Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Catégorie : Commentaires de la semaine Page 3 of 12

Drasha Balak – BM Samuel Hosansky KEREN OR 30 juin 2023

Toi tu es un youpin hein ? me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’étais allé écouter avec foi et tendresse à la sortie du lycée, tu es un sale youpin hein ? Je vois ça à ta gueule, tu ne manges pas de cochon hein ? vu que les cochons se mangent pas entre eux, tu es avare hein ? je vois ça à ta gueule , tu bouffes les louis d’or, hein ? tu aimes mieux ça que les bonbons, hein ? Tu es encore un français à la manque hein ? Je vois ça à ta gueule, tu es un sale juif, hein ? un sale juif ! Ton père est de la finance internationale hein ? Tu viens manger le pain des français, hein ? Messieurs dames je vous présente un copain à Dreyfus, un petit youtre pur-sang, garanti de la confrérie [..]eh ben nous on aime pas les juifs par ici, c’est une sale race, c’est tous des espions vendus à l’Allemagne, […] des sangsues du pauvre monde ça roule sur l’or et ça fume de gros cigares, pendant que nous on se met la ceinture, pas vrai messieurs dames ? Tu peux filer, on t’a assez vu, tu es pas chez toi ici, c’est pas ton pays ici, tu as rien à faire chez nous, débarrasse voir un peu le plancher, va un peu voir à Jérusalem si j’y suis…

Certains auront reconnu cet extrait du livre d’Albert Cohen ‘O vous frères humains’, un livre poignant, dans lequel il relate un souvenir d’enfance. Il avait à peine 10 ans, quand, sortant du lycée par une belle journée estivale, il tombe sur un camelot et s’enthousiasme pour sa gouaille et sa capacité à charmer les passants, au moment où, séduit par des bâtons anti tâches vendus par le marchand ambulant, il s’apprête à sortir ses quelques francs pour acheter le petit trésor, il se fait rabrouer méchamment par le dit camelot, le transformant lui le jeune homme aux boucles brunes en tâche qui nécessite d’être effacée de la surface de la terre.

Ce souvenir cuisant le marquera à jamais au fer rouge, et le reste du livre est consacré à son errance après cette gifle reçue en public, gratuitement, et cette honte ressentie malgré lui qu’il doit ravaler. Il en gardera pour toujours une méfiance envers une humanité fourbe capable du meilleur mais aussi du pire. Cela se passe en 1905 à Paris, à quelques mois de la réhabilitation de Dreyfus et cela n’a pas pris une ride…malheureusement !

Des mots maudits que l’on traine derrière soi, qui nous salissent et imprègnent notre être tout entier, en changeant notre vision du monde. Que ceux qui ont la chance d’y avoir échappé, lèvent le doigt.

C’est exactement de cela que parle la paracha Balak, sous couvert d’humour et de conte pour enfants, où une ânesse comprend mieux la parole divine que son maître supposé prophète – le fameux Bil’am. Bil’am, autour duquel s’attroupent les officiels du roi de Moab, Balak, officiels qui lui font des ronds de jambes et auquel le royaume offre moult récompenses… pourquoi donc ? pour maudire le peuple hébreu…avant de lui déclarer la guerre !

Car ce méchant roi de Moab craint ce peuple qui campe face à lui, il le perçoit comme une menace, celle d’un envahisseur, car, dit-il, ce peuple couvre déjà la surface de la terre …diantre ! Cela ne vous rappelle rien ? déjà du temps de Pharaon c’était la même litanie : le peuple hébreu avait pullulé et il remplissait toute l’Egypte…et Pharaon n’était pas passé par quatre chemins et avait décidé de tuer tous les premiers nés mâles hébreu, puis les mâles tout court.

Dans notre paracha, l’idée de Balak est plus subtile, il craint les hébreux et leur Dieu, il a vu ce qui s’était passé pour les Amoréens et souhaite se prémunir d’une cuisante défaite militaire en les faisant maudire par un spécialiste : le magicien Bil’am. Et cette affaire est prise très au sérieux par le Très Haut qui interdit à Bil’am de partir et accomplir sa mission à 3 reprises jusqu’à le laisser aller, mais sous la condition qu’il ne puisse proférer que les mots que Dieu lui-même mettra dans sa bouche. Ainsi la prophétie contenue dans son nom se réalisera, Bil’am, littéralement celui qui les avale, ravale son discours haineux et prononce à la place un discours de paix et d’harmonie. Des bénédictions si belles qu’elles seront intégrées dans la liturgie juive à l’office du matin : ma tovou ohaleikha Yaakov michkenoteikha Israel – qu’elles sont belles tes tentes Jacob, tes demeures Israël !

Quel fantasme typiquement hébreu, puis juif, que celui de retourner un ennemi, tant et si bien qu’il en viendra à nous bénir ! Quelle belle confiance en l’humanité que celle portée par le peuple juif tout entier, qu’à la fin des fins, les choses finiront bien par s’arranger et le pire se transformera en meilleur…

En écrivant son livre, Albert Cohen lui aussi espérait avec un bel optimisme : ‘changer les haïsseurs de juifs, arracher les canines de leur âme’ !

En cette période particulièrement violente, voire meurtrière, se replonger dans la paracha Balak est rafraîchissant, cela permet de rappeler encore et encore que la parole a le pouvoir de vie et de mort sur chacun, ainsi qu’il est dit dans le livre des Proverbes :

מָ֣וֶת וְ֭חַיִּים בְּיַד־לָשׁ֑וֹן וְ֝אֹהֲבֶ֗יהָ יֹאכַ֥ל פִּרְיָֽהּ

‘La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; Ceux qui l’aiment en mangeront le fruit.’[1]

En ce chabbat de festivités, où je suis si heureuse d’accompagner Samuel vers sa majorité religieuse, et où les bénédictions pleuvront sur Samuel et sa famille, gardons en mémoire que les paroles bienveillantes précèdent les actes bienveillants et vice versa.

Et finissons avec les magnifiques paroles de ce grand écrivain dont toute la France peut être très fiere :

O vous frères humains, connaissez la joie de ne pas haïr !

Mazal tov à toi Samuel et à tous ceux qui sont venus t’entourer de leur amour, puisses tu continuer à grandir dans la paix et l’harmonie !

Ken yhie ratzon,

Chabbat shalom !


[1] Proverbes 18 :21

Hesped maman – 17 mai 2023

Celly, Sharna, Cerna, Céline, autant de prénoms et de petits noms qui correspondent aux étapes d’une vie et aux facettes nombreuses de la femme, maman et mamie qu’a été ma maman,

Son prénom Cerna, elle le tenait de sa grand-mère paternelle, décédée à 53 ans, en 1935 l’année de sa naissance.  Son grand-père, David s’est remarié avec Betty Segall, qui est devenue sa grand-mère de cœur. Un mur de tendresse entourait ma mère dans son enfance. Ce mur s’est transformé en mur de protection, contre la haine gratuite et féroce qui s’est répandu sur le monde pendant les 6 années noires de la deuxième guerre mondiale. Cette haine qui avait déjà frappé sa famille en Ukraine quelques 50 ans auparavant…elle était juste un peu endormie.

A 6 ans à peine, elle a connu la fuite, l’angoisse et le déplacement forcé. Avec sa famille élargie, elle a vécu dans des conditions déplorables et insupportables, d’abord dans un camp pour déplacés pendant un an, puis la déportation dans un camp de concentration à ciel ouvert, la Transnistrie.

