Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Drasha Yom Kippour – Kol Nidré 24 septembre 2023

En 1946, Aharon Appelfeld était un adolescent rescapé des camps de la mort, orphelin et décharné il raconte dans un de ses livres autobiographiques ‘le garçon qui voulait dormir’ son errance dans une Europe en ruines, jusqu’à son arrivée en Palestine/Israël. C’est un témoignage à la première personne de ce qu’était l’Israël des réfugiés de l’Alya beth, dont a fait partie l’écrivain, et qui s’est étendue de 1933 à 1948.’ Alya illégale’ selon le ‘livre blanc’ élaboré par les Britanniques qui occupaient la région.

A cette époque, les responsables du Yishouv avaient un projet très clair : donner naissance à un peuple tout neuf en Palestine. Il fallait se réinventer de fond en comble comme on dit aujourd’hui. Erwin a dû changer son prénom en Aharon, et s’atteler à apprendre une nouvelle langue, ainsi que s’entrainer à devenir un soldat musclé et bronzé, prêt à se battre pour la nouvelle patrie, comme tous ses camarades.

La renaissance de l’état d’Israël était perçue, par ceux qu’on appelait les ‘sherit hapleta’ les restants de la catastrophe, comme l’ultime Yeshoua et Guéoula sauvetage et libération tant attendus. Cela rappelait confusément l’intervention divine pour sauver et sortir les Bneï Israel de l’esclavage en Egypte.

Le récit d’Aharon Appelfeld est pourtant beaucoup moins glorieux, et il raconte son lent rétablissement, son corps anesthésié qui reprend doucement goût à la vie, secouru par des mains patientes, délicates, pleines d’humanité. Il a fallu plusieurs années, parfois une vie entière, pour se relever d’un tel traumatisme.

En 1957, Aharon Appelfeld retrouve son père qui aura survécu également, et entre temps il aura fait des études et exercé le métier de professeur de littérature. Devenu un célèbre écrivain de langue hébraïque multi primé, il a fait partie de cette génération de bâtisseurs de l’état d’Israël, de survivants, qui ne cherchaient pas une revanche mais un havre de paix. Leur seule ambition était de bâtir un pays comme nul autre, encré dans les paroles prophétiques d’Isaïe, en résumé : un modèle pour les nations.

Trois générations plus tard, que reste-t-il de cet idéal fondateur ? La douleur et la honte m’étreignent lorsque je découvre une vidéo tiktok, où le fils du ministre en charge de la sécurité intérieure Ittamar Ben Gvir, interviewé par son fils de 17 ans, promu depuis peu responsable comm. de son père, fait l’apologie du port d’armes et se félicitant de l’augmentation des ventes d’armes en Israël, prônant, en toute impunité, le ‘nettoyage ethnique’ et le séparatisme[1]

En février dernier, au cours d’un énième attentat meurtrier, 2 israéliens ont été assassinés par un terroriste palestinien, alors qu’ils circulaient en voiture à Hawara,. En représailles, des bandes de militants d’extrême droite juifs israéliens ont incendié des maisons, des voitures et d’autres biens, et ont blessé des dizaines de Palestiniens, sans que les forces de sécurité israéliennes ne fassent grand-chose pour protéger les habitants palestiniens. Youval Harari raconte son expérience face à une poignée de militants qui, des mois après cet attentat et cette expédition punitive scandait dans les rues et par hautparleur un chant devenu populaire[2] :

Qui va finir dans les flammes maintenant ? – Hawara !

Des maisons et des voitures ! – Hawara !

Ils évacuent les vieilles dames, les femmes et les jeunes filles, ça brûle toute la nuit ! – Hawara !

Brûlez leurs camions ! – Hawara !

Brûlez les routes et les voitures ! – Hawara !

Voilà le nouveau visage d’une partie d’Israël, une sorte de far West, où on se fait justice soi-même en appliquant stupidement la devise ‘œil pour œil dent pour dent’ me fait frémir.

Ce sont deux exemples, parmi d’autres, du racisme et de l’incitation à la violence prônée par une frange non négligeable de la population israélienne sensible à ces propos…

Une brèche, que dis-je, un fossé se creuse sous nos yeux entre ceux et celles qui restent fidèles aux valeurs démocratiques et inclusives des origines et celles et ceux qui les pervertissent.

