Cela faisait 7 ans, 7 ans qu’il n’y avait pas eu un tel embrasement, Il y a une éternité, un siècle, non seulement 7 ans …Et comme un visage marqué par des rides à force de faire les mêmes grimaces, exactement les mêmes invectives dressent des citoyens du monde entier les uns contre les autres de manière définitive. En écho à ce qu’il se passe là-bas, le monde bienpensant, droitdelhommiste qui en dépit des interdictions de manifester en France, s’est rassemblé en nombre place Bellecour et ailleurs pour vociférer sa haine. Non pas de la politique d’Israël, non pas de la guerre ni de la violence qui embrase à intervalles réguliers cette région, mais sa haine de l’existence de l’état hébreu, avec des panneaux où Israël était tout simplement rasé de la carte et remplacé par un unique état palestinien de la mer au Jourdain. Et sa haine des juifs surtout, au-delà de tout ! Cette haine qui a des réverbérations de plus en plus inquiétantes jusqu’en Chine où une chaine d’info en continue anglophone explique le conflit en dénonçant le « lobby puissant » des Juifs aux Etats-Unis, tout en estimant que « les Juifs dominent les secteurs de la finance, des médias et de l’internet » dans ce pays !
Le confinement semble avoir permis la mise en culture de tonnes de missiles aussi lourds que chargés de ressentiment, qui n’attendaient qu’un début de retour à la normale pour se déverser dans les rues en Israël, à Gaza et dans le monde entier. La lumière de la sortie de la crise sanitaire à peine entrevue, nous revoilà plongés dans une guerre qui ne dit pas son nom. A Paris, des slogans tels qu’Israël assassin ont été entendus et à Berlin, des Scheiss Juden/Juifs de merde clairement antisémites.
Les mots sont ainsi vidés de leur sens et sont douloureux à entendre…à nouveau , là bas…
Et pourtant d’autres scènes sont sources d’espoir. Sur place en Israël, où des poches de résistance existent, des médecins juifs et arabes israéliens travaillent cote à cote et ne se posent pas de questions quand il s’agit de soigner des malades du COVID, des blessés de ce conflit sans fin des deux camps, et des enfants qui viennent pour une dialyse au-delà de la ligne verte…le même sang irrigue nos veines. Comme une étude scientifique l’a prouvé récemment, les greffes entre juifs et arabes sont exceptionnellement bien tolérées, nos gênes seraient plus proches que notre capacité à écouter…Alors on aimerait voir dans les rues de la capitale ou à Lyon ces mêmes slogans pacifiques, ces mêmes chaines humaines qui se sont déployées pour protéger la vieille ville de Jérusalem et ces mêmes rencontres autour d’un café dans un village en Galilée. Et ce alors que l’opération ‘Gardiens du mur’ se déploie à grand renfort d’avions de chasse et de très jeunes soldats sont prêts à se sacrifier pour la défense de leurs compatriotes…
Dans ces moments, on aimerait croire au miracle, on aimerait qu’une amulette ou une formule magique fige les belligérants sur place et les fasse réfléchir sur la vacuité de cette haine, sur leur finitude qui dépend de l’impact d’un missile, tombant au hasard et sans distinction de religion ou ethnicité.
On aimerait que chaque camp fasse teshouva et dise doucement à l’autre, comme une prière, cette belle bénédiction, qui figure dans la paracha Nasso, au chapitre 6 (22-27) composée de 3 bénédictions.
יְבָרֶכְךָ ה’ וְיִשְׁמְרֶךָ. Que Dieu vous bénisse et vous garde
יָאֵר ה’ פָּנָיו אֵלֶיךָ וִיחֻנֶּךָּ. Que Dieu illumine sa face vers vous dans sa compassion,
יִשָּׂא ה’ פָּנָיו אֵלֶיךָ וְיָשֵׂם לְךָ שָׁלוֹם. Que Dieu lève sa face vers vous et vous accorde la paix
וְשָׂמוּ אֶת שְׁמִי עַל בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וַאֲנִי אֲבָרֲכֵם et ils mettront mon nom sur les enfants d’Israël et je les bénirai…
Et à la fin de chacune d’entre elles, ils la renforceraient en disant ‘Ken Yhie Ratzon’ ainsi soit la volonté de l’Eternel, ce Dieu qu’on a en partage et qui demande à ses créatures de vivre en paix, partout sur cette terre.