L’ennemi était multiforme, portait uniforme noir et casquette bien ajustée, avait une allure respectable, suivait les ordres et les faisait respecter scrupuleusement. L’ennemi était d’abord roumain, puis ukrainien – dans ce cas sans uniforme – et bien sûr allemand. Mais le mur de protection la gardait à distance, ses besoins vitaux essentiels étaient assurés, c’est-à-dire le minimum : un peu de pain, une pomme de terre et de l’eau ; les grands jours : un morceau de sucre. Son père Benish z’l était très débrouillard, un super commerçant et sa mère une femme de tête qui indiquait la direction à suivre.

La première direction était celle des études, celui qu’elle-même avait dû interrompre, mais il n’était pas question que sa fille unique, ma maman, ne puisse pas aller au bout de ses capacités, qui se sont révélées très grandes. Son frère ainé était son meilleur ami, c’est auprès de lui qu’elle a appris les rudiments de l’alphabet, la lecture, et le calcul. Si bien qu’après-guerre elle a pu rentrer à l’école primaire presque sans retard. Mais ce n’était pas suffisant, il fallait être première partout et tout le temps. Ce virus, si on peut dire elle me l’a bien transmis aussi !

Pendant ses études elle tourne la tête aux étudiants, elle aime particulièrement les soirées dansantes, les copines – nombreuses et rapidement elle fait chavirer le cœur d’un jeune homme très discret, très solitaire, mon papa. Ils se marient très jeunes à 23 et 22 ans mais je ne naitrai que 8 ans plus tard. Ils rêvaient de liberté et d’Israël…et à force d’attendre, ils se sont résolus à ce que je naisse là-bas, dans ce pays communiste, dur et antisémite.

En 1973, après pas mal de péripéties, le graal est arrivé, c’est-à-dire les papiers d’autorisation de sortie du territoire, en renonçant à tout, ou plutôt à pas grand-chose si ce n’est leur nationalité roumaine qui leur a été reprise…mais la guerre de Kippour a mis à l’épreuve de nouveau leur patience. Arrivés en Israël pendant le cessez le feu, le choc a été immense, ils sont passés de l’obscurité à la lumière, du verglas au grand soleil resplendissant même en novembre et aussi de la dictature à une démocratie. On a aussi retrouvé le peu de famille qui était déjà sur place, à Haïfa du coté de mon papa et à Tel Aviv et aux alentours pour ma maman. Que de déjeuners et diners d’accueil succulents et pleins de rires et tendresse !

Leur cercle intime d’amis roumains Rodica et Marius, Marlena et Sigi, Rozica et Albert, Tinela et Miron, a pour la plupart suivi (ou précédé) ce mouvement, ce qui fait que le cordon sanitaire amical était reconstitué. On s’est transplanté avec succès dans cette terre si longuement promise. Jusqu’à l’arrivée de mes grands – parents : Benich et Roza et la perte 3 semaines plus tard de ma grand-mère maternelle…un énorme coup dans le ventre…

La terre promise ne l’est pas restée longtemps : l’ambiance après la guerre de Kippour était un peu tristouille les attentats quasi quotidiens et le climat de tension et de crise économique les a fait déchanter. 3 ans plus tard, mon père partait en éclaireur et se retrouvait détourné de la trajectoire américaine initiale pour atterrir en région parisienne, auprès de mon oncle Manolé et ma tante Michou. Une fois qu’il a eu un travail, il nous a fait venir toutes les deux, ma mère pensait que Paris serait cette nouvelle terre promise comme son frère le lui avait dit. Elle a déchanté, devant les difficultés à trouver un travail, là aussi en 1977, le chômage avait atteint le chiffre vertigineux du million de personnes. Devenue Céline après naturalisation, elle s’est contentée d’un rôle de technicienne de laboratoire, pour reprendre pied en entreprise, sans bien connaitre ni la langue ni les codes. Mais rapidement elle a grimpé les échelons et a été très appréciée par collègues et direction.

Coquette, très vive d’esprit, une sorte de Huggy les bons tuyaux pour nous tous, quand on ne savait pas, Celly savait…et n’avait pas besoin des réseaux pour cela ! Et puis elle recevait, des diners amicaux et familiaux il fallait mettre les petits plats dans les grands, manie qu’elle m’a aussi transmise. Ses petits-enfants chéris, Romane et Ivan adoraient sa cuisine bien sûr. Hervé aussi d’ailleurs, son unique fils. Mais surtout, ils venaient se réchauffer à son contact si affectueux. Comme moi, des années auparavant qui m’asseyais à la cuisine pendant des heures, en lui racontant mes péripéties qui me semblaient si essentielles. Depuis Lyon aussi je l’appelais, pas tous les jours mais aussi souvent que possible pour lui dire, lui raconter, presque tout. Elle était devenue mon cordon sanitaire, mon mur des lamentations, où je partageais le plus possible, mes joies et mes bonheurs pour à mon tour lui réchauffer le cœur.

Naïve que j’étais, je pensais que cela allait durer encore de très nombreuses années, …et puis elle m’a été arrachée à moi comme à nous tous, comme une rose, mon amie la rose

On est bien peu de chose, Et mon amie la rose, Me l’a dit ce matin, À l’aurore je suis née
Baptisée de rosée, Je me suis épanouie, Heureuse et amoureuse, Aux rayons du soleil
Me suis fermée la nuit, Me suis réveillée vieille, Pourtant j’étais très belle, Oui, j’étais la plus belle, Des fleurs de ton jardin…[1]

Celly, Sharna, Cerna, Céline maman, mamie il est temps de te dire au revoir, cela m’arrache le cœur mais c’est ainsi, eshet haïl femme de combats si nombreux et douloureux tu mérites le repos et d’aller en ligne droite auprès de notre Créateur, puisse ton souvenir continuer à nous tenir chaud et être promesse de bénédictions.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=2ICFtXx546A

Drasha Vayikra – quand le pouvoir faute – KEREN OR 24 mars 2023

Une étude intéressante est passée à peu près inaperçue cette semaine : le classement des pays où il fait bon vivre, sortie le 20 mars, à l’occasion de la journée internationale du bonheur. Et vous ne devinerez jamais : Israël est arrivé à la 4è place cette année, un saut de 5 places depuis l’an dernier, par comparaison la France n’arrive qu’à la 21è place…Qui l’eut cru, alors que le pays vit en guerre depuis 75 ans, se heurte à des défis colossaux à la fois pour intégrer de nouveaux olim de des quatre coins de la terre, et aussi à ce qu’on appelle ‘le vivre ensemble’ de toutes ces catégories de populations et religions.

Sans oublier que depuis près de 3 mois, le pays vit dans un grand balagan faisant suite à une mobilisation quotidienne contre la confiscation du système judiciaire en cours. Et de nombreux israéliens (ses cerveaux) songent sérieusement à quitter la ‘terre promise’ avant ce qu’ils prédisent comme le clap de fin de la démocratie israélienne.

