Vous êtes-vous déjà demandé d’où provient l’horloge qui décore notre synagogue depuis notre aménagement en août 2015 ? Le papier peint représentant des pages du traité Shevouot, ainsi que la pendule qui décore les murs, mais aussi les vitraux représentant les 12 tribus sont toutes l’œuvre d’un même artiste : Zwy Milshtein. Elles ont toutes été généreusement offertes à KEREN OR par un bienfaiteur de notre synagogue.

Zwy âgé aujourd’hui de 85 ans a décliné l’invitation à se joindre aux 30 ans de KEREN OR, ne sera pas présent, son état de santé ne le permet pas…Peinée de cette nouvelle, je me suis penchée sur son histoire qui est détaillée sur son site, et appris qu’à l’age de 7 ans il s’est enfui avec sa mère et son frère ainé et a erré sur les routes pendant deux ans jusqu’à leur installation en Géorgie. Ce début de vie tragique, le laissera orphelin de père, mais cela ne l’empêchera pas d’étudier auprès des grands artistes à Bucarest d’abord, puis à partir de 1948 à Tel Aviv, et à la faveur d’une bourse d’études, depuis 1956 à Paris. Prolifique, il est doté aussi de talents multiples : le dessin, la peinture, la gravure, la sculpture, et il a même écrit des textes pour illustrer ses œuvres et paraît-il excelle au jeu d’échecs.

De toutes les œuvres qui décorent notre salle de prière, il est vrai que c’est l’horloge qui a happé mon regard. Clin d’œil à l’horloge de Prague qui date elle de 1586, et la seule qui, jusqu’à aujourd’hui, orne un bâtiment public, l’hôtel de ville juif du ghetto de la ville. Elle a la particularité d’indiquer l’heure avec des lettres hébraïques disposées dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Le temps ainsi décrit son cours à l’envers, comme s’il était détraqué. Prague, comme vous le savez peut- être, dispose aussi d’une magnifique horloge astronomique qui est le point de mire de toutes les visites de la ville. Il est amusant que dans l’ancien ghetto, cette deuxième horloge lui fasse en quelque sorte un pied de nez…

Lors de l’installation de ses œuvres, Zwy nous a dit avec émotion que la photo peinte sur le cadran est celle de son frère ainé de 4 ans, mort tragiquement. La photo d’une vie qui s’est arrêtée prématurément au milieu d’une horloge qui indique l’heure à l’envers. L’absurde de cette horloge est une manière de prendre avec dérision la comédie de nos vies, ou alors, d’affirmer que cela nous dépasse, et seul le Grand Horloger peut donner un sens à tout cela.

Ce Grand Horloger qui, pour la première fois, se manifeste au début du livre de l’Exode en déclinant une identité bien mystérieuse: ‘Ehye Asher Ehye’[1]

‘Je suis ce que je suis’, ou encore ‘je serai ce que je serai’. Dérivé d’une racine qui est une variante de celle du verbe être, hey vav hey, Dieu est en devenir, selon Erich Fromm[2] en cela il est comme l’être humain, mais reste totalement insaisissable par notre finitude d’être humain. Et par conséquent la seule manière d’appréhender Dieu est d’être attentif à ce qu’Il produit dans nos vies, et si nous avons la chance de ressentir sa présence à nos côtés qui nous accompagne comme la promesse faite à Moise : ehye yimakh, je serai avec toi…

D’après les commentateurs, Ehye Asher Ehye est une exégèse, une explication du tétragramme, Yod Hey Vav Hey qui peut se traduire par Celui qui met en existence, qui cause la vie. Ce nom imprononçable, appelé aussi Shem haMeforash, le nom explicite qui selon la mishna était prononcé une fois par an par le Cohen Gadol lors de Yom Kippour dans le saint des saints du Temple. La prononciation du tétragramme était un appel à la compassion de Dieu envers ses créatures. YHWH est le nom de Dieu correspondant à ses attributs de hessed, d’amour bienveillant et contractuel, qui ouvre la porte à la teshouva, au pardon si nous faisons le premier pas. Lorsque le peuple entendait ce nom, il se prosternait et se jetait face contre terre en disant ‘baroukh shem k’vod malkhouto l’olam vaed.’ Le temple et le cohen gadol ont disparu, la prononciation du Nom divin a été oubliée et n’est plus proférée même une fois par an, mais une partie du rituel de Yom Kippour et notamment la gestuelle et la bénédiction ont survécu jusqu’à nos jours.

Ce nom il est interdit de le prononcer et à la place nous disons Adonaï. Mais lorsqu’on le découpe en Yod-inspiration, Hey – expiration, Yod – inspiration et de nouveau Hey – expiration, nous entendons et ressentons la vie soufflée quotidiennement par l’Eternel dans nos narines ou comme les battements du cœur, le tic-tac de nos vies.

Et à l’abri de cette pendule qui indique l‘heure à l’envers, nous prions pour que l’Eternel soit à nos côtés et nous donne la force de redresser ces aiguilles, puis bénissons le Grand Horloger qui nous a conservé la vie et la santé et nous a fait atteindre ce moment.

Baroukh ata adonaï Eloheinou Melekh haOlam, cheheheyanou, vekiyemanou vehiguianou lazman haze !

Amen!

chabbat shalom!


[1] Genèse 3:14

[2] « You shall be as Gods » Erich Fromm, 1966