Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Catégorie : Commentaires de la semaine Page 10 of 12

Paracha Pinchas –KEREN OR 19 Juillet 2019

« Que les sectaires et les apostats n’aient plus d’espoir, que les hérétiques soient anéantis, que les arrogants et les pêcheurs, tous Tes ennemis et ceux qui Te haïssent soient détruits. »

Ainsi était formulée la douzième bénédiction de la Amida dans les siddourim traditionnels. Appelée ‘birkat haminim’ – la bénédiction contre les hérétiques, elle est attribuée à Samuel Hakatan rabbin du 1er siècle de notre ère, et aurait été ajoutée aux bénédictions originales à une période un peu troublée, celle de la naissance d’une nouvelle religion : le christianisme.

La violence exprimée reflète ce contexte historique où une lutte intestine avait lieu entre les différentes sectes et groupes séparatistes..

Dans notre siddour voilà comment cette bénédiction a été reformulée (p.58) :

« que le mal ne soit plus, que ceux qui sont dans l’erreur reviennent vers Toi et que la cruauté disparaisse bientôt et de nos jours. »

Outre le fait que le texte a été adapté à notre contexte historique, il reflète plus sincèrement notre théologie où les adeptes d’autres religions ou bien ceux qui s’écartent d’un judaïsme traditionnel ne sont plus considérés comme des hérétiques  et nous n’appelons plus à l’anéantissement de ceux qui ne pensent pas comme nous !

Et voilà que cette semaine nous lisons un des récits parmi les plus dérangeants de la Torah, situé à la jonction de deux sidrot Balak et Pinchas. La paracha Balak se termine par l’histoire de Pinchas, petit fils d’Aharon, qui transperce tel un chiche kebab[1] Zimri l’israélite et Kozbi la madianite fille de Tsour, prince de Madian, qui s’adonnent à un acte sexuel sous la Tente d’assignation.

Et notre paracha commence par la réponse divine à ce crime, Pinchas n’est pas puni bien au contraire. D’une part, son acte met fin au fléau ayant décimé 24000 israélites. D’autre part, Dieu conclut avec Pinchas une alliance de paix…étonnant non ? Devant Moise et tous les sages, Pinchas anéantit au nom de Dieu, sans autre forme de procès préalable, ceux qu’il considère comme des hérétiques, un hébreu qui aurait été entrainé par une madianite à adorer leur dieu : Baal Peor.

Dans le texte biblique, il est fait référence au Dieu jaloux, El Kanna qui est calmé par la violence d’un de ses adorateurs Pinchas. Le verset nous dit que c’est grâce à l’emportement zélé – b’kan’o de Pinchas que Dieu a pu calmer sa colère, sa jalousie et son désir de vengeance et n’a pas détruit les Bnei Israel : et kinati betokhem v’lo khiliti et bnei Israel be’tokhem.

Dans la loi orale, en l’occurrence la Mishna[2], les rabbins autorisent le groupe appelé les Kannaim, traduits en grec par le mot zélotes, à tuer s’ils prennent un des leurs en train de copuler avec une femme aramite. Plusieurs conditions assez improbables doivent être réunies pour que cet acte soit permis par les rabbins : qu’un acte sexuel ait lieu et qu’il y ait des témoins. Cela restreint fortement la loi.

Les rabbins postérieurs ont cependant eu des difficultés avec cet acte extra-judiciaire et deux écoles s’affrontent sur le sujet. Selon certains, Pinchas aurait mérité d’être excommunié plutôt que d’être confirmé dans ses fonctions de prêtre et même selon le livre de Josué devenir le Grand Prêtre. Pinchas est un représentant des groupes de zélotes qui ont existé à différentes époques de notre histoire, les Maccabées étaient leurs plus prestigieux représentants, des sortes de soldats de Dieu, et plus tard, lors de la guerre avec les romains, les soldats judéens n’ont pas hésité à massacrer les leurs, sans autre forme de procès, considérés comme des traitres car trop assimilés.

En extrapolant, de tels groupes existent de nos jours, ils se croient aussi investis d’une mission divine et vont au-delà de ce que la Loi exige, ‘lifnim mi-shurat hadin’.  Le zèle ultra-religieux et la bigoterie de certains de nos co-religionaires peut aller jusqu’au meurtre comme nous l’avons malheureusement vu au cours de l’histoire récente.

La question de l’autorité rabbinique revient ici avec force, ainsi que celle de l’évolution de la loi et son interprétation. La Torah et nos rabbins ont eu la sagesse de déclarer que la Loi ne se trouve pas au ciel[3] – ‘lo bashamayyim hi’, mais elle est définie par les humains sous inspiration divine et doit être réinterprétée à chaque génération, pour s’adapter aux nouvelles circonstances. Elle est souple et agile, dans la mesure où elle n’est pas placée dans les mains de jusqu’aux-boutistes qui s’érigent à la place de Dieu. Les manipulateurs de notre religion oublient l’éthique pour se consacrer à une relation exclusive à Dieu, où ils sont convaincus de savoir ce que Dieu attend d’eux. C’est une maladie, qui fait oublier la notion de justice universelle, au profit d’intérêts particularistes.

Dans son livre ‘Mettre Dieu en Second’[4], le rabbin Donniel Hartmann, directeur du Hartmann institute à Jérusalem, arrive à la conclusion qui peut sembler hérétique pour un rabbin, que le fondamentalisme est ce chemin où on s’égare en plaçant Dieu sur un piédestal sacré, en priorité sur toute autre considération.  Ce qu’il nomme la Manipulation voire l’Intoxication par Dieu est en germe dans toute religion monothéiste. Il faut s’en méfier et s’en protéger. L’interprétation pervertie de la notion de peuple élu, rend la maladie encore plus résistante ! La religion est transformée en idéologie. Au lieu de relier, elle aboutit à une fracture qui érige des murs entre les différentes composantes de la société. Au final, elle met Dieu dans une petite case…L’étude de ces textes, la connaissance de leur contexte nous permettent d’avoir un regard distancié et de les manipuler avec beaucoup de précaution, comme cela a été fait dans notre livre de prières. Le judaïsme est un chemin de paix  et de lien à l’autre, et aucun texte ne pourra servir de prétexte à l’intimidation, à l’excommunication voire au crime en son nom.

Ken Yhie ratzon, Shabbat shalom


[1] Expression empruntée au Dr Laliv Clenman, professeure de Talmud au LBC

[2] Mishna Sanhedrin 9:6

[3] Deut. 30:11 et commentaire du Talmud B.M 59b

[4] Rabbi Donniel Hartman, ‘Putting God Second’, Beacon Press Boston, 2016.

Paracha Balak – bat mitsva Talia, 12 juillet 2019

Il était une fois un roi, Balak, roi de Moab, qui souhaitait trouver un moyen de se débarrasser des hébreux, car il les considèrait trop nombreux et craignait qu’ils envahissent son territoire. L’histoire de notre paracha ressemble à un conte pour enfants, avec ses bons et ses méchants, une intervention divine qui se rapproche de la magie avec un âne qui parle, des intrigues et rebondissements. Le ‘héros de l’histoire’, est le ‘prophète’ Balaam, que Dieu ridiculise en lui faisant dire une bénédiction au lieu d’une malédiction le fameux Ma Tovu.

Même si le récit biblique apparait quelque peu naïf et humoristique, il traite avec légèreté de plusieurs thèmes très sérieux qui nous préoccupent jusqu’à nos jours.

Le premier est celui de l’antisémitisme, ou plutôt pour ne pas paraitre anachronique celui de la difficulté des hébreux, comme plus tard des juifs,  à être acceptés par les autres nations, leurs voisins, et la haine que notre peuple inspire. Ceci sera développé par Talia demain dans son dvar torah.

