Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

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Paracha Behoukotaï – KEHILAT GESHER 24 Mai 2019

Vous avez peut être vu ou au moins entendu parler du dernier film de Claude Lelouch ‘Les Plus Belles Années d’Une Vie’. En pleine saison du festival de Cannes, il est difficile d’y échapper. J’avoue que ma première réaction a été de faire la moue, je ne voyais pas l’intérêt de faire une suite à ‘Un Homme et Une Femme’ film sorti l’année de ma naissance, il y a donc fort longtemps ! Et avec des acteurs certes excellents, mais plus de première jeunesse…et puis j’ai relu ce verset de Behoukotai, qui m’a fait réfléchir :

וַאֲכַלְתֶּ֥ם יָשָׁ֖ן נוֹשָׁ֑ן וְיָשָׁ֕ן מִפְּנֵ֥י חָדָ֖שׁ תּוֹצִֽיאוּ׃

Vous pourrez vivre longtemps sur une récolte passée, et vous devrez enlever l’ancienne pour faire place à la nouvelle.’ (Lev. 26 :10)

La traduction non littérale du rabbinat  me semble très intéressante car au lieu de traduire simplement ‘v’ackhaltem’ par ‘vous mangerez’, ils ont traduit par ‘vous pourrez vivre longtemps sur…’. Ceci permet d’élargir le sens premier et de réfléchir à comment on traite ce qui est ancien : la nourriture et les choses matérielles, et aussi par extension ceux qui sont nos anciens. D’une part, cela nous renvoie au fait que le réalisateur s’appuie sur une œuvre ancienne et la renouvelle, en redonnant « une nouvelle vie » au sujet qu’il avait traité en 1966. Comme il le dit lui-même, tous ses films sont une sorte de répétition infinie du même thème : l’amour. Et il est difficile de rester indifférent, même lorsque cela parait un peu sirupeux, quand deux personnes incarnent à l’écran une histoire d’amour si authentique. C’est comme la magie d’une ‘première récolte’ qui dure toute une vie et nous fait nous sentir plus vivants. Les mêmes acteurs, qui ont eux-mêmes vieilli, jouent dans ce nouveau film. Avec beaucoup de pudeur et de tendresse, ils regardent leur vie passée, ce qu’ils en ont fait et surtout comment ils veulent vivre le temps qui leur reste. De longues années après, la même histoire est loin d’être abîmée, elle s’est plutôt bonifiée avec le temps et ils savent saisir cette seconde chance qui leur est donnée.

Comme en écho au message de ce film, cette semaine on célébrait aussi Pessah Sheni, qui selon la tradition donne la possibilité à ceux qui n’étaient pas en état de pureté rituelle à la date prescrite, d’apporter leur sacrifice de Pessah, le 14 Yiar, lundi dernier. Dans le livre des Nombres, Moïse est décontenancé par la demande de ceux qui réclament d’apporter le sacrifice un mois après la date ordonnée, il en réfère à Dieu. La réponse donnée dans la Torah, non seulement à eux, mais aussi aux générations futures, qui se trouveraient dans la même situation d’impureté, ou bien éloignés physiquement du Temple, est une chance de se ‘rattraper’ en célébrant Pessah à une date ultérieure, c’est-à-dire un mois plus tard.

Cette deuxième chance donnée est une belle leçon de la Torah. C’est la possibilité d’apprendre de ses erreurs et c’est aussi celle de revenir, lorsqu’on s’est égaré…

Tous les ans on relit la Torah et pourtant on ne la lit ni de la même façon, ni du même ‘endroit’. Notre cheminement ressemble alors à un voyage en cercles concentriques où on s’éloigne certaines années, ou bien on se rapproche d’autres années ‘du centre’, de l’essentiel. Et les mêmes thèmes qui nous tiennent à cœur reviennent, un peu comme un disque rayé, mais on en a une analyse et une compréhension différentes, et on les exprime avec un autre vocabulaire, ou d’autres images, comme Lelouch dans son film. C’est notre capacité à changer tout en restant intrinsèquement la même personne.

Un peu à l’image du divin, nous sommes à la fois faits de changement et de continuité:

וְנָתַתִּ֥י מִשְׁכָּנִ֖י בְּתוֹכְכֶ֑ם וְלֹֽא־תִגְעַ֥ל נַפְשִׁ֖י אֶתְכֶֽם

וְהִתְהַלַּכְתִּי֙ בְּת֣וֹכְכֶ֔ם וְהָיִ֥יתִי לָכֶ֖ם לֵֽאלֹהִ֑ים וְאַתֶּ֖ם תִּהְיוּ־לִ֥י לְעָֽם׃

Je fixerai ma résidence au milieu de vous, et mon esprit ne se lassera point d’être avec vous; mais je déambulerai parmi vous, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple.’(Lev.26 :11-12).

D’un côté nous avons un Dieu qui s’établit parmi nous de manière immuable. Mais de l’autre, Il marche à nos côtés et nous permet de nous transformer et peut être selon la thèse du philosophe Hans Jonas[1], Dieu, dépendant des humains qu’Il a créés, se laisse aussi changer par eux.

Ces quelques réflexions sur la notion d’ancien et de renouveau m’ont finalement fait évoluer, j’irai voir le film de Lelouch, non pas avec un brin de nostalgie, et un pincement au cœur, ou en regrettant les occasions manquées, mais avec cette croyance en une seconde chance qui peut nous faire vivre une expérience au moins aussi belle la seconde fois, et ensuite il sera temps comme dans le verset, de faire de la place à la curiosité et au goût qu’apportent avec elle ‘une nouvelle récolte’…

Ken Yhie Ratzon, Shabbat Shalom


[1] Hans Jonas, ‘Le concept de Dieu après Auschwitz’

Paracha Behar – KEREN OR 17 Mai 2019

Le rabbin Harry Jacobi MBE (Member of the British Empire) est décédé pendant Pessah à 93 ans.

Il venait de célébrer sa bar mitsva à Berlin en 1938 lorsque ses parents décidèrent de l’envoyer par le kindertransport à Amsterdam. D’Amsterdam, une infirmière lui sauve la vie ainsi qu’à d’autres dizaines d’enfants en l’embarquant sur le dernier bateau en partance pour l’Angleterre. Il ne reverra jamais ses parents, et cette souffrance qui l’aura accompagnée toute sa vie ne l’empêchera pas de mener une vie hors du commun.

