Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Catégorie : Commentaires de la semaine Page 5 of 12

Drasha Kedoshim – Yom HaShoah, KEREN OR 29 avril 2022

Le livre testament d’Aharon Appelfeld paru en français de manière posthume est un drôle de livre… « Stupeur », telle est son nom raconte l’histoire d’une paysanne ukrainienne qui assiste sous ses fenêtres à l’humiliation, la torture et au monstrueux assassinat de ses voisins juifs. Une famille de 4 âmes, 2 parents et deux filles adultes, avec lesquelles cette paysanne a partagé les jeux de l’enfance, l’école et avec lesquels elle a travaillé, plus tard car ils tenaient un commerce. …Ce sont les seuls juifs de ce village proche de Czernowitz. C’est le gendarme du village sur ordre des allemands qui les fait sortir dans la cour et les garde prisonniers agenouillés pendant plusieurs jours. Pendant ce temps, les voisins pillent la maison des juifs devant les yeux de leurs propriétaires stupéfaits. Enfin le gendarme leur faire creuser un trou bien profond, dont ils devinent la finalité.

…Ces juifs-là n’ont pas besoin d’être recensés, ni d’être marqués d’une étoile jaune, ils sont connus de tous de longue date.

Leur voisine leur offrira un peu de soupe pendant ces jours d’attente torturante, en leur promettant d’intervenir en leur faveur. Elle n’en fera rien, pourquoi ? Peut-être par habitude de voir les juifs ainsi traités, pour ne pas se distinguer, accoutumée elle-même aux violences conjugales d’un mari qui la viole tous les soirs en toute impunité.

Le gendarme, les voisins, le mari invoquent les clichés habituels : « ils méritent leur sort, car ils nous ont volé avec leur commerce », « ils se sont enrichis sur notre dos comme tous les juifs », ils viennent d’ailleurs munis de pelles pour fouiller jusqu’à leur jardin, convaincus qu’il y a de l’or caché…

Du fin fond du moyen âge jusqu’à nos jours, une même musique obsédante revient sans fin : ce qui arrive aux juifs est leur faute, trop ceci, pas assez cela, vous connaissez le refrain.

Ce refrain ne s’est pas arrêté après la Shoah. Encore aujourd’hui, c’est celui de celles et ceux qui cherchent les boucs-émissaires de leurs tourments, pas toujours juifs, pas seulement juifs, mais souvent juifs….

Le bouc-émissaire, c’est un des deux boucs qui fait partie du rituel de Kippour, il apparait dans la Torah dans la paracha Aharei Mot au chapitre 16 du Lévitique, qu’on a lue la semaine dernière.

C’est cet animal qu’on envoie, chargé des fautes du peuple, dans un endroit lointain connu sous le nom d’Azazel. Selon le texte biblique, il est juste laissé libre de vaquer dans le désert. Mais les sages du moyen âge ont créé un rituel plus sophistiqué dans lequel ce bouc traverse la ville en étroite compagnie puis, jeté du haut d’une falaise ;

Le juif éternel bouc-émissaire serait comme ce bouc, cet être qui dévoile à la face du monde, les fautes d’une humanité empêtrée dans sa médiocrité ? Est-ce en cela que sa vue devient insupportable, car elle rappelle en permanence les atrocités commises ?

La plupart du temps, la paracha Aharei Mot est lue en combinaison avec celle de cette semaine Kedoshim. D’un côté, comment faire expiation de ses fautes, de l’autre le commandement de sainteté que Dieu adresse aux bneï Israel au travers de son intermédiaire Moïse.

דַּבֵּ֞ר אֶל־כׇּל־עֲדַ֧ת בְּנֵי־יִשְׂרָאֵ֛ל וְאָמַרְתָּ֥ אֲלֵהֶ֖ם קְדֹשִׁ֣ים תִּהְי֑וּ כִּ֣י קָד֔וֹשׁ אֲנִ֖י יְהֹוָ֥ה אֱלֹהֵיכֶֽם

Parle à toute la communauté des enfants d’Israël et tu leur diras : vous serez saints, car moi, l’Eternel votre Dieu, je suis saint ! (Lév. 19 :2)

Rashi analyse la structure de ce verset et lit l’ajout des mots כל עדת: ‘toute la communauté’ comme un pléonasme, une expression superflus et nous dit : « cela nous enseigne que cette section de la Torah a été proclamée en assemblée plénière, car la plupart des enseignements fondamentaux de la Torah en dépendent ». En disant cela, il fait référence au midrash qui met en parallèle les 10 commandements et les versets qui suivent l’injonction de sainteté donnée au peuple hébreu qui sont comme une réécriture des dix paroles.

Le récit d’Aharon Appelfeld retentit de manière familière à mes oreilles, des faits similaires je les ai entendus dans la bouche de ma mère et ma grand-mère, cette haine viscérale du juif a vidé les campagnes ukrainiennes de ses juifs. Devant ces boucs émissaires tout désignés, on s’est donné le permis de tuer en foulant allégrement au pied les enseignements fondamentaux communs à toute religion.

Et pourtant les juifs, pieux ou non, n’ont pas abandonné le chemin de la sainteté, celui si exigeant qui nous enjoint de ne pas dévier ni à droite ni à gauche et surtout ne pas se comporter de la même manière que nos bourreaux. Mais plutôt, trois fois par jour, lors de la prière de la amida, se redresser sur nos pointes de pieds et répéter, « kadosh kadosh kadosh » pour tenter peut-être, comme les générations qui nous ont précédées, de se détacher de la trivialité du monde en extirpant de nos cœurs tout sentiment de rancœur…

Je finirai avec les mots d’Aharon Appelfeld témoin si lumineux de cette période sombre, « Les souvenirs de la seconde guerre mondiale – j’espère que cela ne vous étonnera pas – sont liés pour moi à beaucoup d’amour, un amour infini. Quiconque a été dans un ghetto a vu des mères protéger leurs enfants, se privant de nourriture pour les nourrir ; il a vu comment des adolescents ont accompagné leurs parents pour ne pas les laisser seuls, et en ont pris soin jusqu’au dernier instant. Lorsque je me demande d’où me viennent les forces d’écrire, je sais que ce ne sont pas dans les visions d’horreur qui les alimentent, mais les visions d’amour qu’il y avait de toutes parts. Mon monde n’est pas demeuré sous les traits des bourreaux, ni sous les traits du Mal irréparable, du Mal infini ; je suis resté avec les hommes, et je les ai aimés. »

Peut-être est-ce juste pour cela que le peuple juif a été inventé et a survécu, pour être témoin, non seulement de la barbarie, mais surtout de la vie qui en a émergé et a transfiguré la laideur en beauté, la cruauté en solidarité, l’indifférence en actes de guemilout hassadim.

Puissions-nous continuer sur ce chemin, sans en dévier d’un millimètre pour être à notre tour les dignes témoins de ceux qui nous ont précédés.

Ken yhie ratzon ! Shabbat shalom.

Drasha Metzora – Shabbat Hagaddol KEREN OR 8 avril 2022

Parmi les 15 prophètes bibliques, certains SDF, d’autres chevelus, ou colériques, extatiques, ou dépressifs, je demande le prophète Malachi, le messager sans nom de famille, qui a vécu au 5è siècle AEC, en Judée.

Son nom si simple -‘mon messager’- est présage, on doit tendre l’oreille et écouter au moins ce que lui, ce dernier prophète a à nous dire. Ses paroles sont directes et peu abondantes, 3 courts chapitres qui vont à l’essentiel. Il parle à l’époque du retour de Babylone et après la reconstruction du 2e Temple, il serait contemporain d’Ezra et Néhémie. Cette période aurait dû être celle de la reconstruction, du retour à la normale, si je puis dire, mais Malachi se fait l’écho de la colère divine, Israël a perdu la boussole de son Créateur, il s’est de nouveau détourné des voies de l’Eternel, oublié les commandements qui le maintiennent sur le droit chemin. Israël a fermé ses écoutilles et3 n’a pas pris garde aux leçons de l’histoire, celle si proche de l’exil…

Lire les paroles de Malachi, ce dernier messager, nous invite à nous demander ce qu’est la nature de la prophétie, d’où viennent ces paroles ? Sont-elles semblables à celles d’un ‘fou du roi’, un être libéré de toute contrainte sociale, sans rang qui se permet d’asséner des vérités à la face du monde ? ou bien est-ce un ermite qui a perdu la raison ? ou encore un sorcier ? un bonimenteur ? comment distinguer ces paroles de celles d’un faux prophète ? catégorie où on peut classer tant de prédicateurs jusqu’à nos jours ?