Et si ce n’est pas possible d’utiliser la même formule, chacun dans sa langue, aux sonorités si proches, alors que chacun utilise sa propre prière, les musulmans en répétant les mots attribués à Mohamed arrivant à Médine
« Ô gens ! Propagez le salam (la paix), offrez à manger, liez les liens de parenté et priez la nuit alors que les gens dorment, vous rentrerez dans le paradis en paix.
Car les mots ont cette force de créer une réalité, une prière dite avec kavana -conviction, a la possibilité de nous transformer. Et surtout parce qu’on le doit à nos enfants, à ceux présents ici dans cette salle, à Elia qui a fait tant d’efforts pour se présenter devant vous ce chabbat. Elia qui a fait sien cet héritage familial qui nous enseigne le respect de l’autre et attaché à la paix. On le doit aussi à ceux qui ne pensent pas comme nous et qui ont une vision du monde différente mais respectueuse avec lesquels on se doit de partager un espace de paix et d’harmonie, et à leurs enfants auxquels on ne peut laisser en héritage une réalité aussi désespérante.
Alors pour finir je vous propose les paroles d’une femme, d’une liturgiste qui a écrit un livre très épais ampli uniquement de bénédictions, parce qu’on en a vraiment besoin :
Cette femme qui s’appelle Marcia Falk a composé cette courte bénédiction pour la paix que je vais vous lire, avec l’espoir qu’elle soit entendue bien au-delà de cette enceinte :
Source éternelle de paix, puissions-nous être imbibés par le désir ardent de nous offrir comme la terre à la pluie, à la rosée, jusqu’à ce que la paix déborde de nos vies comme les eaux vives débordent de la mer. (Marcia Falk).
Ken Yhie Ratzon,
Shabbat shalom et un grand mazal tov à la famille Saunier.
Drasha Houkkat – 18 Juin 2021, Bar Mitsva Karl, KEREN OR
de Daniela Touati
On 20 juin 2021
dans Commentaires de la semaine
Les premiers mots qu’on prononce le matin avant de poser les pieds hors de son lit et procéder aux ablutions sont :
Moda/modé ani lefaneikha, melekh haï vekayam, chehechezarta bi nichmati, b’hemla raba emounatekha
Je suis reconnaissante devant Toi, Dieu vivant et Eternel pour m’avoir rendu mon âme avec compassion, grande est ta loyauté.
Dans l’Antiquité une grande peur accompagnait le sommeil, on craignait de ne pouvoir se réveiller…les choses ont évolué et il n’en est plus ainsi aujourd’hui 😊
Cependant, ces quelques mots sont restés, et lorsqu’ils sont prononcés régulièrement, tous les matins, ils donnent le ton, non seulement de la journée, mais de la manière dont les juifs voient le monde.
On concède ainsi que le réveil procède de l’extra-ordinaire, pour lequel on se doit d’être reconnaissant à Dieu, si on est croyant, ou toute autre force supérieure qui prend soin de nous. C’est une manière de reconnaitre qu’on ne maitrise pas grand-chose de son existence, même ce qui nous semble le plus naturel…c’est ce que Heschel appelle ‘l’étonnement radical’ selon lui : « Notre objectif devrait être de vivre la vie dans un étonnement radical. …. se lever le matin et regarder le monde d’une manière qui ne prend rien pour acquis. Tout est prodigieux, tout est incroyable ; ne traitez jamais la vie avec désinvolture. Être spirituel, c’est être émerveillé. »
On l’a bien compris à l’insu de notre plein gré ces 15 derniers mois, et ce qui nous a été enlevé et qu’on retrouve petit à petit aujourd’hui, nous fait prendre conscience du merveilleux de l’existence de manière plus vive. Vous avez dû observer comme moi, le nombre de posts facebook ou autre instagram ou whatsapp de photos de fleurs, de moments de convivialité, chacun retrouve les petits plaisirs de l’existence et s’en réjouit bien davantage que lorsque tout cela lui paraissait normal il y a quelques mois !
