‘Der mentch tracht und Got lacht’
« L’homme prévoit et Dieu rit » ! Ce proverbe Yiddish typique de
l’humour juif résonne de manière particulière en ce moment. Sourire en cette
période, où chacun lutte contre un dangereux et microscopique ennemi est un
luxe, dont on ne va pas se priver. Les vidéos humoristiques, les parodies de chansons
transférées à l’infini sur les réseaux sociaux sont nos dérisoires actes de
résistance.
En quelques jours, cet ennemi invisible a réussi à bouleverser nos vies, notre travail, nos habitudes, et retarder tous nos projets. Comme le dit Yuval Harari ces dernières semaines, nos dirigeants ont dû prendre des décisions dans l’urgence et tester à grande échelle ce que veut dire enseigner et étudier en mode virtuel, travailler ou se réunir à distance. En tant que synagogue, on s’est adaptés aussi pour proposer une vie spirituelle sans être physiquement connectés les uns aux autres, un véritable défi !
Chacun est conscient de vivre un moment inédit
dans son histoire et même dans l’histoire récente de l’humanité. Il faut
remonter aux années 1980 avec l’épidémie du Sida, qui continue encore de nos
jours et a décimé toute une frange de la population notamment homosexuelle, pour
se rappeler de la malédiction que représente un virus. La grippe espagnole pandémie
qui a causé des dizaines de millions de morts remonte à la fin de la première
guerre. 4 générations plus tard, même sans témoins pour en parler, on tremble
en l’évoquant…
Bien
sûr, la science a progressé, et nos conditions de vie et de soin sont bien
meilleures aujourd’hui. Même si les pertes en vies humaines sont incomparablement
moindres, chaque vie perdue crée une onde de choc extrêmement douloureuse et ce
d’autant plus que la distanciation sociale est exigée même pour les
enterrements.
L’humanité
se croyait toute puissante dans bien des domaines, ce virus nous rappelle qu’il
n’en est rien et que notre monde est incertain. Ce qu’on a bâti avec beaucoup
de soin peut s’écrouler du jour au lendemain.
On
a partagé un même vécu ces derniers jours, dans un premier temps, chacun s’est
préoccupé des aspects matériels : comment fera-t-on vivre sa famille ces
prochaines semaines ? Comment prendre soin de ses parents ? De ses
enfants ? Comment s’approvisionner ? Comment vivre ensemble 24h/24 parfois
dans un petit espace et alors qu’on n’en avait pas l’habitude ?
Dans
un deuxième temps, ce coup d’arrêt brutal a provoqué une prise de conscience,
de notre condition humaine et son extrême fragilité.
Depuis
plusieurs années, on s’était habitué à observer les craquements de notre
société, les fissures dans les murs de la maison humaine, sous l’effet d’actes
terroristes, puis, d’élections qui ont vu arriver au pouvoir plusieurs
dirigeants populistes, xénophobes, qui fragmentent le lien social. On vivait
une résurgence du chacun pour soi, du confinement dans des idées de plus en
plus simplistes et étriquées.
Cette
épidémie nous a plongés du jour au lendemain, dans un impératif vital de
solidarité et d’union. Quelle que soit notre origine, notre classe sociale,
notre genre, ou notre nationalité, ce moment nous invite à réfléchir à ce que
nous avons en commun. En quelques heures, il a fallu revenir à l’essentiel, à
la simplicité, à la proximité et au lien fondamental qui unit chaque être humain
à son prochain.
Un
appel à collaborer avec l’autre voire à se sacrifier. Des notions négligées
depuis trop longtemps. Oui, chacun a dû sacrifier quelque chose de sa vie
d’avant, pour le mettre au profit de la communauté : le globe-trotter a dû
rester chez lui, le joggeur a cessé ses tours du parc, le commerçant-non-alimentaire
a laissé son rideau fermé, l’artiste a annulé son concert ou sa tournée…et ce
ne sont que quelques exemples de ce qu’il a fallu cesser de faire pour se
protéger.
De
l’autre, les soignants, les caissières, et autres conducteurs poids-lourds se
sont eux trouvés en première ligne de l’autel de l’épidémie. Certains y ont
déjà laissé leur vie pour protéger ceux de l’arrière : nous.
Se
sacrifier nous dit la Bible c’est se rapprocher du divin, et intercéder en
faveur d’autrui pour que sa vie soit épargnée. La racine ק ר ב a aussi le sens de
mener un combat, cette fois-ci contre soi, et son mauvais penchant…
Les
sacrifices d’animaux représentaient le premier acte religieux de l’Antiquité,
ceux décrits avec minutie dans le livre du Lévitique, dont nous commençons la
lecture demain matin . Ces offrandes qui seront interrompues brutalement
avec la destruction du 2e Temple en 70 de notre ère. La Avoda, le
service au Temple, où les prêtres procèdent à ce rituel du sacrifice, permettent,
à travers leur intermédiaire, de se purifier rituellement, remercier Dieu et
demander pardon.
