Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

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Paracha Chemot – KEREN OR, 17 janvier 2020

Vous êtes-vous déjà demandé d’où provient l’horloge qui décore notre synagogue depuis notre aménagement en août 2015 ? Le papier peint représentant des pages du traité Shevouot, ainsi que la pendule qui décore les murs, mais aussi les vitraux représentant les 12 tribus sont toutes l’œuvre d’un même artiste : Zwy Milshtein. Elles ont toutes été généreusement offertes à KEREN OR par un bienfaiteur de notre synagogue.

Zwy âgé aujourd’hui de 85 ans a décliné l’invitation à se joindre aux 30 ans de KEREN OR, ne sera pas présent, son état de santé ne le permet pas…Peinée de cette nouvelle, je me suis penchée sur son histoire qui est détaillée sur son site, et appris qu’à l’age de 7 ans il s’est enfui avec sa mère et son frère ainé et a erré sur les routes pendant deux ans jusqu’à leur installation en Géorgie. Ce début de vie tragique, le laissera orphelin de père, mais cela ne l’empêchera pas d’étudier auprès des grands artistes à Bucarest d’abord, puis à partir de 1948 à Tel Aviv, et à la faveur d’une bourse d’études, depuis 1956 à Paris. Prolifique, il est doté aussi de talents multiples : le dessin, la peinture, la gravure, la sculpture, et il a même écrit des textes pour illustrer ses œuvres et paraît-il excelle au jeu d’échecs.

De toutes les œuvres qui décorent notre salle de prière, il est vrai que c’est l’horloge qui a happé mon regard. Clin d’œil à l’horloge de Prague qui date elle de 1586, et la seule qui, jusqu’à aujourd’hui, orne un bâtiment public, l’hôtel de ville juif du ghetto de la ville. Elle a la particularité d’indiquer l’heure avec des lettres hébraïques disposées dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Le temps ainsi décrit son cours à l’envers, comme s’il était détraqué. Prague, comme vous le savez peut- être, dispose aussi d’une magnifique horloge astronomique qui est le point de mire de toutes les visites de la ville. Il est amusant que dans l’ancien ghetto, cette deuxième horloge lui fasse en quelque sorte un pied de nez…

Lors de l’installation de ses œuvres, Zwy nous a dit avec émotion que la photo peinte sur le cadran est celle de son frère ainé de 4 ans, mort tragiquement. La photo d’une vie qui s’est arrêtée prématurément au milieu d’une horloge qui indique l’heure à l’envers. L’absurde de cette horloge est une manière de prendre avec dérision la comédie de nos vies, ou alors, d’affirmer que cela nous dépasse, et seul le Grand Horloger peut donner un sens à tout cela.

Ce Grand Horloger qui, pour la première fois, se manifeste au début du livre de l’Exode en déclinant une identité bien mystérieuse: ‘Ehye Asher Ehye’[1]

‘Je suis ce que je suis’, ou encore ‘je serai ce que je serai’. Dérivé d’une racine qui est une variante de celle du verbe être, hey vav hey, Dieu est en devenir, selon Erich Fromm[2] en cela il est comme l’être humain, mais reste totalement insaisissable par notre finitude d’être humain. Et par conséquent la seule manière d’appréhender Dieu est d’être attentif à ce qu’Il produit dans nos vies, et si nous avons la chance de ressentir sa présence à nos côtés qui nous accompagne comme la promesse faite à Moise : ehye yimakh, je serai avec toi…

D’après les commentateurs, Ehye Asher Ehye est une exégèse, une explication du tétragramme, Yod Hey Vav Hey qui peut se traduire par Celui qui met en existence, qui cause la vie. Ce nom imprononçable, appelé aussi Shem haMeforash, le nom explicite qui selon la mishna était prononcé une fois par an par le Cohen Gadol lors de Yom Kippour dans le saint des saints du Temple. La prononciation du tétragramme était un appel à la compassion de Dieu envers ses créatures. YHWH est le nom de Dieu correspondant à ses attributs de hessed, d’amour bienveillant et contractuel, qui ouvre la porte à la teshouva, au pardon si nous faisons le premier pas. Lorsque le peuple entendait ce nom, il se prosternait et se jetait face contre terre en disant ‘baroukh shem k’vod malkhouto l’olam vaed.’ Le temple et le cohen gadol ont disparu, la prononciation du Nom divin a été oubliée et n’est plus proférée même une fois par an, mais une partie du rituel de Yom Kippour et notamment la gestuelle et la bénédiction ont survécu jusqu’à nos jours.

Ce nom il est interdit de le prononcer et à la place nous disons Adonaï. Mais lorsqu’on le découpe en Yod-inspiration, Hey – expiration, Yod – inspiration et de nouveau Hey – expiration, nous entendons et ressentons la vie soufflée quotidiennement par l’Eternel dans nos narines ou comme les battements du cœur, le tic-tac de nos vies.

Et à l’abri de cette pendule qui indique l‘heure à l’envers, nous prions pour que l’Eternel soit à nos côtés et nous donne la force de redresser ces aiguilles, puis bénissons le Grand Horloger qui nous a conservé la vie et la santé et nous a fait atteindre ce moment.

Baroukh ata adonaï Eloheinou Melekh haOlam, cheheheyanou, vekiyemanou vehiguianou lazman haze !

Amen!

chabbat shalom!


[1] Genèse 3:14

[2] « You shall be as Gods » Erich Fromm, 1966

Paracha Vayigach – KEREN OR, 3 Janvier 2020

« Si la théorie de la relativité se révèle exacte, l’Allemagne affirmera que je suis citoyen allemand, et la France me déclarera citoyen du monde. Mais si ma théorie ne se vérifie pas, alors la France dira que je suis un Allemand et les Allemands que je suis un juif !»

Ce sont les paroles prononcées par Alfred Einstein lorsqu’il fit la découverte, si controversée au départ, de la relativité.

Cette citation qui apparait à la date du 1er janvier du calendrier juif Bloch est une brillante démonstration de la relativité. Bien sûr, l’invention du Dr Einstein se réfère au domaine scientifique et plus particulièrement à la physique, et bien au contraire, elle est immuable et universelle.

Mais est-ce un hasard si elle a été inventée par un juif ? Ou n’est-ce pas plutôt parce que l’on est bien placé pour savoir, dans un autre contexte certes, ce que relativité veut dire, parce qu’on le vit dans notre chair, l’dor vador de génération en génération. Le juif est d’un côté encensé pour son intelligence, sa créativité, le pays qu’il a su bâtir sur du sable et des marécages, mais de l’autre, jeté aux orties car trop ‘sûr de lui et dominateur’ …ce juif, vous savez, qui grâce au CRIF contrôle de Paris les élections en Angleterre!

Vous connaissez l’histoire du rabbin Altmann et sa secrétaire qui étaient assis dans un café à Berlin en 1935. « Rabbi doktor Altmann, » dit sa secrétaire, « Je remarque que vous lisez ‘Der Stürmer’ ! Je ne comprends pas pourquoi. C’est une feuille de choux nazie ! Êtes-vous masochiste, ou, Hass v’halila, un juif qui se déteste ? »

« Au contraire, Frau Epstein. En lisant les journaux juifs, il n’est question que de pogroms, d’émeutes en Palestine, de l’assimilation en Amérique. Mais maintenant que je lis ‘Der Stürmer’, les nouvelles sont bien meilleures : je lis que les juifs contrôlent toutes les banques, et que nous sommes sur le point de prendre le contrôle du monde entier. Et bien sur – je me sens tout de suite beaucoup mieux ! »

Une artiste israélienne, Mira Maylor, me montrait récemment une de ses compositions, une série de photos montages prises avec trois filtres différents et superposés, selon le filtre que l’on applique et l’endroit où on pose le regard et notre position par rapport à la photo, l’image que l’on perçoit change. La vue, un des sens réputé le plus fiable, peut aussi nous jouer des tours et s’avérer relatif. Et il en est ainsi de nos vies, de ce que chacun d’entre nous expérimente au quotidien, l’angle, le point de vue change tout.

