Cette drasha je la dédie à Colette Rebecca Touati, zikhrona livrakha, qui aurait eu 86 ans ce chabbat. Elle nous a quittés le 24 novembre 2019, 26 Heshvan 5779.

Elle symbolisait la maison familiale, le lieu où on avait plaisir à se retrouver. C’est autour d’elle, autour de sa cuisine et surtout de son sourire, que toute la famille se rassemblait au moment du chabbat, des anniversaires et des fêtes. Je souhaite rappeler sa mémoire et tout ce qu’elle m’a transmis ce soir en lisant ces vers tout d’abord du poète Abraham Shlonsky:

Les murs de ma maison ne sont pas une barrière entre moi et le monde ;

Ils sont le secret de la révélation qui parle sans entraves ;

Car celui qui apostrophe à la porte ne parle à personne,

Et ceux qui conversent à deux conversent seulement l’un avec l’autre,

Seul celui qui parle avec son âme parle avec tout le monde.

Les murs de ma maison ne sont pas une barrière entre moi et le monde.

Selon la tradition deux personnes qui se lient par les liens du mariage sont à l’origine d’une maison. Baït de la lettre Beit, et du chiffre deux. C’est le début d’une relation avec un alter ego qui nous fait face et partage notre vie, ce noyau à partir duquel, si Dieu veut, on pourra fonder une famille.

Une maison est dans l’idéal ce lieu de paix, de sécurité, où un enfant peut grandir, et où plus tard on aime à se retrouver et se ressourcer…

De nouveau nous passerons beaucoup de temps dans cet espace intérieur, non par choix, mais par ce qu’on y est obligé et alors qu’à l’extérieur le danger rôde. On ne s’est jamais senti autant en insécurité qu’en ce moment, autant exposé à un monde pris au piège d’un mouvement brownien extrêmement anxiogène.

Face à cela, chacun d’entre nous a le devoir de veiller d’abord à sa propre santé physique bien sur et, peut être plus encore, à sa santé mentale pour ensuite prendre soin des autres.

Qu’est ce qu’une maison ?

Revenons à la première maison décrite dans la Torah, celle fondée par Abraham et les siens. La première véritable famille biblique qui habite ensemble et a une histoire commune. Elle a à sa tête un patriarche et c’est au travers de son rapport à la matriarche Sarah et au monde que leur histoire se construit et se complexifie. Abraham a reçu l’injonction divine de quitter sa famille et, selon le midrash, un monde idolâtre, pour construire la sienne. Et cela ne s’est pas passé sans difficultés. L’Eternel lui a promis une descendance nombreuse mais celle-ci mettra des années à se concrétiser. Quand son fils Isaac naît enfin, il a 100 ans nous dit le texte. Et à trois reprises la Torah insiste sur le fait que c’est bien son fils : et Abraham nomma son fils, celui qui lui est né, auquel Sarah a donné naissance pour lui, Isaac.[1]

Les Sages ne manqueront pas de s’appesantir sur la réalité de cette paternité, ils se permettront de la mettre en doute, notamment en commentant le michté le festin qu’Abraham organise :

Vayaas Abraham michté gadol, beyom higamel et Yitzhak- Abraham fit un grand festin le jour du sevrage d’Isaac.[2]

Selon le talmud ce festin à l’occasion du sevrage d’Isaac, moment où à l’époque un bébé était considéré comme sorti de danger, sera l’occasion d’inviter tous les notables, y compris un ennemi notoire du peuple hébreu le dénommé Og, roi de Bashan. Quel sens donner à l’invitation d’un ennemi à sa table, un jour de grandes réjouissances ? Ne va-t-il pas ternir la fête ? Et le talmud poursuit que ce festin avait un objectif caché : apporter la preuve à ceux qui en doutent, qu’Isaac est bien le fils de son père.

L’arrivée d’Isaac est un miracle, ce fils est né de deux parents qui avaient largement dépassé l’âge de la procréation. Sarah avait d’ailleurs perdu espoir et avait insisté pour qu’Abraham prenne sa servante Hagar comme concubine. C’est avec elle, la première mère porteuse, qu’il aura un premier fils, Ismaël. Hagar qui sera finalement chassée de la maison avec son fils, à nouveau à la demande de Sarah, une fois que notre matriarche aura enfin conçu et sevré Isaac.

Abraham exprimera sa colère face à cette demande, comment chasser cette femme avec son enfant, alors qu’elle lui a donné un fils, lui l’homme loyal, qui illustre selon la tradition le modèle du Hessed, c’est-à-dire cette préoccupation de l’autre empreinte de bienveillance ? Dieu lui-même doit intervenir pour lui réitérer d’exécuter la demande de Sarah de renvoyer Hagar en le rassurant : il lui promet que sa lignée se perpétuera à travers la descendance d’Isaac. Et aussi qu’Ismaël donnera à son tour naissance à un autre peuple, car lui aussi est de sa semence.

Une scène bouleversante s’en suit où Abraham sans ménagement met sur le dos de Hagar comme un sac encombrant, son fils Ismaël et une gourde d’eau et les renvoie dans le désert.

A deux reprises, Abraham ne négocie pas la décision divine et ces deux occurrences concernent ses enfants, qu’il manque de perdre. Une première fois avec Ismaël qui, chassé de la maison paternelle, manque de mourir dans le désert. Et une deuxième fois lorsqu’il est sur le point de sacrifier Isaac. Comme vous voyez bâtir une maison n’a pas été une évidence pour le premier patriarche. La maison d’Abraham a failli être détruite par son propre fondateur, qui a ainsi sans doute traumatisé sa propre progéniture.

Cette histoire biblique qui nous a été laissée en héritage à la fois comme modèle et contre-modèle, avec ces êtres imparfaits sont à l’origine de notre peuple. Cette première maison avec ses joies et ses peines ressemble à chacune de nos maisons, avec ses imperfections, avec lesquelles nous construisons nos propres familles.

C’est la face lumineuse d’Abraham et de Sarah que l’histoire retiendra à travers les commentaires de nos Sages, celle faite d’actes de bonté et générosité –de guemilout hassadim, des actes qui nous rassemblent et nous tiennent chaud bien mieux que n’importe quel mur de maison.

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom !


[1] Genèse 21 :3

[2] Genèse 21 :8