Plusieurs
prophètes dont Jérémie, Isaïe, Amos et Michée mettaient en garde leurs
contemporains, en particulier les notables de la communauté, contre l’hypocrisie
sous-jacents parfois à ces sacrifices au Temple, si d’un côté on demande pardon
et de l’autre on continue à transgresser sans vergogne. Il en est ainsi dans la
haftara lue ce samedi matin, tirée du livre d’Isaïe où nous pouvons lire[1]:
« Et pourtant ce n’est pas moi
que tu as invoqué, Jacob! Non, tu t’es lassé de moi, Israël! Ce n’est pas à moi que tu as apporté l’agneau
de tes holocaustes, ni moi que tu as honoré de tes sacrifices; je ne t’ai point
importuné pour des oblations, ni excédé pour de l’encens. 24 Tu n’as pas, à
prix d’argent, acheté pour moi des aromates, tu ne m’as pas saturé de la
graisse de tes victimes. En revanche, tu m’as importuné par tes péchés, excédé
par tes iniquités.
Ainsi,
le peuple hébreu s’est toujours trouvé face à cette double injonction paradoxale.
Rite et éthique sont mis en tension, il ne sert à rien d’apporter des
sacrifices – aujourd’hui remplacés par la prière – si on enfreint l’éthique la
plus élémentaire.
En
cette période où le temps semble s’être arrêté pour certains, alors qu’il s’est
accéléré pour d’autres, posons-nous la question du sacrifice, de ce que chacun
apporte à cette parenthèse temporelle que nous vivons ensemble. Alors que cette
situation exceptionnelle met les compteurs de l’âme à zéro, saisissons cette chance
! Transformons les larmes en affection, aérons la gravité de la situation avec un
peu d’humour, l’immobilisme contraint en quelques pas de danse, l’isolement en
lien.
Soyez
attentif à vous et à ceux qui vous entourent, car sans l’autre nous ne sommes
rien.
Hizkou
v’Imtzou, soyez forts et courageux !
Shabbat
shalom
[1] Isaïe 43:22-24
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de Daniela Touati
On 27 mars 2020
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‘Der mentch tracht und Got lacht’ « L’homme prévoit et Dieu rit » ! Ce proverbe Yiddish typique de l’humour juif résonne de manière particulière en ce moment. Sourire en cette période, où chacun lutte contre un dangereux et microscopique ennemi est un luxe, dont on ne va pas se priver. Les vidéos humoristiques, les parodies de chansons transférées à l’infini sur les réseaux sociaux sont nos dérisoires actes de résistance.
En quelques jours, cet ennemi invisible a réussi à bouleverser nos vies, notre travail, nos habitudes, et retarder tous nos projets. Comme le dit Yuval Harari ces dernières semaines, nos dirigeants ont dû prendre des décisions dans l’urgence et tester à grande échelle ce que veut dire enseigner et étudier en mode virtuel, travailler ou se réunir à distance. En tant que synagogue, on s’est adaptés aussi pour proposer une vie spirituelle sans être physiquement connectés les uns aux autres, un véritable défi !
Chacun est conscient de vivre un moment inédit dans son histoire et même dans l’histoire récente de l’humanité. Il faut remonter aux années 1980 avec l’épidémie du Sida, qui continue encore de nos jours et a décimé toute une frange de la population notamment homosexuelle, pour se rappeler de la malédiction que représente un virus. La grippe espagnole pandémie qui a causé des dizaines de millions de morts remonte à la fin de la première guerre. 4 générations plus tard, même sans témoins pour en parler, on tremble en l’évoquant…
Bien sûr, la science a progressé, et nos conditions de vie et de soin sont bien meilleures aujourd’hui. Même si les pertes en vies humaines sont incomparablement moindres, chaque vie perdue crée une onde de choc extrêmement douloureuse et ce d’autant plus que la distanciation sociale est exigée même pour les enterrements.
L’humanité se croyait toute puissante dans bien des domaines, ce virus nous rappelle qu’il n’en est rien et que notre monde est incertain. Ce qu’on a bâti avec beaucoup de soin peut s’écrouler du jour au lendemain.