Les rabbins ont cherché à expliquer la nature de la prophétie et le rôle incarné par les prophètes. Ainsi dans une œuvre magistrale, qui fait autorité jusqu’à ce jour, intitulée simplement « les Prophètes », Abraham Heschel les scrute sous tous les angles. Le terme biblique Nabi, est un passif, la personne concernée est un réceptacle d’une parole divine, qui ne peut faire autrement que d’en être la courroie de transmission, l’entendre puis la transmettre sans la déformer. Et Heschel de poursuivre que le prophète s’exprime aussi dans un état d’être, il parle avec intensité, il est habité par les paroles prononcées, un peu en extase…ce qui peut susciter le rejet de ceux qui l’écoutent…En français aussi ce mot d’origine grec n’est pas facile à expliquer, et son sens courant, celui de prédire l’avenir, ne correspond pas du tout à ce qu’exprime le prophète biblique qui décrit lui plutôt l’état présent.

Heschel insiste aussi sur la spécificité du prophète biblique par rapport à tous les autres prophètes, ceux nommés ainsi dans la Bible même lorsqu’ils sont fidèles à d’autres Dieu, comme Bilaam par exemple. Ce qu’ils ont d’unique, c’est qu’ils s’inscrivent tous dans une chaine de tradition, une chaine ininterrompue telle que citée dans la première mishna des Pirké Avot :

Moïse a reçu la Torah au Sinaï et l’a transmise à Josué, Josué aux anciens, et les anciens aux prophètes, et les prophètes aux hommes de la Grande Assemblée. Ils ont dit trois choses : Soyez patients dans [l’administration de] la justice, élevez beaucoup de disciples et faites une clôture autour de la Torah.

En synthèse tous ces prophètes s’enracinent dans la parole de la Torah de leurs ancêtres, le message est le même les émotions aussi, le vocabulaire varie un peu, mais la source et ce qu’on doit entendre est scandé sous tous les tons de manière identique ! En lisant la haftara de la semaine, un verset m’a réveillée ou plutôt brûlée par l’attente qu’il exprime [1]:

כִּֽי־הִנֵּ֤ה הַיּוֹם֙ בָּ֔א בֹּעֵ֖ר כַּתַּנּ֑וּר וְהָי֨וּ כׇל־זֵדִ֜ים וְכׇל־עֹשֵׂ֤ה רִשְׁעָה֙ קַ֔שׁ וְלִהַ֨ט אֹתָ֜ם הַיּ֣וֹם הַבָּ֗א אָמַר֙ יְהֹוָ֣ה צְבָא֔וֹת אֲשֶׁ֛ר

לֹא־יַעֲזֹ֥ב לָהֶ֖ם שֹׁ֥רֶשׁ וְעָנָֽף

Car voilà ! Ce jour est proche, brûlant comme un four. Tous les arrogants et tous les méchants seront de la paille, et le jour qui vient – dit l’Éternel des armées – les réduira en cendres, et il ne restera d’eux ni souche ni rameau.

Ce verset a remis en mémoire cette belle chanson contemporaine, ‘

אין לי ארץ אחרת
גם אם אדמתי בוערת
רק מילה בעברית חודרת
אל עורקיי, אל נשמתי
בגוף כואב, בלב רעב

כאן הוא ביתי

Je n’ai pas d’autre terre, même lorsqu’elle brûle, un seul mot en hébreu me pénètre, descend dans mes veines et mon âme, mon corps me fait mal et mon cœur est affamé, ici est ma maison…

Les paroles de Malachi clôturent l’ère prophétique, ce sont celles qu’on lit tous les ans lors du Grand shabbat, celui qui précède Pessah. Elles sont grandiloquentes et magnifiques ces paroles. Elles arrivent à point nommé en cette période secouée de toutes parts : entre fausse fin de pandémie, guerre et élections. Il y a le feu, la planète brûle au sens propre comme figuré, et même dans nos pires cauchemars, je n’aurai pas imaginé me retrouver ainsi que nous tous, sous la menace de tant de périls…

Ecouter la langue des prophètes est en quelque sorte ‘un arrêt sur image’, qui permet d’entendre les bruits du monde dans tous leurs fracas, entendre aussi son cœur qui bat très vite, son esprit surchargé et se demander, quelle va être la suite ? que puis-je faire pour que la machine ne déraille pas ? je peux par exemple mettre un bulletin dans l’urne, avec beaucoup de prudence et de discernement. Le temps des prophètes percute le notre, car il s’attache à l’essentiel de nos vies, à son essence même. Les discours qu’on entend sont si caricaturaux dans leur excès, qu’il est facile à nouveau de distinguer entre le juste et l’injuste, le bien et le mal, en tout cas lorsque notre « arrêt sur image » englobe l’humanité plutôt qu’uniquement notre autoportrait…

Ken Yhié ratzon, shabbat shalom


[1] Malachi 3:19

Drasha Tazria, Rosh Hodesh Nissan – KEREN OR 1er avril 2022

Comme un leitmotiv, la question de la ‘pureté rituelle’ est récurrente dans le livre du Lévitique’. L’impureté concerne en vrac la femme qui vient d’accoucher, les personnes qui ont développé des éruptions cutanées (ulcère, œdème et autres infections), les femmes lors de leur cycle, ou encore les prêtres ayant été au contact des morts. Cet état d’impureté rituelle touche non seulement les humains, mais aussi les objets comme les vêtements et même les maisons. « Le terme impureté ‘touma’ en hébreu dérive d’une racine qui veut dire ‘stupidité ‘timtoum’, et fermeture ‘atoum’ comme dans l’expression ‘un cœur fermé’ tel celui du mort complètement insensible au blessures du scalpel. », c’est ce que nous rappelle Catherine Chalier dans un article consacré à cette notion, où elle cite le rabbin Chmuel Bornstein[1].

Dans la paracha Tazria il s’agit de détailler le rituel à observer lorsqu’une personne a été diagnostiquée comme ‘impure’, après une période d’observation, afin qu’elle recouvre son état initial. Dans ce cas, seuls les prêtres sont aptes à poser le dia3gnostic, ils sont érigés à la fois en médecins et en responsables du déroulement de la pratique rituelle permettant de ‘soigner’ ces états.

Le cohen visite à plusieurs reprises la personne atteinte de cette plaie afin de décider s’il s’agit d’une simple maladie ou d’une véritable impureté rituelle, et si l’impureté est avérée, la personne devra quitter sa maison, s’éloigner de la communauté et vivre hors du camp. Elle sera isolée pendant une durée déterminée, pendant laquelle, à nouveau, ce sera au pontife d’évaluer l’évolution de son état et décider de sa réintégration.

Comme tous les ans, en relisant ces pratiques qui nous semblent pour le moins curieuses à nous juifs du 21è siècle, j’ai cherché quel sens leur donner, sans tomber dans la caricature ou en les évacuant du revers d’une main parce que désuètes. Que veut dire ce bannissement hors du camp ? est-ce par peur de la contagion ? de quelle contagion parle t on dans le cas d’une parturiente alors? Ou bien est-ce une façon de protéger ces personnes considérées comme vulnérables ?

Et puis j’ai pensé à ces deux dernières années, sous la menace constante d’une contagion réelle par un virus mortel, qui nous a obligé pendant des périodes répétées à vivre à l’écart des autres, ces versets prenaient une autre coloration, si je peux dire. Le rituel biblique a des similitudes avec ce que l’on a vécu : les tests et la sempiternelle question, je l’ai ou je ne l’ai pas ? l’attente, l’inconnu… la vie à l’écart des autres, et les changements que cela à produit en chacun de nous.

