Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les représentants du culte, Mesdames et Messieurs les représentants des associations religieuses, chers amis,
Qui aurait cru en 1989 que le judaïsme libéral fêterait ses 30 ans dans ce beau et vaste bâtiment ? Qui aurait pu imaginer que nous serions presque à l’étroit pour ces célébrations ? Nos amis juifs, chrétiens et musulmans, les élus de la République, les jeunes et les plus âgés de nos membres, plusieurs générations sont réunies aujourd’hui ici pour marquer les 30 ans de présence officielle du judaïsme libéral à Lyon et sa région.
Je remercie chaleureusement tous ceux qui ont travaillé d’arrache-pied ces dernières semaines pour organiser ces trois jours de fête, les administrateurs et en particulier Celia Naval la chef de projet 30 ans, les nombreux bénévoles de KEREN OR, ainsi que les enfants qui ont si bien chanté.
Je tiens à remercier tous les présidents et conseils d’administration successifs depuis 1989 et même auparavant, ceux qui ont cru en cette petite graine dès sa mise en terre, l’ont arrosée et entretenue pour qu’elle puisse porter ses fruits aujourd’hui. La plupart d’entre eux sont parmi nous aujourd’hui, mais j’ai aussi une pensée émue pour ceux qui ne sont plus : Adrien Benhaim et son épouse Marie Claude, Catherine Gross et Michel Slon, que leur souvenir soit une source de bénédiction.
30 ans c’est un beau chiffre. En hébreu, c’est la lettre lamed qui symbolise le chiffre trente. Lamed construit sur la racine lamad, dont dérive le verbe lilmod qui veut dire apprendre – mais aussi le verbe lelamed – enseigner. Ce sont deux préceptes primordiaux du judaïsme : étudier et transmettre.
Qu’ a-t-on appris à KEREN OR en ces trente ans d’existence et qu’a-t-on transmis ?
Nous avons appris des nombreux obstacles qui ont parsemé le chemin de la CLIL, CJL, UJLL et enfin KEREN OR. Nous avons divorcé en 2002 puis nous sommes remariés en 2012, ensemble nous avons fait techouva, et su prendre un nouveau départ, pour grandir en harmonie. Pour arriver où nous en sommes aujourd’hui, les bâtisseurs de cette communauté ont du faire preuve de ténacité, ces hommes et femmes n’ont pas ménagé leurs efforts, ont connu des échecs et des remises en cause, mais à aucun moment il n’a été question d’abandonner. Ils ont gardé chevillée au corps cette volonté de faire vivre le judaïsme libéral à Lyon.
KEREN OR c’est le nom que nous nous sommes choisis en secondes noces, il y a 8 ans déjà. Cela veut dire rayon de lumière, car nous souhaitons éclairer ce monde, servir de phare et être un lieu d’ouverture et d’échanges. Un lieu où il fait bon apprendre, se questionner, douter et bâtir un avenir meilleur, ce que dans le judaïsme il est de coutume d’appeler le tikkoun olam : la réparation ou l’amélioration du monde. Tous les jours nous nous efforçons de donner à ceux qui entrent en ce lieu et en particulier à nos enfants, une riche et solide identité juive, ouverte, afin de mettre en œuvre ce qu’ils ont appris ici dans leur environnement familial, amical, scolaire et au-delà.
KEREN OR est bâtie sur un trépied : c’est une maison d’étude – un beit midrash, c’est une maison de prière – un beit tefila, et c’est une maison commune où l’on se rassemble- un beit knesset. Aujourd’hui nous sommes un beit knesset une large assemblée ouverte sur la cité.
Ce chabbat passé nous avons raconté à nouveau cette traversée miraculeuse de la Mer des Joncs, du passage à pied sec d’une rive à l’autre, de l’esclavage vers la liberté. Nous avons chanté à tue-tête, ozi v’zimrat ya – ‘l’Eternel est ma force et mon chant de gloire’ et le mi kamokha – ‘qui est comme toi Eternel ?’ qui nous accompagne dans nos moments de joie et de peine et nous donne la force de vivre tous ces moments. Et comme pour les hébreux qui ont connu l’esclavage puis la liberté, nos vies sont parsemées d’obstacles et de difficultés, mais aussi de miracles.
