Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Yom Kippour 5779 – Keren Or, 19 Septembre 2018

Le consentement comme valeur juive – Yom Kippour 5779

KEREN OR

Certains jours, j’aimerai disposer d’une baguette magique et d’une formule telle qu’abra cadabra pour changer ce monde, qui sous tant d’aspects me semble violent et dépourvu de justice.

Abra cadabra a pour origine selon certains, l’hébreu, « evra kedivra » qui veut dire : je crée, de même que la parole est créatrice. Aucun lien a priori avec la formule magique…alors peut-être n’est ce qu’un mythe ?

Dans le Talmud on trouve une seule formule qui se rapproche de la magie. Les rabbins[1] nous disent qu’elle a le pouvoir de guérir les soudaines attaques de cécité dues à un démon marin appelé Shabrirey. Il suffit alors de répéter Shabrirey comme un sortilège, en ôtant une syllabe : shabrirey, brirey, rirey, rey…et à la fin, comme par magie, la vue revient ![2]

La vue est justement un des cinq sens contre lequel les rabbins nous mettent en garde. Ne dit-on pas dans les 10 commandements lo tahmod ? Tu ne convoiteras pas (la femme, l’animal bref la propriété d’autrui) comme dans Proverbes 6:25 « Ne convoite pas sa beauté dans ton cœur et ne te laisse pas captiver par ses yeux »[3].

Le verbe lihmod est une conséquence d’un échange de regards qui peut être à l’origine d’un désir concupiscent.

Dans le talmud, ce regard qui nous fait trébucher, qui éveille le mauvais penchant porte un nom : le yetzer ha-ra.

A l’opposé, il y a le yetzer ha-tov : penchant vers la vertu et l’étude de la Torah. Mais les rabbins ont fini par ne parler que du Yetzer tout court, la mauvaise inclination.

Au départ, le Yetzer était associé avec l’idolâtrie, puis par effet de vases communicants, l’idolâtrie étant elle-même considérée comme une forme d’adultère ou de prostitution, le Yetzer est devenu synonyme du désir sexuel. Même si, certains de nos sages admettent que sans ce penchant rien n’existerait. Comme Resh Lakish[4]: « venez, laissez-nous remercier nos ancêtres, car s’ils n’avaient pas pêché (avec le veau d’or), nous ne serions pas venu au monde. »[5] Et voilà Resh Lakish qui crée une chaîne de causalité entre désir, idolâtrie, et la sexualité, qui nous permet d’être de ce monde.

Est-ce un hasard si en ce jour du Grand Pardon le traité Meguilot nous enjoint de lire le chapitre 18 du Lévitique, qui traite des interdits sexuels ?

On peut se poser la question, comme Maïmonide ou Rashi, du bien-fondé du choix de cette lecture en ce jour si particulier ? Pourquoi parler de nos désirs répréhensibles le jour le plus saint de l’année ?

Selon Maïmonide, la raison de cette lecture est simple : entendre réciter ces interdits, provoquera la repentance parmi les nombreux juifs présents à la synagogue.[6] Rashi dit à peu près la même chose : il faut se distancier de ces fautes car les transgressions sexuelles sont les plus courantes, elles nous attirent irrésistiblement et il nous est quasi impossible de surmonter nos pulsions…par conséquent, c’est à cela qu’il faut consacrer notre temps à Yom kippour.

La notion de transgression sexuelle a radicalement évolué, elle n’est pas la même en 2018 qu’en 518 par ex. du temps où nos Sages étaient en train de codifier le talmud, même si bien sur la notion d’inceste reste le tabou par excellence pour nos rabbins et jusqu’à ce jour. Je vous rassure, vous n’entendrez pas l’énumération de la liste des interdits sexuels ici. Les juifs libéraux ont remplacé cette lecture du matin de Yom Kippour par le chapitre suivant, Lévitique 19, où il est question des lois éthiques. Non seulement c’est une lecture offensante pour les homosexuels présents dans notre synagogue, mais aussi, comme vous le savez cet interdit a été réinterprété, par de nombreuses autorités rabbiniques.

D’un autre côté, des pratiques qui étaient considérées comme normales ou du moins comme un mal nécessaire encore récemment, je veux parler du « droit de cuissage » ou en langage policé, le harcèlement, voire la violence sexuelle, ne le sont absolument plus aujourd’hui.

C’est ainsi que depuis octobre 2017, nous sont revenus en pleine figure ces pratiques déviantes dont sont victimes en majorité les femmes, mais pas exclusivement.

Le mot d’ordre #metoo dénonce très souvent le comportement masculin envers leurs homologues féminines, mais il arrive aussi que cela concerne des victimes masculines. Car, vous l’aurez compris, derrière ces pulsions soit disant incontrôlables, qui poussent au mieux à des paroles déplacées et au pire au viol, il ne s’agit pas simplement de sexualité, mais de jeux de pouvoir.

Il n’est pas question ici de rapports normaux de séduction entre personnes consentantes de sexe opposé ou de même sexe, mais de rapports de domination. Lorsque l’un des partenaires impose à l’autre un acte par la force, il ou elle transforme la personne convoitée en objet de désir.

