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Cet été je suis retournée à Haïfa à la recherche de ma « madeleine de Proust » ou plutôt des « borekas de Haïfa ». Mon but en retournant à l’endroit où j’avais vécu pendant près de quatre ans était officiellement l’étude de l’hébreu et du talmud mais officieusement je souhaitais renouer avec ma toute petite famille si éloignée.

J’ai vécu trois semaines avec les cousins germains de mon père, et me suis familiarisée avec leurs habitudes et leur emploi du temps. A 80 ans passés ils se demandaient ce qui resterait d’eux après leur départ de ce monde, ce qu’ils avaient réussi à transmettre à leurs 2 filles et 7 petits enfants. Ma tante tenait un journal des événements les plus marquants de sa vie, ceux que personne n’avait osé lui demander de raconter, en espérant qu’à un moment cela intéressera quelqu’un dans la famille… j’étais la première à écouter ses mémoires, chaque moment passé ensemble était imprégné de nostalgie.

Elle était très inquiète de ce qu’allait advenir de sa bibliothèque. On peut y trouver au moins un millier de livres en 5 langues différentes : roumain, français, anglais, allemand et hébreu,.

Il n’est pas facile d’abandonner ce qu’on considère comme un riche patrimoine culturel.

La question de la transmission à la génération suivante et du lâcher-prise m’a taraudée tout l’été. Cette dualité dans laquelle sont enfermés les deux générations : ceux qui “donnent” sont inquiets que ce pourquoi ils ont vécu ne leur survivra pas et ne sera pas utile aux générations futures. Ceux qui « reçoivent” se sentent coupables car incapables de prendre soin de ce patrimoine.

Cette bibliothèque comprenait essentiellement des romans ou livres politiques, parfois démodés, alors que d’autres livres classiques peuvent être stockés plus facilement en ligne.

La transmission des livres est un sujet délicat, la jeune génération peut avoir l’impression étrange de piétiner le patrimoine spirituel de leurs ainés. Les Juifs et les livres chacun le sait, c’est une véritable histoire d’amour. Nous honorons les livres comme nous honorons nos ainés. Mais plus de 2000 ans de tradition ont donné lieu à une immense quantité de livres. La manière dont nous nous comportons avec les livres est une métaphore de la manière dont nous nous comportons avec la tradition.

Dr Micah Goodman, chercheur au Hartmann Institute de Jérusalem, raconte dans une de ses conférences sur le sionisme l’histoire suivante.

Imaginez que vous héritez de vos ancêtres une très grande bibliothèque. Vous avez trois possibilités ;La première est de tout jeter. La deuxième est de tout garder et de les mettre au milieu de votre salon. La troisième est de faire le tri entre ce que vous souhaitez garder, ce que vous donnerez à des amis ou léguerez à une bibliothèque.

Cette histoire peut nous aider à réfléchir sur la manière de gérer ce que nous ont légué nos ancêtres, que ce soit un patrimoine matériel ou spirituel. Certains d’entre nous peuvent se sentir accablés par ce qu’ils ont reçu de leurs aïeuls, et préfèrent faire place nette, même si cela veut dire de risquer de perdre la connaissance du passé. Certains ont un profond respect et de l’admiration pour les générations qui les ont précédées et ils vont choisir de garder tous les biens et les connaissances transmises, les plaçant au centre de la pièce et de leur vie. Mais ce faisant ils risquent rapidement de manquer de place voire d’air pour respirer. La 3e option, nous donne la permission de faire une sélection de ce qui vaut la peine d’être gardé ou au contraire jeté. Cela semble la manière la plus raisonnable d’agir avec ce qu’on hérite de son passé.

La Torah va même plus loin, Dieu demande à son peuple un effort qui peut sembler surhumain, lorsqu’après 40 ans dans le désert, une fois installés dans le pays, au lieu de se reposer et profiter de notre héritage, il nous est commandé de faire don des prémisses de la terre.

Pour ceux d’entre nous qui sont proches de la nature et font pousser des arbres dans leur jardin, ils savent la patience et le travail que cela demande, les premiers fruits sont une récompense après des années d’effort et c’est justement ceux-là qu’il nous est demandé de donner à Dieu.

La Torah dans sa sagesse voit le risque qu’il y a dans le fait de s’accrocher à des biens matériels, les risques de la cupidité humaine. Selon Nehama Leibowitz nous pouvons mettre en parallèle cette cérémonie annuelle du don des premiers fruits et celle où autour de la table du seder nous répétons que nous avons été nous-mêmes libérés d’Egypte. Se libérer de l’esclavage est similaire à se libérer de sa cupidité.

Ce rituel est une manière de reconnaitre l’intervention de Dieu dans le monde. Ensuite il nous est commandé de mettre de côté la dîme pour les lévites, l’étranger, la veuve et l’orphelin. Il nous est commandé de prendre soin des catégories les plus faibles parmi nous avant de profiter des fruits notre travail. Donner une partie de nos biens à ceux dans le besoin est une leçon éthique que chaque génération doit apprendre à pratiquer pour elle-même afin de renouveler l’Alliance. Il n’y a pas de transmission automatique du comportement éthique.

Ensuite nous devons mettre par écrit ces Lois dans un livre qui sera transmis aux générations suivantes (ainsi qu’il est précisé dans Deut 27 :13).

Nous sommes les héritiers d’une triple tradition. Une tradition religieuse, qui nous commande de reconnaître l’intervention de Dieu dans le monde, une éthique qui nous commande de nous occuper de notre prochain et une spirituelle transmise à travers les enseignements du Livre. Les enseignements de la Torah ne sont pas si compréhensibles que cela, nous devons étudier pour mieux appréhender ce qu’ils signifient. Pour cela, nous avons la possibilité de nous reposer sur les enseignements de nos maîtres, ceux en tout cas qui font encore sens pour nous aujourd’hui, tout en créant pour nous-mêmes de nouvelles interprétations. C’est seulement ainsi que nous pouvons retrouver notre liberté à chaque génération.

Daniela Touati 4th year Student rabbi