La Torah pointe également en direction de cette relativité. Ainsi, nous lirons demain l’histoire de Joseph arrivé aux plus hautes fonctions, véritable bras droit de Pharaon car il a su organiser  et gérer les récoltes de manière à faire face aux 7 années de famine du rêve prémonitoire de Pharaon. Joseph a été comblé de bienfaits et de cadeaux, il est riche et puissant sur cette terre étrangère, alors que le pays du lait et du miel s’est tari et ne peut plus nourrir ses habitants. Ses propres frères, qui se meurent de faim en Canaan, sont envoyés par Jacob, leur père, en Egypte pour trouver de l’aide auprès de leur propre frère, celui qu’ils avaient jeté dans un puits et vendu à des Ismaélites. Qui l’eût cru ? De nouveau la théorie de la relativité bat en brèche nos croyances.

Et le Pharaon, qui accueille si aimablement toute la famille de Joseph et fait honneur au patriarche Jacob, qu’il considère comme son égal, qu’a-t-il de commun avec le Pharaon qui régnera des générations plus tard et aura tout oublié des bienfaits apportés par les hébreux à son pays et en fera ses esclaves ?

Et qui est Joseph selon la Torah et ses commentateurs ? Est-ce le jeune homme orgueilleux et si maladroit qui suscite la jalousie féroce de ses frères ? Est-ce l’androgyne auquel son père offre une magnifique tunique à rayures et dont le midrash dit « qu’il faisait des choses de son âge, il peignait ses yeux, levait ses talons, ondulait ses cheveux »[1] ? Est-ce la victime se retrouvant en prison à cause de la femme de son maître Potiphar, qui a voulu le séduire et à laquelle il n’a pas voulu céder ? Ou bien le Ysh Matzliakh – l’homme qui réussit qu’on retrouve auprès de Pharaon?[2] Est-il un brillant homme d’état, ‘le Juif de cours’ avant l’heure ? Ou bien est-ce un tyran qui aurait mis en place les prémices de l’esclavage, dont auraient été victimes des siècles plus tard ses propres frères ? Est-il fidèle à son peuple (et son sauveur), ou fait-il preuve d’une double loyauté ?

Ces questions que l’on se pose sur Joseph, notre prestigieux ancêtre ont l’air anodines, mais elles renvoient chacun à son identité et aux facettes multiples qui la composent ou par lesquelles il est désigné. Lorsqu’on essentialise quelqu’un à une de ses caractéristiques, comme son identité juive par exemple, on le pointe du doigt, on l’isole, et in fine on le met en danger d’être victime d’antisémitisme.

Avant-hier, le rabbin Donniel Hartmann écrivait sur le blog Times Of Israël qu’il déteste parler d’antisémitisme, car il ne veut pas que la vie juive soit réduite à la lutte contre la haine antisémite qui nous confine à notre être juif et nous enferme dans un ghetto. Au contraire, être juif, d’après lui, c’est se nourrir des enseignements du judaïsme afin de vivre une vie de grandeur spirituelle et morale.

Mais que faire lorsque jour après jour les actes antisémites se multiplient ? Lorsqu’en France comme aux Etats-Unis nos synagogues sont attaquées, nos cimetières profanés ? Que faire pour que nos coreligionnaires puissent vivre en sécurité partout où ils ont choisi de vivre ? Que faire enfin, lorsque la justice semble vaciller comme dans le cas de l’assassinat de Sarah Halimi par Kobili Traoré ?

Il faut de nouveau réaffirmer les valeurs universelles, il n’y a pas de relativité en ce qui concerne l’antisémitisme, le racisme, et autres violences contre des minorités. Mobilisons-nous, mais sans paniquer, en défendant nos droits de citoyens français et juifs. Il n’est pas judicieux de comparer ce que nous vivons aujourd’hui à des périodes plus sombres de notre histoire. Mais il est nécessaire de manifester pour que Sarah Halimi ait un procès équitable, tout en continuant à avoir confiance en la justice française et la défendre.

En cette période de vœux pour la nouvelle année civile,  je vous souhaite de vivre en bonne santé, en paix et en sécurité, entourés de ceux que vous aimez et de pouvoir exprimer en toute liberté toutes les facettes de votre identité !

Ken Yhie Ratzon,

Et Chabbat Shalom !

R. Daniela Touati


[1] Genèse Rabbah 84:7

[2] Genèse 39:2

Paracha Vayichlah – KEREN OR, 13 décembre 2019

Ring the bells that still can ring

Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner

Forget your perfect offering

Oubliez vos offrandes parfaites,

There is a crack in everything

Il y a une fissure en toute chose,

That’s how the light gets in.

C’est ainsi qu’entre la lumière.

Ceci est la traduction du refrain d’une des chansons les plus célèbres de Leonard Cohen, Anthem – l’Hymne. Il décrit les fissures laissées en chacun de nous par les chagrins, les peines de cœur, les pertes et autres crises existentielles. Ces fissures deviennent des véhicules qui laissent rentrer la lumière, celle d’une voix intérieure, celle d’une voix divine ?

Jacob expérimente cela dans son corps, après son combat avec l’ange divin qui intervient au début de notre paracha. Il deviendra Israël nom qui peut se décomposer en Yashar El, Dieu l’a redressé. La blessure physique sur son nerf sciatique, infligée par l’ange à Jacob, et qui le fera claudiquer, permet, paradoxalement, à Jacob-Israël de se ‘redresser’, de devenir un homme droit.

Nous lirons demain matin l’épisode qui suit le combat avec l’ange, un récit tout aussi dramatique de la vie de Jacob, celui de ses retrouvailles avec son frère Esau, après vingt ans de séparation. Entre temps, chacun d’entre eux a construit sa vie, a eu femmes et enfants, et du bétail en abondance. En quelque sorte, chacun des frères jumeaux et rivaux, en compétition pour obtenir l’amour et la bénédiction paternels, a été béni par l’Eternel. Mais une blessure subsiste, celle de l’injustice subie par Esau, et de la trahison de Jacob, fuyant avec son droit d’ainesse en bandoulière.

Jacob-Israël est pétrifié à l’idée de ces retrouvailles fraternelles, il craint la vengeance d’Esau et même sa propre mort. C’est alors qu’une sorte de miracle intervient, précisément lors de ces retrouvailles, lors de ce face à face :

וַיֹּ֣אמֶר יַעֲקֹ֗ב אַל־נָא֙ אִם־נָ֨א מָצָ֤אתִי חֵן֙ בְּעֵינֶ֔יךָ וְלָקַחְתָּ֥ מִנְחָתִ֖י מִיָּדִ֑י כִּ֣י עַל־כֵּ֞ן רָאִ֣יתִי פָנֶ֗יךָ כִּרְאֹ֛ת פְּנֵ֥י אֱלֹהִ֖ים וַתִּרְצֵֽנִי׃

« Jacob répondit: « Non, je te prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, accepte je te prie ce cadeau de ma main; car regarder ta face est similaire à regarder la face de l’Eternel, et tu m’as accueilli favorablement. » (Genèse 33 :10)

Est-ce que Jacob aperçoit l’ange de la nuit dans le visage de son frère ? Pourquoi cette vision transforme sa peur en affection ? Par quelle magie retrouve-t-il sa confiance en son frère ?