La liberté est difficile à atteindre et à préserver. Les hébreux ont vite oublié le goût de cette liberté, trois jours après la traversée miraculeuse, ils se plaignaient déjà car ils manquaient d’eau et voulaient retourner vers le monde qu’ils avaient connu, celui de la servitude. En quelques secondes, les hébreux oublient d’où ils viennent et où ils vont ainsi que le miracle que représente le moment présent. Ce qui nous arrive aussi bien trop souvent…
Comme pour nos ancêtres en Egypte, ici nous sommes des passeurs de cette tradition plurimillénaire ; le judaïsme nous aide à devenir des hommes et des femmes libres, capables d’avoir un regard critique sur le monde. Il est bien plus difficile de faire un choix éclairé, de garder son libre arbitre, mais c’est cela que nous transmettons ici.
Aux côtés des laïcs qui ont construit cette congrégation, il y a eu depuis 30 ans de nombreux rabbins qui nous ont accompagnés et transmis leur savoir avec beaucoup de bienveillance et de générosité et plus particulièrement ces trois dernières années mon collègue, le rabbin Haim Casas.
Ces femmes et ces hommes venaient de Genève, New York, Paris, Londres, Strasbourg, Cordoue et même Oak Grove, Oregon…certains d’entre eux sont dans la salle aujourd’hui, et je souhaite les remercier chaleureusement pour nous avoir fait grandir, et surtout quitter notre zone de confort. Chacun d’entre vous nous a permis de gravir une nouvelle marche.
Vous êtes une source d’inspiration pour moi à qui il a fallu 10 ans pour passer d’une rive à l’autre, entre le balbutiement d’un projet et sa réalisation : devenir rabbin.
A Londres en juillet dernier, le passage officiel vers le rabbinat a été matérialisé par la remise de la smikha rabbinique par la rabbin Pauline Bebe qui avant de me bénirm’a aussi transmis ses conseils comme toujours emplis de sagesse.
Sans dévoiler le secret de nos échanges, il était question de cette vie entre deux mondes : le profane et le sacré, entre la femme et ses multiples rôles et à présent ce ministère. Ce passage entre deux espaces et aussi entre deux langues, entre deux mondes.
Mon rêve s’est réalisé, mais cela n’est que le début d’une aventure que nous mènerons ensemble, avec l’aide de Dieu.
Je m’engage à continuer à ouvrir largement les portes de cette synagogue, de ce lieu de vie juif, car il y a une multitude de façons de vivre son judaïsme au 21è siècle, loin des dogmes et des crispations communautaires. Un judaïsme qui permet de faire cohabiter en nous nos différentes identités. En cela, je poursuis la tradition juive : être un passeur mais aussi bâtir des ponts. Je m’engage à bâtir un pont de papier, celui du savoir, basé sur la sagesse de nos textes de l’antiquité à nos jours. Un pont entre les générations qui composent cette synagogue, entre Israël et la France, entre les autres religions et le judaïsme.
Je sais que cet avenir ne peut se faire sans chacun/chacune d’entre vous, qu’après trente ans, entre jeunesse et maturité, une association comme la nôtre reste fragile.
Vous êtes nombreux à vous être engagés pour KEREN OR et je vous en remercie, nous allons continuer à travailler tous ensemble, à construire ce partenariat si indispensable entre le conseil d’administration et sa rabbin pour faire rayonner le judaïsme libéral dans la région.
Pour les 30 ans à venir, gageons que nous accompagnerons encore bien plus de familles, à vivre pleinement leurs moments de vie juive, pour en faire des moments uniques qui donneront à leur vie plus de sens et de saveur et leur feront apprécier l’infinie richesse de notre tradition.
