Comme dans le jeu des 7 familles, dans la famille des 4 fils, je demande le racha – le méchant.

Quelle signification a pour vous cette cérémonie ‘(Exode 12:26).? La question du racha est celle que je me répète en boucle depuis quelque temps déjà : quel sens à la fête de Pessah et son rite si élaboré cette année ?

Les 4 questions du ma nishtana comme cellesdes quatre fils se brisent en mille et une interrogations qui me torturent faute de réponses …

En temps normal, Pessah illumine nos journées printanières d’un nouvel espoir, celui de la liberté retrouvée. C’est le temps des réunions familiales, amicales, synagogales, des grandes tablées et des grandes assemblées, des échanges de fous rires et du nettoyage frénétique, des bonnes odeurs qui embaument nos maisons. Le temps du plaisir à retourner vers les pages écornées et tâchées d’un vieux livre de cuisine. Avec un peu de chance, ce livre est en fait un cahier légué par l’une de os matriarches et écrit de sa main.

Pessah est le temps du kavod, du respect. Un temps où chacun retrouve la place qui lui revient autour de la table comme celle de la hiérarchie familiale et où la parole des ‘anciens’ qui nous reconnecte à l’essentiel est mise à l’honneur. Ce temps où on se tourne vers ceux ornés d’une couronne de cheveux blancs pour recevoir leur bénédiction. Le temps où, lorsqu’on entend la ritournelle des questions, on écoute religieusement celui ou celle qui, du bout de la table, nous répond. Alors, on fait semblant d’avoir oublié les réponses, pour pouvoir chaque année recommencer.

Le seder, c’est un certain ordre : celui de la dégustation des mets prescrits, qui reflète aussi celui qu’on a mis dans nos maisons et encore mieux, dans nos têtes.

Mais cette année est bien différente et les questions restent pour la plupart en suspens, voire désordonnées …

Comment communiquer ces belles traditions enfermé chacun chez soi ?

Comment ressentir, de derrière un bocal, le lien avec l’extérieur ?

Comment transmettre l’enseignement de la liberté alors qu’on est confiné ?

Comment parler des dix plaies, alors qu’on a l’impression que l’une d’entre elles est en train de nous frapper ?

Comment honorer sans être en mesure de partager ?

Comment accueillir alors que notre porte doit rester fermée ?

Comment ajouter avec bonne foi et kavana[1] une assiette et la coupe d’Elie à notre tablée, alors que tant d’humains sont en train de décéder ?

Et puis ça encore …

Quel genre de communauté est-on en train de construire, si chaque moment de nos vies est mis en scène et diffusé ? Si notre succès est mesuré à l’aune du nombre de personnes ayant partagé ?

Quelle famille, quelle communauté, quelle société se profilent pour ‘l’après’?

Comment protéger ce qu’on a de plus précieux – nos amours, nos familles et tout simplement notre humanité – des réseaux sans filet affamés d’exposer nos vies privées ?

Et bekhol zot, malgré tout cela, comme vous, j’apprends en marchant, pas à pas, j’essaie de transformer ce balagan en une vie presque normale.

Et surtout, je me mets à espérer, que notre destin va s’illuminer. Que l’histoire de l’Exode prendra un nouveau sens, que des quatre coins du monde, elle rassemblera dans leurs différences, tous les dispersés. Les épreuves traversées seront alors comme un ciment et, de cela, peut être que naitra une communauté régénérée et revivifiée.

Que cette fête de Pessah 5780 puisse réjouir vos cœurs et vos foyers !

Hag samea’h !


[1] intention