On a partagé un même vécu ces derniers jours, dans un premier temps, chacun s’est préoccupé des aspects matériels : comment fera-t-on vivre sa famille ces prochaines semaines ? Comment prendre soin de ses parents ? De ses enfants ? Comment s’approvisionner ? Comment vivre ensemble 24h/24 parfois dans un petit espace et alors qu’on n’en avait pas l’habitude ?
Dans un deuxième temps, ce coup d’arrêt brutal a provoqué une prise de conscience, de notre condition humaine et son extrême fragilité.
Depuis plusieurs années, on s’était habitué à observer les craquements de notre société, les fissures dans les murs de la maison humaine, sous l’effet d’actes terroristes, puis, d’élections qui ont vu arriver au pouvoir plusieurs dirigeants populistes, xénophobes, qui fragmentent le lien social. On vivait une résurgence du chacun pour soi, du confinement dans des idées de plus en plus simplistes et étriquées.
Cette épidémie nous a plongés du jour au lendemain, dans un impératif vital de solidarité et d’union. Quelle que soit notre origine, notre classe sociale, notre genre, ou notre nationalité, ce moment nous invite à réfléchir à ce que nous avons en commun. En quelques heures, il a fallu revenir à l’essentiel, à la simplicité, à la proximité et au lien fondamental qui unit chaque être humain à son prochain.
Un appel à collaborer avec l’autre voire à se sacrifier. Des notions négligées depuis trop longtemps. Oui, chacun a dû sacrifier quelque chose de sa vie d’avant, pour le mettre au profit de la communauté : le globe-trotter a dû rester chez lui, le joggeur a cessé ses tours du parc, le commerçant-non-alimentaire a laissé son rideau fermé, l’artiste a annulé son concert ou sa tournée…et ce ne sont que quelques exemples de ce qu’il a fallu cesser de faire pour se protéger.
De l’autre, les soignants, les caissières, et autres conducteurs poids-lourds se sont eux trouvés en première ligne de l’autel de l’épidémie. Certains y ont déjà laissé leur vie pour protéger ceux de l’arrière : nous.
Se sacrifier nous dit la Bible c’est se rapprocher du divin, et intercéder en faveur d’autrui pour que sa vie soit épargnée. La racine ק ר ב a aussi le sens de mener un combat, cette fois-ci contre soi, et son mauvais penchant…
Les sacrifices d’animaux représentaient le premier acte religieux de l’Antiquité, ceux décrits avec minutie dans le livre du Lévitique, dont nous commençons la lecture demain matin . Ces offrandes qui seront interrompues brutalement avec la destruction du 2e Temple en 70 de notre ère. La Avoda, le service au Temple, où les prêtres procèdent à ce rituel du sacrifice, permettent, à travers leur intermédiaire, de se purifier rituellement, remercier Dieu et demander pardon.
Plusieurs prophètes dont Jérémie, Isaïe, Amos et Michée mettaient en garde leurs contemporains, en particulier les notables de la communauté, contre l’hypocrisie sous-jacents parfois à ces sacrifices au Temple, si d’un côté on demande pardon et de l’autre on continue à transgresser sans vergogne. Il en est ainsi dans la haftara lue ce samedi matin, tirée du livre d’Isaïe où nous pouvons lire[1]:
« Et pourtant ce n’est pas moi que tu as invoqué, Jacob! Non, tu t’es lassé de moi, Israël! Ce n’est pas à moi que tu as apporté l’agneau de tes holocaustes, ni moi que tu as honoré de tes sacrifices; je ne t’ai point importuné pour des oblations, ni excédé pour de l’encens. 24 Tu n’as pas, à prix d’argent, acheté pour moi des aromates, tu ne m’as pas saturé de la graisse de tes victimes. En revanche, tu m’as importuné par tes péchés, excédé par tes iniquités.
Ainsi, le peuple hébreu s’est toujours trouvé face à cette double injonction paradoxale. Rite et éthique sont mis en tension, il ne sert à rien d’apporter des sacrifices – aujourd’hui remplacés par la prière – si on enfreint l’éthique la plus élémentaire.
En cette période où le temps semble s’être arrêté pour certains, alors qu’il s’est accéléré pour d’autres, posons-nous la question du sacrifice, de ce que chacun apporte à cette parenthèse temporelle que nous vivons ensemble. Alors que cette situation exceptionnelle met les compteurs de l’âme à zéro, saisissons cette chance ! Transformons les larmes en affection, aérons la gravité de la situation avec un peu d’humour, l’immobilisme contraint en quelques pas de danse, l’isolement en lien.
Soyez attentif à vous et à ceux qui vous entourent, car sans l’autre nous ne sommes rien.
Hizkou v’Imtzou, soyez forts et courageux !
Shabbat shalom
[1] Isaïe 43:22-24
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