Un deuxième thème, que je souhaite aborder ici est la question de la prophétie.  Qu’est ce qu’un véritable prophète ? Comment les distinguer des imposteurs ? Selon le Tanakh, les véritables prophètes sont appelés à leur mission par Dieu et ils ne courent pas après les honneurs ni l’argent, bien au contraire ils se sacrifient pour leur peuple et leurs convictions éthiques. Alors que Balaam  se montre hésitant entre le ‘parti’ de Dieu et celui, plus lucratif, proposé par le roi de Moab : Balak. Ce dernier veut le couvrir d’or et d’argent en contrepartie de ses paroles de malédiction de notre peuple. La seule ligne de défense de Balaam est ‘ce n’est pas ma faute si je ne peux pas maudire les hébreux, c’est leur Dieu qui met les paroles dans ma bouche et je ne peux pas faire autrement’. Il fait preuve d’arrogance et de légèreté, et le midrash en fait une analyse sans concession, en disant que « Dieu tord la bouche à Balaam et la perce comme un homme qui cloue un cadre au mur ». Balaam, ou Bilaam en hébreu – celui qui avale ses propres paroles – n’a ni volonté propre, ni conscience, pour cette raison, nos rabbins le rangent plutôt dans la catégorie des sorciers plutôt que dans celle des prophètes.

Qu’est ce que le rôle d’un prophète dans le judaïsme ? et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?  

Etre un prophète dans le Tanakh, ce n’est pas prédire l’avenir, mais plutôt dénoncer le présent et son impact probable sur l’avenir : notamment la corruption, l’injustice, l’indifférence des élites et leur hypocrisie qui favorise la pratique rituelle au détriment de l’observance des commandements éthiques…il est souvent très mal perçu. C’est un peu l’oiseau de mauvaise augure, ou l’empêcheur de tourner en rond, car il met en garde ses concitoyens des conséquences de leurs actes.

Il y a une rupture dans la prophétie biblique selon nos Sages, elle s’arrête au temps du premier Exile, à partir du 6e siècle avant notre ère. D’après Maimonide, la raison en est l’état de deuil et de colère des juifs suite à la perte de leur centre spirituel et  la faculté de prophétiser se perd à ce moment-là.

Mais y a-t-il une réelle rupture de la prophétie ? Ne retrouve-t-on pas cet engagement pour la justice et la vérité chez les rabbins postérieurs et surtout certains de nos contemporains ? Quel est le rôle des rabbins, seuls représentants du culte qui subsistent suite à la destruction du 2e Temple ?

L’histoire des ordinations rabbiniques nous montre une grande diversité et évolution des rôles. En étudiant le traité Sanhédrin, je me suis aperçue de la volonté des rabbins de l’Antiquité de dresser une continuité avec les prêtres, par exemple, le terme ‘smicha’ à l’origine se réfère essentiellement aux prêtres qui apposent leurs mains sur les bêtes à sacrifier. Dans son commentaire de la mishna, Kehati dresse un parallèle entre le rituel de l’apposition des mains précédant le sacrifice au Temple, et le terme pour ordonner un rabbin en Israel. On utilise le même mot ‘smicha’, mais il ne veut plus dire la même chose : l’ordination privée d’un rabbin par un autre nécessite aussi de prononcer les mots traditionnels qui sont :

« Yore Yore, Yadin, Yadin ». Il enseignera, il enseignera, il jugera, il jugera.

Dans l’Antiquité, le titre de « rabbi » est conféré seulement en Eretz Israël. En Babylone, l’autre centre du judaïsme, les rabbins se nomment  Rav et ne reçoivent pas de smicha.

Que de chemin parcouru jusqu’à nos jours ! Dans le monde juif traditionnel, un rabbin est ordonné par la même formule jusqu’à nos jours , car il a un rôle d’enseignant et de juge et donc de décisionnaire halakhique. A l’heure où on célèbre les 150 ans de l’organisation de rabbins américaine, le CCAR, qui a été instituée par le rabbin Wise en même temps que la Yeshiva libérale HUC à Cincinatti, regardons quelles sont les spécificités d’une ordination libérale.

Cette formule Yore Yore, Yadin Yadin n’est pas utilisée dans le monde libéral où la smicha est octroyée par un rabbin qui fait partie d’une institution  comme le Leo Baeck et non à titre privé et le rôle de juge est secondaire. On est un Rav veMore, rabbin et enseignant en Israël. A la fois prophète, prêtre et rabbin-professeur on se doit de montrer l’exemple dans ces trois domaines, être le garant du rite, de la transmission et nous engager dans la cité dans les domaines de justice sociale et d’éthique au sens large. Puissions-nous, Haim et moi avoir la force d’être à la hauteur des attentes de KEREN OR et plus généralement du judaïsme libéral dans son ensemble,

Ken Yhie Ratzon,

Shabbat shalom,

West London Synagogue – Discours ordination – 7 Juillet 2019

חלום חלמתי j’ai rêvé un rêve[1]. Mais d’où viennent nos rêves ? Pourquoi on décide soudain de poursuivre l’un d’entre eux et d’en faire une réalité ?

Pour moi, cela a commencé un shabbat de mars 2007, à Jérusalem. Quelques semaines plus tard je devenais présidente de l’UJLL la communauté libérale lyonnaise. A ce titre j’assistais pour la première fois à une conférence de la WUPJ. Comme une éponge, j’absorbais l’intensité du moment.

Le samedi après-midi avait lieu la classique visite de la vieille ville, avec comme guide le rabbin David Wilfond (surnommé haGingi= le rouquin). Notre petit groupe cosmopolite et enthousiaste avait fini cette promenade sur les toits de la vieille ville, en chantant à tue-tête les quelques airs que l’on connaissait tous en hébreu. Le soleil se couchait, le muezzin rappelait ses ouailles, et toutes les cloches sonnaient. Chacun avait sa place, chacun en appelait à Dieu à sa manière, tout semblait baigner dans une sorte d’étonnante et brève félicité. Ce moment suspendu a laissé entrevoir une possibilité, un espoir qui ne m’a plus quitté.

De retour à Lyon, j’avais mis cela de côté pour m’occuper de la bat mitsva de Romane et prendre en charge mes nouvelles responsabilités. Mais ce moment me revenait comme un leitmotiv pour me redonner de la force lorsque le doute ou le découragement me rattrapaient.

L’idée de reprendre des études pour devenir rabbin a commencé à me caresser un an plus tard, mais tout cela me semblait encore bien farfelu et je rangeais cela dans un coin de ma tête, préférant m’occuper des projets professionnels des autres, puisque c’était mon métier.

En avril 2013, l’envie d’être rabbin est revenue en force et a télescopé ce fameux souvenir du shabbat à Jérusalem, et tout s’est mis en place. D’abord d’une voix timide, puis, au fil des semaines, de plus en plus assurée, j’ai partagé mon désir d’être rabbin avec mon entourage. Je me rappelle encore du rire enthousiaste de Pauline[2], René[3] me disant qu’il l’avait toujours su…ou Hervé qui m’a poussée à y croire, des nombreux visages qui m’ont encouragée.

Hineni, me voilà 5 ans plus tard devant vous prête à recevoir ma smikha. Aucun sacrifice, ni obstacle ne m’a détournée de mon rêve, ni les longues soirées d’étude, ni les longs allers et retours en Eurostar, ni la grisaille londonienne (la nourriture était excellente grâce à Graziella ma logeuse italienne).

