Parole, parole…la parole comme véhicule du pardon.

Vous êtes-vous déjà demandé comment l’on vit quand on a été élevé dans le mensonge ? le mensonge par rapport à sa propre histoire et celle de son pays ? Ce sont les questions qui me sont venues à l’esprit en entendant le discours d’Emmanuel Macron hier, et sa reconnaissance au nom du gouvernement français de l’assassinat de Maurice Audin. Ce mathématicien, communiste et militant acharné de l’indépendance de l’Algérie, avait été arrêté chez lui à Alger, le 11 juin 1957 devant sa femme et ses trois enfants, dont un bébé d’un mois. Sa femme et ses enfants ne le reverront jamais. L’histoire officielle jusqu’à récemment parlait de sa fuite lors de sa détention et d’une mort accidentelle.  Sa veuve, s’est battue pendant 61 ans pour faire reconnaitre la vérité.

La reconnaissance hier par le président des français des actes de torture et d’assassinat commis par l’armée ou la police dans le cadre de la guerre d’Algérie est un pas historique.

Pour certains il est aussi important que le discours du Président Chirac au Vel d’hiv en 2005, reconnaissant la collaboration de Vichy dans l’assassinat d’environ 73000 juifs français pendant la deuxième guerre mondiale.

Quelle valeur a ce repentir 61 ans après ? Quel pouvoir ont ces mots du président ? Que peut-il réparer ?

Les premiers mots de la Torah parlent du pouvoir créateur des mots, c’est la parole qui aurait créé cet univers, c’est également elle qui peut le détruire.

Pour cette raison, il nous est interdit d’invoquer le nom de Dieu pour se dédire ou mentir ou porter un faux témoignage :

לֹ֥א תִשָּׂ֛א אֶת־שֵֽׁם־יְהוָ֥ה אֱלֹהֶ֖יךָ לַשָּׁ֑וְא כִּ֣י לֹ֤א יְנַקֶּה֙ יְהוָ֔ה אֵ֛ת אֲשֶׁר־יִשָּׂ֥א אֶת־שְׁמ֖וֹ לַשָּֽׁוְא׃.

« Tu n’invoqueras pas le nom de l’Eternel ton Dieu à l’appui du mensonge, car l’Eternel ne lave pas de ses fautes celui qui invoque Son Nom à l’appui du mensonge. » [1]

Nous sommes responsables de nos paroles, des mensonges qui passent nos lèvres comme de ceux que l’on se fait à soi-même. Reconnaître des erreurs, même celles dont on n’est pas directement responsable, et des générations plus tard, est l’équivalent d’un baume et d’un pansement sur une plaie.

En entendant cette confession au plus haut niveau de l’état, je me suis également demandée, à mon petit niveau quelles approximations avaient franchi mes lèvres cette année ? quels vœux ou serments avais-je proféré à la légère ?

Toutes les déclarations, tous les vœux et serments ont une place à part dans la tradition et sont pris très aux sérieux par nos rabbins. La plupart étaient plutôt défavorables au fait que leurs coreligionaires émettent des vœux, ou promesses envers Dieu. Ainsi on peut lire dans le talmud : « celui qui évite de faire un vœu évite de tomber dans la transgression »[2].

Et pourtant, la plus célèbre prière de Yom Kippour, le Kol Nidre, permet de s’en dédire en annulant tous ses vœux et promesses. C’est certainement pour cette raison qu’elle a été longtemps controversée.

Le rabbin Amram Gaon, ainsi que bien plus tard Maïmonides étaient opposés à l’utilisation de ce pyyut pour les grandes fêtes. Ils craignaient que nous prenions trop à la légère nos engagements envers Dieu et par ricochet, notre prochain[3]. Rashi pensait que cette annulation des vœux ne concernait que ceux qu’on avait oublié, ou encore ceux qu’on nous avait imposé de dire, comme lorsque les juifs étaient persécutés et qu’ils étaient forcés de se convertir.

Il existe deux versions du Kol Nidre, l’une, retenue par les sephardim, annule les vœux passés, l’autre retenue par les ashkenazim, annule les vœux à venir !

Cette prière a été aussi la cause d’un antisémitisme virulent, qui avait pour origine une totale méconnaissance de l’essence du Kol Nidre.

A cause de cette prière, les juifs se sont vus imposer du Moyen Age jusqu’au milieu du 19è siècle, le fameux juramento more judaïco, une pratique humiliante, par laquelle ils devaient prêter serment sur la Torah, qu’ils ne se dédieraient pas de leurs engagements envers leurs voisins chrétiens.