A 18 ans, il servait dans le bataillon juif de l’armée britannique en Palestine. Quelques années plus tard, inspiré par le discours du Rabbin Leo Baeck lors de la première conférence post-deuxième guerre mondiale de 1949, il décide à son tour de devenir rabbin. Il transmettra cette passion à deux de ses trois enfants, Richard, un de mes enseignants, qui outre son rôle de rabbin communautaire est le responsable de la formation pratique au Léo Baeck. Et Margaret, Rabbin à Birmingham. Harry parlait couramment 5 langues, c’était un merveilleux conteur et ce malgré le trait commun qu’il avait avec Moise, son bégaiement.

En mars dernier, on lui détecte un cancer de la peau et on lui prédit quelques semaines de vie. Lorsque je lui rends visite quelques jours plus tard, il me salue chaleureusement et me promet d’être présent à l’ordination. 

Comme d’autres hommes et femmes de sa génération que nous regardons partir sur la pointe des pieds, il nous laisse un héritage et un modèle de vie que nous ne pouvons que célébrer. Il est pour moi un exemple de ce que doit être un rabbin : humble, dévoué, authentique, attentif, plein d’humour,  d’humanité, et de générosité.

C’est au cours de diners chabbatiques chez son fils Richard, mon tuteur de stage l’an dernier, que j’ai eu la chance de mieux le connaitre. Il ne manquait pas une occasion pour me transmettre un enseignement, me faire un feedback sur mon drash ou l’office, ou me raconter une bonne histoire. Une vraie complicité s’était nouée entre nous.

Travailleur acharné, jusqu’au dernier moment, il continuait à témoigner de son histoire d’enfant réfugié dans des lieux aussi improbables que la banque d’Angleterre. Il avait tourné un film avec un jeune réfugié syrien pour Amnesty International (que j’ai utilisé à Pessah l’an dernier). En tant que rabbin émérite de Southgate, il recevait la visite hebdomadaire du rabbin titulaire Yuval Keren, qui venait- aussi – lui demander des sages conseils.

Il était rabbin 24h sur 24h. Il ne connaissait pas le mot repos et n’avait jamais pris de congé sabbatique, ce qui est pourtant assez coutumier chez les rabbins anglo-saxons. Je ne sais pas quel aurait été son avis sur ce commandement qui débute notre paracha, et ce qu’il pensait du rapport au temps de notre société de consommation et de loisirs ?

‘Lorsque vous entrerez sur la terre que je vous donne, vous observerez une année sabbatique en l’honneur de Dieu.’ (Lev 25 :2)

En fait dans ce verset apparait un double commandement, d’un côté le repos qui doit être accordé à la terre, et d’autre part celui qui doit être observé par nous humains. Le premier ne s’applique qu’aux hébreux, puis juifs qui habitent sur la terre d’Israel alors qu’il est possible d’observer le second aussi en diaspora.

En ce 21e siècle bien entamé, il me semble important de s’interroger sur notre rapport au temps, comment il a évolué ces dernières années et ce qu’en disent nos textes. Le judaïsme est connu pour avoir apporté à l’humanité cette révolution qu’est le shabbat, un jour de repos hebdomadaire. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que dans la paracha Behar, il faut également cesser de travailler la terre tous les 7 ans, année dite de shmita ou « d’abandon » de la terre à son état non-cultivé. Quant à la 50ème année, dite du Yovel , elle est dédiée à libérer la terre et les esclaves. C’est Heschel qui parle le mieux du rapport qu’entretient le judaïsme avec le temps et la distinction entre le temps profane et sanctifié, ou séparé, mis de coté.

« il y a une réalité du temps où le but n’est pas d’avoir, mais d’être, non pas de posséder, mais de donner, non pas de contrôler mais de partager, non pas de soumettre mais d’être en harmonie. La vie prend un mauvais cours, lorsque le contrôle de l’espace et l’acquisition d’objets…, deviennent notre seul objectif.”

Dans son livre sur le temps dans le judaïsme ‘La clepsydre’, Sylvie Anne Goldberg nous dit que l’instauration du shabbat est « l’imitatio dei » par excellence, on reproduit le geste primordial de Dieu qui se repose une fois son œuvre accomplie.[1] C’est une manière de suspendre le temps et l’histoire, et le shabbat nous donne la possibilité de goûter, comme Dieu, à l’éternité, même si contrairement à Dieu cela reste provisoire.

Dieu jaloux de ses prérogatives, craint, dans la Genèse, que l’homme ne s’élève à son niveau et après avoir goûté à l’arbre de la connaissance ne goûte aussi à l’arbre de la vie et qu’il puisse connaitre l’éternité, effaçant ainsi toute distinction entre humains et Dieu ![2] Alors, l’année sabbatique et le jubilée seraient des concessions supplémentaires de Dieu à notre finitude ? Que fait-on, pauvres humains, d’un temps d’arrêt qui dure une année ?

Ce temps d’arrêt, sans programme, horaire ou contenu peut faire peur à beaucoup d’entre nous. Le vide nous oblige à nous tourner vers nous-même, et parfois à voir notre vide intérieur. Cela peut s’avérer angoissant. Il est beaucoup plus confortable d’être passivement pris dans un tourbillon d’activités, que ce soit pour le travail ou pour les loisirs. Une vie remplie à ras bord peut aussi donner l’illusion d’être immortels, alors que malheureusement nous sommes tous irrémédiablement soumis à l’obsolescence naturelle de nos cellules.

Mais d’autres verront dans l’année sabbatique une opportunité de réfléchir, de prendre du recul, de considérer à quel point le temps est notre bien le plus précieux sur cette terre, et d’en faire bon usage. C’est comme un rappel cyclique qu’étant faits à l’image de Dieu nous avons l’obligation de donner plus de sens à nos vies.

Cette année sabbatique qui, comme son nom l’indique revient tous les 7 ans, et donc au maximum 4 fois au cours d’une vie professionnelle, a été instaurée dans la vie profane – i.e. en entreprise pour donner la possibilité de prendre ce temps pour réaliser un projet qui tient à cœur, voire changer d’orientation. Ce n’est par conséquent pas un moment de vide, comme le shabbat ne l’est pas non plus, mais un moment de plein, de reconnexion, à nous-même, aux autres et à ce qui est précieux et donne le plus de sens à notre vie. Ainsi, il est de coutume pour les rabbins anglais qui en bénéficient, de prendre ce temps pour travailler sur un projet d’écriture de livre, enseigner ou étudier en dehors des murs de la synagogue. L’année sabbatique, comme le shabbat, sont deux concepts révolutionnaires et sacrés introduits par le judaïsme, nous pouvons en être fiers et continuer à les promouvoir.

