A trois reprises il est dit dans la Genèse que l’homme a été créé à l’image de Dieu b’tzelem Elohim. Une première fois, au premier chapitre cela fait référence au premier récit de la création:

Genèse 1:26-27

(26) et Dieu dit: “Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Ils gouverneront les poissons de la mer et les oiseaux dans le ciel et le bétail sur toute la terre et tout ce qui rampe sur la terre ». (27)Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il les créa, mâle et femelle il les créa.

בראשית א׳:כ״וכ״ז

(כו) וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃ (כז) וַיִּבְרָ֨א אֱלֹהִ֤ים ׀ אֶת־הָֽאָדָם֙ בְּצַלְמ֔וֹ בְּצֶ֥לֶם אֱלֹהִ֖ים בָּרָ֣א אֹת֑וֹ זָכָ֥ר וּנְקֵבָ֖ה בָּרָ֥א אֹתָֽם׃

La deuxième fois, au chapitre 5 de la Genèse que nous lisons demain matin, il est dit qu’Adam a été créé b’dmut Elohim, selon la ressemblance de Dieu.

La troisième fois, dans le même chapitre, il est question du troisième fils d’Adam, le frère d’Abel et Caïn, né après le premier meurtre biblique, d’Abel par son frère Cain. Ce fils qui vient pour « réparer » l’acte commis par son frère, s’appelle Shet et il est dit qu’il est né ‘bidmuto k’tzlamo’ ‘dans sa ressemblance à son image’, de Dieu ou d’Adam, la question peut se poser ?

 (3) Quand Adam eût vécu 130 ans, il engendra un fils dans sa ressemblance, à son image et il le nomma Shet.  (ג) וַֽיְחִ֣י אָדָ֗ם שְׁלֹשִׁ֤ים וּמְאַת֙ שָׁנָ֔ה וַיּ֥וֹלֶד בִּדְמוּת֖וֹ כְּצַלְמ֑וֹ וַיִּקְרָ֥א אֶת־שְׁמ֖וֹ שֵֽׁת׃

 

Deux termes sont utilisés pour nous parler de la création de l’homme à l’image de Dieu, tzelem : image et demut : ressemblance. Nous verrons si pour les commentateurs ils sont équivalents ou interchangeables.

L’homme créé betzelem elohim est une notion fondamentale, rentrée dans le langage courant du judaïsme, comme ‘betzelem’. C’est la boussole qui indique le Nord, c’est-à-dire nos comportements et attitudes éthiques. En nous rapprochant d’un idéal divin, nous nous rapprochons davantage de notre humanité.

Selon le rabbin David Kimhi (1160-1235, appelé aussi Radak), exégète de la Bible et philosophe médieval français, le terme demut fait référence à une ressemblance physique ou matérielle avec le reste de la création! Un être humain se compose par conséquent de ces deux ressemblances, physique aux êtres vivants et morale à la divinité.

Mais que veut dire pour l’homme d’avoir été créé à b’tzelem Elohim ?

Le Rabbin Haim Sabato[1], linguiste et sioniste religieux, récipiendaire de plusieurs prix prestigieux[2], liste 5 caractéristiques qui définissent l’homme créé b’tzelem Elohim :

1/il est capable d’exercer une domination sur la nature, ( mais avec le risque de l’épuiser et la détruire),

2/ il est doté d’inventivité et de créativité,

3/ il est libre et fait preuve de discernement,

4/ il fait preuve de libre arbitre,

5/ il est capable d’amour fraternel – Khessed et de solidarité envers son prochain.

Avoir été créé à l’image divine comporte des risques, celui notamment d’oublier sa place dans la Création et de pêcher par excès d’orgueil. Rashi dans son commentaire sur la première occurrence de Tzelem Elohim met en garde contre cette propension de l’homme à manquer d’humilité, et il lit dans le verbe v’irdu– ils descendront, une menace qui pèse sur lui, de dégringoler dans la chaîne de la création.

Une autre dérive est celle qui est pointée à la suite de la naissance de Shet, quand la Torah nous décrit les mariages contre-nature entre les dieux et les filles de l’homme. Cela rappelle les mythologies grecque et romaine, où les hommes et les dieux fricotent l’un avec l’autre et sont pris au piège d’intrigues inextricables, dont les conséquences sont souvent dramatiques. Ni les hommes ni les dieux ne sont à leur place. C’est contre ce mélange des genres que le récit biblique mythologique attire notre attention, qui permet d’engendrer les nefilim, traduit par certains commentateurs par ‘les déchus’, ces êtres qui plus tard feront peur aux explorateurs de Moïse.

Les révolutions vécues par l’humanité jusqu’à ce jour, n’ont jamais posé avec autant d’acuité la question de la place de l’homme dans l’univers.

L’économiste Daniel Cohen dans son dernier livre[3] nous parle des historiens du 20ème siècle qui misaient sur les bénéfices de l’utilisation de la machine ce qu’on a appelé la mécanisation du travail. Celle-ci allait soulager l’humanité des tâches subalternes et répétitives. L’homme ainsi libéré serait capable d’apporter une valeur ajoutée à son travail et prendre le relais des machines lorsqu’elles auraient atteint leurs limites.

La révolution que l’on vit aujourd’hui a dépassé de loin ces prévisions. Ainsi Yuval Noah Harari dans son dernier livre Homo Deus nous parle de l’immense opportunité que représente la combinaison de l’évolution des connaissances dans le domaine de l’intelligence artificielle, des biotechnologies, sans oublier l’utilisation des algorithmes. Mais cette révolution est potentiellement dangereuse et Yuval Harari nous met en garde contre ses dérives.

Il donne l’exemple du jeu de Go, des voitures électriques et même des diagnostics médicaux virtuels. L’intelligence artificielle est ainsi capable de résoudre des combinaisons de données bien plus complexes que l’homme. Les « machines » ont dépassé l’homme.

Un autre danger est la concentration entre les mains d’une petite élite de ce pouvoir que représente la maitrise des algortihmes. Il y a le risque qu’ils soient utilisé à mauvais escient.

L’homme est ainsi devenu un produit et ces apprentis sorciers ou homo deus sortes de demi-dieux, qui nous tiennent entre leurs mains ou plutôt entre leurs algorithmes.

Devant ces prévisions quelque peu sombres, comment pouvons-nous résister ou nous adapter ? Pour Yuval Harari il est primordial de se recentrer sur l’humain, sur la connaissance de soi, pour ne pas être pris au piège par la machine.

Ainsi, si on revient à notre paracha et la croyance d’avoir été créé ‘betzelem Elohim’ le chemin est peut-être de mieux utiliser nos capacités de discernement, de créativité, de libre-arbitre et renforcer le lien social.

Après s’être laissés happés par les promesses infinies de la ‘machine’, du virtuel et de l’intelligence artificielle, il s’agit de remettre ces outils à leur juste place afin de ne pas devenir nous-mêmes des produits au service d’hommes peu scrupuleux et les esclaves d’un nouveau culte.

Ken Yhie ratzon,

Chabbat shalom !

[1] https://www.929.org.il/page/5/post/122

[2] Sapir et Ytzhak Sade

[3]Il faut dire que les temps ont changé’, Daniel Cohen, p.164.