Comment vous résumer 5 ans aussi essentiels, riches et formateurs ? Ils sont passés comme un rêve dont il ne reste que quelques surimpressions : Nathan[4] me donnant des conseils sur la manière de mener des offices au Leo Baeck; des cours de talmud avec Laliv[5] ou Mark[6], où vraiment je me sentais comme un éléphant dans un magasin de porcelaine ; des conseils avisés d’Alex,[7] d’un cours de chant avec Monica[8], où décidément je croyais que je n’arriverai jamais à chanter ce Kol Nidre…un autre avec Robin[9], qui a su me faire dépasser mes peurs : ‘v’haykar v’haykar lo lefakhed, lo lefakhed klal…’ « l’essentiel est de ne pas avoir peur ».

Je me rappelle de la jolie démonstration de Jeremy[10] concernant la Amida, qui d’après lui devait être dite en sens inverse, ou du prophète Elie dépeint par Charles[11] …un vrai clochard hirsute ! De Déborah[12] qui nous a transmis avec tant de passion son amour du rouleau des Lamentations, à tel point que moi aussi j’en suis tombée amoureuse et réussi à trouver, dans ce dédale de figures bibliques, celle à laquelle je pouvais enfin m’identifier : Sion ! Certes elle était plus symbolique qu’incarnée mais quelle énergie, quelle authenticité !

Tant de moments bénis par la générosité de tous nos professeurs. Désolée de ne pas vous citer tous, car chacun d’entre vous à contribué à me former ou plutôt à me trans-former, tout en restant moi-même.

Et puis, je ne peux oublier ces rabbins ‘tout terrain’ formidables de patience, de sens de l’observation, de transmission, d’écoute : je veux parler en particulier de Richard[13] et Tom[14].

D’autres modèles, d’excellente qualité m’attendent de retour en France : ces trois femmes rabbins quasi-héroïques qui m’ont précédée, dans leur ordre d’entrée en scène : Pauline, Floriane[15] et Delphine[16], chacune à sa façon fait l’histoire au quotidien.

Je serai la 4e de ces mousquetaires. Bientôt trois autres vont se joindre à nous et nous atteindrons le nombre magique : 7!

J’ai hâte de travailler à KEREN OR où, auprès de Haim, je mettrai en place de nouveaux projets qui tissent du lien, entre toutes celles et tous ceux qui ont soif de judaïsme. Et puis si le temps et la santé le permettent, prendre part à des projets ambitieux en France, où de jeunes pousses cherchent à voir le jour, en accompagnant les hommes et les femmes là où ils veulent aller pour renforcer leur identité juive.

Rêver c’est être capable de voir au-delà de la réalité, avoir foi en l’avenir. Et il y a tant de personnes à remercier : mes parents Céline et Alexandre qui ont su voir en moi non seulement leur fille, mais un rabbin. Mon cher mari, Hervé qui a toujours cru en moi, mes enfants Romane et Ivan qui m’ont poussée dans mes retranchements, à faire toujours mieux pour être fiers de leur mère.

Merci à ma famille venue d’Israël et de France, mes amis anglais et français, vous m’avez donné beaucoup de force sur ce chemin pentu !

Merci à tous mes collègues du LEO BAECK COLLEGE, vous allez beaucoup me manquer !

Et last but not least, merci à mes amis, Gershon, Igor et Zahavit, nous avons su être une équipe solidaire et soudée et dépasser des moments extrêmement difficiles. Nous pouvons être fiers de l’amitié qui s’est nouée entre nous, faite de challenge et de solidarité. Un grand mazal tov et b’hatzlakha dans toutes vos entreprises, je vous aime !

Que Dieu vous bénisse !


[1] dit Pharaon en parlant à Joseph, le grand rêveur de la Torah…

[2] Rabbi Pauline Bebe, CJL Paris

[3] Rabbi René Pfertzel, Kingston Synagogue, ancien rabbin de KEREN OR

[4] Rabbi Nathan Godleman, colleague ordained in 2018

[5] Dr Laliv Clenman, professor of Talmud

[6] Rabbi Mark Solomon, lecturer in Talmud

[7] Rabbi Alex Wright, my tutor

[8] Monica Ruttenberg

[9] Robin Samson

[10] Dr Jeremy Schonfield, professor of Liturgy

[11] Rabbi Dr Charles Middleburgh dean of Leo Baeck College

[12] Rabbi Dr Deborah Kahn Harris Principal of Leo baeck College

[13] Rabbi Richard Jacobi synagogue ELELS London

[14] Rabbi Tom Cohen, KEHILAT GESHER, Paris

[15] Rabbin Floriane Chinsky MJLF

Paracha Behoukotaï – KEHILAT GESHER 24 Mai 2019

Vous avez peut être vu ou au moins entendu parler du dernier film de Claude Lelouch ‘Les Plus Belles Années d’Une Vie’. En pleine saison du festival de Cannes, il est difficile d’y échapper. J’avoue que ma première réaction a été de faire la moue, je ne voyais pas l’intérêt de faire une suite à ‘Un Homme et Une Femme’ film sorti l’année de ma naissance, il y a donc fort longtemps ! Et avec des acteurs certes excellents, mais plus de première jeunesse…et puis j’ai relu ce verset de Behoukotai, qui m’a fait réfléchir :

וַאֲכַלְתֶּ֥ם יָשָׁ֖ן נוֹשָׁ֑ן וְיָשָׁ֕ן מִפְּנֵ֥י חָדָ֖שׁ תּוֹצִֽיאוּ׃

Vous pourrez vivre longtemps sur une récolte passée, et vous devrez enlever l’ancienne pour faire place à la nouvelle.’ (Lev. 26 :10)

La traduction non littérale du rabbinat  me semble très intéressante car au lieu de traduire simplement ‘v’ackhaltem’ par ‘vous mangerez’, ils ont traduit par ‘vous pourrez vivre longtemps sur…’. Ceci permet d’élargir le sens premier et de réfléchir à comment on traite ce qui est ancien : la nourriture et les choses matérielles, et aussi par extension ceux qui sont nos anciens. D’une part, cela nous renvoie au fait que le réalisateur s’appuie sur une œuvre ancienne et la renouvelle, en redonnant « une nouvelle vie » au sujet qu’il avait traité en 1966. Comme il le dit lui-même, tous ses films sont une sorte de répétition infinie du même thème : l’amour. Et il est difficile de rester indifférent, même lorsque cela parait un peu sirupeux, quand deux personnes incarnent à l’écran une histoire d’amour si authentique. C’est comme la magie d’une ‘première récolte’ qui dure toute une vie et nous fait nous sentir plus vivants. Les mêmes acteurs, qui ont eux-mêmes vieilli, jouent dans ce nouveau film. Avec beaucoup de pudeur et de tendresse, ils regardent leur vie passée, ce qu’ils en ont fait et surtout comment ils veulent vivre le temps qui leur reste. De longues années après, la même histoire est loin d’être abîmée, elle s’est plutôt bonifiée avec le temps et ils savent saisir cette seconde chance qui leur est donnée.

Comme en écho au message de ce film, cette semaine on célébrait aussi Pessah Sheni, qui selon la tradition donne la possibilité à ceux qui n’étaient pas en état de pureté rituelle à la date prescrite, d’apporter leur sacrifice de Pessah, le 14 Yiar, lundi dernier. Dans le livre des Nombres, Moïse est décontenancé par la demande de ceux qui réclament d’apporter le sacrifice un mois après la date ordonnée, il en réfère à Dieu. La réponse donnée dans la Torah, non seulement à eux, mais aussi aux générations futures, qui se trouveraient dans la même situation d’impureté, ou bien éloignés physiquement du Temple, est une chance de se ‘rattraper’ en célébrant Pessah à une date ultérieure, c’est-à-dire un mois plus tard.