Une déferlante de témoignages terribles par leur ampleur et leur contenu ont envahi la toile ces 11 derniers mois…

En France l’équivalent de #metoo se nomme #balancetonporc, cela a fait grincer des dents certaines féministes…Lorsque cette campagne a commencé, je me suis moi-même demandé si la violence et l’humiliation publique, allaient changer les rapports hommes-femmes, ou plus généralement les rapports de pouvoir ? Que fait-on des harceleurs qui ont un rôle public, qui ont influencé par leur pensée et leurs écrits chacun d’entre nous ? Faut il rejeter l’homme (ou la femme) et son œuvre dans ce cas ? Et sinon comment se distancier de ces faits lorsqu’ils sont avérés ?

On a évoqué une libération de la parole, mais en fait il s’agit d’une véritable nouvelle révolution sexuelle.

Un excellent numéro dédié au désir et à la domination dans Philosophie Magazine parle de la première révolution sexuelle des années 60 comme inachevée.  Cinquante ans après on y revient, car la femme n’a toujours pas atteint le niveau d’égalité sociale qui va de pair avec l’égalité sexuelle…par conséquent les rapports de domination et de violence se perpétuent !

Les Yamim Noraïm dont nous sommes en train de vivre l’apogée aujourd’hui, sont une période de repentance, on utilise des mots pour pardonner et être pardonnés par son prochain. Nous pouvons prier pour que ces comportements cessent, et pleurer aussi, car il est dit qu’à la fin de Yom Kippour les portes de la prière se ferment, mais celles des larmes restent toujours ouvertes…mais est-ce suffisant ?

Ces histoires intimes, que des milliers de femmes se sont mises à raconter, y compris de futures collègues femmes rabbins, sont bouleversantes. Elles sont là pour créer un électrochoc, une prise de conscience collective. Comment pouvons-nous nous réparer après cela ? Comment réparer la société dans laquelle nous vivons pour faire cesser ces comportements ?

L’association « ken veut dire oui » lancée par Merissa Gerson, une sexo-thérapeute spécialisée dans la prévention du viol, nous propose de parler du consentement comme une valeur juive. L’organisation a lancé une action spécifique à Yom Kippour pour renforcer notre prise de conscience face aux comportements inappropriés.

Je vous propose de lire ensemble le document qu’a élaboré cette organisation.

 

 

 

 LE CONSENTEMENT COMME

[7]VALEUR JUIVE

Tous ensemble: 

Quand une personne parmi nous s’égare, nous nous égarons tous.

Nous nous tenons ici pour établir une nouvelle norme pour l’avenir, non pas pour nous exonérer du passé.

  • Pardonnes-nous pour les moments où nous n’avons pas demandé la permission avant de toucher le corps d’une autre personne,
  • Pardonnes-nous pour les moments où nous avons ressenti la peur de l’autre et avons continué recherchant uniquement notre propre plaisir,
  • Pardonnes-nous pour les moments où nous avons entendu un « non » et l’avons ignoré recherchant uniquement notre propre plaisir,
  • Pardonnes-nous pour les moments où nous étions si ivres que nous ne distinguions plus si la personne en face de nous disait oui ou non,
  • Pardonnes-nous pour les moments où nous avons détourné le regard sachant que des corps avaient été violentés,
  • Pardonnes-nous de ne pas avoir enseigné plus tôt ces limites à nos enfants,
  • Et Pardonnes-nous d’avoir mis en doute les paroles de ceux qui ont relaté leurs histoires, alors qu’elles étaient comme des échos d’anciens récits de transgression.

(inspiré du « Mishneh Torah, les lois sur les interdits sexuels (Issurei Biah), Chapitre 21, Maïmonide. »)

Tous ensemble :

וְעַל כֻּלָּם, אֱלוֹהַּ סְלִיחוֹת, סְלַח לָנוּ, מְחַל לָנוּ, כַּפֵּר לָנוּ.

Ve’al Koulam, Eloha Selihot, Selah lanou, M’chal lanou, Kaper Lanou

Shaliah tzibbour: Ceci n’est pas un appel au pardon. Mais une mise en lumière de ce que chacun attend de son prochain.

Tous ensemble : Puissions-nous tous être inscrits dans le livre de la vie.

Amen.

En espérant que ces paroles permettront de réconforter ceux qui en ont besoin, et nous aider collectivement à nous sentir plus concernés et changer notre regard et comportement face à ce problème de société,

Puisse cette année commencer dans la douceur et des relations apaisées,

Shana tova oumetouka à vous et tous ceux qui vous sont chers !

[1] BT Avoda Zara  12b

[2] Mosaic : “Are the origins of abra cadrabra Jewish?’

[3] https://thetorah.com/do-not-covet-is-it-a-feeling-or-an-action/

[4] BT A.Z 5a

[5] David Biale : ‘Eros Juif’, p.77

[6] https://thetorah.com/why-do-we-read-the-incest-prohibitions-on-yom-kippur/

[7] https://www.kenmeansyes.org/jewish-laws-of-consent

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  1. Suzette

    Merci Daniela. Très pertinent.

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