Une autre caractéristique, pas très glorieuse de ce pays de cocagne est son record de responsables politiques, tous bords confondus, qui sont passés par la case procès et prison : c’est le cas de l’ancien président Katsav tombé en 2010 pour viol et obstruction à la justice, le premier ministre Ehud Olmert qui a été inculpé pour abus de confiance en 2012 et corruption en 2015. On n’oublie pas le ‘rav’Aryé Dehry ancien ministre de l’intérieur élu et réélu en dépit de ses mises en examens et condamnations, dont la dernière date de 2022. Ce qui n’a nullement empêché le premier ministre Benyamin Netanyahou de lui proposer un ministère de nouveau (la Cour Suprême l’en a empêché…). Benyamin Netanyahou lui-même mis en examen depuis 2018 pour corruption, fraude et abus de confiance, dans 4 différentes affaires.

A ce sombre tableau ne manquent que les derniers élus d’extrême droite qui occupent chacun un ministère et non des moindres : Itamar Ben Gvir chef du parti Otzma Yehoudit – la force juive (tout un programme), parti supporter jusqu’à ce jour, du terroriste Meir Kahane, exclu de la Knesset dans les années 1980. Ben Gvir qui a été nommé en fin d’année ministre de la Sécurité nationale. Et son acolyte Bezalel Smotrich, chef du parti sioniste religieux, ouvertement raciste et anti LGBT, nommé comme ministre des Finances.

Il n’est pas étonnant que de nombreux collègues israéliens et américains des mouvements moderne orthodoxe, massorti et libéral vivent cette actualité comme un cauchemar, comme l’avènement d’une ère sombre, très sombre pour le pays.

Comme un écho très lointain à ces fautes financières et morales commises au plus haut niveau de l’état et qui vont à l’encontre de toutes les valeurs du judaïsme et de l’humanité en général, nous parviennent les versets de la paracha du nouveau livre que nous commençons cette semaine : Vaykra. Au chapitre quatre, au milieu de toutes les règles et types de sacrifices à apporter au tabernacle, figurent 4 catégories de personnes ou groupes de personnes. Lorsque le Cohen ou le dirigeant politique transgresse, et lorsque la communauté (induite en erreur par le Beit Din), ou encore, un simple individu commet une faute appelée hatat et commise par inadvertance selon la Torah… que faut-il faire ?

Dans l’Antiquité on expiait ses fautes en apportant des offrandes, des sacrifices de bêtes plus ou moins grosses selon son niveau social et la gravité de la faute commise. Ces sacrifices avaient pour objectif de rétablir un fragile équilibre entre l’humain et le divin, de réparer et rapprocher les contrevenants de leur Créateur.

Depuis la destruction du deuxième Temple, et le remplacement des sacrifices par des prières, cette absolution des fautes se passe essentiellement à Kippour.

A Kippour, nous chantons une longue litanie, une prière qui s’appelle Al Het et qui énumère toutes les catégories de fautes :

Al het chéhatanou lefaneikha b’ones ou v’ratzon pour la faute que nous avons commise envers Toi sous la contrainte ou de plain gré, veal het chéhatanou lefaneikha bezadon ouvichgaga : volontairement ou involontairement…

Parmi elles figurent comme vous le voyez le Het bichgaga la faute par inadvertance commise envers autrui et envers Dieu pour lequel nous demandons à être pardonné.

Cette catégorie, a priori plus légère est probablement la plus difficile à cerner. Elle demande tout d’abord une minutieuse introspection et la capacité à s’auto-évaluer, à faire un examen de conscience et ensuite à faire acte de repentance.

Dans la paracha Vayikra, la Torah reconnait le fait qu’un dirigeant a une plus grande propension à fauter. Pour toutes les autres catégories, le texte utilise le mot introductif ‘im’ si, mais pour le dirigeant il utilise ‘Asher’ qu’on peut traduire par ‘quand,’ ou ‘lorsque’. Nos Sages ont tout de suite noté cette différence de vocabulaire et l’ont expliquée. Ainsi le rabbin Sforno[1] nous dit : « Lorsque le roi ou le chef politique faute, il n’y a pas de conditionnel Im– si, c’est-à-dire que la Torah considère qu’il est presqu’acquis que le chef politique se rendra coupable d’une transgression, au moins par inadvertance. » Tout cela n’est qu’une question de temps…On peut cependant douter du caractère involontaire de la faute, d’autant plus pour un dirigeant qui, comme tout citoyen, n’est pas censé ignorer la loi civile comme la loi morale.

Le rabbin Ben Zakkai, dans le traité Horayot utilise un jeu de mots remplaçant Asher par Ashréi : réjouis toi, voici la citation de Ben Zakkai :

« Heureuse [ashrei] est la génération dont le dirigeant ressent le besoin d’apporter une offrande pour sa transgression involontaire. Si le chef de la génération apporte une offrande, vous devez dire à plus forte raison ce qu’un homme du peuple fera pour expier sa faute, c’est-à-dire qu’il apportera certainement une offrande. Et si le dirigeant apporte une offrande pour sa transgression involontaire, vous devez dire à plus forte raison ce qu’il fera pour expier sa transgression intentionnelle, c’est-à-dire qu’il se repentira certainement. »

Car la majorité des dirigeants, non seulement commettent des fautes, mais de plus a tendance à la nier, par arrogance…Alors lorsqu’il ou elle la reconnaît: réjouis toi !

Prions pour que les dirigeants en Israël comme ici aient cette humilité de reconnaitre leurs erreurs, de se repentir et alors certainement, le peuple n’en sera que plus heureux. Et, si cela arrive en Israël, plus rien n’empêchera de briguer la première place du classement des pays où on est le plus heureux au monde !

Ken Yhié ratson,

Chabbat shalom !


[1] Sforno 1475-1550 Italie, commentaire sur Lév. 4 :22

Drasha Ki Tissa – de la colère, 11 mars 2023

Nous lisons de nouveau demain cette paracha centrale de la Torah, l’épisode dit du veau d’or, acmée de la faute du peuple hébreu pour laquelle on demande pardon jusqu’à nos jours à chaque Yom Kippour. C’est d’ailleurs deux versets de notre paracha qui servent d’introduction à la demande de pardon de la liturgie des selihot de Kippour :

(ו) וַיַּעֲבֹ֨ר יְהֹוָ֥ה ׀ עַל־פָּנָיו֮ וַיִּקְרָא֒ יְהֹוָ֣ה ׀ יְהֹוָ֔ה אֵ֥ל רַח֖וּם וְחַנּ֑וּן אֶ֥רֶךְ אַפַּ֖יִם וְרַב־חֶ֥סֶד וֶאֱמֶֽת׃ (ז) נֹצֵ֥ר חֶ֙סֶד֙ לָאֲלָפִ֔ים נֹשֵׂ֥א עָוֺ֛ן וָפֶ֖שַׁע וְחַטָּאָ֑ה וְנַקֵּה֙ לֹ֣א יְנַקֶּ֔ה פֹּקֵ֣ד ׀ עֲוֺ֣ן אָב֗וֹת עַל־בָּנִים֙ וְעַל־בְּנֵ֣י בָנִ֔ים עַל־שִׁלֵּשִׁ֖ים וְעַל־רִבֵּעִֽים׃

(6)  Et l’Eternel est passé sur son visage et il a appelé Adonaï Adonaï dieu par tes tendresses et ta pitié lent à la colère et grand en bonté et vérité. (7) Il conserve une bonté pour ceux qui viennent en millième, il porte une faute  et un crime et un égarement. Et innocenter il ne va pas innocenter, il venge la faute des pères sur les fils et sur les fils des fils, sur ceux qui viennent en troisième et sur ceux qui viennent en quatrième génération.