Cette deuxième chance donnée est une belle leçon de la Torah. C’est la possibilité d’apprendre de ses erreurs et c’est aussi celle de revenir, lorsqu’on s’est égaré…

Tous les ans on relit la Torah et pourtant on ne la lit ni de la même façon, ni du même ‘endroit’. Notre cheminement ressemble alors à un voyage en cercles concentriques où on s’éloigne certaines années, ou bien on se rapproche d’autres années ‘du centre’, de l’essentiel. Et les mêmes thèmes qui nous tiennent à cœur reviennent, un peu comme un disque rayé, mais on en a une analyse et une compréhension différentes, et on les exprime avec un autre vocabulaire, ou d’autres images, comme Lelouch dans son film. C’est notre capacité à changer tout en restant intrinsèquement la même personne.

Un peu à l’image du divin, nous sommes à la fois faits de changement et de continuité:

וְנָתַתִּ֥י מִשְׁכָּנִ֖י בְּתוֹכְכֶ֑ם וְלֹֽא־תִגְעַ֥ל נַפְשִׁ֖י אֶתְכֶֽם

וְהִתְהַלַּכְתִּי֙ בְּת֣וֹכְכֶ֔ם וְהָיִ֥יתִי לָכֶ֖ם לֵֽאלֹהִ֑ים וְאַתֶּ֖ם תִּהְיוּ־לִ֥י לְעָֽם׃

Je fixerai ma résidence au milieu de vous, et mon esprit ne se lassera point d’être avec vous; mais je déambulerai parmi vous, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple.’(Lev.26 :11-12).

D’un côté nous avons un Dieu qui s’établit parmi nous de manière immuable. Mais de l’autre, Il marche à nos côtés et nous permet de nous transformer et peut être selon la thèse du philosophe Hans Jonas[1], Dieu, dépendant des humains qu’Il a créés, se laisse aussi changer par eux.

Ces quelques réflexions sur la notion d’ancien et de renouveau m’ont finalement fait évoluer, j’irai voir le film de Lelouch, non pas avec un brin de nostalgie, et un pincement au cœur, ou en regrettant les occasions manquées, mais avec cette croyance en une seconde chance qui peut nous faire vivre une expérience au moins aussi belle la seconde fois, et ensuite il sera temps comme dans le verset, de faire de la place à la curiosité et au goût qu’apportent avec elle ‘une nouvelle récolte’…

Ken Yhie Ratzon, Shabbat Shalom


[1] Hans Jonas, ‘Le concept de Dieu après Auschwitz’

Paracha Behar – KEREN OR 17 Mai 2019

Le rabbin Harry Jacobi MBE (Member of the British Empire) est décédé pendant Pessah à 93 ans.

Il venait de célébrer sa bar mitsva à Berlin en 1938 lorsque ses parents décidèrent de l’envoyer par le kindertransport à Amsterdam. D’Amsterdam, une infirmière lui sauve la vie ainsi qu’à d’autres dizaines d’enfants en l’embarquant sur le dernier bateau en partance pour l’Angleterre. Il ne reverra jamais ses parents, et cette souffrance qui l’aura accompagnée toute sa vie ne l’empêchera pas de mener une vie hors du commun.

A 18 ans, il servait dans le bataillon juif de l’armée britannique en Palestine. Quelques années plus tard, inspiré par le discours du Rabbin Leo Baeck lors de la première conférence post-deuxième guerre mondiale de 1949, il décide à son tour de devenir rabbin. Il transmettra cette passion à deux de ses trois enfants, Richard, un de mes enseignants, qui outre son rôle de rabbin communautaire est le responsable de la formation pratique au Léo Baeck. Et Margaret, Rabbin à Birmingham. Harry parlait couramment 5 langues, c’était un merveilleux conteur et ce malgré le trait commun qu’il avait avec Moise, son bégaiement.

En mars dernier, on lui détecte un cancer de la peau et on lui prédit quelques semaines de vie. Lorsque je lui rends visite quelques jours plus tard, il me salue chaleureusement et me promet d’être présent à l’ordination. 

Comme d’autres hommes et femmes de sa génération que nous regardons partir sur la pointe des pieds, il nous laisse un héritage et un modèle de vie que nous ne pouvons que célébrer. Il est pour moi un exemple de ce que doit être un rabbin : humble, dévoué, authentique, attentif, plein d’humour,  d’humanité, et de générosité.

C’est au cours de diners chabbatiques chez son fils Richard, mon tuteur de stage l’an dernier, que j’ai eu la chance de mieux le connaitre. Il ne manquait pas une occasion pour me transmettre un enseignement, me faire un feedback sur mon drash ou l’office, ou me raconter une bonne histoire. Une vraie complicité s’était nouée entre nous.

Travailleur acharné, jusqu’au dernier moment, il continuait à témoigner de son histoire d’enfant réfugié dans des lieux aussi improbables que la banque d’Angleterre. Il avait tourné un film avec un jeune réfugié syrien pour Amnesty International (que j’ai utilisé à Pessah l’an dernier). En tant que rabbin émérite de Southgate, il recevait la visite hebdomadaire du rabbin titulaire Yuval Keren, qui venait- aussi – lui demander des sages conseils.

Il était rabbin 24h sur 24h. Il ne connaissait pas le mot repos et n’avait jamais pris de congé sabbatique, ce qui est pourtant assez coutumier chez les rabbins anglo-saxons. Je ne sais pas quel aurait été son avis sur ce commandement qui débute notre paracha, et ce qu’il pensait du rapport au temps de notre société de consommation et de loisirs ?

‘Lorsque vous entrerez sur la terre que je vous donne, vous observerez une année sabbatique en l’honneur de Dieu.’ (Lev 25 :2)

En fait dans ce verset apparait un double commandement, d’un côté le repos qui doit être accordé à la terre, et d’autre part celui qui doit être observé par nous humains. Le premier ne s’applique qu’aux hébreux, puis juifs qui habitent sur la terre d’Israel alors qu’il est possible d’observer le second aussi en diaspora.

En ce 21e siècle bien entamé, il me semble important de s’interroger sur notre rapport au temps, comment il a évolué ces dernières années et ce qu’en disent nos textes. Le judaïsme est connu pour avoir apporté à l’humanité cette révolution qu’est le shabbat, un jour de repos hebdomadaire. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que dans la paracha Behar, il faut également cesser de travailler la terre tous les 7 ans, année dite de shmita ou « d’abandon » de la terre à son état non-cultivé. Quant à la 50ème année, dite du Yovel , elle est dédiée à libérer la terre et les esclaves. C’est Heschel qui parle le mieux du rapport qu’entretient le judaïsme avec le temps et la distinction entre le temps profane et sanctifié, ou séparé, mis de coté.

« il y a une réalité du temps où le but n’est pas d’avoir, mais d’être, non pas de posséder, mais de donner, non pas de contrôler mais de partager, non pas de soumettre mais d’être en harmonie. La vie prend un mauvais cours, lorsque le contrôle de l’espace et l’acquisition d’objets…, deviennent notre seul objectif.”

Dans son livre sur le temps dans le judaïsme ‘La clepsydre’, Sylvie Anne Goldberg nous dit que l’instauration du shabbat est « l’imitatio dei » par excellence, on reproduit le geste primordial de Dieu qui se repose une fois son œuvre accomplie.[1] C’est une manière de suspendre le temps et l’histoire, et le shabbat nous donne la possibilité de goûter, comme Dieu, à l’éternité, même si contrairement à Dieu cela reste provisoire.