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom,


[1] Mircea Eliade : ‘le mythe de l’éternel retour’

[2] Genèse 3:22

Shabbat Emor – Kehilat Gesher 10 Mai 2019

Les dix jours qui viennent de s’écouler sont parmi les plus intenses du calendrier en Israël mais aussi pour nous juifs de diaspora. Entre Yom HaShoah (veHagvura), Yom HaZikaron et Yom HaAtzmaout, qu’on vive ici ou là-bas, ce sont les montagnes russes émotionnelles. Tant de nos coreligionnaires sont tombés, qui dans des camps de l’horreur et qui au champ d’honneur. Même s’ils ne sont pas directement de notre famille ou de nos amis, il nous reste les noms, une photo et parfois quelques bribes de récit, de ces hommes, femmes et enfants. Et nous ressentons une immense peine lorsque leurs noms sont récités à voix haute dans nos villes ou égrenés à la télévision israélienne le jour de Yom HaZikaron.

Ces commémorations si rapprochées, même si elles n’ont pas de lien direct, finissent par unir les civils et les soldats qui sont morts ou ont été assassinés parce que juifs, résolus à défendre leur identité, puis leur autonomie sur leur terre, depuis un siècle voire davantage. Ces morts, injustes, prématurées et violentes, nous incitent à rechercher malgré tout un sens pour continuer à vivre et à défendre ce que nous sommes en tant que juifs. Cette inspiration, je l’ai trouvée pour ma part le jour de Yom HaZikaron en lisant un article dans Yediot Aharonot (posté sur FB par la chanteuse Noa) de l’ancien chef de l’état-major de Tzahal  Yair Golan, (il a quitté ses fonctions en 2016).

Golan commence par une expression répétée tous les ans lors de la commémoration de Yom HaZikaron, issue d’un poème de H N Bialik : ‘car à travers leur mort, ils nous ont commandé de vivre et à travers leurs actes et leur conduite, ceux qui ne sont plus sont pour nous des modèles de vie.’ Il se pose la question de ce qu’est cette exemplarité, et cet héroïsme ? Comment ces morts pour Israël peuvent encore nous inspirer ? Et il cite celui qu’il appelle son professeur et son rabbin, Yitzhak Sade, mort avant la naissance de Golan, il fut l’un des fondateurs du Palmach, puis de la Hagannah et le chef d’état-major de Tzahal à sa création. L’’ancien’ comme le surnommaient ses camarades soldats, n’était pas rabbin, mais il avait écrit plusieurs essais qui ont défini l’éthique de l’armée israélienne. Sade disait que ce qui définit l’héroïsme c’est le sens du sacrifice et il n’est pas seulement réservé aux soldats. C’est héroïsme est empreint d’humanisme, d’engagement, et d’amour du prochain, quel qu’il soit. Sans amour du prochain, il n’y a pas de sacrifice disait Sade.

Les qualités humaines que Sade décrit peuvent se résumer dans le concept de Kiddoush HaShem sanctification du nom qui figure dans notre paracha je cite (Lev.22 :31-32) :

‘Gardez mes commandements et pratiquez-les: je suis l’Éternel. Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie.’

Selon Nechama Leibowitz, ces versets sont un appel général adressé de manière indifférenciée à tout le peuple concernant la sanctification du Nom et un avertissement à l’encontre de son opposé : la profanation du Nom de Dieu.[1] Ces deux notions ne sont pas toujours faciles à comprendre.

C’est à travers notre comportement exemplaire que nous montrons notre amour envers Dieu. Cela commence par l’étude de la Torah puis par son enseignement, qui donnent les clés pour aimer son prochain, être honnête en affaires et en toute situation, et c’est notre publicité de ce qu’est le judaïsme aux autres peuple. C’est ainsi qu’est défini la sanctification du Nom dans le traité Yoma 86a.

A contrario le Hilloul HaShem, nous dit le Talmud, s’applique à quelqu’un qui a étudié la Torah et les préceptes MAIS ne se comporte pas avec bienveillance envers son prochain et n’est pas honnête en affaires, ainsi il déshonore son peuple et son prochain, et fait une très mauvaise publicité au judaïsme. 

Le 30 avril un article du Times Of Israel reprenait les accusations de la chaine 13  de la télévision israélienne contre deux rabbins, Eliezer Kashtiel et Giora Redler, formateurs de l’académie prémilitaire d’Eli et de la Yeshiva Bnei David (toutes deux situées en Cisjordanie et de tendance sioniste religieuse). Dans des enregistrements en caméra cachée, Eliezer Kashtiel affirmait que les arabes avaient des problèmes génétiques et étaient des êtres inférieurs. Quant à son collègue Redler il disait, je le cite : « la véritable Shoah ce n’est pas quand ils ont assassiné les Juifs…l’humanisme et la culture laïque de ‘nous croyons en l’Homme’, c’est ça la Shoah. » Bien sur ces paroles une fois rendues publiques ont été fermement condamnées, par des députés de l’opposition qui ont demandé à couper les vivres à ces académies …Mais le mal était fait. Ils avaient violemment profané le nom de Dieu.

D’un côté, on se sent mortifiés par les paroles de ces rabbins, qui occupent une position d’autorité et d’influence auprès de la jeunesse israélienne. Ces dérives de la parole et de la pensée sont à présent monnaie courante dans de nombreux pays, mais on espérait qu’Israël ferait exception en ce domaine.

De l’autre côté, on est favorablement surpris de trouver tant de sagesse, d’humilité et de clairvoyance inspirée par un authentique ‘kiddoush haShem’, dans les paroles d’un ancien Major de l’armée…

Je voudrais finir en citant l’écrivain David Grossmann, ces quelques mots qu’il avait écrit à la mémoire de son fils Uri, mort pendant la deuxième guerre du Liban en 2006 :

« [Mais] j’ai appris d’Uri [..] Que nous devons certes nous défendre. Mais ceci dans les deux sens : défendre nos vies, mais aussi s’obstiner à protéger notre âme, s’obstiner à la préserver de la tentation de la force et des pensées simplistes, de la défiguration du cynisme, de la contamination du cœur et du mépris de l’individu qui sont la vraie, grande malédiction de ceux qui vivent dans une zone de tragédie comme la nôtre. »

C’est un défi quotidien de vivre en respectant nos préceptes dans ce jeune pays en guerre qu’est Israël. Le Deutéronome nous dit qu’à chaque instant nous avons le choix entre la vie et le bien, la mort et le mal, et il nous est commandé de choisir la vie, en aimant l’Eternel, en suivant ses voies, et je rajouterai, en sanctifiant son Nom par nos actions de tous les jours.