Naître d’un même œuf ne suffit pas à inspirer l’amour, à créer une relation fraternelle. Comme on le voit et le lit dans ces récits bibliques de la Genèse, histoire après histoire, c’est même le contraire qui se produit, les frères sont jaloux et dressés l’un contre l’autre, et la violence est palpable.

Il faut un médiateur, et ce médiateur est une vision d’éternité offerte par l’Eternel qui permet une prise de conscience. Le face à face avec l’autre et le dialogue, comme l’exprime Levinas, est du domaine du merveilleux. « Regarder un regard, c’est regarder ce qui ne s’abandonne pas, ne se livre pas, mais qui vous vise : c’est regarder un visage…Le visage est un mode irréductible selon lequel l’être peut se présenter dans son identité. »[1] Esau n’est plus réduit à une chose que son frère Jacob tente d’obtenir.

Jacob-Israël voit enfin son frère dans le visage d’Esau, sa fissure intime a fissuré ses peurs et ses certitudes. Comment cet embryon de relation peut-il se développer en relation de fraternité, faite d’amitié et de confiance ?

La tradition rabbinique dans les paroles des pères nous dit : ‘donne toi un maître, acquiers pour toi un ami.’

עשה לך רב וקנה לך חבר[2]

Mais peut-on acquérir une amitié ? Ne dit-on pas que cette relation est faite de gratuité et doit être non intéressée ?

Maimonide commente cet Aphorisme des Pères en nous disant que le verbe ‘acquérir’ est employé à bon escient, car ‘acquérir’ des amis est vital. On doit donc à tout prix en chercher et en trouver, on doit également se comporter de la manière dont l’autre le souhaite  et veiller à satisfaire son ami. Car sans amis on s’étiole et on meurt.[3] Comme le dit le Talmud, dans le traité Taanit :

חברותא ומיתותא[4]

L’amitié ou la mort.

Ainsi, la Bible nous décrit comment on peut mourir à cause de la jalousie de l’autre, de son frère, et le Talmud complète qu’on peut aussi mourir de l’isolement et de l’indifférence…

Le nom haver  vient du verbe havar, qui veut dire s’associer, joindre, faire équipe avec. La tradition de l’amitié d’étude, la havruta, date de la haute antiquité et des premiers couples de la Mishna, comme Hillel et Shammaï. Ce couple célèbre est connu pour ses perpétuelles chamailleries, mais qui se respecte et développe un attachement amical qui dépasse l’utilité et même le plaisir, et dont le but est de réaliser le bien, c’est cela la conception ultime de l’amitié selon Maïmonide et d’Aristote avant lui.

Selon la senior rabbi du Movement of Reform Judaism, Laura Janner Klausner cette amitié d’étude est faite d’une confiance inébranlable faite d’encouragements, de soutien et de chaleur humaine, mais aussi de questionnement, de critique et de discussions difficiles dans la mesure où cela se passe en privé et dans la confiance, de manière à ce qu’aucune rancœur, voire de répulsion ne s’installe…

Selon nos Sages, l’étude à deux, le partage pendant des heures de sa compréhension d’un texte, qui nous entraine à nous poser des questions existentielles sur le sens de nos vies et de ses fissures intimes, fait surgir un éclat de fraternité. Dans ces moments exceptionnels, on voit vraiment l’autre et parfois, avec un peu de chance, on perçoit le visage divin en lui.

Il est très facile et cela ne coute rien de continuer à multiplier cette lumière qui apparaît parfois furtivement, entre deux êtres, au sein de KEREN Or et de son Beit Midrash, car on en a besoin. Non seulement en ce moment, au cœur du mois de décembre et de l’hiver. Mais surtout pour affronter au long cours un monde de plus en plus fragmenté, d’où il semble si difficile de libérer de la lumière.

Ken Yhie Ratzon, bonne fête des lumières,

hag Hanoucca Samea’h

et Chabbat Shalom !


[1] Emmanuel Levinas, « Difficile Liberté », pp .22-23, le livre de poche

[2] Pirke Avot 1:6

[3] Commentaire du Traité des Pères, pp. 59-61, Verdier Poche

[4] TB Taanit 23a

Hayye Sarah – KEREN OR, 22 novembre 2019

Papicha veut dire belle fille en françarabe. C’est aussi le titre d’un film récent qui relate une histoire vraie, celle de quatre étudiantes dans l’Alger des années 1990 – dite la période noire. Celle où l’armée islamique du salut et le GIA (Groupe Islamique Armé) voulaient renverser le pouvoir en place, et perpétraient des attentats quotidiens contre les citoyens algériens. Les statistiques estiment que cette guerre civile aurait fait entre 60 et 150 000 morts. Bien qu’approximatifs, ces chiffres sont le reflet de la terreur qu’a vécue la population pendant près de 10 ans.

L’héroïne de Papicha s’appelle Nedjma. C’est une jeune femme pleine de vie, qui rêve d’être styliste. En attendant, elle est contrainte de se cacher, d’user de subterfuges et payer des bakchich pour sortir de l’internat, où elle est logée avec ses amies. Alors que sa grande sœur,  journaliste, s’apprête à partir en reportage, toutes deux rendent visite à leur mère, qui vit dans un quartier excentré. Après une après-midi remplie de rires et complicité, la sœur ainée de Nedjma est assassinée de sang-froid par une femme en hidjab, sous ses yeux.

Sidérée puis totalement effondrée, Nedjma se relève pour faire la toilette du corps de sa sœur en compagnie de sa mère, avant de le recouvrir d’un linceul blanc et procéder à son inhumation. Se déroulent sous nos yeux les gestes rituels où se mélangent la douleur et la tendresse.

Ces femmes musulmanes accomplissent les mêmes gestes que ceux de la tradition juive, la Tohora, la purification rituelle du mort.

La première mention d’une toilette avant inhumation apparait dans Mishna Shabbat 23:5 : ‘On accomplit tous les actes nécessaires [pour prendre soin] d’une dépouille, on l’oint et la lave pourvu qu’on ne bouge aucun de ses membres.’

La Torah ne nous dit pas si les deux fils d’Abraham, Ishmaël et Yitzhak ont accompli la toilette rituelle de leur père, lorsqu’ils se sont retrouvés pour lui rendre leurs derniers hommages.

וַיִּקְבְּר֨וּ אֹת֜וֹ יִצְחָ֤ק וְיִשְׁמָעֵאל֙ בָּנָ֔יו אֶל־מְעָרַ֖ת הַמַּכְפֵּלָ֑ה אֶל־שְׂדֵ֞ה עֶפְרֹ֤ן בֶּן־צֹ֙חַר֙ הַֽחִתִּ֔י אֲשֶׁ֖ר עַל־פְּנֵ֥י מַמְרֵֽא׃

« Et Yitzhak et Yishmael ses fils, l’ont enterré dans le caveau de Makhpela, dans le domaine d’Efron, fils de Tzohar le Héthéen, qui est en face de Mamré. »

Mais ce verset a un autre mérite, celui de souligner la valeur de l’accompagnement d’un proche à sa dernière demeure. Et cela, en mettant les vieilles querelles de côté, comme cela semble le cas pour les deux fils d’Abraham. Ce court verset pourrait passer presqu’inaperçu et pourtant il est essentiel. Il permet de pleurer ses morts dans la sérénité et l’apaisement.

La sidra  Hayye Sarah commence par le décès de Sarah et finit, comme  nous venons de le voir, par celle d’Abraham.