Dieu jaloux de ses prérogatives, craint, dans la Genèse, que l’homme ne s’élève à son niveau et après avoir goûté à l’arbre de la connaissance ne goûte aussi à l’arbre de la vie et qu’il puisse connaitre l’éternité, effaçant ainsi toute distinction entre humains et Dieu ![2] Alors, l’année sabbatique et le jubilée seraient des concessions supplémentaires de Dieu à notre finitude ? Que fait-on, pauvres humains, d’un temps d’arrêt qui dure une année ?

Ce temps d’arrêt, sans programme, horaire ou contenu peut faire peur à beaucoup d’entre nous. Le vide nous oblige à nous tourner vers nous-même, et parfois à voir notre vide intérieur. Cela peut s’avérer angoissant. Il est beaucoup plus confortable d’être passivement pris dans un tourbillon d’activités, que ce soit pour le travail ou pour les loisirs. Une vie remplie à ras bord peut aussi donner l’illusion d’être immortels, alors que malheureusement nous sommes tous irrémédiablement soumis à l’obsolescence naturelle de nos cellules.

Mais d’autres verront dans l’année sabbatique une opportunité de réfléchir, de prendre du recul, de considérer à quel point le temps est notre bien le plus précieux sur cette terre, et d’en faire bon usage. C’est comme un rappel cyclique qu’étant faits à l’image de Dieu nous avons l’obligation de donner plus de sens à nos vies.

Cette année sabbatique qui, comme son nom l’indique revient tous les 7 ans, et donc au maximum 4 fois au cours d’une vie professionnelle, a été instaurée dans la vie profane – i.e. en entreprise pour donner la possibilité de prendre ce temps pour réaliser un projet qui tient à cœur, voire changer d’orientation. Ce n’est par conséquent pas un moment de vide, comme le shabbat ne l’est pas non plus, mais un moment de plein, de reconnexion, à nous-même, aux autres et à ce qui est précieux et donne le plus de sens à notre vie. Ainsi, il est de coutume pour les rabbins anglais qui en bénéficient, de prendre ce temps pour travailler sur un projet d’écriture de livre, enseigner ou étudier en dehors des murs de la synagogue. L’année sabbatique, comme le shabbat, sont deux concepts révolutionnaires et sacrés introduits par le judaïsme, nous pouvons en être fiers et continuer à les promouvoir.

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom,


[1] Mircea Eliade : ‘le mythe de l’éternel retour’

[2] Genèse 3:22

Shabbat Emor – Kehilat Gesher 10 Mai 2019

Les dix jours qui viennent de s’écouler sont parmi les plus intenses du calendrier en Israël mais aussi pour nous juifs de diaspora. Entre Yom HaShoah (veHagvura), Yom HaZikaron et Yom HaAtzmaout, qu’on vive ici ou là-bas, ce sont les montagnes russes émotionnelles. Tant de nos coreligionnaires sont tombés, qui dans des camps de l’horreur et qui au champ d’honneur. Même s’ils ne sont pas directement de notre famille ou de nos amis, il nous reste les noms, une photo et parfois quelques bribes de récit, de ces hommes, femmes et enfants. Et nous ressentons une immense peine lorsque leurs noms sont récités à voix haute dans nos villes ou égrenés à la télévision israélienne le jour de Yom HaZikaron.

Ces commémorations si rapprochées, même si elles n’ont pas de lien direct, finissent par unir les civils et les soldats qui sont morts ou ont été assassinés parce que juifs, résolus à défendre leur identité, puis leur autonomie sur leur terre, depuis un siècle voire davantage. Ces morts, injustes, prématurées et violentes, nous incitent à rechercher malgré tout un sens pour continuer à vivre et à défendre ce que nous sommes en tant que juifs. Cette inspiration, je l’ai trouvée pour ma part le jour de Yom HaZikaron en lisant un article dans Yediot Aharonot (posté sur FB par la chanteuse Noa) de l’ancien chef de l’état-major de Tzahal  Yair Golan, (il a quitté ses fonctions en 2016).

Golan commence par une expression répétée tous les ans lors de la commémoration de Yom HaZikaron, issue d’un poème de H N Bialik : ‘car à travers leur mort, ils nous ont commandé de vivre et à travers leurs actes et leur conduite, ceux qui ne sont plus sont pour nous des modèles de vie.’ Il se pose la question de ce qu’est cette exemplarité, et cet héroïsme ? Comment ces morts pour Israël peuvent encore nous inspirer ? Et il cite celui qu’il appelle son professeur et son rabbin, Yitzhak Sade, mort avant la naissance de Golan, il fut l’un des fondateurs du Palmach, puis de la Hagannah et le chef d’état-major de Tzahal à sa création. L’’ancien’ comme le surnommaient ses camarades soldats, n’était pas rabbin, mais il avait écrit plusieurs essais qui ont défini l’éthique de l’armée israélienne. Sade disait que ce qui définit l’héroïsme c’est le sens du sacrifice et il n’est pas seulement réservé aux soldats. C’est héroïsme est empreint d’humanisme, d’engagement, et d’amour du prochain, quel qu’il soit. Sans amour du prochain, il n’y a pas de sacrifice disait Sade.

Les qualités humaines que Sade décrit peuvent se résumer dans le concept de Kiddoush HaShem sanctification du nom qui figure dans notre paracha je cite (Lev.22 :31-32) :

‘Gardez mes commandements et pratiquez-les: je suis l’Éternel. Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie.’

Selon Nechama Leibowitz, ces versets sont un appel général adressé de manière indifférenciée à tout le peuple concernant la sanctification du Nom et un avertissement à l’encontre de son opposé : la profanation du Nom de Dieu.[1] Ces deux notions ne sont pas toujours faciles à comprendre.

C’est à travers notre comportement exemplaire que nous montrons notre amour envers Dieu. Cela commence par l’étude de la Torah puis par son enseignement, qui donnent les clés pour aimer son prochain, être honnête en affaires et en toute situation, et c’est notre publicité de ce qu’est le judaïsme aux autres peuple. C’est ainsi qu’est défini la sanctification du Nom dans le traité Yoma 86a.

A contrario le Hilloul HaShem, nous dit le Talmud, s’applique à quelqu’un qui a étudié la Torah et les préceptes MAIS ne se comporte pas avec bienveillance envers son prochain et n’est pas honnête en affaires, ainsi il déshonore son peuple et son prochain, et fait une très mauvaise publicité au judaïsme. 

Le 30 avril un article du Times Of Israel reprenait les accusations de la chaine 13  de la télévision israélienne contre deux rabbins, Eliezer Kashtiel et Giora Redler, formateurs de l’académie prémilitaire d’Eli et de la Yeshiva Bnei David (toutes deux situées en Cisjordanie et de tendance sioniste religieuse). Dans des enregistrements en caméra cachée, Eliezer Kashtiel affirmait que les arabes avaient des problèmes génétiques et étaient des êtres inférieurs. Quant à son collègue Redler il disait, je le cite : « la véritable Shoah ce n’est pas quand ils ont assassiné les Juifs…l’humanisme et la culture laïque de ‘nous croyons en l’Homme’, c’est ça la Shoah. » Bien sur ces paroles une fois rendues publiques ont été fermement condamnées, par des députés de l’opposition qui ont demandé à couper les vivres à ces académies …Mais le mal était fait. Ils avaient violemment profané le nom de Dieu.

D’un côté, on se sent mortifiés par les paroles de ces rabbins, qui occupent une position d’autorité et d’influence auprès de la jeunesse israélienne. Ces dérives de la parole et de la pensée sont à présent monnaie courante dans de nombreux pays, mais on espérait qu’Israël ferait exception en ce domaine.