Dans ses hilkhot techouva lois de la Techouva, Maïmonde écrit :

Chaque personne devrait se considérer pendant toute l’année comme si ses mérites et ses fautes étaient également équilibrés, et considérer le monde entier comme s’il était à moitié innocent et à moitié coupable ; or, si une personne commet une seule faute de plus, par cette seule faute elle fait prévaloir la balance de la culpabilité, tant à son égard qu’à l’égard du monde entier, et, par conséquent, elle le détruit ; Par contre, si une personne accomplit un seul commandement de plus, par cette seule bonne action, elle fait basculer la balance des actes positifs vers elle-même et vers le monde entier, et par conséquent elle apporte le salut et la délivrance à la fois à elle-même et au monde[3].

L’éléphant dans la pièce, comme disent les anglo-saxons, ou le caillou dans la chaussure suscite une souffrance à la limite du supportable et on se doit de lancer cette discussion, surtout en cette période qui invite à l’examen de conscience, et à la techouva.

La cocotte a déjà explosé et des feux s’allument dans le pays. Des pans entiers de la population israélienne sont en opposition frontale avec la réforme judiciaire du gouvernement et ses positions extrêmes en général. Ils manifestent et font grève avec leurs moyens et ne veulent plus participer ni à sa vie économique, ni à son effort militaire, certains quittent déjà le pays. Encore plus grave pour l’avenir d’Israël est l’initiative prise par 200 jeunes bacheliers qui ont signé une lettre déclarant refuser de rejoindre Tzahal et effectuer le service militaire obligatoire.  

Déjà des voix de candidats aux primaires américaines, pas seulement démocrates s’élèvent pour supprimer toutes les aides militaires à l’état hébreu (soit 3,8 mds de $ par an), et ce, mêmes si ces aides bénéficient, par effet boomerang, à l’état américain. La raison invoquée est ‘qu’Israël ne partage pas ou plus les valeurs démocratiques des Etats Unis’, selon Dan Kurtzer, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Israël entre 2001 et 2005 …[4]

Depuis fin août, une pétition signée par plus de 2000 professeurs d’université israéliens et américains, rabbins et personnalités, à grande majorité juive, circule et traite l’état d’Israel de terre d’apartheid…du jamais vu depuis sa création, ce terme et ce qu’il véhicule ayant toujours été considéré comme tabou et réservé aux ennemis d’Israël…

L’état hébreu se referme sur sa coquille, où les drames causés par les actes terroristes palestiniens, quasi quotidiens, ne font que s’ajouter à la ‘milhemet ahim’  la guerre entre frères et sœurs, qui fait rage dans le pays.

De quoi sera fait l’avenir ? comment faire pour que les différentes ‘tribus’ qui composent le kaléidoscope israélien se tournent de nouveau les unes vers les autres pour tenter de se comprendre, communiquer, rechercher le dialogue, et la réconciliation ? Comment retrouver ce lien entre nous et en même temps, la fidélité aux pères fondateurs ? Ce sont des questions existentielles pour la survie et la pérennité de l’état hébreu. Aller de l’avant c’est continuer à bâtir Israël en prenant en compte ces fondamentaux, à l’opposé d’une vision passéiste de son Histoire.

Il y a tant de vœux à formuler, de tout notre cœur, pour nos frères et sœurs israéliens en cette année 5784. En premier lieu, puisse l’Eternel détourner ses citoyens de l’adoration de tous les veaux d’or qui ont fleuri sur son sol et en premier lieu, celui du fantasme de la pureté ethnique, à l’exclusion de tout ce qui est ‘autre’. Puisse chacun de ses habitants faire pencher la balance vers le bien, et que l’Eternel accorde à tous ses citoyens la paix et la sérénité propice au dialogue, ainsi que le retour vers l’Israël figurant dans notre liturgie. L’Israël qui fait référence à un peuple unifié, auquel a été confié une mission et un projet qui le dépasse.

Ken yhié ratzon, hatima tova et tzom kal !


[1] Israel’s TikTok Extremists (jewishcurrents.org)

[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-07-13/ty-article-magazine/can-judaism-survive-a-messianic-dictatorship-in-israel/00000189-5049-de0f-afbb-7c6d75a40000

[3] lois de la Techouva 3 : 4

[4] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-08-06/ty-article/.highlight/once-taboo-discussing-ending-u-s-military-aid-to-israel-has-become-increasingly-popular/00000189-c752-ddac-a3cd-e77363d00000

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  1. Bernard COHEN

    Quelle souffrance de lire cette Drasha. Comment a-t-on pu en arriver là en si peu de temps ? Nous devons nous atteler à cette analyse minutieuse qui nous aidera à comprendre pour agir.
    Cette analyse est peut être déjà en cours. Quelles sont les ouvrages en langue française qui la tentent ?
    Est-ce que ces extrémistes israéliens ne sont pas ces pauvres gens à qui on a trouvé logement dans la « gueule du loup » et qui ont aujourd’hui peur d’un nouvel exode ?

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