En ce 71e anniversaire, que l’Eternel bénisse et garde l’Etat d’Israël, et qu’Il lui accorde la paix !

Ken Yhie Ratzon, Shabbat shalom !


[1] Nechama Leibowitz, Studies in Vayikra, p212

Paracha Kedoshim – Kehilat Yehudit, Nice 03 Mai 2019

קדושים תהיו כי קדוש אני יהוה אלוהיכם  (lev 19 :2).

Ce verset qui débute la paracha Kedoshim donne lieu à pléthore d’interprétations et contresens…quelle est cette notion de Kedusha – traduit habituellement par sainteté, partie intégrante de l’identité juive ? La première occurrence du mot kadosh qui a pour racine kuf dalet shin apparait dans Genèse 2:3 lorsque Dieu sanctifie le shabbat. Comme la plupart des racines hébraïques, le mot kadosh est polysémique : il signifie ‘saint’, mis de coté et renvoie aussi à la notion de retrait et de désengagement (ici du quotidien). C’est donc le temps qui est sanctifié en premier, c’est un accomplissement du travail de Création. Le shabbat est séparé des autres jours de la semaine.

Dans notre paracha cette injonction à la sainteté est immédiatement suivie par deux autres:

1/ d’une part la révérence – ir’ah (ou terreur)  que nous devons manifester envers nos parents, similaire à celle que nous devons manifester envers Dieu.

2/ et d’autre part, le respect du shabbat.

Les deux sont aussi importants, et ceci nous rappelle comme le précise Rachi, qu’au cas où nos parents nous induiraient en erreur, en nous détournant du commandement du respect du shabbat, nous devons au contraire, résister, en suivant le précepte du respect du shabbat.

Dans un sermon datant de janvier 1957, le rabbin anglais John Rayner dresse une liste de tout ce qui est sanctifié et ainsi ‘séparé’ dans le judaïsme. Le temps comme nous venons de le voir mais aussi des objets, des personnes, des lieux. Le shabbat et les fêtes – mikrae kodesh, les prêtres kohanim, Israel – la terre sainte eretz hakodesh, le Temple – Beit haMikdash , Jérusalem Yir hakodesh, le peuple am kadosh, mais aussi la Torah –torat hakodesh et la langue hébraïque – lashon hakodesh…Il y a aussi des actes considérés saints comme le mariage où le futur mari dit une bénédiction par laquelle sa future femme lui est consacrée : הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל.

Lors d’un décès, les bénévoles de la Hevra Kadisha prennent en charge l’un des commandements le plus difficile qui soit, parce qu’il exige beaucoup de compassion et est totalement désintéressé, c’est un acte de sainteté. Le travail de la Hevra Kadisha est méconnu et reste pour la plupart d’entre nous centré sur la toilette rituelle alors qu’il va bien au-delà avec la prise en charge et l’accompagnement de la famille endeuillée..!

D’où provient cette sainteté ? C’est Dieu qui la confère: que ce soit au temps, ou encore aux actes et aux objets. Mais surtout à nous les humains qui en respectant les commandements nous permet d’y accéder.

La liturgie elle-même nous parle de cette sainteté. Lors de la Amida et la prière dite de la Kedusha ne dit-on pas à trois reprises « kadosh kadosh kadosh » en se levant sur nos pointes de pieds comme si nous attendions de recevoir une petite aspersion de sainteté ?

Neshama Leibowitz précise que le verset de Kedoshim a une formulation particulière, ‘daber el kol adat bnei Israel’ : ce commandement doit être dit devant toute la communauté. La sainteté – Kedusha est égalitaire et concerne tout un chacun, pas seulement une certaine caste, celle des prêtres par ex.

A contrario, son frère Yeshayahou Leibowitz nous alerte contre le danger d’une certaine interprétation qui nous amène à croire que tout le peuple d’Israël de par sa nature même est saint, que nous ne sommes, par conséquent, pas responsables de nos actes, mais somme des élus passifs de Dieu. D’ailleurs dans la bénédiction sur le vin du kiddush que nous réciterons bientôt, l’élection est juxtaposée à la kedusha : « ki vanu vakharta  veotanou kidashta (mikol haamim)» : « car Tu nous as choisis et nous a sanctifiés parmi tous les peuples  » les deux semblent intimement liés…l’élection est une notion très mal comprise et définie à tort comme une forme de supériorité. Même en corrigeant l’erreur d’interprétation, vers son sens réel, de responsabilité, nous sommes mal à l’aise avec l’idée de séparation, de mise à l’écart, de ghettoïsation, qu’implique parfois la kedusha. Surtout si nous sommes plutôt portés vers l’universalisme !

Or une lecture distanciée de la notion de kedusha peut au contraire nous réconcilier avec cette idée et nous donner goût à sa pratique.

Si nous vivons tous les jours de manière indifférenciée, sans mettre de côté un temps pour souffler, nous ressourcer, réfléchir, échanger avec ceux qui nous sont chers, n’est-ce pas nous condamner à mourir ? Si nous ne pensons qu’à nous-mêmes et préférons les plaisirs en petit comité, séparés d’une kehila – d’une communauté, combien de temps survivrons-nous ? Si nous ne marquons pas par des rituels les moments importants de notre vie, qu’en restera-t-il?

C’est en cela que la sainteté est précieuse, c’est un espace-temps et un temps-relation qui est mis à part et qui est traité de manière distincte, avec beaucoup de soin et de respect.

Le rabbin John Rayner nous dit encore, « Dieu nous a sanctifiés par ces commandements et en contrepartie il nous est aussi demandé de sanctifier Dieu ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Peut-être est-ce agir en ayant conscience de sa propre kedusha-sainteté ? C’est-à-dire être très exigeant envers soi-même et son comportement envers autrui et dans le monde en général. N’oublions pas que ce n’est pas un privilège mais une responsabilité sainte ! Le rabbin Rayner nous dit aussi que c’est le plus haut degré de pureté qu’une personne peut atteindre, non pas une pureté rituelle mais une pureté de cœur et d’esprit.

La kedusha c’est être prêt à donner le meilleur de soi-même, à mettre tout son talent à l’ouvrage. C’est être engagé, diligent mais aussi rechercher une grande qualité d’exécution dans son travail qu’il soit rémunéré ou bénévole, dans la mesure où il nous tient à coeur.