Ces versets ont été repris tels quels dans les Selihot, à une nuance près, mais de taille…la liturgie nous dit, contrairement au verset de la Torah, que l’Eternel va pardonner et innocenter son peuple. Une sorte de pied de nez des rabbins pour nous rassurer. Et en même temps, pour plus de sécurité, on continue à demander pardon de génération en génération, en se rappelant que le Dieu de la Torah est souvent décrit comme irascible.

C’est le cas dans Ki Tissa, lorsqu’Il voit son peuple se déchaîner et se prosterner devant un veau d’or. L’Eternel prévient Moïse qui est auprès de lui en train de préparer les tables de la loi. Aussitôt YHWH fait le vœu d’anéantir son peuple. En bon leader Moïse intercède et réussit à le calmer. Mais lorsqu’il voit la débauche de son peuple, Moïse lui-même se laisse aller à la colère contre les hébreux et fracasse les deux tables en bas de la montagne.

Eguel le mot hébreu pour veau vient de la même racine que maagal le cercle dans lequel le Eguel nous enferme, une forme de répétition destructrice et morbide. L’épisode du veau d’or représente le paroxysme de la colère du peuple aussi, où pour trouver une échappatoire à son angoisse, on fabrique un masque et on se crée un dieu.  L’idolâtrie est au-delà du geste de la prosternation devant des statues, cet enfermement dans un tohu bohu intérieur et cette répétition obsessionnelle : on tourne en rond. Maimonide ne s’y est pas trompé quand il a qualifié celui qui perd le contrôle et s’enferme dans la colère d’idolâtre[1].

Et pourtant, nos sages nous mettent régulièrement en garde contre cette émotion incontrôlable. D’ailleurs, il y a plusieurs termes en hébreu pour exprimer nos exaspérations, avec des nuances qui vont de la frustration, à la colère contenue voire à la rage avec des termes comme kaas, ragaz ou katzaf.

C’est l’expression hara af – la colère brûlante qui sort du nez, comme la moutarde qui est répétée ici pour exprimer le ressenti de Moise et de Dieu – si on peut dire. C’est un souffle court, une inflammation interne, une irritation dévastatrice. A contrario, un des attributs divins est erekh apaïm longueur de narines et exprime, cette capacité à prendre de longues bouffées d‘air et de faire preuve de patience.

Selon le Traité des Pères, il y a « quatre genres de tempérament : facile à irriter et facile à calmer, son inconvénient est compensé par son avantage ; difficile à irriter et difficile à calmer son avantage est perdu par son inconvénient ; difficile à irriter et facile à calmer, c’est un homme intègre (un hassid) ; facile à irriter et difficile à calmer, c’est un injuste un rasha (méchant littéralement). »

L’ancien grand rabbin anglais Jonathan Sacks, dans un de ses commentaires sur la colère cite le livre ‘Orkhot Tzadikim’, du 15e siècle qui enseigne que la colère détruit les relations personnelles. Elle chasse les émotions positives – le pardon, la compassion, l’empathie et la sensibilité. Il en résulte que les personnes irascibles finissent par se sentir seules, rejetées et déçues. Les personnes de mauvaise humeur n’obtiennent rien d’autre que leur mauvaise humeur selon le talmud.[2] Elles perdent tout le reste.

Rabbenou Yona[3] nous dit qu’il est inéluctable d’être irrité et en colère, mais si la personne le fait avec difficulté et lorsqu’elle n’a pas d’alternative, cela reste une preuve de sagesse. Et il ajoute, ‘il est bon de se calmer aussitôt, au sein même de sa colère, sans attendre qu’elle nous ait quittés.’ L’homme intègre, nous dit-il, s’apaise facilement et c’est là une dimension de l’intégrité et de la générosité.

La colère n’est pas toujours mauvaise conseillère, il y a de saines colères, nécessaires et constructives, car canalisées. De celles où on se lève pour redresser une injustice et où la solidarité humaine joue son rôle. Et actuellement, elles sont nombreuses à s’exprimer dans ce sens à travers la planète.

Ce shabbat est tristement marqué par le décès d’un de nos parnassim – de nos anciens, de ceux qui ont été parmi les fondateurs de la communauté libérale à Lyon. De ceux qui l’ont soutenue et ont œuvré sans relâche pour qu’elle existe et se développe. Et un jour obtienne la reconnaissance qu’elle mérite. Maurice Elmalek était connu pour son engagement sans faille, mais aussi pour son caractère un peu colérique. Sa colère était toujours orientée vers le bien commun et non pour ses intérêts personnels. Il nous poussait toujours vers l’avant, pour qu’on puise au fond de nous le meilleur de nous-mêmes. Sa colère ne durait pas et très vite on le retrouvait jovial et égal à lui-même.

Je trouvais toujours ses prises de parole véhémentes très touchantes, je l’écoutais et le rassurais sa demande serait prise en compte. Pour honorer sa mémoire, et pour KEREN OR, prenons modèle sur Maurice, son engagement, son énergie constructive et sa lutte pour davantage de justice ici à Lyon.

Ken Yhie Ratzon,

Shabbat shalom.


[1] Maimonide, Mishne Torah, Hilchot Deot 2 :3.

[2] Talmud Kiddoushin 40b

[3] De Gerone, 1200-1264.

Drasha Tetzavé chabbat Zakhor – le vêtement qui révèle ou qui cache? KEREN OR, 3 mars 2023

Ce chabbat est celui consacré à la chmatologie : c’est-à-dire au vêtement, pas n’importe lequel, celui du petit et grand prêtre. Les vêtements sacerdotaux occupent une place non négligeable dans la Torah, on revient sur les accessoires que devra porter le Cohen à plusieurs reprises. Cela clôture le descriptif de la fabrication du Tabernacle avec les outils et sacrifices attenants. Les vêtements du Cohen font partie de ces objets de sainteté destinés uniquement à être portés dans ces moments de service au tabernacle, puis au Temple et jamais en dehors. Ils ont une fonction et ils font la fonction !

Pour le commun des mortels, le vêtement est la première chose que l’on voit lorsqu’on rencontre quelqu’un. Il permet de nous faire une idée, parfois superficielle de ce que cette personne veut bien nous montrer d’elle-même. A contrario, le vêtement est aussi là pour cacher, dissimuler des parties du corps et peut être des imperfections, pour au contraire aiguiller le regard sur ce qu’on souhaite mettre en valeur. Lorsqu’on exerce une fonction publique comme celle d’avocat, de juge ou ici de prêtre, le vêtement est comme une affiche publicitaire qui déclame, tout en mettant une distance, car on rentre en relation avec la fonction et non plus avec l’homme ou la femme qui se cache derrière.

Le vêtement du prêtre lui octroie la sainteté, il est séparé et destiné au service divin, et cela dure le temps du service. Lorsqu’il ôte son habit, le prêtre devient un simple membre du peuple, un Israël.

Pour le prêtre, porter le vêtement est une fonction honorifique mais aussi une charge, qui peut être lourde. Chaque vêtement, selon le midrash est porté pour rappeler l’expiation d’une catégorie de fautes.

Le turban doit expier la faute de l’orgueil, la ceinture celle des pensées impures, le bandeau en or autour de la tête prémunir de l’arrogance et le pectoral des mauvais jugements.

