Quand j’étais petit garçon
Je repassais mes leçons
En chantant
Et bien des années plus tard
Je chassais mes idées noires
En chantant
La vie c’est plus marrant
C’est moins désespérant
En chantant
Vous connaissez tous le refrain de cette chanson de Michel Sardou, ‘en chantant’. Oui je sais Michel Sardou n’est ni juif ni rabbin, mais ce chant populaire, je suis sure, parle à chacun d’entre vous, et ce qu’il énonce, de manière un peu simpliste, également.
Qu’on chante sous sa douche, ou dans une chorale de manière régulière peu importe, le chant agit en profondeur sur notre psyché.
Depuis des centaines d’années, les pratiquants du yoga chantent le fameux om hindou, ce son universel primordial qui a des effets bénéfiques sur tout le corps et l’esprit. Plus récemment, la musique et le chant en particulier ont été utilisés pour leurs vertus thérapeutiques par des professionnels afin d’aider leurs patients à retrouver un équilibre.
En se mettant au diapason de nos émotions le chant nous soigne. Il est utilisé comme médiateur dans les maisons de retraite, auprès de personnes en fin de vie ou atteintes de la maladie d’Alzheimer. Quand la communication verbale n’est plus possible momentanément ou définitivement, c’est le chant qui prend le relais et permet de toucher directement l’inconscient et le vécu des personnes en leur apportant un peu de bien-être.
Ce qui est vrai de la vie en général s’applique d’autant plus à la vie spirituelle, celle où on se réunit pour prier en chantant, comme nous le faisons ce soir pour accueillir le chabbat. Nous chantons ‘Shirou l’Adonaï shirou shir hadash shirou l’Adonai kol haaretz’ chantez à l’Eternel un chant nouveau chantez à l’Eternel toute la terre’[1]. Les paroles des psaumes sont mises en musique car elle adoucit les mœurs comme on dit, et nous détache des contingences du quotidien, parfois elle nous éleve, ne serait-ce que momentanément…
En ce chabbat shira – le chabbat du chant, dans lequel nous entrons ce soir nous exprimons notre joie ancestrale d’avoir été libéré de la servitude et grâce à l’intervention divine, vaincu les soldats de Pharaon, en chantant le cantique de la mer rouge.
Le talmud dénombre ainsi 10 cantiques dans la Torah, pour la plupart des chants d’allégresse à la gloire d’un Dieu libérateur. Le cantique de la mer rouge qui apparait en premier dans la Bible ne fait pas exception.
Dans le talmud il est écrit : « Rabbi Shefatia a dit au nom de Rabbi Yochanan : ‘Si quelqu’un lit la Torah sans mélodie, ou répète la Mishnah sans air, de lui l’Écriture dit : « De même, je leur ai donné des statuts qui n’étaient pas bons (Ezekiel 20:25) »[2].’
L’étude même de la Torah est mise en musique et chantée . Chanter la Torah permet de mieux retenir son message, mais aussi d’embellir le service du cœur – l’avodat halev que représente chaque office. Ceci est d’ailleurs un commandement, celui du hidour mitsva, de l’embellissement de la mitsva. Entendre la parole divine est l’essence même du judaïsme, et la chanter lui apporte ce sens nouveau, incomparable. La parole mise en musique l’adoucit comme l’exprime le rabbin Lopes Cardozo[3].
Mais qu’en est-il lorsque la musique ne s’accorde pas avec les paroles prononcées ? Lorsque certains versets de la Torah chantés sont particulièrement violents ? Ce qui est justement le cas dans le cantique de la mer rouge ? Est-ce que le fait de les chanter permet de passer à la trappe le sens littéral des mots prononcés : c’est-à-dire en résumé, se réjouir de la mort de nos ennemis qui ont coulé comme du plomb au fond de la mer? Ce que la Torah réprouve: » Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis point; s’il succombe, que ton cœur ne jubile pas! » lit-on dans les proverbes.
Dans le talmud aussi on peut lire : ‘mes créatures se noient dans la mer et vous vous chantez un cantique ?’[4]…Comment ne pas se sentir dans une sorte de confusion entre ce que l’on dit et ce à quoi on croit ?