En ces temps troublés, où nous sommes pris en tenaille entre ces barbares dits ‘religieux’, et des hommes et femmes politiques qui prônent un retour au populisme et/ou au fascisme, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, pour semer en nous et autour de nous ces graines de kedusha afin que ce monde soit plus vivable.

Nous avons de la chance de pouvoir temporairement laisser le profane et le quotidien à l’extérieur. Profitons de ce temps à part pour partager en cette – kehila kedosha – jeune pousse, dont il faut prendre soin et aider à grandir et à s’épanouir- un moment de complétude et de paix, de shlemut et de shalom !

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom,

Paracha Tazria – Kehilat Gesher 5 Avril 2019

Exanthème, dartre, teigne, ulcère, tumeur, lèpre. Le Tanakh  s’est transformé ce shabbat en une sorte de traité médical, un Vidal de l’antiquité, pour nous parler d’un sujet peu appétissant : toutes les formes d’éruptions cutanées dont étaient infestés nos ancêtres les hébreux.


Aux chapitres 13 et 14 du Lévitique ces afflictions sont décrites avec détail de couleur, forme, taille et inclusion ou non de poil. Les termes hébraïques ont été difficiles à traduire dans la langue vernaculaire, car on ne sait pas vraiment à quoi ils se réfèrent et de quelles maladies de peau il s’agit ?

Faute de médecin, ce sont les prêtres – Cohanim qui dans l’Antiquité jouaient le rôle de guérisseurs. Ils devaient examiner sous toutes les coutures des parties parfois intimes des malades et les déclarer purs ou impurs, c’est-à-dire pouvant rester ou non dans le camp des israélites.

Les rabbins ont essayé de donner un sens à ce texte : si une telle maladie affecte un des leurs et les rend impurs, les oblige à rester en quarantaine, il y a bien une raison. Ce serait une punition divine. Mais quelle en était la raison ?

La première occurrence du terme tsaraat  apparait au chapitre 4 de l’Exode. Cela se passe après que Dieu se révèle à Moïse dans l’épisode du buisson ardent, et lui confie la mission de sortir son peuple de la servitude. Ce dernier se fait tirer l’oreille et refuse de prendre le leadership de son peuple. Il donne deux raisons : le peuple ne l’écoutera pas et ne le croira pas. L’Eternel pour convaincre Moise accomplit quelques prodiges. Il lui fait jeter son bâton à terre qui se transforme en serpent, puis lui demande de le rattraper alors le serpent redevient un bâton. Moïse doit ensuite mettre sa main en son sein, celle-ci devient blanche de lèpre puis quand il la ressort, elle redevient à nouveau normale.

de l’Exode v. 6:  ‘והנה ידו מצורעת כשלג’  ‘Et voici sa main est lépreuse comme la neige’.

Dans son commentaire basé sur le midrash Exode Rabbah 3 :13, Rashi en déduit que le bâton se transformant en serpent fait référence à sa médisance envers les israélites. C’est ainsi qu’est interprété son manque de confiance en son peuple. Comme sa main cachée, la médisance se pratique en cachette et mérite la peine de mort: ‘quiconque dans l’ombre calomnie son prochain, je l’anéantirai’ dit le psalmiste (101).

Mais essayons pour quelques instants de nous mettre dans la peau de nos Sages et de la logique qui leur a inspirés cette explication concernant la ‘tsaraat’. Quels sont donc les points communs entre les deux ?

Cette maladie de peau commence silencieusement puis petit à petit se répand, cachée au début, bientôt, elle va envahir tout le corps et sera visible de tous. Elle est non seulement désagréable mais défigure et enlaidit. Par-dessus tout, elle est contagieuse !

Le Lashon haRa est aussi une maladie contagieuse qui nous enlaidit. Nos Sages lui ont consacré de nombreuses halakhot. Ils ont composé un glossaire qui distingue les différentes formes de médisance.

Dans la Torah n’apparait que le terme Rekhilut: qui est l’interdiction de faire du commérage, et même de révéler l’opinion individuelle distincte de la décision d’un groupe.

Dans le talmud d’autres termes ont été ajoutés.

le Halbanat panim : l’interdiction d’humilier quelqu’un en public et la violence verbale.

le Lashon haRa qui est l’interdiction formelle de révéler explicitement ou implicitement, publiquement ou en privé, des vraies ou fausses informations concernant notre prochain sans sa permission. La seule circonstance dans laquelle le Lashon HaRa est permis est devant un Beit Din lorsqu’un témoignage est nécessaire. La médisance est une des transgressions les plus sévères, car elle a non seulement des conséquences psychologiques, sur la réputation de la personne ou du groupe, mais également physiques selon le midrash. C’est une plaie et on n’en sort pas indemne.

Baal Makhloket se dit d’un fauteur de troubles, c’est le seul contre lequel il est permis de faire du Lashon haRa.

Un dernier terme de ce glossaire mérite qu’on s’y arrête: le Motzi Shem Ra, c’est le stade au-dessus du Lashon haRa, qui est l’interdiction de diffamer et de calomnier. Dans le talmud, les rabbins ont fait le rapprochement entre le comportement de Myriam (et aussi d’Aharon) lorsqu’ils diffament Tzipora -la Koushit (la noire ?), la femme de Moïse. Cependant seule Myriam est frappée par la lèpre. Aharon et Moïse intercèdent en faveur de leur sœur pour la sauver du sort qui l’attend, et après 7 jours de quarantaine, elle est finalement guérie-et pardonnée par Dieu.  Les rabbins n’ont pas manqué de rapprocheret metzora et motzi shem ra qui serait son extension…celui qui ‘sort un mauvais nom’ autrement dit qui salit la réputation de quelqu’un.

Comme chacun le sait, la tentation de médire est irrépressible, de quoi seraient faites nos conversations si nous ne pouvions plus nous laisser aller à dire du mal de notre voisin ? Il nous faut cependant prendre conscience que la médisance et la calomnie, qui ont pris encore plus d’essor grâce ou à cause des réseaux sociaux, sont des maladies anciennes qui s’attaquent au lien social. Elles abiment aussi nos démocraties. Elles mettent en danger nos jeunes.

Les mots deviennent nos maux et nous empêchent d’entretenir des relations saines et dignes avec notre entourage. Aujourd’hui les psys et parfois aussi les rabbins se sont substitués au rôle joué par les Cohanim et au rituel qu’ils avaient mis en place. Car ces dérives de nos comportements peuvent aller jusqu’à porter préjudice, de manière insidieuse, à nos synagogues.