Permettez-moi de finir avec cette bénédiction pour KEREN OR
יהוה עז לעמו איתן יהוה יברך את עמו בשלום
Que l’Eternel donne de la force à son peuple, qu’Il le bénisse et lui accorde la paix,
Et une autre pour tous ceux qui nous ont fait l’honneur de partager ce moment :
Que l’Eternel vous garde dans vos allées et venues à présent et à jamais.
Que l’Eternel vous bénisse !
Paracha Bechalah – KEREN OR 7 février 2020
de Daniela Touati
On 8 février 2020
dans Commentaires de la semaine
Le premier janvier j’écoutais distraitement la radio où était interviewé Maxime Zucca un ornithologue et écologiste spécialiste des oiseaux migrateurs.[1] Il venait de publier un livre pour les enfants « écoute les oiseaux chanter » pour les aider à reconnaitre le chant de certaines espèces. Et j’ai été captivée par ces paroles qui m’ont ouvert sur un monde inconnu.
Dans son interview Maxime Zucca nous alertait sur la souffrance des oiseaux à cause du réchauffement climatique. Le printemps précoce dans nos contrées a un impact sur la nourriture de ces oiseaux, les insectes, qui apparaissent eux aussi plus tôt et oblige les volatiles à adapter leurs dates de migration en revenant quatre jours plus tot qu’il y a 20 ans par exemple de l’hémisphère sud. J’ai ainsi appris que certaines espèces parcourent jusqu’à 12000km pour rejoindre l’hémisphère Sud et autant lorsqu’ils reviennent en Europe. Tout un monde à découvrir…
Israel est un lieu de pèlerinage pour ces oiseaux migrateurs[2], et plus spécifiquement le désert du Neguev et la vallée Houla. Il y a quelques années , fin décembre j’étais au Kibboutz Lotan et pu rencontrer un groupe d’au moins trente afficionados observer et photographier ces magnifiques volatiles.
Israel étant à la croisée de 3 continents, 500 millions d’oiseaux traversent son territoire et 550 espèces sont observables par les spécialistes. La Vallée de Houla, est leur dernière halte avant la traversée du plus grand obstacle qu’ils rencontrent sur leur chemin : le désert du Sahara long de 2000 km, où ils ne pourront plus se nourrir.
Contrairement à une idée reçue la plupart des oiseaux migrent seuls, mais les migrations les plus spectaculaires sont celles des étourneaux ou des oies, qui eux migrent en groupe. Ce sont ces groupes qui produisent des sons stridents qui nous font lever la tête, un concert musical qui selon les spécialistes n’a, la plupart du temps, rien de très pacifique. En fait, ils se disputent pour défendre leur territoire ou signaler un danger ! Ca ne vous rappelle rien ?
Pourquoi parler des oiseaux en ce chabbat ? Lors de chabbat shira, le chabbat du chant, que nous lirons demain matin, une coutume ashkénaze veut que nous nourrissions les oiseaux!
Mais qu’ont-ils à voir ces volatiles avec le miracle de la traversée de la Mer Rouge ? D’où vient cette coutume ?[3] Le rabbin Meizlish au 18è siècle expliquait que les oiseaux chantaient lors de la traversée de la mer rouge et ainsi accompagnaient les hébreux en les encourageant en quelque sorte à la traverser ! Les oiseaux sont appelés dans la tradition juive les ‘baalei hashir’ les maitres du chant, ils sont les maitres des cieux et de l’air, l’air avec lequel ils produisent des sons qui nous enchantent.
Une autre explication du Rabbin Moshe Sofer ( Pressbourg, 1762-1839) dit le Hatam Sofer, nous dit qu’il est de coutume de nourrir les oiseaux à chabbat shira car si le peuple juif, qui est comparé à un oiseau se consacrait au respect de la Torah et des Mitsvot, alors Dieu pourvoirait sans peine à ses besoins en nourriture.
Un midrash du Cantique des Cantiques nous dit : « Tout comme une colombe qui rencontre son compagnon ne le quitte jamais pour un autre… tout comme une colombe dont les oisillons sont retirés de son nid n’abandonne toujours pas son nid…, de même le peuple juif reste fidèle à son Dieu ».[4]
Notre peuple est comparé à une tourterelle, ou une colombe, un oiseau de paix. Lorsqu’elles forment une nuée, elles roucouleraient à l’unisson. Mais comme vous le savez rien n’est moins sur ! Petit en nombre mais très divisé, les juifs sont toujours au bord de la rupture, ou de l’implosion.