Un attribut essentiel est ‘le pectoral de jugement’ le hoshen hamishpat dans lequel sont insérées les 12 pierres représentant chacune des douze tribus d’Israël. Appelés ourim et toumim traduits par Meschonnic par ‘sorts et sortilèges’, ces pierres parlent et transmettent le message divin pour décider du sort du peuple… Le Cohen porte non seulement des vêtements, mais à travers eux la responsabilité au nom du peuple, des fautes qu’il aurait pu commettre.

Le vêtement sacerdotal habille instantanément le Cohen de prêtrise mais il lui confère également la responsabilité de la mémoire de son peuple…Cette concomitance entre immédiateté et temps longue frappe également lorsqu’on lit la meguilla d’Esther, où ces deux temporalités se heurtent.

La psychanalyste Françoise Athlan dans une étude de la paracha Tétsavé évoque cette analogie entre vêtements du grand prêtre et ceux de la reine. Vatilbach Esther malkhout, nous dit la meguilla[1] et Esther s’habilla de royauté, à l’instant où elle rentre dans le rôle de reine, elle prend conscience de son appartenance au peuple juif et a le courage d’agir pour se et le sauver.

Comme le grand prêtre, Esther doit s’habiller des habits de royauté pour aborder le roi, son mari le roi étant une métaphore de Dieu qu’on ne peut aborder n’importe où et n’importe quand et seulement en portant le vêtement adéquat. C’est seulement alors qu’elle peut faire sa demande et sauver son peuple.

Ce shabbat Zakhor est un shabbat de mémoire qui précède de deux jours Pourim, qui célèbre une victoire : celle de la survie du peuple juif en diaspora – dans l’ancienne Perse.

La méguila d’Esther fait aussi partie de notre mémoire, elle est notre antidote à la peur. Haman, ce cruel conseiller d’Assuérus voulait exterminer tous les juifs du royaume. Il a soif de pouvoir et veut porter des habits démesurés, trop grands pour lui, et qu’il ne mérite pas. La fin n’est un secret pour personne, grâce à Esther et Mordekhaï, ce sont finalement lui et ses enfants qui seront pendus.

Ce shabbat nous lisons 3 versets du Deutéronome 25, ils nous parlent d’Amalek, dont Haman serait un lointain descendant selon la Meguilla. Amalek est inscrit dans la Torah comme l’ennemi perpétuel d’Israël une sorte de monstre qui réapparait sous un masque différent à chaque génération.

Pourquoi Amalek est-il pire que les autres ? Pourquoi notre tradition nous dit-elle qu’il revient et nous menace l’dor vador et que son nom doit être effacé de sous les cieux ? Est-ce une forme de paranoïa collective ?

Pour mieux comprendre, il nous faut analyser les trois apparitions d’Amalek dans le récit biblique.

La première dans l’Exode, où les neuf versets nous parlent d’une bataille contre les Amalekites menée par Josué à Refidim. La fameuse scène où Moïse lève le bras qui porte son bâton, ce qui permet aux hébreux de gagner la bataille. Une fois les Amalekites vaincus, Dieu demande d’inscrire ce nom dans le Livre des souvenirs. Et que l’Eternel Lui-même oblitérera sa mémoire de sous les cieux. [2]

Le deuxième récit apparait dans le Deutéronome. Il y a davantage de détails : Amalek est un lâche qui frappe les plus faibles des hébreux par derrière : les femmes, les enfants et les vieillards. C’est pour cette raison, qu’une fois le peuple arrivé sur sa terre, c’est lui qui devra oblitérer la mémoire d’Amalek de dessous les cieux.[3]

Enfin Amalek apparait dans le livre de Samuel. Saul premier roi des Hébreux livre bataille contre les Amalékites qu’il doit anéantir jusqu’au dernier. Mais il ne suit pas le commandement de Dieu et épargne leur roi, Agag. C’est le juge Samuel furieux qui va s’en charger et le passer au fil de l’épée.

Ces différents textes sont comme un chaîne et trame qui s’entrecroise. Par exemple le verset : « Et tu étais fatigué et épuisé et ne craignant pas Dieu »[4] est très ambigu. Est-ce Amalek qui ne craint pas Dieu ou bien le peuple d’Israël ? La construction de la phrase laisse planer le doute : l’ennemi éternel de notre peuple est-il intérieur ? Ou bien est-il extérieur ? Certains midrashim n’ont pas manqué de relever cette contradiction. Le masque de la religion, le déguisement de la piété sont parfois utilisés pour perpétrer les pires crimes, c’était le cas il y a 29 ans lorsque Baroukh Goldstein a commis le massacre à Hébron, au nom de la religion et en particulier de la meguila d’Esther. Ces zélotes renaissent eux aussi à chaque génération et leurs habits ne doivent pas nous tromper…

Alors à Pourim, lorsque nous nous déguiserons pour honorer la tradition et ne plus distinguer entre Haman et Esther ou Mordekhaï, rappelons-nous qu’aucun masque ni aucun déguisement ne peut nous dissimuler de nous-mêmes ni de Celui qui voit vers l’infini et au-delà !

Ken Yhie Ratzon

Shabbat shalom


[1] Esther 5:1

[2] Exode 17:14

[3] Deut.25 :17

[4] Deut. 25 :18

Drasha Terouma – Israël – une lumière pour les nations? 24 février 2023 KEREN OR

Une des plus anciennes images persistantes d’une Menorah telle qu’on l’imagine dans le Temple, me vient du bas-relief de l’Arche de Titus qu’on peut encore admirer lorsqu’on visite le Colisée.

Cette Menorah, symbole de la destruction du Temple et de son pillage par les romains, représente le triomphe d’un peuple sur un autre, des romains sur nous juifs en 70 de notre ère. La guerre des Juifs de Flavius Josephe a duré 8 ans et le bas-relief date lui de 81, par le frère de Titus, Domitien, qui souhaitait ainsi commémorer ses victoires après sa mort.

La Ménorah est le plus ancien symbole du judaïsme. Elle remonte à près de 3000 ans et a gagné ses lettres de noblesse qui durent jusqu’à nos jours. L’état d’Israël a choisi ce symbole et spécifiquement la Ménorah qui figure sur le bas-relief de l’arche de Titus, comme son emblème officiel depuis février 1949.

Et pourtant, le premier grand rabbin d’Israël, rabbin Yitzhak Halévi Herzog s’y était fortement opposé ! Il mettait en avant que la base de la Ménorah était ornée de dragons et autres animaux mythologiques, créatures idolâtres s’il en était et de plus la Ménorah originale était composée d’un trépied et non d’un socle hexagonal ! Cela voulait dire que celle figurant sur le bas-relief avait été fabriquée ou reconstruite en partie par des païens romains probablement…[1]

Le gouvernement de l’époque a passé outre cette opposition et a établi la Ménorah à 7 branches, entourée de deux branches d’olivier, comme emblème figurant sur tous les documents officiels de l’état. L’ajout des deux branches d’olivier étant issus de la vision de Zacharie.[2]

La première description de la fabrication de la Menorah destinée au tabernacle figure dans la paracha Terouma. Faite de 30 kilos d’or pur, ornée de décorations en forme d’amandier, et composée de 6 branches latérales et d’une centrale. Tout est symbole dans cette Ménorah : pour les uns, cela représente les 6 jours de la Création couronnés par le 7ème– le shabbat. Pour les autres, la lumière de la sagesse humaine attachée à l’Eternel qui en forme le centre, ainsi le talmud dans le traité Bava Batra nous dit [3]:

Rabbi Yitzḥak dit : Celui qui souhaite devenir sage doit faire face au sud, et celui qui souhaite devenir riche doit faire face au nord. Et votre moyen mnémotechnique pour cela est que dans le Temple, la Table, qui symbolisait la bénédiction et l’abondance, était au nord, et le Candélabre, qui symbolisait la lumière de la sagesse, était au sud du Sanctuaire. Et Rabbi Yehoshua ben Levi dit : Il faut toujours être tourné vers le sud, car lorsqu’on devient sage, on devient ensuite riche, comme il est dit à propos de la Torah : « La longueur des jours est dans sa main droite ; dans sa main gauche, la richesse et l’honneur » (Proverbes 3:16).