De l’autre côté, on est favorablement surpris de trouver tant de sagesse, d’humilité et de clairvoyance inspirée par un authentique ‘kiddoush haShem’, dans les paroles d’un ancien Major de l’armée…

Je voudrais finir en citant l’écrivain David Grossmann, ces quelques mots qu’il avait écrit à la mémoire de son fils Uri, mort pendant la deuxième guerre du Liban en 2006 :

« [Mais] j’ai appris d’Uri [..] Que nous devons certes nous défendre. Mais ceci dans les deux sens : défendre nos vies, mais aussi s’obstiner à protéger notre âme, s’obstiner à la préserver de la tentation de la force et des pensées simplistes, de la défiguration du cynisme, de la contamination du cœur et du mépris de l’individu qui sont la vraie, grande malédiction de ceux qui vivent dans une zone de tragédie comme la nôtre. »

C’est un défi quotidien de vivre en respectant nos préceptes dans ce jeune pays en guerre qu’est Israël. Le Deutéronome nous dit qu’à chaque instant nous avons le choix entre la vie et le bien, la mort et le mal, et il nous est commandé de choisir la vie, en aimant l’Eternel, en suivant ses voies, et je rajouterai, en sanctifiant son Nom par nos actions de tous les jours.

En ce 71e anniversaire, que l’Eternel bénisse et garde l’Etat d’Israël, et qu’Il lui accorde la paix !

Ken Yhie Ratzon, Shabbat shalom !


[1] Nechama Leibowitz, Studies in Vayikra, p212

Paracha Kedoshim – Kehilat Yehudit, Nice 03 Mai 2019

קדושים תהיו כי קדוש אני יהוה אלוהיכם  (lev 19 :2).

Ce verset qui débute la paracha Kedoshim donne lieu à pléthore d’interprétations et contresens…quelle est cette notion de Kedusha – traduit habituellement par sainteté, partie intégrante de l’identité juive ? La première occurrence du mot kadosh qui a pour racine kuf dalet shin apparait dans Genèse 2:3 lorsque Dieu sanctifie le shabbat. Comme la plupart des racines hébraïques, le mot kadosh est polysémique : il signifie ‘saint’, mis de coté et renvoie aussi à la notion de retrait et de désengagement (ici du quotidien). C’est donc le temps qui est sanctifié en premier, c’est un accomplissement du travail de Création. Le shabbat est séparé des autres jours de la semaine.

Dans notre paracha cette injonction à la sainteté est immédiatement suivie par deux autres:

1/ d’une part la révérence – ir’ah (ou terreur)  que nous devons manifester envers nos parents, similaire à celle que nous devons manifester envers Dieu.

2/ et d’autre part, le respect du shabbat.

Les deux sont aussi importants, et ceci nous rappelle comme le précise Rachi, qu’au cas où nos parents nous induiraient en erreur, en nous détournant du commandement du respect du shabbat, nous devons au contraire, résister, en suivant le précepte du respect du shabbat.

Dans un sermon datant de janvier 1957, le rabbin anglais John Rayner dresse une liste de tout ce qui est sanctifié et ainsi ‘séparé’ dans le judaïsme. Le temps comme nous venons de le voir mais aussi des objets, des personnes, des lieux. Le shabbat et les fêtes – mikrae kodesh, les prêtres kohanim, Israel – la terre sainte eretz hakodesh, le Temple – Beit haMikdash , Jérusalem Yir hakodesh, le peuple am kadosh, mais aussi la Torah –torat hakodesh et la langue hébraïque – lashon hakodesh…Il y a aussi des actes considérés saints comme le mariage où le futur mari dit une bénédiction par laquelle sa future femme lui est consacrée : הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל.

Lors d’un décès, les bénévoles de la Hevra Kadisha prennent en charge l’un des commandements le plus difficile qui soit, parce qu’il exige beaucoup de compassion et est totalement désintéressé, c’est un acte de sainteté. Le travail de la Hevra Kadisha est méconnu et reste pour la plupart d’entre nous centré sur la toilette rituelle alors qu’il va bien au-delà avec la prise en charge et l’accompagnement de la famille endeuillée..!

D’où provient cette sainteté ? C’est Dieu qui la confère: que ce soit au temps, ou encore aux actes et aux objets. Mais surtout à nous les humains qui en respectant les commandements nous permet d’y accéder.

La liturgie elle-même nous parle de cette sainteté. Lors de la Amida et la prière dite de la Kedusha ne dit-on pas à trois reprises « kadosh kadosh kadosh » en se levant sur nos pointes de pieds comme si nous attendions de recevoir une petite aspersion de sainteté ?

Neshama Leibowitz précise que le verset de Kedoshim a une formulation particulière, ‘daber el kol adat bnei Israel’ : ce commandement doit être dit devant toute la communauté. La sainteté – Kedusha est égalitaire et concerne tout un chacun, pas seulement une certaine caste, celle des prêtres par ex.

A contrario, son frère Yeshayahou Leibowitz nous alerte contre le danger d’une certaine interprétation qui nous amène à croire que tout le peuple d’Israël de par sa nature même est saint, que nous ne sommes, par conséquent, pas responsables de nos actes, mais somme des élus passifs de Dieu. D’ailleurs dans la bénédiction sur le vin du kiddush que nous réciterons bientôt, l’élection est juxtaposée à la kedusha : « ki vanu vakharta  veotanou kidashta (mikol haamim)» : « car Tu nous as choisis et nous a sanctifiés parmi tous les peuples  » les deux semblent intimement liés…l’élection est une notion très mal comprise et définie à tort comme une forme de supériorité. Même en corrigeant l’erreur d’interprétation, vers son sens réel, de responsabilité, nous sommes mal à l’aise avec l’idée de séparation, de mise à l’écart, de ghettoïsation, qu’implique parfois la kedusha. Surtout si nous sommes plutôt portés vers l’universalisme !

Or une lecture distanciée de la notion de kedusha peut au contraire nous réconcilier avec cette idée et nous donner goût à sa pratique.

Si nous vivons tous les jours de manière indifférenciée, sans mettre de côté un temps pour souffler, nous ressourcer, réfléchir, échanger avec ceux qui nous sont chers, n’est-ce pas nous condamner à mourir ? Si nous ne pensons qu’à nous-mêmes et préférons les plaisirs en petit comité, séparés d’une kehila – d’une communauté, combien de temps survivrons-nous ? Si nous ne marquons pas par des rituels les moments importants de notre vie, qu’en restera-t-il?

C’est en cela que la sainteté est précieuse, c’est un espace-temps et un temps-relation qui est mis à part et qui est traité de manière distincte, avec beaucoup de soin et de respect.

Le rabbin John Rayner nous dit encore, « Dieu nous a sanctifiés par ces commandements et en contrepartie il nous est aussi demandé de sanctifier Dieu ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Peut-être est-ce agir en ayant conscience de sa propre kedusha-sainteté ? C’est-à-dire être très exigeant envers soi-même et son comportement envers autrui et dans le monde en général. N’oublions pas que ce n’est pas un privilège mais une responsabilité sainte ! Le rabbin Rayner nous dit aussi que c’est le plus haut degré de pureté qu’une personne peut atteindre, non pas une pureté rituelle mais une pureté de cœur et d’esprit.

La kedusha c’est être prêt à donner le meilleur de soi-même, à mettre tout son talent à l’ouvrage. C’est être engagé, diligent mais aussi rechercher une grande qualité d’exécution dans son travail qu’il soit rémunéré ou bénévole, dans la mesure où il nous tient à coeur.

En ces temps troublés, où nous sommes pris en tenaille entre ces barbares dits ‘religieux’, et des hommes et femmes politiques qui prônent un retour au populisme et/ou au fascisme, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, pour semer en nous et autour de nous ces graines de kedusha afin que ce monde soit plus vivable.