Dans les années 1990, la communauté juive libérale à Lyon, alors la CJL, qui s’était donné comme symbole une colombe, et s’appelait Brit Shalom l’alliance de paix, a été même plus loin et est allée jusqu’à la rupture.
Ma famille avait rejoint la synagogue libérale de Lyon deux ans avant cette crise. On a connu la déchirure et les tourments de la séparation au sein de la CJL- Brit Shalom. Mais cette scission a aussi été une opportunité, des amitiés solides ont été nouées, et on a tous ensemble mené des projets ambitieux.
A titre personnel, elle m’a permis de me lancer des défis, auprès de l’un des fondateurs du judaïsme libéral lyonnais, Guy Slama qui m’a poussée à prendre des responsabilités d’abord en tant que secrétaire puis présidente.
Cinq ans plus tard en 2007, les administrateurs des deux communautés ont pris conscience de la nécessité de travailler au rassemblement. Avec l’aide de 2 rabbins : François Garaï puis René Pfertzel, des personnes de bonne volonté de chacune des synagogues, nous avons œuvré étape par étape, avec beaucoup de patience et de ténacité, à remettre ensemble ceux qui s’étaient entre-déchirés. Que d’énergie et d’heures passées ?
Le résultat en vaut la peine non ? Il suffit de regarder autour de vous !
Ce chemin vers la paix et la réconciliation est unique en France et j’en suis fière. Même Copernic et le MJLF nous ont récemment copié …
Cette expérience m’a aussi donné l’énergie de me lancer dans le rabbinat.
Alors que nous entamons une quatrième décennie, nous sommes suffisamment mûrs pour regarder avec sérénité et lucidité vers l’avenir en chantant non pas à l’unisson, mais en regardant dans la même direction !
KEREN OR est, je l’espère une deuxième maison pour chacun d’entre vous. C’est un où l’on rentre avec une certaine admiration mêlée de révérence, de respect et d’espoir d’être transformé, de devenir quelqu’un d’un peu meilleur.
Notre synagogue est un lieu pérenne, comme nous ici depuis 30 ans, au service des familles qui en ont besoin au moment où elles en ont besoin. Ces familles ont conscience de la nécessité de ce lieu et s’y investissent chacune selon ses possibilités. Notre synagogue, c’est un groupe d’hommes et de femmes qui évolue mais qui partage le même crédo sur le judaïsme, un judaïsme de progrès, égalitaire, inclusif, qui se questionne et nous questionne. Le/la rabbin de notre synagogue est présent pour accompagner chacun dans les moments de joie et de célébration, mais aussi de crise ou de peine, en offrant une écoute, un lien social et spirituel sur lequel chacun peut compter et ceci ne peut se faire sans la solidarité de tous.
Lorsque chacun est à sa place et remplit sa mission, alors KEREN OR rayonne par tous ses membres, accroit son influence et attire de nouvelles familles.
Dimanche nous célébrerons Tou Bichvat , le nouvel an des arbres, et nous préoccuperons de la nature, des arbres, qui nous permettent de vivre. Ces arbres qui permettent à la vie de se déployer, aux oiseaux de se nourrir, et d’installer des nids et se reposer. Puisse cette synagogue être un arbre de vie pour chacun d’entre vous, avec des racines profondes, un tronc solide et d’innombrables branches représentées par les familles qui nous font l’honneur d’être là et celles qui vont nous rejoindre.
L’Hayim KEREN OR et longue vie !
Chabbat shalom,
[1] https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-01-janvier-2020
[2] https://www.timesofisrael.com/why-israel-is-a-pilgrimage-site-for-birds-and-birdwatchers/
[3] https://schechter.edu/why-is-shabbat-shirah-for-the-birds-2/
[4] Midrash Rabba Cantique des Cantiques 1