Car le virus qui nous a frappés a été une expérience in vivo, de ce qu’est l’isolement forcé. Par la même, cela a été un accélérateur de certaines tendances, déjà perceptibles avant qu’il ne frappe, notamment la juxtaposition de nos modes de vies, le mode virtuel avec le mode réel. Un isolement qui n’était pas total, puisque à tout moment, il était possible de se réunir par écran interposé.

Ainsi depuis deux ans, au sein même de cette synagogue cohabitent deux communautés, celle qui est derrière l’écran et celle qui se regroupe dans la synagogue. Ce qui, à l’origine, a été imposé, non pas par des Cohanim, mais par l’état et les conseillers scientifiques est devenu depuis peu, le choix d’un certain nombre de nos membres qui ont continué à s’isoler volontairement, alors même que la loi les autorisait à se regrouper dans une synagogue. Cette décision de s’auto-isoler, qu’elle soit dictée par la maladie, le confort, les contraintes matérielles, bouleverse totalement nos modes de vie.

Il me semble que jusqu’à présent, on n’a pas assez mesuré la métamorphose produite par la pandémie en termes d’interactions humaines. Je sais, tout cela n’est pas fini, le virus continue à circuler, et on doit rester prudent, conserver certaines précautions. Mais le fait est que des écrans se sont dressés entre nous, et cela n’est pas près de changer.

Alors que nous nous apprêtons à nous réunir pour notre 3e assemblée générale hybride, ces questions m’interpellent, car c’est l’avenir de notre communauté qui est en jeu. Et ce, alors que de nouveaux bouleversements bien plus radicaux sont déjà à l’œuvre de l’autre côté de l’océan, avec des mynianims virtuels et des avatars de rabbins.

Ainsi au moins deux expériences sont en cours aux Etats Unis dans le monde progressiste et chez les Habad. La communauté reform américaine Am Shalom est la première communauté dans le metaverse…le rabbin Lowenstein, 60 ans a été mis au défi par l’un de ses membres de créer une synagogue 3D. Depuis novembre dernier sa synagogue réelle a dépensé 10000$ de bitcoin pour acheter une parcelle de terrain sur ‘l’ile de la pénurie’ dans le monde virtuel du Cryptovoxel. Son projet est de créer une synagogue virtuelle pour Pessah et tous ceux qui ont un avatar pourront l’expérimenter.

Pas en reste, les Loubavitch ont acquis un ‘terrain’ pour 6000 Manna, ce qui équivaut à 14000$ et le rabbin Wilhelm et ses acolytes ont créé à Pessah dernier le Mana Habad center pour mener à bien ce projet, aucune date d’ouverture n’est encore précisée…mais le rabbin Wilhelm précise que ce centre fonctionnera avec du personnel virtuel sur le modèle de n’importe quel centre Habad et sera ouvert 24/6 hors shabbat par conséquent…Les deux rabbins voient dans cette diversification une manière de capter une population juive plus jeune et branchée ![2]

Ces expérimentations très sérieuses bouleversent notre pratique et nos croyances, elles redéfinissent totalement l’espace et les relations humaines, pour le meilleur ou pour le pire. Mynian réel ou virtuel, le monde se transforme sous nos yeux ébahis et on aurait tort d’attendre d’être de simples spectateurs, plutôt que de réfléchir sérieusement à ces questions et à nos positions sur le sujet. Il est largement temps de se demander si l’espace virtuel est un espace rituellement pur ‘tahor’ fréquentable et inclusif ? ou impur ‘tamé’, dans le sens énoncé par le rabbin Bornstein : s’il va nous enfermer, et nous rendre stupides ? Les catégories ne sont plus ce qu’elles étaient et c’est à nous de les redéfinir dans notre monde réel.

Ken Yhié ratzon, Hodesh tov! shabbat shalom!


[1] Philosopohie et Bible, Catherine Chalier, 2018, https://journals.openedition.org/rsr/4221

[2] https://forward.com/culture/484274/chabad-lubavitch-reform-am-shalom-virtual-judaism-metaverse-jewish/

Drasha Shemini / para Adouma – bar Mitsva Emanuel Rosner 25 mars 2022

Le livre du lévitique contient seulement deux récits,au milieu d’une mer de préceptes sacerdotaux. Le premier récit se situe dans notre paracha et concerne le destin terrible réservé par Dieu à Nadav et Avihou : la mort par crémation. Le deuxième récit figure dans la paracha Emor et parle aussi de mort, celle par lapidation du fils de Shlomit Bat Dibri, pour avoir blasphémé le nom divin. Les deux histoires, on pourrait presque les appeler des midrashim, font partie de ce qu’on appelle avec pudeur les textes difficiles de la Torah. Ils nous confrontent à un Dieu terriblement sévère …On a beau les tourner et les retourner tous les ans à la même période, et étudier les commentaires rabbiniques, ces récits ne passent pas, et continuent à rester bloqués dans le gosier et à faire mal au ventre…

A tel point que, j’espère ne pas dévoiler un grand secret, la maman de notre bar mitsva Zohar, m’a demandé lors d’un rdv s’il fallait vraiment qu’Emanuel lise ce texte si violent devant notre belle assemblée, sa famille et ses amis ? Comme chaque maman, d’autant plus lorsqu’elle est israélienne veut légitimement protéger son fils de la violence, de la guerre qui est le quotidien de ce pays. J’ai tenté de la rassurer en lui disant qu’on trouvera un chemin, une voie pour faire sens et donner du grain à moudre à son fils, notre jeune bar mitsva…et vous verrez demain matin, Emanuel avec mon aide y est arrivé haut la main !

Alors de quoi s’agit-il, quel est le contexte de ce récit et éventuellement quel enseignement peut-on en retirer pour notre temps ?

Le récit de Nadav et Avihou les fils ainés d’Aharon survient alors qu’Aharon vient de consacrer le Mishkan au 8è jour de sa mise en fonction. Tout s’est très bien déroulé, l’offrande brûlée a été agréée par Dieu. C’est au moment où le peuple et ses représentants peuvent enfin prendre un repos bien mérité, se réjouir et apprécier le moment présent, que les deux fils intrépides décident d’apporter de l’encens et s’approchent dangereusement de l’Eternel qui les lèche de ses flammes. Les deux fils meurent, le père, Aharon, est abasourdi mais n’a pas le droit de porter le deuil, il se tait. Vaydom Aharon

Les questions que pose cet épisode dramatique, les rabbins se les sont posées au long des siècles et je me et vous les pose à mon tour : qu’ont fait Nadav et Avihou pour mériter la peine de mort ? de la main (si je puis dire) de Dieu lui-même ? je vous liste en vrac quelques explications  rabbiniques: ils étaient trop ambitieux et voulaient prendre la place de leur père et oncle, ils étaient peu observants des règles minutieuses données par l’Eternel n’ayant pas choisi le moment opportun ni respecté la manière de faire le feu dans le tabernacle. Ils étaient ivres et dans un état d’impureté par conséquent pour effectuer ce rituel…Comme vous le voyez, la liste des motifs est variée et les rabbins sont créatifs dans leur exégèse. Peu d’entre eux osent dire qu’il s’agit peut-être d’un acte de sanctification du Nom divin, et non pas d’une punition. L’Eternel aurait pris les meilleurs parmi les meilleurs, les fils d’Aaron, destinés à devenir grands prêtres et s’en est délecté…Car le sacrifice humain, et spécialement d’enfants, était monnaie courante dans l’Antiquité à cette époque, alors est-ce un épisode pour nous prévenir de ce qui pourrait arriver si on n’y prend garde ? Dieu ne s’est-il pas réservé les premiers nés dans l’Exode et demandé un rituel spécifique, leur rachat ? ce récit serait une forme d’avertissement concernant le paganisme ambiant et les risques d’une pratique religieuse trop absolue, voire fondamentaliste ?

Aucun commentateur, à ma connaissance ne remet en question l’acte divin et ne condamne son injustice. Car quel modèle cela donne-t-il à l’homme ? l’homme créé à l’image de Dieu ? Jusqu’où doit-on aller dans nos actes sacrificiels ? Doit-on nous aussi nous enflammer quand le désir nous ronge ou au contraire quand quelque chose ne nous convient pas  ?