Nous avons de la chance de pouvoir temporairement laisser le profane et le quotidien à l’extérieur. Profitons de ce temps à part pour partager en cette – kehila kedosha – jeune pousse, dont il faut prendre soin et aider à grandir et à s’épanouir- un moment de complétude et de paix, de shlemut et de shalom !

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom,

Paracha Tazria – Kehilat Gesher 5 Avril 2019

Exanthème, dartre, teigne, ulcère, tumeur, lèpre. Le Tanakh  s’est transformé ce shabbat en une sorte de traité médical, un Vidal de l’antiquité, pour nous parler d’un sujet peu appétissant : toutes les formes d’éruptions cutanées dont étaient infestés nos ancêtres les hébreux.


Aux chapitres 13 et 14 du Lévitique ces afflictions sont décrites avec détail de couleur, forme, taille et inclusion ou non de poil. Les termes hébraïques ont été difficiles à traduire dans la langue vernaculaire, car on ne sait pas vraiment à quoi ils se réfèrent et de quelles maladies de peau il s’agit ?

Faute de médecin, ce sont les prêtres – Cohanim qui dans l’Antiquité jouaient le rôle de guérisseurs. Ils devaient examiner sous toutes les coutures des parties parfois intimes des malades et les déclarer purs ou impurs, c’est-à-dire pouvant rester ou non dans le camp des israélites.

Les rabbins ont essayé de donner un sens à ce texte : si une telle maladie affecte un des leurs et les rend impurs, les oblige à rester en quarantaine, il y a bien une raison. Ce serait une punition divine. Mais quelle en était la raison ?

La première occurrence du terme tsaraat  apparait au chapitre 4 de l’Exode. Cela se passe après que Dieu se révèle à Moïse dans l’épisode du buisson ardent, et lui confie la mission de sortir son peuple de la servitude. Ce dernier se fait tirer l’oreille et refuse de prendre le leadership de son peuple. Il donne deux raisons : le peuple ne l’écoutera pas et ne le croira pas. L’Eternel pour convaincre Moise accomplit quelques prodiges. Il lui fait jeter son bâton à terre qui se transforme en serpent, puis lui demande de le rattraper alors le serpent redevient un bâton. Moïse doit ensuite mettre sa main en son sein, celle-ci devient blanche de lèpre puis quand il la ressort, elle redevient à nouveau normale.

de l’Exode v. 6:  ‘והנה ידו מצורעת כשלג’  ‘Et voici sa main est lépreuse comme la neige’.

Dans son commentaire basé sur le midrash Exode Rabbah 3 :13, Rashi en déduit que le bâton se transformant en serpent fait référence à sa médisance envers les israélites. C’est ainsi qu’est interprété son manque de confiance en son peuple. Comme sa main cachée, la médisance se pratique en cachette et mérite la peine de mort: ‘quiconque dans l’ombre calomnie son prochain, je l’anéantirai’ dit le psalmiste (101).

Mais essayons pour quelques instants de nous mettre dans la peau de nos Sages et de la logique qui leur a inspirés cette explication concernant la ‘tsaraat’. Quels sont donc les points communs entre les deux ?

Cette maladie de peau commence silencieusement puis petit à petit se répand, cachée au début, bientôt, elle va envahir tout le corps et sera visible de tous. Elle est non seulement désagréable mais défigure et enlaidit. Par-dessus tout, elle est contagieuse !

Le Lashon haRa est aussi une maladie contagieuse qui nous enlaidit. Nos Sages lui ont consacré de nombreuses halakhot. Ils ont composé un glossaire qui distingue les différentes formes de médisance.

Dans la Torah n’apparait que le terme Rekhilut: qui est l’interdiction de faire du commérage, et même de révéler l’opinion individuelle distincte de la décision d’un groupe.

Dans le talmud d’autres termes ont été ajoutés.

le Halbanat panim : l’interdiction d’humilier quelqu’un en public et la violence verbale.

le Lashon haRa qui est l’interdiction formelle de révéler explicitement ou implicitement, publiquement ou en privé, des vraies ou fausses informations concernant notre prochain sans sa permission. La seule circonstance dans laquelle le Lashon HaRa est permis est devant un Beit Din lorsqu’un témoignage est nécessaire. La médisance est une des transgressions les plus sévères, car elle a non seulement des conséquences psychologiques, sur la réputation de la personne ou du groupe, mais également physiques selon le midrash. C’est une plaie et on n’en sort pas indemne.

Baal Makhloket se dit d’un fauteur de troubles, c’est le seul contre lequel il est permis de faire du Lashon haRa.

Un dernier terme de ce glossaire mérite qu’on s’y arrête: le Motzi Shem Ra, c’est le stade au-dessus du Lashon haRa, qui est l’interdiction de diffamer et de calomnier. Dans le talmud, les rabbins ont fait le rapprochement entre le comportement de Myriam (et aussi d’Aharon) lorsqu’ils diffament Tzipora -la Koushit (la noire ?), la femme de Moïse. Cependant seule Myriam est frappée par la lèpre. Aharon et Moïse intercèdent en faveur de leur sœur pour la sauver du sort qui l’attend, et après 7 jours de quarantaine, elle est finalement guérie-et pardonnée par Dieu.  Les rabbins n’ont pas manqué de rapprocheret metzora et motzi shem ra qui serait son extension…celui qui ‘sort un mauvais nom’ autrement dit qui salit la réputation de quelqu’un.

Comme chacun le sait, la tentation de médire est irrépressible, de quoi seraient faites nos conversations si nous ne pouvions plus nous laisser aller à dire du mal de notre voisin ? Il nous faut cependant prendre conscience que la médisance et la calomnie, qui ont pris encore plus d’essor grâce ou à cause des réseaux sociaux, sont des maladies anciennes qui s’attaquent au lien social. Elles abiment aussi nos démocraties. Elles mettent en danger nos jeunes.

Les mots deviennent nos maux et nous empêchent d’entretenir des relations saines et dignes avec notre entourage. Aujourd’hui les psys et parfois aussi les rabbins se sont substitués au rôle joué par les Cohanim et au rituel qu’ils avaient mis en place. Car ces dérives de nos comportements peuvent aller jusqu’à porter préjudice, de manière insidieuse, à nos synagogues.

Alors que faire ? être chacun attentif à sa parole, et préserver notre langue de la médisance. Car comme le dit un de nos Proverbes 18:21

« La mort et la vie sont dans le pouvoir de la langue »…alors tentons de mettre plus de vie dans nos paroles.

Ken Yhie ratzon,

Hodesh Tov et Shabbat shalom !

Shabbat Pekoudei – KEHILAT GESHER 8 mars 2019

Car une nuée divine couvrait le Tabernacle durant le jour et un feu y brillait la nuit, aux yeux de toute la maison d’Israël, dans toutes leurs stations.

כִּי עֲנַן יְהוָה עַל-הַמִּשְׁכָּן, יוֹמָם, וְאֵשׁ, תִּהְיֶה לַיְלָה בּוֹ–לְעֵינֵי כָל-בֵּית-יִשְׂרָאֵל, בְּכָל-מַסְעֵיהֶם

Ainsi s’achève le livre de l’Exode ou livre des Noms – Shemot – que nous finirons de lire demain matin. C’est le livre qui a vu la naissance de notre peuple et le début de ses pérégrinations sous l’œil attentif de l’Eternel. Après s’être enfuis d’un lieu et d’une monarchie qui les avaient maintenus en esclavage, ils se sont dirigés lentement mais sûrement vers leur libération.