Alors que faire ? être chacun attentif à sa parole, et préserver notre langue de la médisance. Car comme le dit un de nos Proverbes 18:21

« La mort et la vie sont dans le pouvoir de la langue »…alors tentons de mettre plus de vie dans nos paroles.

Ken Yhie ratzon,

Hodesh Tov et Shabbat shalom !

Shabbat Pekoudei – KEHILAT GESHER 8 mars 2019

Car une nuée divine couvrait le Tabernacle durant le jour et un feu y brillait la nuit, aux yeux de toute la maison d’Israël, dans toutes leurs stations.

כִּי עֲנַן יְהוָה עַל-הַמִּשְׁכָּן, יוֹמָם, וְאֵשׁ, תִּהְיֶה לַיְלָה בּוֹ–לְעֵינֵי כָל-בֵּית-יִשְׂרָאֵל, בְּכָל-מַסְעֵיהֶם

Ainsi s’achève le livre de l’Exode ou livre des Noms – Shemot – que nous finirons de lire demain matin. C’est le livre qui a vu la naissance de notre peuple et le début de ses pérégrinations sous l’œil attentif de l’Eternel. Après s’être enfuis d’un lieu et d’une monarchie qui les avaient maintenus en esclavage, ils se sont dirigés lentement mais sûrement vers leur libération.

Cette expérience de la libération, il nous est demandé de la revivre tous les ans à Pessah comme si nous aussi, nous avions vécu l’esclavage en Egypte, dans ce lieu qui nous avait maintenu dans une étroitesse à la fois morale et physique. La libération est un objectif qui n’a pas de prix et n’a pas de moment. C’est ainsi que pour ma part, j’ai hâte de me libérer de cette tâche qui m’a été imposée pour obtenir ma smikha : l’écriture de mon mémoire. Cela fait deux mois que je suis enfermée chez moi, essayant de me plier à une stricte discipline pour aboutir dans les délais impartis à un résultat de recherche personnelle, qui se veut aussi un guide pour les années qu’il me sera donné d’exercer le métier de rabbin.

Celles et ceux qui se sont essayés à l’écriture, toutes proportions gardées, savent que c’est un exercice ardu, qu’il s’agit d’un véritable accouchement qui ne se fait pas sans douleur…C’est comparable à une délivrance.

Mon sujet de recherche porte sur la question suivante : comment la voix de Sion dans le livre des Lamentations peut nous aider à restaurer notre relation à Dieu ? J’ai choisi de mettre en dialogue Sion dans le livre des Lamentations et le Dieu qui pleure la destruction du Temple et de son peuple, dans une section de Lamentations Rabbah, pour finir par une proposition liturgique pour l’office communautaire d’Yizkor. Sion représente, selon certaines lectures, la ville de Jérusalem ou le Temple ou tout Israël (peuple, et terre)  ou encore une femme, une veuve, une jeune femme…de quoi s’identifier ou en faire un paradigme.

C’est un sujet essentiellement théologique qui interroge la relation à Dieu et à l’autre dans un monde habité par la violence et la souffrance.

Dans le livre des Lamentations, cette voix féminine demande des comptes à Dieu concernant son laisser-faire qui aboutit à la destruction de notre centre spirituel – le Temple et au génocide d’une partie conséquente de notre peuple, les habitants de Jérusalem décimés par les babyloniens en 586 avant notre ère. Comment a-t-Il pu laisser faire une telle catastrophe, quelle faute mérite une telle punition et humiliation, demande Sion ?

Ce sujet m’a beaucoup inspirée, car issue d’une famille qui a survécu à la Shoah, j’ai baigné dans une atmosphère de révolte et de rejet du judaïsme, vécu comme la marque de Cain. Et il m’a fallu un long cheminement pour revenir à la tradition de mes ancêtres avec un peu de sérénité et de foi. En étant une femme, le judaïsme traditionnel ne m’offrait qu’un strapontin et pas mal de mépris. C’est en découvrant le judaïsme libéral à Copernic, que j’ai trouvé ma ‘maison’ il y a plus de 25 ans. Comme le dit le verset plus haut, à partir de ce moment-là la nuée divine m’a accompagnée dans mon parcours, j’ai osé prendre plus de risques, étudier, lire dans la Torah, porter une kippa, un talit…même si les tefillin restent encore une étape à franchir.

Cela a été rendu possible par celles et ceux qui m’ont précédés, qui ont pris des risques, ont interrogé la nécessité d’actualiser un certain nombre de nos préceptes. Ils ont poussé les limites et ouvert des chemins nouveaux.

Israel Abrahams a été un des plus grands savants du judaïsme anglais à la fin du 19e et au début du 20è siècle. Professeur au Jews College le séminaire orthodoxe anglais et successeur de Solomon Schechter comme professeur de Talmud à Cambridge, il a été un des principaux inspirateurs du judaïsme anglais y compris libéral, grâce à son ouverture d’esprit et à sa vision de l’évolution de la tradition. Il la voyait comme une chance, voire une nécessité. Il disait à propos de la liturgie :

« La formulation de la vérité la plus haute nécessite une constante réévaluation, surtout lorsque la vérité est engoncée dans des habits. Quand le dogme prend la place de l’amour, la religion meurt. Et une liturgie qui ne peut évoluer, qui ne peut s’imprégner de l’enseignement religieux de l’époque, qui n’ose chanter à l’Eternel de nouveaux chants, une telle liturgie est une page imprimée, ce n’est pas une prière fraiche qui vient d’un cœur qui supplie.» 

C’est exactement cette vision du judaïsme qui m’a accompagnée dans les étapes de mon rapprochement de ma religion.

C’est également ce qui m’a guidée dans l’écriture de ce mémoire, je me suis questionnée sur ce qui permettait non seulement de ne pas rompre le lien avec Dieu et par ricochet avec l’autre, mais au contraire de le maintenir, le réparer et le renouveler, en inventant ‘un chant nouveau’.

Car nous vivons une période particulièrement troublée, où la méfiance vis à vis de l’autre, celui/celle qui ne se comporte pas comme nous, ne pense pas comme nous, ne fait pas partie du ‘même’ si cher aux algorithmes facebookiens, fait peur et nous menace. Cette distance ne fait que s’exacerber et tend à se transformer en confrontation violente…J’ai souhaité démontrer qu’en ajoutant davantage d’ingrédients dits féminins à notre cuisine relationnelle, en usant de courage, d’endurance face à la souffrance, d’empathie et d’écoute, qualités traditionnellement attribuées à notre part féminine, il était possible de renverser la tendance.