Les tout premiers rites funéraires apparaissent dans ce récit biblique. Ils nous sont familiers car ce sont nos pratiques jusqu’à aujourd’hui.

Lorsque Sarah meurt à 127 ans, Abraham s’effondre en pleurs, et en même temps honore sa femme, en évoquant son souvenir lors de l’éloge funèbre.

וַיָּבֹא֙ אַבְרָהָ֔ם לִסְפֹּ֥ד לְשָׂרָ֖ה וְלִבְכֹּתָֽהּ׃

Et Abraham vint dire l’éloge de Sarah et la pleurer.

Ici apparait pour la première fois le verbe lispod : dire l’oraison funèbre, le hesped. Puis il prend le deuil. La durée n’est pas précisée. Rapidement, Abraham se relève, car il a la lourde tâche de trouver un emplacement pour inhumer Sarah dans cette terre étrangère. Il négocie cela avec Efron à Hébron, ce sera la grotte de Makhpela, qui jusqu’à ce jour est au centre de tensions territoriales extrêmes.

Abraham pleure, raconte et se souvient, accompagne et enterre sa princesse et compagne d’une vie Sarah. Mais où sont ses enfants, Isaac et Ismael ? Pourquoi n’honorent ils pas leur mère ? Mystère, il faudra attendre l’enterrement de leur père pour les retrouver…

En ce mois de novembre, j’ai accompagné deux familles qui enterraient leur mère ashkénaze pour l’une, et leur père sépharade pour la deuxième. Les membres de ces deux familles s’étaient totalement coupées de la pratique du judaïsme, tout en se considérant profondément juifs. Tous deux avaient laissé des directives anticipées que leurs enfants suivaient du mieux qu’ils pouvaient. Chacune de ces familles avait son pan ‘orthodoxe’ et son pan ‘athée’. Il fallait composer avec les deux, ne pas heurter la sensibilité ni des uns ni des autres. Ce moment de retrouvailles autour de la tombe d’un cher disparu pouvait s’avérer délicat. Les disparus avaient tous deux émis le vœu qu’on dise le kaddish sur leur tombe.

Que soit béni, loué, élevé, exalté, célébré, magnifié et glorifié le nom du Saint Béni Soit Il’. Aucune autre prière n’encense davantage le Dieu auquel ils ne croyaient pas. Cette vieille prière qui date du premier temple, n’en était pas une à l’origine. C’étaient les mots de conclusion d’un éloge funèbre destiné à un savant de la Torah. Comme l’exprime le rabbin américain Maurice Lamm, « le kaddish est la prière qui marque l’épilogue d’une vie, comme elle est celle qui marque la fin de l’étude de la Torah ». On sanctifie Dieu, ce qui honore un disparu et tout cela en communauté. Ainsi au moment de leur mort, ceux qui nous semblent les plus éloignés du judaïsme demandent en quelque sorte à réintégrer leur place dans la lignée des générations juives, qui culmine dans celle du premier couple à l’origine de notre peuple : Abraham et Sarah. Et afin d’accomplir ces rituels, ils intiment à leurs enfants de retrouver le chemin d’une communauté qui pourra les accompagner et, qui sait, peut-être qu’ils retrouveront aussi le chemin de la Torah ?

Ken Yhie Ratzon, Chabbat shalom.

Chabbat Berechit – KEREN OR, 25 Octobre 2019

« Tourne-la et tourne la encore, car tout est en elle ; scrute-la, vieillis et use-toi en elle, et d’elle ne bouge pas, car il n’est rien de mieux pour toi qu’elle. » c’est ainsi que Ben Bag Bag parle de la Torah dans les ‘Pirke Avot’ (5 :22). Cette maxime si familière sonne encore plus juste lorsqu’on se prépare à recommencer la lecture de la Torah en ce chabbat Berechit.

Cette paracha, je dois avouer est un peu ma gourmandise à moi, mon millefeuille dont je ne me lasse pas. Berechit, ce sont nos fondations qu’il est nécessaire de revisiter régulièrement, pour se demander où en est l’évolution de l’humanité, et qu’avons-nous appris de nouveau qui peut nous être utile aujourd’hui ?

Demain matin nous lirons les versets à propos des deux arbres situés dans le jardin d’Eden. Celui de la connaissance du bien et du mal, qui a entraîné l’expulsion du Gan Eden arrive, Dieu ayant explicitement défendu à Adam d’en goûter les fruits, sous peine de mourir.[1]

Puis, il y a ‘l’arbre de vie’ – celui qui permet la vie éternelle – situé au milieu du jardin et dont les fruits ne sont pas interdits. Mais une fois qu’Adam et Eve ont transgressé et mangé de l’arbre de la connaissance, il s’avère que la crainte de Dieu était qu’ils ne mangent des fruits de l’arbre de vie et par la même deviennent immortels.[2]

Comme le dit le rabbin Pauline Bebe, Dieu assume une fonction parentale dans ce texte, qui testerait ses enfants en leur mettant des limites. Il leur signifie ce qui est permis et interdit, tout en sachant qu’il y aura transgression. Mais par la même, ils deviendront plus indépendants et responsables. De ce point de vue, le judaïsme analyse cet acte comme transgressif mais inévitable, voire nécessaire. L’arbre de vie est hors d’atteinte, il représente l’interdit absolu car l’immortalité rendrait l’homme l’égal de Dieu.

Si on ajoute à cela une interprétation erronée de ce que l’on entend par l’homme créé à l’image de Dieu, cela peut mener l’homme à oublier sa place dans la Création et le faire pêcher par excès d’orgueil.

Ce sentiment de toute puissance est exacerbé chez l’homme lorsque certains progrès technologiques le dotent de nouveaux pouvoirs. C’était le cas avec l’avènement des smartphones par exemple ces dernières années. Ces petits joujoux représentent un progrès colossal pour l’humanité et permettent, par exemple, l’accès en temps réel aux informations mais aussi à une connaissance infinie dans tous les domaines. D’un clic on peut consulter un médecin en ligne 24/24, et communiquer sans ininterruption d’un bout à l’autre de la planète avec des personnes qu’on aurait perdues de vue autrement. Cette technologie efface le temps et l’espace ou plutôt les rapproche en les mettant à portée de main.

Mais, selon la chercheuse du MIT Sherry Turkle citée par Micah Goodman dans une conférence sur l’impact sur l’humain de l’évolution des technologies[3], chaque progrès est un troc ou un compromis. On gagne d’un côté ce que l’on perd de l’autre. La question étant de savoir ce que l’on est prêt à sacrifier pour bénéficier de cette avancée technologique. 

Les exemples ne manquent pas dans ce domaine, l’un de ceux cités par Micah Goodman concerne l’utilisation du GPS à la place des cartes. D’un côté, on peut se déplacer plus vite et de manière plus fiable d’un point A à un point B, mais de l’autre, on perd le sens de l’orientation.

L’un des aspects peut être les plus préoccupants de l’étude sur l’impact des smartphones concerne les relations humaines. Leur utilisation de plus en plus intense, non seulement estompe les limites entre vie réelle et virtuelle, mais a aussi des conséquences sur notre capacité d’empathie. L’empathie est un talent qui se cultive, c’est l’actif immatériel le plus puissant qui relie les hommes entre eux et permet de se mettre à la place de l’autre dans ses moments de joie, de peine, de souffrance et de tisser des liens authentiques entre êtres humains. Depuis leur apparition en 2011, l’étude conduite par Turkle montre que l’empathie a diminué de 40% !