Cette prière qui est chantée depuis des siècles dans nos synagogues, la veille de Yom Kippour et a donné son nom à l’office tout entier bouleverse même le plus athée d’entre nous. Elle a ému, dit-on, le philosophe Franz Rosenzweig un certain jour de Yom Kippour où en entendant le Kol Nidre, il a renoncé à se convertir au christianisme.

Alors que nous nous trouvons au milieu des Yamim Noraïm, est-ce que nous serons pardonnés pour ces promesses non tenues, et même pour celles à venir ? Est-ce que notre irrémédiable imperfection sera absoute ?  Est-ce que Dieu, ce père redoutable, saura peser avec indulgence et compassion nos paroles ? Est-ce que Lui a respecté sa part du contrat ?

Un midrash sur la paracha Ki Tissa[4], qui a pour sujet la construction du veau d’or, LA faute pour laquelle nous faisons pénitence collective tous les Yom Kippour, vient modérer nos appréhensions, en voilà le texte :

« ‘et Moïse implora’ (Exode 32 :11), qu’est ce à dire ? Rabbi Berachia, au nom de Rabbi Helbo, au nom de Rabbi Yitzhak, dit qu’il s’agit du moment où il (Moïse) a annulé le vœu de son Créateur.

Une fois que les Israelites ont construit le veau d’or, Moïse se mit à prier, pour calmer la colère divine et pour que Dieu pardonne.

Mais l’Eternel lui dit : « Moise j’ai déjà juré que ‘celui qui sacrifie à des fausses divinités sera détruit’ (Exode 22). Une fois qu’un vœu a franchi mes lèvres, je ne l’annule pas. »

« Maitre de l’Univers, ne m’as-tu pas appris que les vœux peuvent être annulés ? Tu as écrit dans ta Torah (Nombres 30 :3) : ‘tout homme qui fait un vœu envers Dieu, ou fait un serment pour s’interdire quelque chose, il ne peut annuler ses paroles’. Il ne peut annuler ses paroles mais un Sage peut le faire, s’il le lui demande. Si un sage prononce une loi et veut que les autres suivent cette loi, il doit d’abord la suivre lui-même. Tu nous as donné cette loi concernant l’annulation des vœux. Rien de plus normal que Toi tu fasses annuler ton vœu en premier, comme Tu m’as demandé d’annuler les vœux des autres (Israélites). »

Moïse s’est alors enveloppé de son talit et s’est assis comme un juge sur son siège dans un Beit Din, pendant que le Saint, béni soit Il, se tenait devant lui et lui demandait d’annuler ses vœux.

Et Dieu dit : « Je regrette le Mal que j’ai promis d’infliger à mon peuple. »

« Ton vœu est annulé ! Ton vœu est annulé ! Il n’y a pas de vœu, il n’y a pas de promesse ! »

Et voilà Moïse qui a libéré de son vœu son Créateur ! [c’est pour cette raison qu’il est dit : ‘et il ne se dédira pas de son vœu’ (Nombres 30 :3). Pour cette raison, Resh Lakish a dit (Moïse) il est appelé l’homme de Dieu, car il a annulé le vœu de l’Eternel, et en effet, ‘Moïse a imploré’ (Exode 32 :11)]. »

La tradition, comme vous le voyez, encourage le dialogue avec Dieu, et nous le rend accessible. Cette proximité nous rassure sur nos imperfections et nos erreurs.

Lo bashamaym hi, nous lisons dans Deut 30, la loi n’est plus dans le ciel, elle est à portée d’hommes et nous avons la capacité de la réinterpréter avec toute l’humanité et la compassion nécessaires.

Nous avons également la capacité de nous retourner sur nos actes et paroles pour demander pardon, à l’image de Dieu dans ce midrash.

La teshuva, ce retour sur nous-mêmes, nous permet ensuite de choisir un nouveau chemin, celui  où collectivement, nous décidons de mieux incarner les valeurs qui nous unissent ici et maintenant, affichées fièrement à l’entrée de notre synagogue : partage, spiritualité, accueil, transmission… car en dernier lieu c’est notre comportement envers notre prochain qui sera mis dans la balance à Yom Kippour, comme chaque jour de l’année 5779.

Et comme le dit notre paracha : Hizkou v’imtzou : soyez forts et courageux !

Chabbat shalom et Gmar hatima tova !

[1] Exode 20:3

 

[2] Nedarim 77a

[3] https://www.bh.org.il/blog-items/untold-history-kol-nidre/

[4] Shemot Rabbah, Ki Tissa 43 :5