Cette expérience de la libération, il nous est demandé de la revivre tous les ans à Pessah comme si nous aussi, nous avions vécu l’esclavage en Egypte, dans ce lieu qui nous avait maintenu dans une étroitesse à la fois morale et physique. La libération est un objectif qui n’a pas de prix et n’a pas de moment. C’est ainsi que pour ma part, j’ai hâte de me libérer de cette tâche qui m’a été imposée pour obtenir ma smikha : l’écriture de mon mémoire. Cela fait deux mois que je suis enfermée chez moi, essayant de me plier à une stricte discipline pour aboutir dans les délais impartis à un résultat de recherche personnelle, qui se veut aussi un guide pour les années qu’il me sera donné d’exercer le métier de rabbin.

Celles et ceux qui se sont essayés à l’écriture, toutes proportions gardées, savent que c’est un exercice ardu, qu’il s’agit d’un véritable accouchement qui ne se fait pas sans douleur…C’est comparable à une délivrance.

Mon sujet de recherche porte sur la question suivante : comment la voix de Sion dans le livre des Lamentations peut nous aider à restaurer notre relation à Dieu ? J’ai choisi de mettre en dialogue Sion dans le livre des Lamentations et le Dieu qui pleure la destruction du Temple et de son peuple, dans une section de Lamentations Rabbah, pour finir par une proposition liturgique pour l’office communautaire d’Yizkor. Sion représente, selon certaines lectures, la ville de Jérusalem ou le Temple ou tout Israël (peuple, et terre)  ou encore une femme, une veuve, une jeune femme…de quoi s’identifier ou en faire un paradigme.

C’est un sujet essentiellement théologique qui interroge la relation à Dieu et à l’autre dans un monde habité par la violence et la souffrance.

Dans le livre des Lamentations, cette voix féminine demande des comptes à Dieu concernant son laisser-faire qui aboutit à la destruction de notre centre spirituel – le Temple et au génocide d’une partie conséquente de notre peuple, les habitants de Jérusalem décimés par les babyloniens en 586 avant notre ère. Comment a-t-Il pu laisser faire une telle catastrophe, quelle faute mérite une telle punition et humiliation, demande Sion ?

Ce sujet m’a beaucoup inspirée, car issue d’une famille qui a survécu à la Shoah, j’ai baigné dans une atmosphère de révolte et de rejet du judaïsme, vécu comme la marque de Cain. Et il m’a fallu un long cheminement pour revenir à la tradition de mes ancêtres avec un peu de sérénité et de foi. En étant une femme, le judaïsme traditionnel ne m’offrait qu’un strapontin et pas mal de mépris. C’est en découvrant le judaïsme libéral à Copernic, que j’ai trouvé ma ‘maison’ il y a plus de 25 ans. Comme le dit le verset plus haut, à partir de ce moment-là la nuée divine m’a accompagnée dans mon parcours, j’ai osé prendre plus de risques, étudier, lire dans la Torah, porter une kippa, un talit…même si les tefillin restent encore une étape à franchir.

Cela a été rendu possible par celles et ceux qui m’ont précédés, qui ont pris des risques, ont interrogé la nécessité d’actualiser un certain nombre de nos préceptes. Ils ont poussé les limites et ouvert des chemins nouveaux.

Israel Abrahams a été un des plus grands savants du judaïsme anglais à la fin du 19e et au début du 20è siècle. Professeur au Jews College le séminaire orthodoxe anglais et successeur de Solomon Schechter comme professeur de Talmud à Cambridge, il a été un des principaux inspirateurs du judaïsme anglais y compris libéral, grâce à son ouverture d’esprit et à sa vision de l’évolution de la tradition. Il la voyait comme une chance, voire une nécessité. Il disait à propos de la liturgie :

« La formulation de la vérité la plus haute nécessite une constante réévaluation, surtout lorsque la vérité est engoncée dans des habits. Quand le dogme prend la place de l’amour, la religion meurt. Et une liturgie qui ne peut évoluer, qui ne peut s’imprégner de l’enseignement religieux de l’époque, qui n’ose chanter à l’Eternel de nouveaux chants, une telle liturgie est une page imprimée, ce n’est pas une prière fraiche qui vient d’un cœur qui supplie.» 

C’est exactement cette vision du judaïsme qui m’a accompagnée dans les étapes de mon rapprochement de ma religion.

C’est également ce qui m’a guidée dans l’écriture de ce mémoire, je me suis questionnée sur ce qui permettait non seulement de ne pas rompre le lien avec Dieu et par ricochet avec l’autre, mais au contraire de le maintenir, le réparer et le renouveler, en inventant ‘un chant nouveau’.

Car nous vivons une période particulièrement troublée, où la méfiance vis à vis de l’autre, celui/celle qui ne se comporte pas comme nous, ne pense pas comme nous, ne fait pas partie du ‘même’ si cher aux algorithmes facebookiens, fait peur et nous menace. Cette distance ne fait que s’exacerber et tend à se transformer en confrontation violente…J’ai souhaité démontrer qu’en ajoutant davantage d’ingrédients dits féminins à notre cuisine relationnelle, en usant de courage, d’endurance face à la souffrance, d’empathie et d’écoute, qualités traditionnellement attribuées à notre part féminine, il était possible de renverser la tendance.

Le rabbin Pauline Bebe écrivait récemment sur le site Ecritures et spiritualités :

« [Et puis] il faut faire ensemble, tisser des liens avec ceux qui ne sont pas les mêmes car lorsque l’on marche ensemble, lorsque l’on mange ensemble, lorsque l’on rit ou l’on pleure, que l’on partage ses passions, ses secrets, on ne peut plus se haïr. »

C’est cela démultiplier l’image de Dieu sur terre, c’est cela construire le Temple symbolique dont nous avons tous besoin, c’est cela sanctifier le Nom de Dieu. Cheminer en ayant ces préceptes comme guides est l’assurance de préserver le cœur du judaïsme, tout en instillant le changement nécessaire, afin que chacun se sente à sa place, en lien avec l’autre et avec le Tout.

Ken Yhie Ratzon,

Hodesh tov et Shabbat shalom !

Paracha Vayigash – KEREN OR 14 Décembre 2018

 

Et Pharaon demande à Jacob : combien sont les années de ta vie (Genèse 47:8)? Quel est ton âge autrement dit ? C’est une drôle de manière de saluer et d’entrer en relation avec quelqu’un lorsqu’on le rencontre pour la première fois, n’est-ce pas ? Pharaon ne fait pas preuve d’un grand tact. Du moins, selon nos critères, en ces temps-ci et dans nos contrées. Mais ce monarque de droit divin est un quasi Dieu et il a tous les droits. Ce premier dialogue entre eux peut aussi se lire autrement : peut-être sont-ce les signes d’une amitié et intimité spontanées entre les deux hommes, dès leur première entrevue ?

Le commentaire de Nachmanide sur ce verset est le suivant : Jacob avait l’air tellement usé que la première question venue aux lèvres de Pharaon était celle concernant son âge. Et il poursuit, Pharaon n’avait pas l’habitude de voir des personnes aussi âgées en Egypte, sous-entendu, l’espérance de vie des hébreux étaient supérieure à celle des Egyptiens…Mais un autre commentaire vient un peu pondérer le chauvinisme apparent de cette analyse. En fait Jacob était moins âgé que les patriarches qui l’ont précédés mais avait l’air très vieux, ses tourments l’avaient marqués psychiquement et physiquement.

Plus étonnante encore et lapidaire est la réponse de Jacob : « yemey shnei megurei shloshim oumeat shana , meat veraym hayou ymey shnei hayyaï ». (Gen 47:9)

« Et Jacob répondit à Pharaon: ‘Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. II a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations.’  »

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