Peut-être est-ce l’Ecclésiaste dans sa sagesse un peu pessimiste qui peut nous éclairer sur cet épisode, lorsqu’il dit :  

רְאֵ֖ה אֶת־מַעֲשֵׂ֣ה הָאֱלֹהִ֑ים כִּ֣י מִ֤י יוּכַל֙ לְתַקֵּ֔ן אֵ֖ת אֲשֶׁ֥ר עִוְּתֽוֹ׃

Observe l’œuvre de l’Eternel car qui peut réparer ce qu’Il a tordu ou subverti ?[1]

Une lecture littérale de ce verset est déconcertante : Dieu est-Il celui qui tord ou crée l’injustice dans ce monde ? et par conséquent serait le seul à pouvoir réparer ce qui est tordu voire monstrueux à nos yeux ?

Rashi dans son analyse du verset explicite que Dieu qui a créé ce monde avec le bien et le mal, et par conséquent Il est le seul à pouvoir réparer ce qu’un humain laisse derrière lui, après sa mort, afin de redresser ce qui a été tordu.

Dans notre cas, les jeunes prêtres promis à un brillant avenir sont des victimes innocentes… Et c’est alors que l’image de ces jeunes soldats qui partent sur le front et sacrifient leur vie pour une terre, des valeurs qui nous sont chères s’est superposée à celle de Nadav et Avihou…Ceux qu’on envoie faire la guerre et se sacrifier en dépit de leur jeune âge. Ceux qui acceptent ce sacrifice car dans leur fougue et naïveté se sentent peut-être immortels et indestructibles…Ceux qui paient pour les fautes des générations précédentes, qui n’ont pas su prévenir ces guerres ? et peut-être que ce récit si perturbant est là pour nous rappeler ces vérités fondamentales, c’est à chaque génération d’œuvrer pour laisser un monde en meilleur état qu’il ne l’a trouvé. Comme l’expression que nous lisons dans le Aleinou Letaken Olam bemalkhout shadai, parfaire le monde à travers la royauté divine.

Un grand mazal tov Emanuel, et on compte sur toi !

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom


[1] Ecclésiaste 7 :13

Drasha Zakhor/Vayikra – KEREN OR, 11 mars 2022

Un récit talmudique assez célèbre raconte une histoire poignante, celle de 4 Sages, tous célèbres et très estimés du 1er siècle de notre ère. Ils rentrent dans le Pardes – le Gan Eden pour visiter ‘le back office’ si je peux m’exprimer ainsi, ce côté mystérieux où ils espèrent rencontrer leur Créateur. Mais cette initiative n’est pas couronnée de succès pour trois d’entre eux : R. Ben Azzai meurt, R. Ben Zoma perd la raison, R. Elisha Ben Abouya perd la foi et seul rabbi Akiva en ressort sain et sauf.

Je vais m’attacher à, l’un des personnages de cette histoire, r. Elisha Ben Abouya car il me semble que son parcours peut susciter quelques réflexions utiles, et ; peut-être, nous éclairer dans cette période tourmentée.

R. Elisha Ben Abouya est un agnostique, et qui sera surnommé dans le Talmud ‘l’autre’- Aher. Naturellement, il a retenu l’attention des commentateurs et apparait dans plusieurs récits talmudiques. L’un d’entre eux, dans le traité Kiddoushin, énonce l’origine de ce que les rabbins ont considéré comme son hérésie.

Selon ce récit, il a assisté à une scène qui l’a bouleversé : celle où un jeune garçon va à la demande de son père accomplir la mitsva du shilouakh haken. Le shilouakh haken, est un commandement, où on renvoie la mère des oisillons avant de prendre ces oisillons. C’est un acte de hessed, de compassion envers la mère, qui, selon la Torah est récompensé par ‘la longueur des jours’ de celui/celle qui l’accomplit, autrement dit, une longue vie. Malheureusement, ce jeune garçon grimpe à l’arbre, accomplit la mitsva, puis tombe et meurt. Elisha assiste, médusé, à cette scène. Il se demande, comme d’autres rabbins, comment, alors qu’il est expressément écrit dans la Torah qu’accomplir cette mitsva rallonge les jours de celui qui l’accomplit, un jeune garçon innocent et méritant meurt juste après avoir accompli cette bonne action ? Dans le talmud suivent de nombreuses interprétations rabbiniques qui cherchent toutes à disculper Dieu, afin de préserver notre système de croyances.

Pour Elisha Ben Abouya cependant, aucune explication ne tient, si le jeune garçon meurt alors tout l’édifice du judaïsme s’écroule comme un château de cartes . Et Aher décide de se détourner de la Loi, et même de transgresser publiquement le shabbat en continuant à se promener sur son âne au-delà de la limite permise. Il demande cependant à son élève, Rabbi Meïr, qui l’accompagne de retourner au village pour que lui respecte le shabbat. R. Meïr demande à Elisha de rentrer avec lui, mais Elisha refuse car sa sentence a déjà été prononcée et il sait qu’il ne sera pas pardonné, aucune teshouva n’est possible pour lui.

Après être entré dans le Pardes, son hérésie, est décrite par une métaphore « Akher kitzetz bint’yot » « Aher coupait les pousses des jeunes arbres » ‘. Selon les Sages, cela fait allusion à son influence sur la jeunesse : son comportement irrespectueux détourne en quelque sorte, la jeune génération du respect du judaïsme. Il coupe les jeunes feuilles, leur potentiel de devenir des talmideï hakhamim des sages à leur tour…

Cet Aher qui appuie là où ça fait mal, bien que ‘autre’, est responsable de ce que vont devenir ses ouailles, en premier lieu de rabbi Meïr son disciple. Aher qui a la même racine que le terme ahraïout : responsabilité. Pour avoir posé ces questions embarrassantes, et avoir semé le doute dans ces jeunes cerveaux, Aher a été mis au ban de sa communauté, comme Spinoza des siècles plus tard, il a du vivre hors de celle-ci, à la périphérie. On nous dit même qu’une fois mort, il a été condamné au Guéhinom, la géhenne, et un seul de ses disciples, r. Yohanan, était prêt à lui tendre la main pour le sauver.

Le judaïsme a produit de nombreux aherim (pluriel de aher) ces autres qui ont douté, voire abandonné la pratique de leur foi. Par fidélité et pour honorer la mémoire de ceux partis en fumée, ils ont pris à la lettre ce commandement du Zakhor – souviens toi ! Ils se sont souvenus et ont mis Dieu lui-même sur le banc des accusés pour finalement le faire passer par pertes et profits.

La question qu’Aher pose nous taraude jusqu’à ce jour.

Alors qu’une nouvelle génération de juifs et non juifs endure les souffrances causées par une guerre non loin de chez nous, on continue à se demander où est Dieu lorsque des innocents souffrent ? Et pourquoi les méchants prospèrent ?

Alors cet aher, ce n’est pas l’autre, mais nous tous, notre peuple considéré comme un éternel aher, marginal, différent, parfois même dérangeant par une partie non négligeable de la communauté humaine.

En 1975, lors de son congrès mondial, la WUPJ organe fédérateur du judaïsme libéral a réhabilité Spinoza et annulé le herem qui a été prononcé contre lui en 1656. Les leaders de notre mouvement ont montré, il y a près de 50 ans, qu’il était tout à fait possible d’inclure même ceux qui ne pensent pas comme nous, qui ont une autre relation à Dieu, plutôt que de chercher à les stigmatiser et les ‘excommunier’. N’est-ce pas là notre responsabilité ? notre ahraïout collective en tant que peuple juif  ? N’avons-nous pas tous, le droit à cheminer avec nos doutes, nos questionnements et notre liberté de conscience tout en gardant sa place au sein du judaïsme ?