Et malheureusement les dégâts ne s’arrêtent pas là! La santé mentale de l’échantillon de jeunes de moins de 25 ans étudiée s’est fortement dégradée avec une augmentation de 30% du nombre de dépressions et de 50% du nombre de suicide (impactant d’ailleurs davantage les jeunes femmes que les jeunes hommes.

Un véritable tohu bohu intérieur a déferlé sur l’humanité depuis l’arrivée de cette technologie, dont le principe est de nous rendre non seulement dépendant mais aussi d’être dans un zapping permanent qui nous fait perdre le contact avec le temps présent.

Cette perte d’ancrage avec le moment présent est d’après Dan Guilbert spécialiste du bonheur à Harvard, ce qui nous rend malheureux. Notre iphone est devenu notre dibbouk, une sorte de démon qui nous hante…

Accroitre sa connaissance et ses capacités grâce à ces outils qui rendent notre quotidien plus confortable est une bonne chose, en devenir dépendant et surtout les laisser grignoter notre humanité est catastrophique.

Avoir gouté au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal a permis aux hommes de devenir des partenaires de Dieu dans la création afin de parfaire ce monde, c’est ce chemin qu’il s’agit de poursuivre aujourd’hui comme hier.

Ken Yhie ratzon,

Shabbat shalom


[1] Genèse 2:17.

[2] Genèse 4:22

[3] https://www.youtube.com/watch?v=e4cdusZMMQI&t=2261s

Drash Yom Kippour – KEREN OR Minha 9 Octobre 2019

Nathalie était arrivée en trombe dans la chambre que je partageais déjà avec une compagne de fortune. Perchée sur ses talons aiguilles, habillée d’une robe élégante et très ajustée, elle tenait à la main une mallette en cuir, comme si elle se rendait à une énième réunion de travail. Elle s’installa sur le fauteuil du milieu et l’aide-soignante qui la suivait de près dans ses crocks d’hôpital, tira les rideaux blancs pour créer une pseudo-intimité.

Je suivais la conversation, la voix douce et enveloppante de l’aide-soignante lui disant « cela fait beaucoup de choses à ingurgiter aujourd’hui. Prenez votre temps madame c’est votre première chimio… ». Quelques minutes plus tard, Nathalie explosait en sanglots, répétant à l’envie: «  je pensais être prête, j’ai fait ma gym ce matin, comme tous les jours et j’ai aussi fait mon jogging, mais c’est vrai que j’ai mal dormi, j’avais peur. Et je ne comprends pas ce qui m’arrive, moi qui ai toujours fait du sport, mangé équilibré, des légumes tous les jours, pour garder la ligne, être en forme, pourquoi cela m’arrive t il à moi? » Nathalie est DRH d’un gros centre hospitalier, sa vie réglée comme une horloge jusqu’à récemment, elle faisait tout pour que cela dure, et puis l’horloge s’est détraquée…le cancer a frappé à sa porte et elle a perdu le contrôle.

On croise beaucoup de Nathalie à l’hôpital, qui se demandent pourquoi moi? Pourquoi maintenant? Pourquoi continuer ce traitement qui m’abîme?

La philosophe Claire Marin décrit la maladie comme une catastrophe intime, une mise à nue où le malade est réduit à son enveloppe corporelle, désocialisée et souffrante. Son champ de vision se restreint à lui-même et il/elle perd intérêt dans ce qui l’entoure. C’est une mise à l’épreuve de son identité, voire une perte de cette identité, car pour paraphraser Claire Marin : ‘que reste t-il de soi quand la maladie nous vide de nous-mêmes ?’

Le judaïsme traditionnel propose un certain nombre de réponses, pas toujours très satisfaisantes, je l’avoue. La plus répandue est celle d’un Dieu omnipotent, omniscient et bienveillant, dite de la théodicée. Dieu étant fondamentalement bon, ce que nous endurons dans nos vies est une juste punition pour nos transgressions. Cette théologie est centrale  dans la Torah, et figure dans le deuxième paragraphe du Shema[1]. Elle dit en substance : si vous observez Mes lois vous serez récompensés, mais si vous les transgressez, vous serez punis.

Pour expliquer le malheur qui frappe au hasard, une autre théologie commune considère que seul Dieu connaît le dessein final. Nous n’avons qu’une vue partielle des tenants et aboutissants de nos vies et n’aurons jamais accès à cette connaissance métaphysique. Le traité Menachot l’illustre par un midrash : Dieu est en train de mettre des couronnes aux lettres de la Torah qu’il va transmettre à Moïse. Ce dernier lui demande à quoi servent ces couronnes et Dieu lui rétorque qu’un sage comme rabbi Akiva , qui vivra des centaines d’années après lui, sera en mesure de l’expliquer et en déduira de nombreuses lois. Transporté dans le temps, Moise se retrouve assis dans la yeshiva de rabbi Akiva et observe ses enseignements. Lorsque Moise demande à Dieu quelle a été la récompense de Rabbi Akiva pour avoir élaboré toutes ces lois, il lui montre comment ce dernier meurt en martyre, dans d’atroces souffrances. Devant l’incompréhension de Moise, Dieu lui répond vertement: « Silence, ceci est ma décision ! »

Dieu intime le silence à ses créatures, comme dans la formule traditionnelle énoncée à l’endeuillé : ‘Baroukh Dayan haEmet’- béni soit le Juge de vérité. Tout est dit et on ne peut discuter les décrets célestes.

Dans la Bible on parle aussi d’un Dieu qui cache sa face dans les moments où on a le plus besoin de Lui, haster astir panaï[2] – surement je cacherai ma face. Le philosophe Martin Buber, issu de la tradition kabbalistique, explique ainsi le silence de Dieu pendant la Shoah.

Le philosophe Hans Jonas soutient lui que Dieu souffre et reste auprès de son peuple sans pouvoir intervenir. Dieu est rendu impuissant par sa doctrine du libre arbitre. Voilà quelques-unes seulement des théologies issues de notre tradition, censées réconforter ceux qui rencontrent l’adversité sur leur chemin de vie.

Un des livres emblématiques qui relate la souffrance gratuite infligée à un homme pieux et juste est le livre de Job. Ce livre a la particularité de nier la théologie de la juste rétribution.

Job est un homme parfait, droit et craignant Dieu – tam v’yashar v’iré Elohim’, comblé de bienfaits matériels et spirituels. En échange, il offre des sacrifices et fait la tzedaka aux nécessiteux.

Convaincu que la piété de Job est uniquement liée au bénéfice qu’il en retire, Satan persuade Dieu de mettre Job à l’épreuve. En quelques jours, Job perd tout ce qu’il a et est affligé d’une sorte de lèpre, qui le fait terriblement souffrir. Il ne renie pas Dieu pour autant, profondément déprimé, il continue à être un de ses fidèles serviteurs …3 amis viennent lui rendre visite, mais au lieu de le consoler, ils cherchent à trouver des raisons à ses malheurs et lui conseillent de faire encore plus scrupuleusement son ‘Hechbon ha nefech’ – son introspection, qu’il prie et fasse techouva, Dieu ne peut se tromper.  Job continue à défendre sa bonne foi et son comportement irréprochable, mais rien n’y fait. Le tribunal à charge continue son travail de sape.

Après de longs dialogues stériles, Dieu se manifeste par une rafale de questions rhétoriques adressées sans ménagement à Job, le remettant à sa place d’homme qui ne peut appréhender le grand projet divin. Alors que nous lecteurs, savons que toutes ces épreuves n’étaient qu’un test, une mise à l’épreuve.

Mais le livre se termine sur une note positive, Job a passé le test et Dieu lui fait recouvrer sa santé, le restore dans ses biens et lui donne une nouvelle famille.

