Une collègue rabbin me disait il y a quelques années que toutes les drashot/commentaires passés et futurs ne sont que des variations sur un même motif, un même thème, celui qui lui tient le plus à cœur. Il en est de même pour moi. La question qui me taraude depuis mon enfance est ma relation au judaïsme, et plus précisément : pourquoi être et rester juif ?

Et cette question, peut être comme une maladie chronique est cyclique. A trois jours de Roch Hachana, elle vient de nouveau me titiller, j’imagine comme pas mal d’entre vous, …En cette période de convocations saintes, où on lit dans la paracha Nitzavim : atem nitsavim hayom koulkhem lifnei Adonai : ‘vous êtes tous dressés aujourd’hui, devant Dieu’. Que faisons-nous là ? Rassemblés, debout, dans l’attente grave et emplie de révérence ? Sommes-nous prêts à renouveler nos vœux, à reconsolider les liens en scellant de nouveau notre alliance avec l’Eternel ?

Et nous engager dans l’alliance ça consiste en quoi ? Selon notre paracha c’est une invitation à nous rapprocher de la Torah et de ce qu’elle nous prescrit. Car rassurons nous, et je paraphrase le texte de la paracha : elle n’est pas loin de nous, lo rehoka hi, elle n’est ni de l’autre côté de la mer, ni dans le ciel, mais elle est là, à portée de mains, comme si elle nous la tendait, pour l’attraper, la cajoler et surtout la lire et l’étudier.

La Torah est comme l’échelle de Jacob, elle nous relie au ciel, un go-between entre ce qui se passe au-delà de notre connaissance et ce qu’il se passe ici-bas, entre le divin et l’humain. Son enseignement, qu’on répète et qu’on tourne dans tous les sens, sans jamais s’en lasser, a pour ultime but de nous rapprocher de notre prochain, de le voir dans toute sa vulnérabilité. Et de se voir en miroir dans ses yeux, aussi nu et fragile que lui/elle, aussi candide qu’au jardin d’Eden. Puis la Torah a pour mission de nous transformer. A son contact, nous devenons un réservoir, prêt à accueillir son enseignement, à boire à son goulot, quand nous avons soif. Et on est rassuré de la savoir présente à nos côtés du début de notre vie à son terme. C’est notre compagne bienveillante, qui ne nous décevra en aucune circonstance, notre protection les jours de mauvais temps, et notre gourmandise quand tout va bien !

LA clé se trouve à portée de mains, elle n’est pas réservée à une élite, elle est accessible à tous, jeunes et plus âgés, chacun selon ses besoins. Elle parle le langage des hommes et des femmes, c’est notre tuteur et notre couteau suisse.

Oui, mais que faire quand le texte nous confronte à des valeurs contradictoires ? Comment s’y retrouver dans ce qui peut sembler un fourre-tout un peu désuet ? Comment hiérarchiser ces valeurs entre par exemple liberté individuelle et collective ? Entre égalité et hiérarchisation ? Entre valeurs humanistes universelles comme l’amour et le respect de son prochain et halakha particulariste focalisée sur la cacherout, le mariage endogame etc ?

Plus récemment, deux valeurs butaient l’une contre l’autre : celle de la liberté de disposer de son corps, d’où découle la liberté de se soigner ou non et de l’autre, celle de l’obligation de protéger les autres en se vaccinant par exemple. Dans notre belle République mais aussi en Israël, on a pu voir fleurir des manifestations certes statistiquement faibles, clamant que le pass sanitaire était une violation de cette liberté individuelle, et qu’il fallait l’abroger…Que dit la tradition juive en ces circonstances ?

Ouvaharta bahaïm et tu choisiras la vie,[1] cette loi immuable, et indiscutable, qu’on peut soupeser et comparer aux autres valeurs éthiques représente la valeur humaniste universelle. Issue de la Torah, elle est la plus largement partagée par les différentes religions. Comment la met on en pratique concrètement ? Parfois les choix sont cornéliens, souvent, ils sont imparfaits, cependant si l’alternative est : faire du mal à autrui ou alors le protéger sans soi-même se mettre en danger, on choisit la deuxième option.

Chaque décision qu’on prend dans sa vie privée, ou au sein d’une collectivité peut avoir cet impact positif ou négatif selon si on se situe du coté de la vie ou de ce qui est mortifère.

Garder en soi de la rancœur ou de la jalousie pour l’autre va faire péricliter la relation, au contraire, être capable de pardonner et tourner la page, au prix d’efforts importants parfois, aura des effets bénéfiques à la fois sur cette relation et sur soi, pour sa santé mentale par exemple.

Alors, revenons à ma question initiale : quels sont les arguments de vente du judaïsme ?  Ceux qui continuent à nous motiver à le transmettre ?  

Ces 3 mots ‘tu choisiras la vie’ sont comme une boussole. Les menaces qui nous entourent sont innombrables : solitude, désorientation et manque de sens, violence et polarisation, sans oublier l’état de la planète…

Ouvaharta bahaïm : choisir la vie c’est devenir plus froum – ou plus mahmir plus exigeant et passionné pour défendre la vie en communauté, la solidarité, la paix, et tout simplement la vie sur terre à tout niveau…

En ces offices qui clôturent l’année 5781, je tiens à vous remercier d’illustrer si bien ces valeurs juives lorsque vous vous mobilisez pour aider ceux qui sont dans la peine, ou traversent des crises, par exemple, mais aussi pour être plus nombreux à étudier ensemble, à mener des projets ensemble, surtout dans les circonstances que nous avons connues ! je suis heureuse et fière de ce que KEREN OR est en train de devenir !

Continuons sur ce chemin qui donne du sens et crée un sentiment d’appartenance : choisissons la vie !

Ken yhie ratzon, Chabbat shalom,


[1] Deut 30:19