Ken yhie ratzon, Shabbat shalom

Drasha Vayakhel – KEREN OR, 25 février 2022

Il y a 15 jours, lors de l’étude avec le groupe du mercredi de la paracha Tetzavé, on s’était attardé sur ce curieux objet : les ourim et toumim, deux pierres sur lesquelles étaient gravés les noms des douze tribus d’Israël, placées sur le pectoral du jugement du Grand Prêtre, elles s’éclairaient lorsqu’on leur posait une question. La réponse tel un oracle permettait, dans des circonstances spécifiques, de prendre une décision.

Dans la Torah, les ourim et toumim étaient consultés avant les guerres dites facultative, celle où on s’apprête à conquérir un territoire et où il faut bien peser les risques et les opportunités à partir en guerre.

Dans le traité Sanhédrin, il est précisé qu’un certain nombre de gardes fous ont été mis en place pour qu’un roi ne décide pas de partir à la guerre sur un coup de tête, même lorsque la famine sévit dans le pays. Le grand Roi David lui-même ne pouvait de son propre chef décider de partir à la guerre et devait auparavant consulter le grand Sanhedrin composé de 71 juges qui a leur tour allaient consulter le Grand Prêtre et les Ourim et Toumim. Golda Meir en son temps disait que tout commandant qui n’hésite pas à envoyer des jeunes hommes et femmes à la guerre ne mérite pas d’être un commandant.

Notre petit dictateur à l’égo surdimensionné n’a pas pris toutes ces précautions avant de se lancer dans une guerre de conquête territoriale contre son voisin Ukrainien…Même si cette menace planait au-dessus de nos têtes depuis plusieurs mois, la surprise a été totale lorsque l’attaque a été lancée par l’armée russe au petit matin ce jeudi. 70 ans de calme et sécurité ont été anéantis par le caprice d’un leader totalement inconscient des conséquences désastreuses de ses actes.

La sécurité, bitakhon en hébreu, est un des besoins fondamentaux de tout être humain et c’est exactement ce dont nous avons été privés depuis plus de deux ans déjà. L’insécurité générée par la crise sanitaire, qui s’est transformée en moins de deux, en une insécurité territoriale, où les frontières ne sont plus sûres, car une guerre a éclaté. Voilà à nouveau venu le temps où des hommes, femmes et enfants fuyant les bombes et cherchant un abri, vont se jeter sur les routes à la recherche d’un lieu sûr au-delà de leurs frontières…Les prévisions parlent de 5 Mio d’ukrainiens qui vont chercher refuge dans les pays voisins. Et heureuse surprise, ces pays voisins se sont promptement organisés pour les accueillir, même les plus pauvres d’entre eux, comme la Roumanie ont annoncé accepter jusqu’à 500000 réfugiés potentiels.

Yuval Harari expliquait dans un récent article que deux manières de penser le monde coexistent depuis toujours, ceux qui croient en la capacité humaine à changer, à évoluer et ceux qui pensent que l’histoire est un éternel recommencement, et que le monde est une jungle où le fort se nourrit du plus faible. Il y a eu très peu de guerres de conquête ces dernières décennies, le type de guerre qu’avait connu le début du vingtième siècle était devenu une anomalie… C’était la conséquence d’un choix humain et de notre capacité à opter pour le meilleur choix, le penchant vers le bien[1]

Vayakhel, que nous lisons cette semaine, traite, entre autres, de ce que peut produire un groupe humain lorsqu’il se met au service d’une vision qui le dépasse. «Et il rassembla » nous parle d’un moment biblique quasi idéal, une communauté telle que n’importe quel rabbin, ou Président pourrait en rêver.

Le groupe d’hommes et de femmes décrits ici est diligent à donner qui de ses richesses, qui de son talent. Ils participent, chacun selon ses moyens, avec enthousiasme et empressement à un projet qui les élève et qu’ils veulent réussir : la construction du Mishkan – le temple portatif. Les membres ont un chef qui les inspire, et un «conseil d’administration » en quelque sorte, composé des plus talentueux d’entre eux Bezalel et Oholiab. Ces derniers partagent une vision et organisent minutieusement toutes ces compétences. Mais les dons des Israélites sont si généreux que Moïse doit leur demander d’arrêter d’apporter tant d’offrandes : “le peuple apporte trop d’offrandes au-delà de ce qu’exige l’ouvrage que l’Eternel a ordonné de faire.” « Sur l’ordre de Moïse on fit circuler cette proclamation : Que ni homme ni femme ne préparent plus de matériaux pour la contribution des choses saintes. » [2]

Nehama Leibowitz dans son commentaire sur cette paracha, pointe du doigt les intentions totalement opposées à l’origine de la construction du Mishkan et celles de la construction du veau d’or dans la paracha qui précède. Dans les deux narratifs, le peuple hébreu se montre volontaire et généreux mais ce ne sont pas les mêmes intentions qui guident cette générosité.

On lit dans la paracha Ki Tissa au chapitre 32 « tous rompirent leurs pendants d’or…et les apportèrent à Aaron ». Le terme utilisé « rompre» est un indice de leur manière d’agir. Ils donnent de manière désordonnée, sans réfléchir, sans se coordonner et surtout emportés par la colère et la passion.

Après s’être corrompu dans l’idolâtrie et la perte de repères, le peuple semble à présent prêt à se relever, et à réparer la faute commise, avec encore plus de zèle. A présent, ils font preuve de talent, de sensibilité, de sagesse.

Ces deux épisodes qui se suivent dans la Torah sont un enseignement précieux à mettre en perspective. Nous avons à choisir entre le fait de continuer à construire des veaux d’or ou commencer à construire le Mishkan, tout à la fois en tant qu’individus et en tant que groupe humain.

Cela nous enseigne à la fois la difficulté et la beauté à vivre chacun en harmonie avec son prochain, au sein de nos différents groupes d’appartenance : sa famille et ses amis, son groupe spirituel, son pays et au-delà en tant qu’Homme faisant partie de l’humanité ! Lorsqu’un groupe d’hommes et de femmes perd ses repères et s’adonne à ses pulsions sous la conduite d’un leader qui a perdu la raison, il libère ses bas instincts de manière incontrôlable, et le pire peut arriver. Au contraire, lorsque les talents de chacun sont mis au profit d’un idéal éthique, rien ne peut arrêter ceux qui travaillent ensemble de manière harmonieuse. Même en ces moments sombres, je vous invite à ne pas désespérer de l’humain car le changement est toujours possible et la paix peut poindre de nouveau à l’horizon.

Ken Yhie Ratzon

Shabbat shalom


[1] https://www.economist.com/by-invitation/2022/02/09/yuval-noah-harari-argues-that-whats-at-stake-in-ukraine-is-the-direction-of-human-history

[2] Exode 36:5-6

photo prise par le rabbin Tanya Sakhnovich qui fuit Kiev avec son fils vers la frontière polonaise le 26 février 2022

Drasha Yitro – Bar Mitsva Alexandre Thauvette 21 janvier 2022

Qui va là ? Ami ou ennemi ? C’est par ces mots qu’on accueillait traditionnellement l’étranger de passage.

J’ai pensé à cette devise en entendant parler de la prise d’otages à Colleyville au Texas à shabbat dernier. J’ai pensé au rabbin Cytron Walker qui a tendu la main à celui qui a frappé à sa porte à l’improviste un samedi matin, juste avant l’office, sans poser de questions. Il l’a accueilli par une tasse de thé et l’a écouté raconter son histoire. Car accueillir l’autre, surtout lorsqu’il semble être en détresse, c’est ce qu’on est censé faire en tant que rabbin.

Certes, il semblait un peu confus cet anglais d’origine afghane, il est resté et s’est joint à l’office, avant de sortir une arme et prendre en otage les 3 fidèles qui étaient dans le sanctuaire de Beit Israël. Les autres membres avaient préféré suivre l’office en ligne en cette période de forte contagiosité…Comme un miracle cet épisode a eu une fin heureuse les otages ont été libérés grâce au rabbin lui-même, 11 heures après … Le calme et le sang-froid du rabbin Cytron Walker a été admiré par le FBI et il est apparu comme un héros dans les medias . Son intervention a sauvé 3 personnes. Certes, il avait bénéficié d’une formation à la sécurité, mais qui d’entre nous sait comment il aurait réagi dans de telles circonstances, hass veshalom ?  Faire face à des terroristes en plein office, c’est le pire cauchemar de n’importe quel rabbin … et toutes les formations, tous les vigiles et autres vitres blindées s’avèrent dérisoires, le jour où cela se produit.

