מנהגים:…אין אשכנז דורך דש גנץ יאר…אמשטרדם, אורי ווייבש, (תכ »ב). חיתוכי העץ מתארים את מנהגי סוכות.

A votre avis qu’est-ce que représente ce dessin? C’est la question que se sont posés les documentalistes de la Bibliothèque Nationale d’Israël quand ils sont tombés sur un manuscrit hollandais datant de 1661, qui décrivait les us et coutumes de la communauté ashkénaze d’Amsterdam[1].

Ce dessin figurait en bonne place parmi d’autres dessins sur la fête de Souccot, mais cette photo représentant deux hommes portant un Loulav[2], l’un avec sa tête et l’autre sans, restait un mystère. En fait, dans le livre elle sert à illustrer la fête de Hochana Rabba, ou la grande Hochana, Hochana voulant dire « sauve nous ». C’est un jour solennel où on demande une dernière fois à Dieu de nous sauver. Hochana Rabba c’est le 7e  et dernier jour de Souccot, la veille de Shemini Atzeret et Simhat Torah, fête quelque peu mystérieuse, mais fête à part entière. On peut se demander, pourquoi elle vient clôturer avec gravité, la fête si joyeuse de Souccot ? Est-ce tout simplement pour fermer le cycle commencé 40 jours plus tôt avec le jour du jugement de Roch Hachana ?

Son rituel comprend  7 hakafot, c’est-à-dire des processions autour du sefer Torah. On frappe aussi le sol avec des feuilles de saule tout en priant pour la pluie. Cette tradition, qui peut sembler un peu païenne, est à replacer dans le contexte de l’époque, où toutes les fêtes avaient un lien avec la nature. Et la vie de chacun dépendait de la qualité et quantité des récoltes de l’année. Alors que les dernières moissons venaient de se terminer (un des noms de Souccot est la fête des Moissons, Hag HaAssif), on priait pour que les champs soient abondamment arrosés pour disposer de nourriture en quantité suffisante pour l’année suivante. En ce dernier jour de Souccot retentit également la dernière sonnerie du Choffar, comme pour nous rappeler à l’ordre, au cas où nous aurions oublié qu’il subsiste une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Mais alors que vient faire cet homme sans tête sur notre dessin ? Selon les rabbins Hochana Rabba marque symboliquement, le scellement du jugement de Kippour. Comme un étudiant qui attend ses notes d’examen, on attend anxieusement la décision divine. Est-on inscrit ou non dans le livre de la vie ? Les deux hommes représentent le sort positif ou négatif réservé à chacun d’entre nous.

Selon la kabbale, mouvement mystique du haut Moyen Age, il y a des signes secrets pour connaitre le sort que Dieu nous a réservé pour l’année à venir. Le jour de Hochana Rabba , il suffit de déchiffrer l’ombre projetée sur le sol. Le rabbin et commentateur Nahmanide a d’ailleurs décrit ce phénomène. On vérifie que l’ombre de son corps projetée par la lune est entière, si c’est le cas on n’a pas à s’en faire, on passera l’année. Si par contre l’ombre est incomplète et que la tête manque, alors on saura que Dieu nous a jugés négativement et qu’on ne sera plus de ce monde l’année suivante.

Lorsqu’on chante la prière Unetane Tokef à Roch Hachana et à Kippour, au rythme de « qui vivra, qui mourra, qui à son terme et qui avant son terme », la mélodie nous fait parfois oublier la gravité des paroles prononcées. Et aussi, à quel point cela peut être réel pour certains d’entre nous. Qu’on l’attribue à Dieu, au destin ou au hasard, la roue de la fortune ou de l’infortune nous permettra de garder notre tête sur nos épaules, ou pas.

Ces dix derniers jours, comme un coup du destin, deux femmes remarquables, qu’on aurait tant garder pour toujours auprès de nous, s’en sont allées. Marceline Loridan Ivens le soir de Kol Nidre, Ida Grynspan ce mardi zikhronam livrakha, et leur témoignage de première main sur la Shoah disparaît avec elles.  Elles étaient nos compagnes de voyage, des veilleuses et parfois aussi des déclencheuses d’alerte. Elles avaient dédié leur vie à la transmission de la mémoire d’une des pires horreurs du 20è siècle. Leur disparition nous interroge : saurons-nous continuer ce travail et comme elles le transformer en force de vie en nous battant contre le relativisme et le négationnisme florissants ?

Cet homme sans tête est aussi une sorte de miroir qui nous est renvoyé: quel être vivant sommes-nous ? Car on peut continuer à vivre en n’étant plus vraiment là, perdre sa tête mais au sens figuré.  Etre présent physiquement, avec le loulav à la main, mais absent à soi-même, en perte de repères et de sens.

On peut se plier au rituel, faire les choses très méticuleusement, par habitude, mais sans savoir pourquoi, ni pour qui ?

L’homme sans tête est comme un homme sans boussole, il a perdu le sens et les valeurs. C’est un des risques majeurs qui nous guette nous les vivants, ici et maintenant. C’est alors que m’est revenu en mémoire cet article d’Avraham Burg, ancien président de la Knesset et de l’agence juive, qui a écrit l’an dernier à l’occasion de Roch HaChana un article qui m’a profondément marquée. Il parlait des trois principales fêtes de Tichri et de leurs messages. Roch HaChana représente l’alliance universelle avec la nature, Yom Kippour qui est une fête particulariste et nous enjoint de faire un retour sur ses actions envers Dieu et son prochain. Et enfin la fête de Souccot qui interroge collectivement le peuple juif. Comment nous comportons-nous ensemble, entre nous et envers les autres peuples ? Sommes-nous dans l’ouverture ou le repli identitaire ?

Ce repli qu’il dénonçait dans son article, s’est encore accentué ces douze derniers mois, il se développe dangereusement aussi bien en Diaspora qu’en Israël. Ces fêtes de Tishri qui se terminent sont l’occasion de faire un bilan et de décider dans quel monde nous voulons vivre à l’avenir. Un monde où on garde en tête et met en pratique nos valeurs de tikkun – réparation, ou un monde où on préfère être absent à nous-mêmes et nous oublier en tant qu’Hommes avec un grand H.

Comme Dieu scelle son jugement à Hochana Rabba, prenons nous aussi nos engagements à cette occasion pour l’année à venir : sur quoi pouvons-nous agir ? Et comment ? Qu’est ce qui donnerait plus de sens à notre vie ? Que ce soit dans le domaine de l’environnement, de la politique, de la reconnaissance de la diversité du judaïsme, des relations hommes/femmes il y a tant d’aspects de nos vies où notre engagement est nécessaire, afin de mieux faire entendre notre voix.

Selon le Zohar, le toit de la Soucca s’appelle la tzila dehemnouta, c’est de l’araméen, en hébreu ça donne tzel haemouna, Bien que d’apparence fragile, la Soucca nous révèle à nous-mêmes et nous met à l’abri, à l’ombre de notre ferme croyance. La croyance que tant qu’on a une tête bien arrimée à notre corps, on a la chance de choisir, décider et agir pour améliorer le monde qui nous entoure.

Ken yhie ratzon,

Chabbat shalom !

[1]http://blog.nli.org.il/losing_your_head/?utm_source=activetrail&utm_medium=email&utm_campaign=toche23sep2018&_atscid=3_2269_160086641_9717774_0_Tzwttawweedchhuccww

[2] 4 espèces qu’on utilise dans le cadre du rituel de souccot.