Chaque branche de lumière représente une source de sagesse humaine : en commençant par la simple compréhension – binah , jusqu’à la connaissance de la Torah.

Choisir cet emblème pour notre peuple et pour son état est une responsabilité, on doit s’en montrer digne ! Objet mobile, cette Menorah comme la Torah, est transportable partout où le peuple juif se déplace, et depuis 1956 une reproduction de 4 m de haut réalisée par un artiste anglais Benno Elkan trône devant la Knesset, cadeau du gouvernement anglais pour les 8 ans de l’état. Installée sur le sol où elle doit briller de tous ses feux, elle symbolise un retournement du destin funeste représenté par le bas-relief romain.

La Ménorah du tabernacle, puis du Temple a été réalisée en un seul bloc d’or. Un seul bloc censé nous unir, reliés par nos diversités, faisant du peuple juif une source unique de lumière pour les nations, ainsi que l’exprime Isaïe.[4]

Cet idéal semble décliner, d’une lumière gardons-nous de devenir une ombre…

Le rabbin Michael Marmur professeur de philosophie et théologie au Hebrew Union Collège à Jérusalem a récemment fait une conférence pour ses collègues rabbins européens, où il se penchait sur le terme de Hoguenet, qui peut se traduire par décence, ou comportement civil. Hoguenet est une sorte de voie du milieu, qui permet de lier ensemble des groupes humains aux intérêts et croyances différentes voire divergents. A la manière de deux bateaux ancrés, reliés ensemble en pleine mer, dans un milieu fluide, ils restent accrochés, meouganim à un oguen (ancre). Hoguen – et Oguen vous entendez la proximité auditive de ces deux mots. L’image de ces deux bateaux vient d’un midrash attribué au rabbi Shimon Bar Yohaï.[5]

Hoguenet, ce comportement décent a une racine commune avec hagana : la protection. A défaut d’être parvenu à être une lumière pour les nations, une des missions d’Israël et de son gouvernement est, à minima, de protéger les valeurs démocratiques de l’état, et les minorités qui vivent en son sein, en maintenant un système juridique pouvant protéger tous les citoyens. Israël a également la responsabilité de protéger la sécurité des juifs qui vivent en dehors du pays, en diaspora. La « Bible » de l’état, d’Israël reste la Déclaration d’indépendance de ses fondateurs qui stipule à l’article 6 :

6.a) L’État s’efforcera d’assurer la sécurité des fils du peuple juif et de ses citoyens qui sont en difficulté [et en captivité] en raison de leur judéité ou de leur citoyenneté.

b) L’État agit au sein de la diaspora pour renforcer l’harmonie entre l’État et les membres du peuple juif. 

Ken Yhié Ratzon, Chabbat shalom !


[1] https://mizrachi.org/hamizrachi/the-Menorah-as-the-symbol-of-the-jewish-state/

[2] « Que vois-tu? Je répondis: Je regarde, et voici, il y a un chandelier tout d’or, surmonté d’un vase et portant sept lampes, avec sept conduits pour les lampes qui sont au sommet du chandelier; 3et il y a près de lui deux oliviers, l’un à la droite du vase, et l’autre à sa gauche

[3] Bava Batra 25b

[4] Isaïe 42:6 Je te garderai et je t’établirai pour que tu sois l’alliance du peuple, la lumière des nations,

[5] Sifrei Deutéronome Vezot Habrakha Piska 1

Vaera – Rira bien qui rira le dernier…KEREN OR 21 Janvier 2023

Imaginez la scène : d’un côté les marabouts d’Egypte, de l’autre Aaron et Moise. Les sorciers d’Egypte, sous l’ordre de Pharaon, tentent de montrer qu’ils sont les plus forts et que transformer un bâton en serpent, c’est un jeu d’enfants. Ou plutôt un tour de passe passe, qui ne prouve pas que le Dieu des hébreux est si extraordinaire que ça… Le bras de fer entre Pharaon et Moise, accompagné de son porte-parole Aaron se prolonge sur près de 8 chapitres et deux parachot, car Pharaon et ses acolytes ne comprennent pas, ils s’arcboutent et s’entêtent. Le cœur de Pharaon durcit car Dieu endurcit son cœur, pour le tourner en ridicule.

Oui, Dieu est joueur et a le sens de l’humour. Plusieurs passages bibliques et talmudiques LE soutiennent.

Par exemple, dans le traité Avoda Zara, les Sages du Talmud se demandent comment Dieu occupe son temps et voici la réponse :

Rav Yehuda ne dit-il pas que le Rav dit : Il y a douze heures dans une journée. Pendant les trois premières, le Saint, béni soit-Il, s’assoit et s’engage dans l’étude de la Torah. Pendant les trois autres heures, Il est assis et juge le monde entier. Lorsqu’Il voit que le monde risque d’être détruit, Il se lève du trône du jugement et s’assied sur le trône de la compassion, et le monde n’est pas détruit.

Pendant la troisième série de trois heures, le Saint, Béni soit-Il, est assis et nourrit le monde entier, des cornes de bœufs sauvages aux œufs de poux. Pendant la quatrième série de trois heures, Il est assis et joue et se réjouit avec le léviathan, comme il est dit : « Voici le léviathan, que Tu as formé pour te divertir » (Psaumes 104:26). De toute évidence, Dieu joue et se réjouit tous les jours, et pas seulement ce jour-là. Rav Naḥman bar Yitzḥak explique : Il joue et se réjouit avec Ses créatures, tout comme Il joue et se réjouit avec le léviathan…[1]

L’arme du rire, divinement créée et divinement utilisée, c’est en quelque sorte le fondement de ce monde…et on l’oublie trop souvent.

L’épisode des 10 plaies n’est qu’un exemple. Là, ce qui est mis en scène c’est la manifestation grotesque d’un despote absolu. La Torah est là pour mettre un peu de distance en nous faisant sourire et de cette manière nous libérer de ce joug. S’il n’y avait en jeu les vies et les souffrances des Égyptiens, la succession des plaies infligées ressemblerait à une grosse farce.

Et pourtant, les Égyptiens, dès l’Antiquité sont réputés pour leur sens de l’humour, ils ont même leur déesse de l’humour, que la tradition a marié au dieu de la sagesse. Eux aussi ont dû déployer leur sens de la dérision pour se moquer des différents pouvoirs qui les ont opprimés, sans parler des périodes d’occupation : romaines, ottomanes, ou françaises qui se sont succédé.[2]

Les périodes les plus sombres, les pouvoirs les plus autocratiques constituent le meilleur matériau pour les humoristes qui les utilisent pour en faire des caricatures, jeux de mots et autres farces…c’est le meilleur antidote à la morosité. 