Ennemi ou ami ? le récit de la traversée de la mer rouge se termine dans la paracha précédente par le surgissement d’on ne sait où de l’ennemi ‘Amalek’, qu’il nous est commandé de combattre sans merci. L’Eternel s’est engagé à effacer son nom de la surface, et a demandé à Moïse d’inscrire cet épisode dans les annales, pour ne rien oublier de génération en génération.

La paracha de cette semaine commence par nous parler d’Yitro, un ami, étranger au peuple hébreu et beau-père de Moise. Yitro donne même son nom à la paracha, qui met dos à dos l’ennemi et l’ami. D’un côté, celui qu’il faut éliminer, de l’autre celui sur lequel on peut compter, faire alliance voire incorporer …

Qu’est-ce qu’un ennemi ? Selon un article de la revue de défense nationale, jusqu’à la fin de la guerre froide, il était facile de définir qui est l’ennemi. Le monde était divisé en deux camps : les pays où les hommes étaient libres et ceux où ils vivaient enfermés derrière le rideau de fer. Cependant, depuis la fin du 20è siècle, dans un monde multipolaire, il est de plus en plus malaisé de définir l’identité d’une nation et par conséquent ses ennemis, tout cela semble à géométrie variable selon le contexte et les dirigeants en place. Pour Régis Debray il y a « deux catégories d’êtres humains qui menacent le monde aujourd’hui : ceux qui ont trop de religion d’un côté et ceux qui n’en ont pas assez de l’autre. En d’autres termes ceux qui souffrent de n’avoir pas assez d’ego, les fanatiques, et ceux qui souffrent d’en avoir un peu trop, les sceptiques, nous. Manque le juste milieu. Au secours de la République et sa laïcité. »[1],

Cette définition moderne n’est pas bien différente de celle qu’on trouve dans la Torah, où l’archétype de l’ennemi – Amalek – est considéré comme tel, parce qu’il attaque par derrière, au moment où le peuple est en position de faiblesse et sans raison. Lâche, irrationnel cet ennemi-là déborde de haine gratuite. Pour cette raison, il nous est commandé de garder cet épisode en mémoire cela, de le mettre par écrit.…Les modes d’action des attaques terroristes ressemblent à s’y méprendre à celles d’Amalek: attaquer des personnes en prière un shabbat matin est le comble de la lâcheté et de l’ignominie, et sa motivation est la haine gratuite .

La Torah ne nous laisse pas dans cette vision désespérée de l’être humain. Au contraire, le verset qui suit immédiatement la victoire sur Amalek, introduit le personnage d’Yitro. Au chapitre 18 de l’Exode on peut lire : Vaïchma Yitro, khohen Midian, hoten Moshé et kol asher assa Elohim leMoshé, oul’Israël amo, ki hotzi Adonaï et Israel miMitzraïm. « Mais Yitro, le prêtre de Madian, beau-père de Moïse entendit tout ce que l’Eternel avait fait à Moise et son peuple Israël, lorsque l’Eternel libéra Israël d’Egypte. »

Les rabbins se sont demandés ce qu’Yitro avait entendu exactement pour aller rejoindre Moïse? Etaient ce les miracles perpétués par l’Eternel  qui l’avaient mis en marche? Ou bien plutôt l’histoire d’Amalek  ? Dans un midrash les rabbins se posent la question et ne sont pas d’accord : Qu’a-t-il entendu qui l’a poussé à venir (et à se joindre à Israël) ? La guerre avec Amalek, qui est juxtaposée à cette section. Ce sont les mots de R. Yehoshua. Il a entendu parler du don (futur) de la Torah et il est venu.[2]

Peut être que la motivation d’Yitro à rejoindre Moïse est de montrer son admiration envers ce petit peuple opprimé qui a réussi avec l’aide de Dieu à se sortir de tant de mauvais pas, et les rabbins ont même imaginé que son admiration est telle qu’Yitro s’est converti. La deuxième hypothèse n’est pas moins intéressante : il veut être présent lors du don de la Torah, car lui-même est un leader religieux et politique et un homme de loi. Et il conseille Moïse sur l’organisation à mettre en place pour alléger sa charge et faire en sorte que la loi soit rendue de manière plus efficiente appelée la Torah d’Yitro, elle sera amalgamée à celle de l’Eternel, rien de moins.

Yitro est l’opposé d’Amalek, c’est l’archétype du philosémite, d’un allié sincère et véritable sur le plan stratégique et géopolitique pour le peuple hébreu. Yitro est un ami – un haver en hébreu avec lequel il est possible d’envisager un hibour, une association.

Puisse chacun d’entre nous avoir la sagesse de distinguer entre amis et ennemi. Puisse ton chemin de vie Alexandre être parsemé d’amis sincères, puisses-tu les écouter avec confiance et respect !

Ken yhié ratzon !

Shabbat shalom et mazal tov à Alexandre !


[1] Régis Debray, colleque ‘Qui est l’ennemi’ organisé par le CSFRS, décembre 2015, cité dans l’article d’Amaury de Pillot de Coligny https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-1-page-65.htm

[2] Mekhilta d’Rabbi Yishmael Exode 18 :1 :1

Paracha Bechalakh – 14 janvier 2022

Quand j’étais petit garçon
Je repassais mes leçons
En chantant
Et bien des années plus tard
Je chassais mes idées noires
En chantant

La vie c’est plus marrant
C’est moins désespérant
En chantant

Vous connaissez tous le refrain de cette chanson de Michel Sardou, ‘en chantant’. Oui je sais Michel Sardou n’est ni juif ni rabbin, mais ce chant populaire, je suis sure, parle à chacun d’entre vous, et ce qu’il énonce, de manière un peu simpliste, également.

Qu’on chante sous sa douche, ou dans une chorale de manière régulière peu importe, le chant agit en profondeur sur notre psyché.

Depuis des centaines d’années, les pratiquants du yoga chantent le fameux om hindou, ce son universel primordial qui a des effets bénéfiques sur tout le corps et l’esprit. Plus récemment, la musique et le chant en particulier ont été utilisés pour leurs vertus thérapeutiques par des professionnels afin d’aider leurs patients à retrouver un équilibre.

En se mettant au diapason de nos émotions le chant nous soigne. Il est utilisé comme médiateur dans les maisons de retraite, auprès de personnes en fin de vie ou atteintes de la maladie d’Alzheimer. Quand la communication verbale n’est plus possible momentanément ou définitivement, c’est le chant qui prend le relais et permet de toucher directement l’inconscient et le vécu des personnes en leur apportant un peu de bien-être.

Ce qui est vrai de la vie en général s’applique d’autant plus à la vie spirituelle, celle où on se réunit pour prier en chantant, comme nous le faisons ce soir pour accueillir le chabbat. Nous chantons ‘Shirou l’Adonaï shirou shir hadash shirou l’Adonai kol haaretz’ chantez à l’Eternel un chant nouveau chantez à l’Eternel toute la terre’[1]. Les paroles des psaumes sont mises en musique car elle adoucit les mœurs comme on dit, et nous détache des contingences du quotidien, parfois elle nous éleve, ne serait-ce que momentanément…

En ce chabbat shira – le chabbat du chant, dans lequel nous entrons ce soir nous exprimons notre joie ancestrale d’avoir été libéré de la servitude et grâce à l’intervention divine, vaincu les soldats de Pharaon, en chantant le cantique de la mer rouge.

Le talmud dénombre ainsi 10 cantiques dans la Torah, pour la plupart des chants d’allégresse à la gloire d’un Dieu libérateur. Le cantique de la mer rouge qui apparait en premier dans la Bible ne fait pas exception.

Dans le talmud il est écrit : « Rabbi Shefatia a dit au nom de Rabbi Yochanan : ‘Si quelqu’un lit la Torah sans mélodie, ou répète la Mishnah sans air, de lui l’Écriture dit : « De même, je leur ai donné des statuts qui n’étaient pas bons (Ezekiel 20:25) »[2].