Les commentaires rabbiniques nous viennent en aide à ce sujet, ce cantique qui commence par Az Yashir Moshé, alors Moise a chanté, peut aussi se lire au futur, alors Moise chantera, cette ambivalence concernant la chronologie des évènements : a-t-il chanté ce cantique avant ou après la traversée de la mer rouge ? permet de trouver une issue à ce problème me semble-t-il. Ainsi le cantique est détaché d’une temporalité, on se réjouit dans l’absolu de vaincre ses ennemis, et pas seulement les Égyptiens mais tous ceux qui se sont succédés dans la Torah et au fil des siècles : des Moabites jusqu’aux Amalécites, ces derniers représentant selon les sages les archétypes des ennemis d’Israël à toutes les époques. Le cantique devient ainsi un chant détaché d’une réalité guerrière violente.
Demain lorsque nous chanterons le cantique de la mer rouge, on pourra se réjouir, sans arrière-pensée vengeresse. Nous prendrons juste conscience que la vie est faite de ces traversées, de seuils à passer, de mers parfois agitées, qui s’ouvrent comme par miracle …comme ce soir devant notre bat mitsva, elle qui passe avec émotion d’une rive à l’autre, de l’enfance à une plus grande maturité et que nous accompagnons pour notre plus grand bonheur à tous!
Ken Yhie Ratzon,
Chabbat shalom
[1] Psaume 96 :1
[2] Megillah 32a
[3] https://www.cardozoacademy.org/thoughtstoponder/the-hopelessness-of-judaism-and-its-rescue/
[4] TB Meguila 10b
Drasha Yitro – Bar Mitsva Alexandre Thauvette 21 janvier 2022
de Daniela Touati
On 21 janvier 2022
dans Commentaires de la semaine
Qui va là ? Ami ou ennemi ? C’est par ces mots qu’on accueillait traditionnellement l’étranger de passage.
J’ai pensé à cette devise en entendant parler de la prise d’otages à Colleyville au Texas à shabbat dernier. J’ai pensé au rabbin Cytron Walker qui a tendu la main à celui qui a frappé à sa porte à l’improviste un samedi matin, juste avant l’office, sans poser de questions. Il l’a accueilli par une tasse de thé et l’a écouté raconter son histoire. Car accueillir l’autre, surtout lorsqu’il semble être en détresse, c’est ce qu’on est censé faire en tant que rabbin.
Certes, il semblait un peu confus cet anglais d’origine afghane, il est resté et s’est joint à l’office, avant de sortir une arme et prendre en otage les 3 fidèles qui étaient dans le sanctuaire de Beit Israël. Les autres membres avaient préféré suivre l’office en ligne en cette période de forte contagiosité…Comme un miracle cet épisode a eu une fin heureuse les otages ont été libérés grâce au rabbin lui-même, 11 heures après … Le calme et le sang-froid du rabbin Cytron Walker a été admiré par le FBI et il est apparu comme un héros dans les medias . Son intervention a sauvé 3 personnes. Certes, il avait bénéficié d’une formation à la sécurité, mais qui d’entre nous sait comment il aurait réagi dans de telles circonstances, hass veshalom ? Faire face à des terroristes en plein office, c’est le pire cauchemar de n’importe quel rabbin … et toutes les formations, tous les vigiles et autres vitres blindées s’avèrent dérisoires, le jour où cela se produit.
Ennemi ou ami ? le récit de la traversée de la mer rouge se termine dans la paracha précédente par le surgissement d’on ne sait où de l’ennemi ‘Amalek’, qu’il nous est commandé de combattre sans merci. L’Eternel s’est engagé à effacer son nom de la surface, et a demandé à Moïse d’inscrire cet épisode dans les annales, pour ne rien oublier de génération en génération.