Nos ancêtres qui voyagent depuis 38 ans dans le désert n’ont pas vraiment cette attitude de reconnaissance des bienfaits que l’Eternel leur a prodigués. Ils se montrent ingrats. A deux reprises, rien que dans notre paracha ils répètent cette phrase « Pourquoi avez-vous amené cette communauté de Dieu dans ce désert, pour mourir là-bas avec nos bêtes ? »[1] et en des termes légèrement différents « pourquoi nous avez-vous fait monter d’Egypte pour nous faire mourir dans le désert ? »[2]. Le peuple se lamente, et comme il est de coutume dans ces cas, radote la même idée à l’envi, il n’en peut plus, il n’en voit pas le bout…il perd la foi, si jamais il en avait une. Et Dieu, lui, perd patience avec ce peuple. Et cette fois l’Eternel leur envoie des serpents pour les mordre, nombreux parmi eux périssent. Et ceux qui survivent reconnaissent enfin leur faute et demandent grâce à Moise. Comme à leur habitude, lorsqu’une punition divine survient, ils demandent l’intervention de Moise, comme intermédiaire…
La partie curieuse de ce récit arrive à présent : l’Eternel demande à Moise de fabriquer un serpent d’airain, et lorsque le peuple le regardera, il sera guéri…Les interprétations de cet épisode vont bon train. Comment est ce possible que le serpent qui donne la mort puisse aussi guérir et ce rien qu’en le regardant ? Que se passe t il entre l’épisode un de l’histoire et l’épisode deux ? Pour certains rabbins, regarder le serpent d’airain est similaire au fait de s’observer dans un miroir, on se voit dedans et on se rappelle tout le déroulement, de la faute jusqu’à la prise de conscience et la repentance, la teshouva…On a exagéré de se plaindre ainsi, et de ne pas voir tous les prodiges de l’Eternel et sa manière de nous protéger. On s’est aussi montrés excessifs en se plaignant de nouveau pour les mêmes choses : le manque d’eau et le manque de pain, alors qu’en réalité on ne manque de rien ! le rabbin Samuel Raphael Hirsch l’explique très clairement, je le cite:
« les serpents ont été envoyés pour montrer au peuple que le danger guettait chacun de leurs pas et ce n’est que grâce à l’intervention miraculeuse et perpétuelle de la providence divine qu’ils ont pu avancer indemnes. Leur chemin était si dépourvu d’obstacles, qu’ils ne percevaient pas le miracle constant de leur progression sans encombre. Chaque victime du venin des serpents devait concentrer son attention sur l’image du serpent d’airain pour se rendre compte que même après que Dieu l’ait délivré des serpents, de nouveaux dangers l’attendaient. Il devait remercier la divine providence pour chaque minute de sécurité qui lui était accordée… Heureux celui qui prend note des « serpents de feu » invisibles qui jalonnent son chemin, mis en fuite par le Tout-Puissant… C’est en cela que réside le pouvoir de guérison du serpent. »
Alors que nous sortons de semaines et de mois d’une vie à moitié vécue, et apprécions de nouveau les joies des retrouvailles avec le café en terrasse, avec la marche dans la nature, ou tout simplement la possibilité de prendre dans ses bras quelqu’un de cher, n’oublions pas le temps passant, que cela reste un miracle, comme l’a été la découverte et la mise sur le marché de tous ces vaccins, qui nous permettent de retrouver une vie presque normale.
Et en même temps, méfions-nous des serpents qui jalonnent notre route, ceux qui mordent l’autre comme une parole malveillante, mais aussi ceux qui nous mordent nous-mêmes, victimes que nous sommes trop souvent de l’amnésie. On en vient à oublier les bienfaits qui jalonnent notre vie. Rester éveillé, et vivant, c’est s’émerveiller de chaque instant.
Ce soir on peut s’émerveiller de l’arrivée à l’âge des mitsvot de Karl ici présent, qui je le lui souhaite fait et fera encore longtemps le bonheur de ses parents ! Il a lui aussi accompli une sorte de prodige en se préparant en un temps record pour sa bar mitsva ce qui lui permet de se tenir devant vous ce soir et demain matin., mazal tov à toi et tous ceux qui t’entourent de leur amour !
Ken yhie ratzon,
Shabbat shalom!
[1] Nombres 20:4
[2] Nombres 21:5