antisémitisme moderne rassemble de très nombreuses têtes parfois couronnées, un front uni au plus haut sommet des puissances mondiales, de quoi nous réjouir en principe et nous sentir en sécurité. Les mots prononcés sont de plus en plus forts, mais ils sont dits au sein d’un cercle d’hommes et de femmes déjà convaincus…Comment porter ce message à l’extérieur ? 

Pourquoi faut-il un forum sur la Shoah 75 ans après la libération d’Auschwitz ? Et surtout, comment se fait-il qu’en 2019, 84% des juifs français de 18 à 24 ans déclarent avoir été victimes d’un acte antisémite ?[1] Comment se libérer de ces violences antisémites et vivre enfin en toute quiétude en France ou ailleurs ?

Demain matin nous avancerons dans le récit de l’Exode d’Egypte, notre libération nationale. Nous lirons deux récits juxtaposés, l’un appelé le Pessah Mitzraïm qui est le récit de la fuite des hébreux bayamim hahem, en ces temps-là, cette fameuse nuit du 14 au 15 Nissan. Le deuxième est le Pessah perpétuel celui que nous commémorons tous les ans. Il est décrit sous la forme d’un rituel centré autour du sacrifice pascal.

Le Pessah Mitzraïm commence par les instructions que Dieu fait à Moïse concernant la dixième et dernière plaie. Et avant même l’exécution de ces instructions, tout à coup le récit est interrompu par le descriptif détaillé du Pessah perpétuel celui du sacrifice de l’agneau et du premier seder, repas à renouveler année après année pour nous nous rappeler la libération de notre peuple.  

Quel lien y a-t-il entre le Pessah Mitzraïm – réel, et le Pessah perpétuel – symbolique ? Il semblerait que le récit de la Torah tente de créer comme une passerelle, avant même de sortir d’Egypte, entre le présent de ces hébreux, afin de les projeter dans un avenir au-delà de leur sortie, ou plutôt dans un espace, où ils seront en sécurité pour toujours. Et ainsi que l’écrit Ilana Pardes bibliste, auteure de ‘La biographie de l’ancien Israël’[2], avant même d’avoir expérimenté la liberté, Moïse demande à son peuple de répéter et ritualiser cette commémoration tous les ans et de la transmettre de génération en génération.

N’est-ce pas une façon de créer un fil – qui relie le présent à l’avenir, un kav qui en hébreu est la racine du mot tikva, l’espoir ? Le Pessah perpétuel est celui où on se souvient des périodes sombres de l’histoire, celle de l’esclavage, des exactions subies, pour les conjurer, mais aussi pour se préserver de la haine et de la vengeance. Ce rituel requiert de nous d’être dans la vie et l’action, regardant vers demain. Ce mythe fondateur de la sortie d’Egypte est à la source de la naissance d’un peuple mais surtout de son caractère résilient et optimiste.

Comme ces dates qui font se télescoper dans le calendrier cette semaine, la Shoah et Rosh Hodesh Chevat, le mois de la fête des arbres, il nous est commandé de planter cet enseignement en nous, ainsi que nous le répétons à chaque alya à la Torah – Torat emet nata betokhenou – [l’Eternel] a planté une Torah de vérité en nous. Une Torah qui est le fil conducteur de nos vies et qui nous fait nous déployer au-delà du présent, comme on plante un arbre dont profiteront les générations à venir.

Chabbat shalom !


[1] Etude IFOP Fondapol parue dans le Parisien le 21 janvier 2020. http://www.leparisien.fr/societe/antisemitisme-34-des-juifs-de-france-se-sentent-menaces-20-01-2020-8240382.php

[2] Ilana Pardes, The Biography of Ancient Israel, 2000, University of California Press.