L’étude même de la Torah est mise en musique et chantée . Chanter la Torah permet de mieux retenir son message, mais aussi d’embellir le service du cœur – l’avodat halev que représente chaque office. Ceci est d’ailleurs un commandement, celui du hidour mitsva, de l’embellissement de la mitsva. Entendre la parole divine est l’essence même du judaïsme, et la chanter lui apporte ce sens nouveau, incomparable. La parole mise en musique l’adoucit comme l’exprime le rabbin Lopes Cardozo[3].

Mais qu’en est-il lorsque la musique ne s’accorde pas avec les paroles prononcées ? Lorsque certains versets de la Torah chantés sont particulièrement violents ? Ce qui est justement le cas dans le cantique de la mer rouge ? Est-ce que le fait de les chanter permet de passer à la trappe le sens littéral des mots prononcés : c’est-à-dire en résumé, se réjouir de la mort de nos ennemis qui ont coulé comme du plomb au fond de la mer? Ce que la Torah réprouve:  » Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis point; s’il succombe, que ton cœur ne jubile pas! » lit-on dans les proverbes.

Dans le talmud aussi on peut lire : ‘mes créatures se noient dans la mer et vous vous chantez un cantique ?’[4]…Comment ne pas se sentir dans une sorte de confusion entre ce que l’on dit et ce à quoi on croit ?

Les commentaires rabbiniques nous viennent en aide à ce sujet, ce cantique qui commence par Az Yashir Moshé, alors Moise a chanté, peut aussi se lire au futur, alors Moise chantera, cette ambivalence concernant la chronologie des évènements : a-t-il chanté ce cantique avant ou après la traversée de la mer rouge ? permet de trouver une issue à ce problème me semble-t-il. Ainsi le cantique est détaché d’une temporalité, on se réjouit dans l’absolu de vaincre ses ennemis, et pas seulement les Égyptiens mais tous ceux qui se sont succédés dans la Torah et au fil des siècles : des Moabites jusqu’aux Amalécites, ces derniers représentant selon les sages les archétypes des ennemis d’Israël à toutes les époques. Le cantique devient ainsi un chant détaché d’une réalité guerrière violente.

Demain lorsque nous chanterons le cantique de la mer rouge, on pourra se réjouir, sans arrière-pensée vengeresse. Nous prendrons juste conscience que la vie est faite de ces traversées, de seuils à passer, de mers parfois agitées, qui s’ouvrent comme par miracle …comme ce soir devant notre bat mitsva, elle qui passe avec émotion d’une rive à l’autre, de l’enfance à une plus grande maturité et que nous accompagnons pour notre plus grand bonheur à tous!

Ken Yhie Ratzon,

Chabbat shalom


[1] Psaume 96 :1

[2] Megillah 32a

[3] https://www.cardozoacademy.org/thoughtstoponder/the-hopelessness-of-judaism-and-its-rescue/

[4] TB Meguila 10b

Drasha Vayigach – KEREN OR Bat Mitsva Serena 10 décembre 2021

En septembre 2019, notre fils Ivan décidait d’entreprendre un voyage sur les traces de ses origines algériennes. Au départ, j’étais très sceptique voire méfiante, car ce périple pouvait s’avérer dangereux. Après pas mal de péripéties, alors que son vol était prévu le lendemain, il obtenait in extremis son visa…

Et le voilà parti explorer Oran d’abord, puis Alger e, pour finir, Constantine Pour rappel la période n’était pas la plus propice pour le tourisme, et des manifestations violentes quotidiennes se déroulaient notamment à Alger.

Chaque membre de la famille élargie lui avait confié des adresses et photos de leurs anciens lieux de vies, mais aussi de sépultures de leurs ancêtres. Ivan avait pour mission de nous tenir au courant au jour le jour de son voyage et de faire un reportage photos, sur le groupe whatsapp familial. Un rdv quotidien qu’on attendait avec impatience et qui nous procurait quelques frissons.

Dès le premier jour, il s’était fait inviter par une famille pour le thé, puis une autre pour le couscous. Familles rencontrées au hasard, auxquelles il n’avait pas caché ses origines juives. L’apogée de cette visite a été, de mon point de vue, celle du cimetière d’Oran …un gardien oranais bénévole du cimetière juif entretenait précieusement toutes ces tombes. Il avait dessiné maladroitement un plan sur lequel il avait inscrit les noms et prénoms ainsi que les dates des personnes enterrées là, dégotés à la suite des rares visites de leurs proches.

Ce voyage a laissé des traces indélébiles à notre fils, ainsi qu’à toute la famille qui a participé à distance, notre regard sur ces habitants vu à travers le sien, nous a un peu pacifiés. Et il a même été envisagé qu’on y retourne en famille, malheureusement la pandémie nous en a empêchés jusqu’à présent.

Au début de l’année prochaine commenceront les commémorations officielles de cette période tragique, 60 ans après les accords d’Evian ayant signé l’indépendance de l’Algérie et de l’arrivée du million des rapatriés d’Algérie, pieds-noirs, juifs, FNSA (Français Nord Africains de Souche musulmane) ou harkis. Nous entrons de plain-pied dans une année mémorielle de ce qu’on a appelé jusqu’en 1999 ‘les évènements d’Algérie’, car une loi a été nécessaire pour parler enfin de réalité de ces évènements : ‘la guerre d’Algérie’. Il est probable que des plaies mal cicatrisées seront de nouveau rouvertes.

Cet épisode à la fois ancien, car plus de deux générations sont passées depuis la fin de la guerre, et récent, pose la question de l’interprétation des faits historiques au regard de la mémoire de ceux qui les ont vécus. Les récits divers et divergents sont difficiles à réconcilier, comme il est difficile de réconcilier les différents groupes qui se sont fait face et qui à présent vivent cote à cote sur notre sol…La guerre d’Algérie pose avec acuité la question du repentir, du pardon, et de la réconciliation.

Ces mêmes sujets sont au cœur de la paracha Vayigash qui veut dire ‘et il s’approcha’, dans laquelle, tant bien que mal, c’est la fratrie constituée par Joseph d’un coté et ses onze frères de l’autre, qui doit tourner une page douloureuse pour repartir vers une fraternité retrouvée. Le récit débuté dans la paracha précédente, Mikketz, expose les protagonistes inégaux : d’un côté Joseph on trouve ce puissant vizir de Pharaon déguisé en égyptien et méconnaissable, pour ses frères c’est un total étranger et ils ne voient pas leur frère au delà de ce masque. Comment pourraient-ils s’imaginer que leur frère vendu comme esclave vingt ans plus tôt, non seulement ait survécu mais qu’il soit devenu si puissant jusqu’à tenir la vie de toute sa tribu entre ses mains ?

De l’autre, Joseph en maitre du jeu, les reconnait et n’en dit mot. Secoué d’émotion, il cache ses larmes à plusieurs reprises, ainsi son humanité affleure et nous partageons en tant que spectateurs le trouble qui le saisit. On suit aussi à la trace ses luttes intérieures, partagé entre le désir de se venger enfin de ce que ses frères lui ont fait subir et son affection inconditionnelle. Ainsi, il les fera partir et revenir à deux reprises. In fine, au deuxième retour de ses frères accompagnés de Benjamin son petit frère, Joseph aidé de son serviteur manigancera un faux larcin d’une coupe d’argent par son petit frère Benjamin afin de les culpabiliser et, peut être les maintenir sous son joug ?