Le rabbin Pauline Bebe écrivait récemment sur le site Ecritures et spiritualités :

« [Et puis] il faut faire ensemble, tisser des liens avec ceux qui ne sont pas les mêmes car lorsque l’on marche ensemble, lorsque l’on mange ensemble, lorsque l’on rit ou l’on pleure, que l’on partage ses passions, ses secrets, on ne peut plus se haïr. »

C’est cela démultiplier l’image de Dieu sur terre, c’est cela construire le Temple symbolique dont nous avons tous besoin, c’est cela sanctifier le Nom de Dieu. Cheminer en ayant ces préceptes comme guides est l’assurance de préserver le cœur du judaïsme, tout en instillant le changement nécessaire, afin que chacun se sente à sa place, en lien avec l’autre et avec le Tout.

Ken Yhie Ratzon,

Hodesh tov et Shabbat shalom !

Paracha Vayigash – KEREN OR 14 Décembre 2018

 

Et Pharaon demande à Jacob : combien sont les années de ta vie (Genèse 47:8)? Quel est ton âge autrement dit ? C’est une drôle de manière de saluer et d’entrer en relation avec quelqu’un lorsqu’on le rencontre pour la première fois, n’est-ce pas ? Pharaon ne fait pas preuve d’un grand tact. Du moins, selon nos critères, en ces temps-ci et dans nos contrées. Mais ce monarque de droit divin est un quasi Dieu et il a tous les droits. Ce premier dialogue entre eux peut aussi se lire autrement : peut-être sont-ce les signes d’une amitié et intimité spontanées entre les deux hommes, dès leur première entrevue ?

Le commentaire de Nachmanide sur ce verset est le suivant : Jacob avait l’air tellement usé que la première question venue aux lèvres de Pharaon était celle concernant son âge. Et il poursuit, Pharaon n’avait pas l’habitude de voir des personnes aussi âgées en Egypte, sous-entendu, l’espérance de vie des hébreux étaient supérieure à celle des Egyptiens…Mais un autre commentaire vient un peu pondérer le chauvinisme apparent de cette analyse. En fait Jacob était moins âgé que les patriarches qui l’ont précédés mais avait l’air très vieux, ses tourments l’avaient marqués psychiquement et physiquement.

Plus étonnante encore et lapidaire est la réponse de Jacob : « yemey shnei megurei shloshim oumeat shana , meat veraym hayou ymey shnei hayyaï ». (Gen 47:9)

« Et Jacob répondit à Pharaon: ‘Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. II a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations.’  »

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KEHILAT GESHER – 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme 6 décembre 2018, Shabbat Mikketz Hanoucca

Alors que nous célébrons le 6e jour de Hanoucca, qui est une fête de résistance à un pouvoir qui opprime ses minorités, perçues comme une menace pour le pouvoir, prenons le temps de réfléchir au sens profond de cette fête.

Notre bénédiction d’allumage des bougies dit : Bayamim hahem et bazman haze…en ce temps là et en ce temps-ci, ce qui nous a inspiré à l’époque continue à nous inspirer à présent.

Nous avons choisi de mettre ce chabbat sous le signe de la déclaration Universelle des Droits Humains, rédigée il y a 70 ans presque jour pour jour, elle a été publiée le 10 décembre 1948.

La déclaration Universelle nait du refus de voir recommencer les atrocités de la 2e guerre mondiale. Même si elle n’est pas contraignante pour les peuples signataires, elle est symbolique et d’elle découlera également la Cour Européenne des Droits de L’homme

René Cassin en était l’un des rédacteurs, représentant la France au sein de cette prestigieuse et indispensable initiative.  Il faisait partie d’un comité composé de 8 personnes représentant la Chine, l’URSS, les Etats Unis, le Chili, la Grande Bretagne, la France, le Liban, l’Australie.

Mais qui est René Cassin ?

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Parasha Vayshlach – Kehilat Gesher, 24 Novembre 2018

Genèse 32 :11-12

קָטֹ֜נְתִּי מִכֹּ֤ל הַחֲסָדִים֙ וּמִכָּל־הָ֣אֱמֶ֔ת אֲשֶׁ֥ר עָשִׂ֖יתָ אֶת־עַבְדֶּ֑ךָ כִּ֣י בְמַקְלִ֗י עָבַ֙רְתִּי֙ אֶת־הַיַּרְדֵּ֣ן הַזֶּ֔ה וְעַתָּ֥ה הָיִ֖יתִי לִשְׁנֵ֥י מַחֲנֽוֹת׃

Je suis indigne de toutes les faveurs et de toute la fidélité que tu as témoignées à ton serviteur, moi qui, avec mon bâton, avais passé ce Jourdain et qui à présent suis devenu deux camps.

הַצִּילֵ֥נִי נָ֛א מִיַּ֥ד אָחִ֖י מִיַּ֣ד עֵשָׂ֑ו כִּֽי־יָרֵ֤א אָנֹכִי֙ אֹת֔וֹ פֶּן־יָב֣וֹא וְהִכַּ֔נִי אֵ֖ם עַל־בָּנִֽים׃

Sauve moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main d’Ésaü ; car je crains qu’il ne m’attaque et ne me frappe, joignant la mère aux enfants!

Certains d’entre vous connaissent surement la musique composée et chantée par Yonatan Raziel[1] sur ces deux versets. En lisant ces deux versets de la paracha Vayishlach je les avais dans la tête.

C’est une très belle prière que Jacob adresse à Dieu alors qu’il est sur le point de rencontrer son frère Esaü. Frère qu’il n’a pas revu depuis plus de vingt ans. Depuis sa fuite de la maison paternelle. Conscient de la faute qu’il a commise, il en appelle à la protection divine car il craint la vengeance de son frère.

Selon Rashi Jacob reconnait qu’il est indigne de l’attention divine, qu’il est souillé et ne mérite plus ni la confiance que Dieu a placée en lui, ni les promesses qu’Il lui a faites. Vingt ans après il reste marqué par l’épisode du vol de la bénédiction paternelle, il ne s’est pas lavé de la faute du mensonge.

Au-delà de ces belles paroles, quelle est la réelle intention de Jacob ? Est-il enfin dans un processus de repentance ? Ou est-ce seulement sa peur qui s’exprime voire sa révérence envers son frère ? Selon certains commentateurs le verbe Yaré oto[2]  au verset 12 ne signifie pas peur mais plutôt une forme d’admiration fraternelle. A cette prière en tout cas, Dieu ne répond pas.