Pour expliquer ce qui arrive à Job, les rabbins du Talmud utilisent la notion d’Issourin shel ahava- les épreuves de l’amour divin. Dieu met à l’épreuve les plus justes d’entre nous pour les rendre encore plus parfaits …

Quel est le sens de ce livre ? Qu’apporte t il au canon biblique ? Est-ce une vision réaliste de la manière dont un être humain vit la souffrance ?

Affronter l’adversité nous connecte avec ce qu’il y a de plus intime, vulnérable et vrai en nous. Peu importe quelle croyance théorique nous avions au départ sur Dieu et le monde, cette expérience change le rapport à nous-mêmes et par ricochet à l’autre. Le rabbin Lawrence Kushner l’exprimait ainsi dans son célèbre livre ‘When bad things happen to good people’ : ce qui nous arrive n’est pas une punition, et ne peut être expliqué par la théologie traditionnelle, c’est le prix de la liberté et des hasards de la vie. Chacun réagit différemment face à l’adversité et c’est la manière de mettre à profit cette nouvelle donne qui pourra, pour certains, les transformer intimement. Il y aura un avant et un après.

La saveur de chaque jour qui passe sera différente, comme le dit le psalmiste :

לִמְנ֣וֹת יָ֭מֵינוּ כֵּ֣ן הוֹדַ֑ע וְ֝נָבִ֗א לְבַ֣ב חָכְמָֽה׃

Apprends-nous à compter nos jours, pour que nous acquérions un cœur ouvert à la sagesse.(ps 90 :12)

Puisse chacun d’entre nous dépasser les obstacles mis sur sa route pour en faire une source de bénédictions, et de renaissance à une vie qui a encore davantage de prix et de sens.

ברוך אתה יהוה מחייה המתים

Béni sois-tu Eternel qui nous fait renaitre à la vie !

Ken Yhie Ratzon,

Chana tova v’gmar hatima tova !


[1] Deutéronome 11 :13-21

[2] Deut. 31:18

Drash KOL NIDRE – KEREN OR 5780

Quel est l’essence du judaïsme auquel nous nous attachons depuis deux mille ans? Nos rabbins se posaient la même question et ont même, pour certains, trouvé le verset de la Torah qui l’exprime. Mais bien sur ils n’étaient pas d’accord :

Pour rabbi Akiva c’était le verset du Lévitique: ‘et tu aimeras ton prochain comme toi-même’, alors que pour Ben Azzai c’était le verset de la Genèse : ‘voici l’énumération des générations d’Adam’.[1]

Dans le verset ‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’, ‘ton prochain’ peut se limiter à sa famille, son cercle d’amis, voire à sa communauté. La responsabilité est limitée à ceux qui nous ressemblent, ou à ceux qui partagent les mêmes idées et les mêmes croyances. Rabbi Ben Azzai vient nous enseigner que notre responsabilité va bien au-delà et s’inscrit dans la chaîne des générations, envers la pérennité de l’humanité et la vie sur terre.

En quoi cette mahloket– cette querelle rabbinique est importante ? Et est-il raisonnable de réduire l’enseignement de la Torah à un principe premier, fût-il universel ?

En ce soir de Kol Nidre, je vous propose de faire une Teshouva shleima, un retour complet vers ce qui nous permet à tous de vivre ici et maintenant : notre terre.  Revisitons ensemble ce que le judaïsme a à nous dire concernant le sujet brûlant de l’écologie.

Mon viduï ou confession personnelle est aussi celui d’une génération : l’écologie n’a pas été au centre de nos préoccupations. Il n’en est pas de même pour les jeunes générations qui nous ont ouvert les yeux en se mobilisant pour cette cause…

Sans nous disculper, il est probable que nous ayons eu quelques excuses. Le siècle dernier a été marqué par un désastre humanitaire des deux guerres mondiales, après lesquelles il a fallu reconstruire non seulement des immeubles mais notre humanité. Ce sont les luttes pour la dignité humaine et la fraternité qui ont concentré nos efforts.

Et pourtant, deux versets de la Torah qui nous parlent de responsabilité environnementale apparaissent dans un contexte de guerre. Voilà ce qu’on peut lire dans le Deutéronome (ch.20):

« 19 Lorsque tu feras le siège d’une ville que tu attaques pour t’en rendre maître, tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la hache: ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui, l’arbre du champ c’est l’homme même, tu l’épargneras dans les travaux du siège. 20 Seulement, l’arbre que tu sauras n’être pas un arbre fruitier, celui-là tu peux le sacrifier et l’abattre, pour l’employer à des travaux de siège contre la ville qui est en guerre avec toi, jusqu’à ce qu’elle succombe. »

Ainsi, c’est pendant les guerres, où la préservation de la nature pourrait être le dernier de nos soucis, qu’il nous est rappelé qu’il y a des lois primordiales, universelles à ne pas oublier. L’arbre et l’homme sont indissociables, l’un comme l’autre doivent être protégés dans les circonstances les plus extrêmes.

De ces deux versets ont découlé la loi du Bal Taschit : l’interdit du gaspillage et de la destruction inutile. Maimonides, synthétise cette loi ainsi : ‘[la préservation] ne s’applique pas seulement aux arbres, mais à celui qui brise inutilement des récipients, qui déchire les vêtements, détruit un bâtiment, bouche une source d’eau, gaspille la nourriture, celui-là transgresse le commandement de bal taschit’.

Du début à la fin, le vocabulaire de la Torah exprime ce lien physique entre l’homme et la nature,  en le nommant Adam : le terrien ou le glébeux selon le rabbin Chouraqui, être indissocié de la terre : Adama. Sans Adama pas d’Adam, notre relation à la terre est  imprégnée de respect et de discernement. La terre ne nous appartient pas, mais nous a été donnée en usufruit. Nous pouvons l’utiliser pour nous nourrir, nous vêtir et nous chauffer tout en la préservant, en ‘bons pères de familles’. Le premier commandement de la Genès est de ‘croitre et multiplier’ et de ‘dominer’ la terre, vient ensuite le commandement d’en être ses ‘gardiens’, car comme dit le midrash Kohelet : « tout ce que J’ai créé, [dit l’Eternel à l’homme] c’est pour toi que je l’ai créé ! Fais attention de ne pas abîmer ou détruire mon monde. Si tu l’abîmes, il n’y aura personne pour le réparer après toi.’ »[2]

La Torah nous enjoint de réfléchir à ce que nous mettons dans notre bouche – tout en étant attentifs à ne pas infliger de souffrance inutile aux animaux, ce que les sages ont nommé le «  tzaar baalei haïm ». Le temps où nous produisons ce que nous consommons est également strictement encadré par la Torah. L’activité de transformation de l’environnement doit s’arrêter le chabbat pour limiter la surexploitation des hommes, des animaux comme de nos ressources. Tous les 7 ans, période qui culmine avec le septième cycle et l’année du jubilé, il est proclamé un chabbat chabbaton de la terre en Israel, une année sabbatique de chmita, où la terre doit être totalement laissée au repos. Yom Kippour est quant à lui, un chabbat chabbaton spirituel, c’est un temps pour nous retrouver avec nous-mêmes, les autres et notre Créateur…  

Tout cela vise à un subtil équilibre entre la nature et les hommes. Ainsi que l’exprime Abraham Heschel :

“Notre but devrait être de vivre dans un état permanent d’émerveillement ….se lever le matin et regarder le monde en considérant que rien n’est acquis. Tout ce qui nous entoure est extraordinaire, incroyable ; ne considèrons rien avec indifférence. Etre une personne spirituelle c’est être émerveillé.”