Suit le discours de Yehouda, le porte-parole de ses frères, ce long monologue qui met en avant la souffrance de leur père aura raison de la valse-hésitation de Joseph. Chacun fera un pas vers l’autre au ‘Yehouda se rapprocha de lui’ (avec prudence) vayigash élav Yehouda’ répondra le ‘g’chou na elaï’ ‘rapprochez-vous de moi’ de Joseph…et le mélodrame atteindra son sommet lorsque Joseph se jettera d’abord au cou de son frère Benjamin puis dans les bras de tous ses frères, ‘vaynashek lekhol ekhav vayevk alehem’ et il embrassa tous ses frères et pleura’[1] un véritable film en cinémascope se déroule sous nos yeux, et les plus sensibles ne pourront retenir une larme à la lecture de cette scène d’anthologie…

Le midrash cherche à comprendre l’intention de Yehouda lorsqu’il aborde Joseph comme avocat de la tribu. Les rabbins interprètent son état d’esprit à partir des différentes significations du même verbe Vayigach dans la Torah : Rabbi Yehouda pense qu’il se préparait à la guerre, pour Rabbi Néhémia, Yehouda venait se réconcilier avec Joseph, tandis que les Sages plaident pour une prière, rabbi Eleazar met tout le monde d’accord en expliquant que Yehouda avait combiné ces 3 intentions, en fin stratège il était prêt à toute éventualité. C’est ce long monologue, où Yehouda revient sur divers épisodes vécus par la fratrie mais en se mettant dans la peau de son père Jacob, qui remportera le cœur de Joseph et permettra de pacifier la famille.

Prenant exemple sur cette scène si touchante, on peut à notre tour profiter de cette année mémorielle pour mieux nous informer sur ce qu’il s’est passé en Algérie, je vous recommande à ce propos le roman graphique de Benjamin Stora et Nicolas le Scanff : ‘Histoire dessinée des Juifs d’Algérie’, ainsi que l’exposition actuellement à l’Institut du Monde Arabe à Paris sur les juifs en terre d’Orient. Ici même le CPJL commémore cette période par la projection du film de Jean Pierre Lledo ‘Algérie : Israël le voyage interdit’ le dimanche 6 mars, et la conférence discussion avec Guy Slama sur l’histoire complexe des Juifs d’Algérie le vendredi 11 mars au cours d’un repas chabbatique…Autant d’occasions pour mieux connaitre l’histoire de nombreuses familles membres de KEREN OR concernées par cette histoire, et de chemins pour la paix. Shabbat shalom ! et mazal tov à Séréna qui porte en elle ce double héritage!


[1] Genèse 45 :14

Drasha Mikkets – Education KEREN OR 3 décembre 2021

בֶּן בַּג בַּג אוֹמֵר הֲפֹךְ בָּהּ וַהֲפֹךְ בַּהּ דְּכֹלָּא בַּהּ וּבַהּ תֶּחֱזֵי וְסִיב וּבְלֵה בַּהּ וּמִנַּהּ לָא תְּזוּעַ שֶׁאֵין לְךָ מִדָּה טוֹבָה הֵימֶנָּה

« Ben Bag Bag disait : Tourne-la et tourne la encore car tout y est (dans la Torah), et accroche toi à elle et regarde la et deviens grisonnant et vieux et ne t’en éloigne toujours pas, car tu n’as pas de meilleure unité de mesure que la Torah. »[1]

Cette parole classique des Pères, nous enjoint par-dessus tout d’étudier, et encore étudier nous rappelant que c’est grâce à cette étude que nous pouvons raffiner nos ‘middot’, et consolider nos qualités humaines en devenant des meilleures personnes …

C’est à partir de ce paradigme que le peuple juif s’est construit, l’éducation était portée au pinacle d’abord pour soi, puis pour ses enfants et ce de génération en génération.

Cette valeur précieuse a été la boussole de nos ancêtres, de Maïmonide, à Abravanel en passant par Nahmanide et jusqu’aux grands intellectuels juifs modernes Martin Buber, Léo Baeck ou Emmanuel Lévinas, entre autres. Pour ces maitres du Moyen Age à nos jours, il importait d’avoir une connaissance exhaustive et pointue de la Torah (écrite et orale) mais pas seulement.

Il fallait aussi se frotter aux enseignements profanes et ne pas craindre de se confronter au monde non-juif. Nombreux parmi ceux cités étaient rabbins, exégètes de renom et médecins, enseignants, poètes, astronomes et philosophes. Aucune discipline n’échappait à la palette de leurs connaissances. Cette double éducation a permis à Maïmonide d’être reconnu hors du cercle juif et apprécié pour ses connaissances médicales. Il sera même un des médecins du fils de Saladin Al Afdahl … Abravanel quant à lui, était le trésorier du roi Alphonse V du Portugal puis de la cour d’Espagne, où il aura manqué de peu sauver les juifs de l’Inquisition…

Cette vision du monde a permis à de nombreux juifs à toutes les époques, d’être reconnus pour leur apport scientifique et intellectuel au monde en général …

Face aux adeptes d’une double éducation religieuse et profane se sont dressés ceux, qui ont interprété cette maxime de manière étroite en se consacrant exclusivement à l’étude de la Torah…considérant qu’étudier les matières profanes est une perte de temps. Cette hevrat halomdim, cette communauté d’étudiants, s’est fortement renforcée ces dernières décennies. Trois fondements maintiennent cette communauté en ordre de marche, selon Micah Goodman : la fermeture, l’obéissance (à un leader rabbinique de sa génération reconnu de tous), et la communauté d’étudiants. Leur mode de vie est selon eux, une protection de l’essence du judaïsme et un rempart contre la décadence du monde post moderne. Et particulièrement, ils sont convaincus que c’est cette étude exclusive de la torah hâtera la venue de la rédemption…Depuis la pandémie cette communauté a vécu une crise sans précédent, une crise de leadership et une crise intellectuelle. Les pertes humaines subies en son sein par le COVID a drastiquement remis en question leur mode de vie et poussé vers la vie profane nombreux de leurs membres.

 Pourtant, la Torah nous relate longuement un modèle de réussite hors du commun, qui a bénéficié, lui, d’une double éducation : celle de son milieu d’origine et celle de son pays d’adoption. Je veux parler de Joseph. Jeté dans un puits par ses propres frères, vendu comme esclave en Egypte, il travaille dans la maison de Putiphar puis est envoyé en prison après le faux témoignage de sa femme. En prison, Joseph utilise son don d’interprétateur de rêves pour deux de ses compagnons de cellule. Il prédit à l’échanson qu’il retournera sous 3 jours à la cour de Pharaon et lui demande de se souvenir de lui pour le sortir de ce mauvais pas. Deux ans plus tard, l’échanson se souvient de Joseph et le fait venir devant Pharaon dont les conseillers sont incapables d’interpréter les rêves.

Ses années maigres auront permis à Joseph de gagner en maturité, en savoir-être, à se raffiner. Il était non seulement d’une intelligence rare, capable de déchiffrer les messages enfuis dans ses propres songes et ceux des autres, mais il aura surtout acquis les talents d’un excellent diplomate. A la cour du plus grand monarque de son époque, il a su garder sa langue quand il le fallait et à l’utiliser à bon escient. Il avait compris que si sa langue fourchait, sa tête serait en jeu…

En peu de temps, il a accédé à une position qui nécessitait de porter les habits et incarner le pouvoir. Ensuite, il a su user de ce pouvoir en faveur du peuple égyptien mais aussi des siens. Sa réussite le propulsera au rôle de vizir à la cour de Pharaon, quel self-made man avant l’heure !

L’éducation et la connaissance sont les mamelles du judaïsme, celles que nous promouvons continuellement dans notre synagogue. Une éducation à la fois profane et juive, universelle et particulariste, les deux selon le judaïsme que nous promouvons étant complémentaires et indispensables pour former des honnêtes hommes et femmes au sens des Lumières.

Ata honen leadam daat oumelamed leénosh bina : à chacun tu accordes la connaissance et Tu enseignes la compréhension, c’est la formulation d’une des bénédictions de cette prière de plus de 2500 ans. La quatrième bénédiction de la Amida de semaine, positionnée juste après celle qui invoque la sainteté de Dieu.

Alors que la fête de Hanouka s’achève ce dimanche, fête qui célèbre l’éducation et la transmission des valeurs juives, continuons à faire briller ces flammes fragiles qui ont éclairé nos maisons, faisons en sorte de les renforcer par nos actions et notre lutte contre l’ignorance,

Béni Sois Tu Eternel qui accordes la connaissance !

Ken Yhié ratzon,

Shabbat shalom, Hodesh Tov et bonne fin de Hanouka !


[1] Pirke Avot 5 :21

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