Ainsi, l’attitude de Pharaon n’est pas sans rappeler à trois millénaires d’écart un autre despote, si bien caricaturé par Charlie Chaplin dans le film « le Dictateur ». Film sorti en 1940, en pleine guerre donc ! Entre ces deux époques, combien de tyrans et d’oppresseurs ont voulu écraser leur peuple voire le monde entier de leurs bottes ? Encore aujourd’hui un modèle de ce type sévit et tyrannise un peuple voisin. Convaincu d’avoir raison, jusqu’auboutiste, et seul contre tous, Poutine est prêt à toutes les horreurs pour conquérir un peu de terre et dominer l’Ukraine.

Les juifs n’ont pas le monopole du rire, mais une réputation à tenir : l’humour juif qu’il soit ashkénaze ou sépharade est célèbre du Talmud jusqu’aux comédiens de stand-up en plein cœur de Broadway.

Cet humour juif a cependant une particularité : un solide sens de l’auto-dérision… Dans les situations les plus ubuesques, les plus désespérées, un coreligionnaire saura en faire une blague. Cette culture dite du witz (du bon mot) qui pour le coup est plutôt ashkénaze, s’est transplantée avec succès jusqu’en Israël, où les émissions satiriques sont légion de Eretz nehederet – un pays merveilleux, qui vient de fêter ses 20 ans à Matzav haOuma– l’état de la nation émission animée par Lior Schlein pendant de nombreuses années, le choix ne manque pas.

Dans ce pays du melting-pot par excellence, cette grande marmite souvent explosive où les habitants originaires des quatre coins du monde sont imprégnés de leur propre sens de l’humour, il n’était pas évident que tous rient des mêmes choses …l’humour partagé est pourtant ce qui a fini par cimenter cette population disparate : du juif éthiopien, en passant par le druze ou l’arabe israélien, cela fonctionne et préserve la santé mentale de tous ses citoyens !

Le nouvel aéropage à la tête d’Israël qui se prend très au sérieux manque quant à lui sacrément de sens de l’humour. La température de la démocratie israélienne se mesurera aussi à la pérennité de ces émissions satiriques, qui donnent chacune à leur manière, un peu d’oxygène à ce pays qui en a tant besoin.

Une petite blague pour finir ?« Rebbe je suis malheureux, je veux mourir » dit un jour un homme à son rabbin, alors le rabbin lui répond : « la mort n’est pas une solution ! »et l’homme renchérit : «  parce que cette vie de misère qui est la mienne est une solution ? « Non ce n’est pas non plus une solution » rétorque le rabbin… « « Alors quelle est la solution ? » « Qui a dit qu’il y avait une solution ? » finit par lui demander le rabbin.

Chabbat shalom !


[1] Talmud Avoda Zara 3b

[2] https://www.arabnews.com/node/1165171

Drasha Vayehi – KEREN OR 6 janvier 2023

Les sujets traités dans les séries et autres émissions d’actualité sont comme un baromètre de ce qui nous préoccupe, et peut être aussi des limites que nous souhaitons voire repousser pour nous libérer de ce qui nous entrave ?

Un sujet de prédilection revient régulièrement sur nos écrans ces dernières années : notre relation, au-delà de la mort, avec nos chers disparus. Ainsi, ces dernières années on a pu voir une série sur des Revenants, des fantômes de personnes décédées dans un accident d’autocar revenues hanter les vivants des années après, ou encore au printemps dernier Thierry Ardisson qui avait ressuscité Dalida lors d’une interviewe très dérangeante.

Cette semaine, c’était la série Vortex qui était le dernier exemple du genre. Là, un inspecteur de police retourne 27 ans en arrière pour parler avec sa femme quelques jours avant son décès accidentel (ou criminel). Les questions éthiques que pose cette série sont passionnantes, car lorsqu’on peut revenir en arrière et modifier le passé, comment cela se répercute-t-il sur sa vie présente ? Comment gérer le dilemme entre son désir d’empêcher l’accident et ne pas perdre la nouvelle vie que le héros s’est construite avec une nouvelle femme et enfant ?

Un point commun entre ces séries et émissions c’est leur proposition de nous faire voyager dans le passé et tenter de le changer plutôt que de se projeter vers l’avenir comme c’était souvent le cas dans les séries de science-fiction du siècle dernier ! Pourquoi ce retour en arrière ? Pourquoi cette fascination pour ce temps révolu ? Est-ce par désespoir ou nostalgie ? Est-ce une volonté de ‘réparer’ cette époque où on vit crise sur crise et qui fait vaciller nos croyances les plus profondes ?

Face à ces préoccupations contemporaines et cette tentation de franchir le mur qui nous sépare de ceux qui ne partagent plus nos vies, le judaïsme est plutôt sceptique, voire méfiant et lui préfère une approche plus prosaïque et matérialiste. La croyance en une vie après la mort fait partie de notre tradition certes, mais passe au second plan, face à la vie au présent et à notre responsabilité dans l’ici et maintenant. Il ne sert à rien d’avoir des regrets, de vouloir à postériori changer le cours des choses, à chacun de « faire ce qui est droit, aimer la bonté, et marcher humblement avec ton Dieu », comme le dit le prophète Michée[1].

Le dernier épisode de la vie de Jacob est à ce titre emblématique car il nous relate une fin de vie pacifiée, paisible. Une fin de vie idéale pourrait-on dire, sans regrets ni rancœurs, où Jacob a et prend le temps de bénir ses petits-enfants : Ephraïm et Ménaché, et à travers eux de s’assurer de la continuité de sa lignée Il les réintègre dans cette famille menacée de dislocation, par sa faute qui avait introduit le ver de la jalousie dans le fruit.

Puis, lorsqu’il sent sa fin proche, il rassemble ses fils pour leur transmettre un long discours poétique, un véritable testament spirituel. Dans ses paroles, Jacob mélange passé et avenir. A chacun il rappelle ses médiocrités, voire ses tares qui sont comme des taches, des ‘marques de Caïn’. Leur destin est tracé d’avance, et il n’y a pas la place pour un quelconque changement de cap, pour aucune techouva. Le langage est plutôt froid et sans équivoque, ce ne sont pas les mots, à proprement parler, d’un père aimant, mais plutôt d’un juge, capable de voir à travers eux, en mettant de coté son affect. Ses « bénédictions » individuelles sont aussi des « lettres de mission ».

Mais sous cette froideur apparente, Jacob lutte contre des sentiments contradictoires.

Un midrash (Genèse Rabbah 98 :4 et BT Pessahim 56a) nous parle de l’angoisse qui étreint Jacob sur son lit de mort : il craint que l’un de ses enfants ne soit porteur d’une imperfection, qui menacerait l’unité du peuple. Et même que sa fidélité au Dieu Un ne soit brisée. Cette angoisse fait partir la présence divine –la Shekhina selon le midrash et, il perd sa capacité à voir la fin des jours …Ses enfants tentent de le rassurer et disent de concert : « Shema Israel, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est Un ». Ils font la promesse à leur père – Israël – mourant qu’ils respecteront l’alliance entre Dieu et Jacob-Israël.