Pour le rabbin Arthur Green, professeur de philosophie des religions, et auteur du livre ‘radical judaism’ s’émerveiller devant le miracle de la Création éveille notre conscience à sa fragilité.

Le changement, dit-il, ne viendra pas des politiques, ou des lois instaurées par nos gouvernants, mais de la prise de conscience de nos comportements individuels. Dans ce domaine, la religion a son mot à dire, car elle a un langage pour l’exprimer, que ce soit à travers les prières quotidiennes où le vocabulaire est empreint de gratitude pour ce miracle, ou encore à travers certains psaumes qui sont une ode à la nature. Le judaïsme approche l’univers d’un point de vue spirituel tout en embrassant l’évolution des connaissances scientifiques. Les deux niveaux de vérité ne sont pas incompatibles, le rôle des prières étant d’éveiller notre cœur et nos émotions.

Une jeune organisation composée de rabbins, nommée Shomrei bereshit a lancé il y a 5 ans,  un cri d’alarme sur nos responsabilités écologiques. Lorsque ses membres ont sonné le choffar en 5775, ils ont également voulu sonner le glas de nos mauvaises habitudes. Trois ans plus tard, l’un des rabbins de cette organisation, Rabbi Jonathan Wittenberg de la synagogue massorti londonienne New North London, a lancé le projet Eco Synagogue inspiré d’Eco Church. C’est un label qui soutient les initiatives écologiques et met à disposition des outils pédagogiques pour les synagogues. A ce jour, 5 synagogues orthodoxes et libérales ont adhéré au projet et ont nommé un éco-man dans leur synagogue.

Inspirés par cette initiative, nous avons décidé de lancer le projet ECO SYNAGOGUE ici à Lyon. D’abord, nous prendrons le temps de réfléchir. Puis, nous ferons des propositions concrètes pour changer nos comportements à KEREN OR. Cette initiative pionnière, nous l’espérons fera des émules, à la fois  dans d’autres synagogues et d’autres lieux de culte.

Voilà notre engagement en tant que synagogue pour 5780, pour nous inscrire nous aussi dans la chaîne des générations d’Adam.

Tzom kal et gmar hatima tova !


[1] Sifra kedoshim chapitre 4 12 :1

[2] Kohelet Rabbah 7 :13

Article Tribune Juive paru le 23 septembre 2019

Voilà le lien vers l’article paru dans Tribune Juive

Chabbat Ki Tavo – 20 Septembre 2019 Keren Or

Les Juifs et les livres c’est une longue histoire d’amour. Que sommes-nous d’autre d’ailleurs que les ‘gens du livre’ ?

Mais notre collection de livres fait aussi partie de notre histoire, voire de notre héritage familial. C’est un peu ce qui nous définit, dis-moi quels livres tu lis et je te dirai qui tu es…

J’ai ressenti cette relation affective aux livres,  chez mon oncle et ma tante de Haifa, lorsque je leur rendu visite en 2017. Ils se demandaient ce qui resterait de leur vie et ce qui serait transmis à leurs deux filles et à leurs sept petits-enfants.

Ma tante tenait un journal des moments importants de sa vie dont personne n’osait jamais lui parler, espérant qu’à un moment donné cela intéresserait quelqu’un de la famille… J’ai été la première à écouter ses souvenirs, la nostalgie imprégnait chaque moment passé ensemble. Elle était particulièrement inquiète de ce qu’adviendrait de sa bibliothèque, où l’on pouvait trouver au moins un millier de livres en cinq langues différentes : Roumain, Français, Anglais, Allemand et Hébreu.

Lâcher prise de ce que l’on considère comme une riche vie intellectuelle n’est pas simple. Je me suis alors demandé que faut-il faire pour à la fois transmettre son histoire, et ce qui nous a construits, à la prochaine génération, tout en lâchant prise. Les deux générations étant prises au piège de ce paradoxe : les « donateurs » craignent que ce qu’ils ont vécu et appris ne leur survive pas, et ne soit plus utile aux générations futures. Les « héritiers » se sentent coupables car incapables de s’occuper de cet héritage. Peu importe le fait que les étagères soient encombrées de romans ou de livres politiques désuets, et les livres ‘classiques’ soient accessible pour la plupart gratuitement en ligne…

En ce qui concerne les livres, la jeune génération pourrait avoir le sentiment étrange de piétiner son héritage spirituel si elle ne les conserve pas. Nous honorons les livres comme nous honorons nos aînés. Mais deux mille ans de tradition ont donné naissance à un foisonnement de livres. Ce que nous faisons de ces livres est comme une métaphore de notre comportement avec notre tradition.

Le Dr Micah Goodman, chercheur à l’Institut Hartmann de Jérusalem, raconte dans une de ses conférences sur le sionisme l’histoire suivante. Imaginez que vous héritez d’un de vos ancêtres une très grande bibliothèque. Vous avez alors trois possibilités. La première est de tout jeter. La deuxième est de tout garder et de tout mettre au milieu de votre salon. Le troisième est de trier ce qu’il faut garder et ce qu’il faut au contraire remettre à des amis ou à une bibliothèque locale.

Cette histoire nous permet de réfléchir à ce que l’on peut faire de l’héritage des générations passées, ici plutôt spirituel. Certains d’entre nous peuvent ressentir le poids de leurs ancêtres, et préférer se débarrasser de tout, même si cela signifie risquer de perdre tout lien avec leur passé. D’autres, éprouvent un respect infini, quasi idolâtre pour ceux et celles qui les ont précédés, et choisissent de garder fidèlement tout ce que leurs ancêtres leur ont légué, le plaçant au centre de leur salon et donc de leur vie. Ils prennent le risque de manquer non seulement d’espace mais aussi d’air pour respirer. La troisième option, celle où on fait du tri et on choisit ce qui vaut la peine d’être conservé ou donné, semble la façon la plus raisonnable de gérer son héritage.

Le paracha de cette semaine nous donne quelques indices sur la façon de gérer ce qui nous a été légué et d’être un maillon dans cette chaîne des générations.  » « Quand tu seras arrivé dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne en héritage, quand tu en auras pris possession et y seras établi, tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre, récoltés par toi dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, t’aura donné, et tu les mettras dans une corbeille; et tu te rendras à l’endroit que l’Éternel, ton Dieu, aura choisi pour y faire régner son nom…. » (Deut.26:1-2)

Après quarante ans dans le désert, une fois les Israélites installés sur leur terre, peuvent-ils bénéficier de leur héritage ? Non, Dieu est très exigeant envers eux et envers nous, puisqu’il connaît la nature humaine ; il nous demande un ultime effort, un effort qui peut paraître surhumain, celui du don des premiers fruits.

Même si la plupart d’entre nous vivent loin de la campagne, certains ont encore accès à un jardin et à des arbres fruitiers. Ils savent la patience et le travail nécessaires. La récolte des premiers fruits est une récompense après plusieurs années de soins attentifs. Cependant, Dieu nous demande précisément de s’en priver et de faire don de ces tout premiers fruits.

La Torah, dans sa sagesse, voit le risque de la cupidité humaine. Nehama Leibowitz souligne la symétrie entre deux versets, celui où on offre les premiers fruits : « …. quand je suis rentré dans le pays que l’Eternel a juré à nos pères de nous donner en héritage. » (Deut. 26:3) et celui que nous lisons autour de la table du Seder, lorsqu’on dit que chaque génération et chaque juif doit se voir comme si lui-même était sorti d’Egypte. Chaque génération doit apporter ses premiers fruits comme chacune doit se libérer de l’esclavage. Et se libérer de l’esclavage équivaut à se libérer de sa cupidité.