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Hesped Michel Slon, 1928-2018

Hesped Michel Slon, 1928-2018

Moshé ben Abraham ou Michel, permettez-moi de l’appeler notre patriarche était né le 1er mai 1928 à Varsovie. Lorsque la guerre éclate en 1939, il a 11 ans et son père a la bonne idée de mettre la famille à l’abri, d’abord à la campagne puis en Urss.   Ils sont quatre frères et sœurs, Guénya, Michel le numéro deux, et deux bébés à l’époque, Irène et Charlie. Il passera toute la guerre en Russie et sera scolarisé normalement.

La fin de la guerre ne signifie pas la fin des pérégrinations, bien au contraire. Lorsqu’ils essaient de rentrer à Varsovie, ils découvrent au fur et à mesure, les champs de ruine laissés par la guerre et les  horreurs de la Shoah. Ils évitent de peu d’être pris dans le pogrom de Kielce en 1946. A ce moment il n’est plus question de rester en Pologne.

Aidés par une organisation juive sioniste, ils entament un long et dangereux périple à travers l’Allemagne, l’Autriche, traversent les Alpes à pied jusqu’en Italie.  Après une étape à Milan, il était prévu qu’ils partent en Palestine sous mandat britannique, mais la route leur est barrée. La famille s’établit finalement en France en 1947.

Michel sera élevé à l’école de la vie, il se fera une bande d’amis fidèles liés par les souvenirs de la période de la guerre et leur statut d’immigrés juifs, avec des histoires plein la tête qu’ils racontaient avec des accents à couper au couteau. Lorsqu’il rencontre sa femme, Berthe c’est le coup de foudre. Elle-même est d’origine polonaise et enfant cachée à Chamonix pendant la guerre. Ils auront une vie harmonieuse jusqu’à la maladie de Berthe et sa disparition prématurée à l’âge de 65 ans.

Grand séducteur, excellent vendeur allié à une femme très bonne gestionnaire, à partir de la fin des années 60, il réussit très bien dans la shmatologie, métier particulièrement répandu parmi les juifs d’Europe de l’Est. Mais il n’oublie pas ceux qui l’entourent, à qui il offre volontiers un petit coup de pouce financier et tout simplement sa confiance et son optimisme, pour se lancer à leur tour dans quelque affaire.

Il aura un fils unique avec Berthe, Jean Yves. Finalement, Jean Yves et sa femme Christine concrétiseront le rêve sioniste de la famille. Anciens de l’Hashomer Hatzair, ils feront leur alya avec leurs 2 enfants en 1992. S’en suivront pour Michel des allers retours fréquents en Israël, sa patrie de coeur.

En 2000, c’est à Haifa, sur le fauteuil du dentiste, où elle exercait comme assistante dentaire, qu’il rencontre Lucie. Cette rencontre quelque peu arrangée va leur permettre de vivre une belle histoire qui durera 17 ans. Deux bons vivants, que de belles fêtes nous aurons vécu grâce à eux sur le toit de l’appartement des Gratte Ciel !

Les premières fois sont des moments qui marquent chacun d’entre nous. Qui a oublié son premier tour à vélo, son premier jour de classe, ou sa première rencontre amoureuse ? Et pourtant je n’arrive pas à me souvenir de la première fois où j’ai croisé Michel, j’ai l’impression qu’il a toujours été là, qu’il a toujours fait partie de notre vie. C’est/c’était notre père et grand père bienveillant à tous, celui qui nous donnait envie d’avancer dans la vie et avait un regard si lucide sur les hommes et les évènements. Et surtout Michel-Moshé vivait lui-même chaque jour comme si c’était le premier, ou plutôt le dernier, émerveillé et curieux, rieur et loquace !

Il y aurait tant de choses à dire sur ce que Michel fabriquait avec ses dix doigts en or, rue du Bat d’Argent, puis quai Jean Moulin, rue Garibaldi et même ici rue Jules Vallès. Dans la bible on dit que les personnes habiles de leurs mains ont de la khokhmat lev : la sagesse du cœur. Aucun terme n’est mieux adapté à ce qu’était notre Michel.

On ne compte pas les innombrables heures passées à fabriquer des bancs quai Jean Moulin, réparer le sefer torah ou encore rénover le sol ou peindre les murs du local rue Garibaldi par exemple. C’est grâce à lui qu’on a eu une houppa et une soucca, lui qui se disait athée et éloigné de la religion, était le Shamesh – le gardien indéfectible de tous les lieux où la synagogue libérale a migré au fur et à mesure des années. Il était le meilleur juif que je n’ai jamais connu : un mensch, un vrai.

Il trouvait les mots pour chacun d’entre nous, des gestes anodins, plein de tendresse toujours juste. Le jour de la Bat Mitsva de Romane pétrifiée de trac, c’est lui qu’elle choisit pour lui donner du courage et qui doit lui faire face au premier rang !

Il y a avait Michel et les harengs, Michel et la vodka (j’avais toujours une bouteille au frais au cas où il viendrait nous rendre visite !), Michel et la chanson yiddish, Michel qui dansait avec son déambulateur il y a quinze jours à peine… et Michel et ses innombrables amis, comme en témoigne cette salle bien remplie!

Mais surtout Michel et ses petits-enfants qu’il couvait d’affection et dont il était fier comme un coq, sans parler de son arrière petite-fille Audrey, dont il avait eu la chance de voir les premiers pas dans la vie.

Ces derniers mois, il y avait les allers retours de la famille entre Israël et Lyon pour prendre soin de lui. De notre côté, nous avions créé un groupe whatsapp d’amis proches qui espérions ainsi le protéger comme on dit de toute maladie. On le croyait invincible et on voulait le garder encore longtemps ici parmi nous, car il y a des compagnies, ou plutôt des compagnons qui ne se quittent pas.

Brigitte, Catherine, Fred, Georges et Betty, Guy et Suzette, , Lucie, Patrick, et quelques autres, on était à l’affut de la moindre nouvelle, de la moindre chute qui n’annonçait rien de bon ! Et puis après un énième aller-retour entre l’hôpital et sa chambre à Bet Seva, il a soufflé entre deux assoupissements à Patrick : « je ne sais pas, on verra bien ». Cette lucidité des derniers instants…

Mais aujourd’hui, même si notre tristesse de l’avoir vu nous échapper est immense, nous pouvons et devons boire à sa santé, chanter et danser. Ce sera la meilleure façon de lui rendre hommage, à Michel, Moshé, le Mench qu’on a eu tant de chance de côtoyer !

יהיה זכרו ברוך.

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