La paracha de cette semaine commence par nous parler d’Yitro, un ami, étranger au peuple hébreu et beau-père de Moise. Yitro donne même son nom à la paracha, qui met dos à dos l’ennemi et l’ami. D’un côté, celui qu’il faut éliminer, de l’autre celui sur lequel on peut compter, faire alliance voire incorporer …
Qu’est-ce qu’un ennemi ? Selon un article de la revue de défense nationale, jusqu’à la fin de la guerre froide, il était facile de définir qui est l’ennemi. Le monde était divisé en deux camps : les pays où les hommes étaient libres et ceux où ils vivaient enfermés derrière le rideau de fer. Cependant, depuis la fin du 20è siècle, dans un monde multipolaire, il est de plus en plus malaisé de définir l’identité d’une nation et par conséquent ses ennemis, tout cela semble à géométrie variable selon le contexte et les dirigeants en place. Pour Régis Debray il y a « deux catégories d’êtres humains qui menacent le monde aujourd’hui : ceux qui ont trop de religion d’un côté et ceux qui n’en ont pas assez de l’autre. En d’autres termes ceux qui souffrent de n’avoir pas assez d’ego, les fanatiques, et ceux qui souffrent d’en avoir un peu trop, les sceptiques, nous. Manque le juste milieu. Au secours de la République et sa laïcité. »[1],
Cette définition moderne n’est pas bien différente de celle qu’on trouve dans la Torah, où l’archétype de l’ennemi – Amalek – est considéré comme tel, parce qu’il attaque par derrière, au moment où le peuple est en position de faiblesse et sans raison. Lâche, irrationnel cet ennemi-là déborde de haine gratuite. Pour cette raison, il nous est commandé de garder cet épisode en mémoire cela, de le mettre par écrit.…Les modes d’action des attaques terroristes ressemblent à s’y méprendre à celles d’Amalek: attaquer des personnes en prière un shabbat matin est le comble de la lâcheté et de l’ignominie, et sa motivation est la haine gratuite .
La Torah ne nous laisse pas dans cette vision désespérée de l’être humain. Au contraire, le verset qui suit immédiatement la victoire sur Amalek, introduit le personnage d’Yitro. Au chapitre 18 de l’Exode on peut lire : Vaïchma Yitro, khohen Midian, hoten Moshé et kol asher assa Elohim leMoshé, oul’Israël amo, ki hotzi Adonaï et Israel miMitzraïm. « Mais Yitro, le prêtre de Madian, beau-père de Moïse entendit tout ce que l’Eternel avait fait à Moise et son peuple Israël, lorsque l’Eternel libéra Israël d’Egypte. »
Les rabbins se sont demandés ce qu’Yitro avait entendu exactement pour aller rejoindre Moïse? Etaient ce les miracles perpétués par l’Eternel qui l’avaient mis en marche? Ou bien plutôt l’histoire d’Amalek ? Dans un midrash les rabbins se posent la question et ne sont pas d’accord : Qu’a-t-il entendu qui l’a poussé à venir (et à se joindre à Israël) ? La guerre avec Amalek, qui est juxtaposée à cette section. Ce sont les mots de R. Yehoshua. Il a entendu parler du don (futur) de la Torah et il est venu.[2]
Peut être que la motivation d’Yitro à rejoindre Moïse est de montrer son admiration envers ce petit peuple opprimé qui a réussi avec l’aide de Dieu à se sortir de tant de mauvais pas, et les rabbins ont même imaginé que son admiration est telle qu’Yitro s’est converti. La deuxième hypothèse n’est pas moins intéressante : il veut être présent lors du don de la Torah, car lui-même est un leader religieux et politique et un homme de loi. Et il conseille Moïse sur l’organisation à mettre en place pour alléger sa charge et faire en sorte que la loi soit rendue de manière plus efficiente appelée la Torah d’Yitro, elle sera amalgamée à celle de l’Eternel, rien de moins.
Yitro est l’opposé d’Amalek, c’est l’archétype du philosémite, d’un allié sincère et véritable sur le plan stratégique et géopolitique pour le peuple hébreu. Yitro est un ami – un haver en hébreu avec lequel il est possible d’envisager un hibour, une association.
Puisse chacun d’entre nous avoir la sagesse de distinguer entre amis et ennemi. Puisse ton chemin de vie Alexandre être parsemé d’amis sincères, puisses-tu les écouter avec confiance et respect !
Ken yhié ratzon !
Shabbat shalom et mazal tov à Alexandre !
[1] Régis Debray, colleque ‘Qui est l’ennemi’ organisé par le CSFRS, décembre 2015, cité dans l’article d’Amaury de Pillot de Coligny https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-1-page-65.htm
[2] Mekhilta d’Rabbi Yishmael Exode 18 :1 :1