De plus, la troisième année, il nous est demandé aussi mettre de côté la dîme pour les Lévites, l’étranger, l’orphelin et la veuve et ceci après avoir observé le rituel du don de la dîme au Temple, reconnaissant ainsi l’intervention divine dans ce que la terre produit. Il nous est ordonné de prendre soin des catégories les plus fragiles qui résident parmi nous avant de jouir du fruit de notre travail.  Donner une partie de nos biens à ceux qui sont dans le besoin, la Tzedaka, est un commandement transmis de génération en génération et la pérennité de l’alliance en dépend. Le comportement éthique n’est pas transmis automatiquement…il se réapprend à chaque génération.

Ensuite, nous devons mettre ces lois par écrit dans un livre, qui lui sera transmis aux générations futures : « Dès que tu auras traversé le Jourdain pour entrer dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne, tu dresseras de grandes pierres. Enduisez-les de plâtre et inscrivez sur elles toutes les paroles de cet enseignement… » (Deut. 27:2-3)

En tant que membres du peuple juif, nous sommes les héritiers d’une triple tradition. Une ritualiste-religieuse, où nous reconnaissons l’intervention de Dieu dans le monde, une éthique qui exige de nous de prendre soin de notre prochain, et une spirituelle qui est transmise à travers la Torah. Ces enseignements ne sont accessibles qu’après une étude approfondie et souvent un médiateur, afin d’en clarifier le sens. Les interprétations du passé nous servent alors de guides, mais la mission de chaque génération est d’en générer des nouvelles. Ainsi, nous restons à la fois fidèles à la chaîne de la tradition, tout en nous en libérant lorsqu’on apporte notre propre interprétation – notre propre maillon en quelque sorte à cette chaîne.

Ken yhie ratzon,

Chabbat shalom !

Paracha Ki Tetze – 13 septembre 2019, KEREN OR

Nous pensons que ce qui se passe derrière les portes closes d’un foyer est du domaine privé, de l’intime, nous n’avons aucun droit de regarder par le trou de la serrure, ni de juger dans la mesure où rien de grave ne s’y déroule.

Souvent, la réalité d’un foyer est très différente de ce qui est montré en société, voire à ses proches.

A la faveur d’une confession, on peut entrevoir cette intimité, parfois douloureuse, notamment lorsque ces relations familiales sont compliquées et l’amour mal exprimé, voire absent.

Ce privilège de la confession était traditionnellement dévolu au prêtre, ou… au rabbin. Les familles écoutaient attentivement les conseils de ces figures traditionnelles d’autorité religieuse. Puis, avec la sécularisation et surtout grâce à l’invention de la psychanalyse et autres formes de thérapies, ces confidences ont migré vers les cabinets de psychanalystes, de thérapeutes, ou de médecins.

Depuis quelques années, c’est pourtant en public que certains hommes et femmes, profitant de leur notoriété lavent leur linge sale en dénonçant les agissements de leurs proches parents, par livre et média interposé. Les coups partent avec une violence inouïe. Et nous public, assistons hébétés à cet enchainement médiatique qui ne se limite plus aux titres à scandale.

C’est le cas ces dernières semaines de l’affaire Yann Moix, dont je ne vais pas commenter les déclarations, et encore moins l’évolution de l’intrigue, qui a atteint son point Godwin lorsqu’a été révélé son passé antisémite et négationniste… 

Et moi et moi et moi, semblait scander le personnage, dont le seul mérite fût de nous irriter tout en suscitant quelques questions. Faut-il cautionner ce culte de la ‘transparence’? Quel est notre rôle dans ces sagas familiales ? Où est la vérité et a-t-on besoin de la connaitre ? Qui est la victime et le bourreau ?

Une des lois détaillée dans la paracha Ki Tetze est celle concernant ‘le fils rebelle’. La Torah utilise quatre termes pour le décrire. D’abord סורר ומורה qui sont de sortes de synonymes, traduits par ‘rebelle et libertin’. Rashi, se basant sur le talmud, décrit le fils rebelle comme quelqu’un qui dévie de sa route  -de la racine- סר  et désobéit à son père. Le verset nous parle d’un enfant qui n’écoute ni la parole de son père ni celle de sa mère. Cette description est doublée par les termes זולל וסובא – ‘glouton et ivrogne’. Sa rébellion se matérialise donc par ses addictions à la nourriture et à la boisson…Et la Torah nous dit que pour tout cela, il mérite que ses parents portent plainte devant les Sages et la punition est la lapidation sur la place publique.

Le châtiment biblique peut surprendre et même nous révolter. Comment peut-on en appeler au tribunal des hommes pour mettre à mort son enfant ? Est-ce que cela ne contredit pas toutes les lois éthiques de la Bible ? Et ce même s’il est déviant et ne respecte ni la loi de son père, ni celle de son peuple ?

La Mishnah Sanhedrin vient atténuer quelque peu ce jugement, en mettant plusieurs limites au verdict : d’abord les deux parents doivent être d’accord et le désigner par les  quatre termes bibliques : סורר ומורה זולל וסובא , ils accusent leur fils d’être rebelle, libertin glouton et ivrogne. Cela donne un vrai poids aux paroles prononcées. La loi orale nous dit aussi que si l’un des parents a un handicap, la sentence ne peut s’appliquer. Puis, il est d’abord fouetté par trois témoins en signe d’avertissement, s’il recommence, on l’amène devant une cour composée de 23 juges, ce qu’on appelle le petit Sanhedrin, et s’il s’enfuit avant que la sentence ne soit prononcée, il est libre.

Comme dans d’autres circonstances où la Bible condamne à la peine capitale, les Sages font en sorte que le châtiment ne puisse pas s’appliquer.

Qui est cet enfant rebelle ? Peut-on faire un lien entre ses caractéristiques bibliques et la psychologie moderne ?

Selon Rivka Neeman, psychologue de l’armée israélienne, responsable de la conscription des nouveaux soldats, ce que décrit la Torah s’apparente au ‘trouble oppositionnel avec provocation’, qui fait partie du cahier international de classement des troubles mentaux.

Il s’agit d’enfants asociaux, provocateurs et rebelles, qui s’opposent en permanence à tout système d’autorité familial mais aussi social, dont une constante est de tomber dans les addictions et la violence. Il n’y a pas d’explication scientifique précise à ce trouble et par conséquent c’est un ensemble de facteurs à la fois génétiques, psychologiques et environnementaux qui en seraient à l’origine.

Ces symptômes m’ont rappelé le malaise ressenti en lisant le livre de Lionel Shriver, ‘Il faut qu’on parle de Kevin’. L’auteur, inspiré par le massacre du lycée de Columbine, décrit un profil similaire à celui du fils rebelle…Un couple explose suite à l’arrivée de leur fils Kevin, qui dès la naissance se comporte comme un petit monstre et manipule et sème la zizanie entre ses parents. Ni sa mère ni son père n’arriveront à le contenir et encore moins à l’éduquer. Jusqu’au jour fatal où il organise une tuerie dans sa propre école, pour laquelle il sera condamné à perpétuité.

Ces faits divers nous enseignent que, dans des situations extrêmes, les efforts parentaux se heurtent à une limite, et la violence verbale et physique ne fait que se perpétuer. L’aide est alors indispensable, que ce soit celle de l’entourage médical et thérapeutique, mais aussi l’aide spirituelle. L’isolement peut à minima laisser des séquelles et parfois aller jusqu’au drame.

Notre tradition nous parle du foyer comme d’un petit temple. L’harmonie ou la discorde qui y règnent ont un impact, en bien ou en mal, sur la communauté au sens large.

Ken Yhie Ratzon !

Chabbat shalom !

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