Le midrash est bien plus optimiste que ne l’est le discours de Jacob-Israël et une réparation peut avoir lieu, leur père peut partir en paix. Ainsi son testament est aussi un rappel à l’ordre et une mise en garde : la plus grande menace pour cette fratrie est d’être à nouveau en conflit, voire en guerre et de se disloquer…

Jacob-Israël finit par bénir ses enfants l’un après l’autre mais il subsiste un doute sur le contenu de ces bénédictions, car ce qu’on lit ressemble davantage à des tokhakhot…peut être qu’il finit par bénir ses enfants dans un deuxième temps et ceci n’est pas révélé dans la Torah. Cela reste une affaire privée d’un père envers ses fils. Ce qui autorise cet espace de liberté, où chacun d’entre eux pourra poursuivre sa vie en prenant acte de ce testament, mais sans être entravé par lui. Enfin en paix, Israël « ramène ses pieds dans sa couche, expire et rejoint ceux de son peuple. »[2]

En lisant cette semaine l’extrait de la paracha Vayehi – ‘et il vécut’, j’ai réalisé à quel point le récit de la fin de vie de Jacob et en général de nos patriarches est un enseignement pour chacun.e aujourd’hui. Pouvoir prendre ce temps de la discussion, de la réparation de nos liens, et accepter le lègue de ceux et celles qui nous ont précédés comme un cadeau est une chance. Être capable de cette clairvoyance, en acceptant le temps qui nous a été imparti, sans chercher à soulever le voile d’un avenir hypothétique, ni le retour sur un passé révolu est une marque de sagesse. Vivre pleinement n’est-ce pas bénir ce qui est, ce qui a été et ce qui sera ?

Ce shabbat nous finissons la lecture du premier livre de la Torah : la Genèse. Il est de coutume de prononcer la phrase Hazak Hazak venithazek : puissent les paroles de la Torah nous permettre de nous renforcer !

Ken Yhie Ratzon, Shabbat shalom et très bonne année 2023 !


[1] Michée 6:8

[2] Genèse 49 :33

Drasha Mikketz ‘de crise en crise’ – KEREN OR, 23 décembre 2022

Cinq couplets et un refrain composent le Maoz Tzour, poème liturgique qu’on chante avec beaucoup d’entrain les 8 jours de Hanoucca . On n’a aucune certitude concernant le compositeur de ce pyyout, le seul indice est l’acrostiche : le prénom Mordechaï composé à partir de la première lettre de chaque couplet. Etait-ce Mordekhai Ben Hillel HaCohen qui a vécu à Nuremberg et dont toute la famille a été assassinée lors du Pogrom de Rindfleisch en 1298 ? On est seulement sûr de l’origine géographique : c’est un pyyout ashkénaze autrement dit originaire de la région d’Allemagne et environ et datant de la fin du 12è et début 13è siècle. Il rend témoignage de l’époque sanglante que vivaient nos ancêtres en cette période de croisades….

Les cinq couplets énumèrent les différentes crises vécues par nos ancêtres, en commençant par l’asservissement en Egypte, en passant par la destruction du premier Temple par les Assyriens de Nabuchodonosor qui ont aussi exilé les israélites en Babylone, la Perse et les persécutions relatées dans le livre d’Esther (qui elles ne sont pas historiques), les grecs dont Hanoucca commémore les exactions envers les Juifs et leur liberté de culte…Le dernier couplet, mérite qu’on s’y arrête, car on y parle d’un certain Admon, le rouge qui nous rappelle Edom le frère de Jacob. Il représente le paradigme de celui qui maltraite les juifs à chaque époque, et fait en particulier référence aux romains destructeurs du 2è Temple, puis aux romains devenus chrétiens …et desquels il faut se venger.  Ce chant est là pour redonner courage et montrer la résilience des hébreux qui à chaque génération se relèvent…l’Eternel a tendu une main protectrice qui nous a sauvés.

Ces crises sont racontées à la première personne du singulier, à hauteur d’homme dans le pyyut comme dans la Torah. Cette semaine, c’est la crise de la famille de Jacob dont il est question. Une crise fréquente à l’époque, matérialisée par la famine. Et Jacob demande à ses fils de cesser de rester passifs mais plutôt de se lever comme un seul homme pour aller chercher de quoi se nourir ailleurs, en Egypte, cette terre que l’Eternel avait interdite à Isaac, qui lui aussi avait vécu une famine, Jacob la conseille à ses fils…

וַיַּ֣רְא יַעֲקֹ֔ב כִּ֥י יֶשׁ־שֶׁ֖בֶר בְּמִצְרָ֑יִם וַיֹּ֤אמֶר יַעֲקֹב֙ לְבָנָ֔יו לָ֖מָּה תִּתְרָאֽוּ

Jacob, voyant qu’il y a du grain en Égypte, dit à ses fils: « Pourquoi vous regardez vous ainsi ? »  

C’est dans ce verset qu’apparait pour la première fois dans la Torah, le mot shever de la racine shavar briser ou casser, ici shever est traduit par grain mais cela veut dire plus littéralement ‘une portion’ afin de faire directement référence à la nourriture qu’il faut aller chercher en Egypte. En Egypte, où, ils ne le savent pas encore, une autre ‘portion’ les attend, une ‘portion’ d’eux-mêmes…Leur frère Joseph qui est le bras droit de Pharaon devenu ministre des finances en quelque sorte. Joseph qui a eu la prescience d’organiser des stocks de grain pour que la population égyptienne ne meure pas de faim… Un shever pour éviter un mashber en quelque sorte, une portion de grain pour éviter une crise. Beauté de la polysémie hébraïque qui d’une brisure et d’une crise, peut aussi faire une portion de pain…

Cet épisode est déconcertant car jusqu’ici l’Eternel indiquait un sens unique : celui de la terre promise. Et alors que Jacob et sa famille sont enfin installés en terre de Canaan, on leur indique le sens inverse. Quelles circonstances peuvent expliquer ce revirement ?

Bien sur il y a cette main providentielle qui cherche à réunir la fratrie. Le mashber c’est aussi le terme pour désigner la chaise d’accouchement. Lors d’une crise on accouche d’un nouvel épisode de sa vie, d’un nouveau soi-même …

Une crise c’est un bouleversement où tout est sans dessus dessous, alors il est possible que la Guéoula – ‘libération’ puisse venir de la ‘Galout’ – de l’exil…dans un mouvement inverse qui vient en quelque sorte redresser les destinées.

Pour finir voici une histoire de Rabbi Nahman de Braslav :

Une fois, une grande tempête a soufflé sur le monde. La tempête était si puissante qu’elle a bouleversé le monde entier, transformant la terre en mer, et la mer en terre, les déserts en lieux habités, et vice versa.

La tempête a traversé le palais du roi … il a soulevé et emporté l’enfant de la princesse. Au milieu de toute cette confusion, alors que la princesse voyait son enfant emporté elle s’est immédiatement mise à sa recherche, la reine la suivant, et le roi après la reine, jusqu’à ce qu’ils soient tous séparés et qu’aucun ne sache où les autres avaient disparu.

Comme je l’ai dit, nous sommes tous allés dans les différents endroits que le roi nous a révélés pour renouveler nos pouvoirs, et au moment où nous sommes revenus, tout le monde avait disparu.

La mystérieuse carte – la main a également été perdue. Depuis lors, nous avons tous été dispersés, et aucun d’entre nous n’a pu se rendre dans ces différents lieux pour renouveler ses pouvoirs, car depuis, le monde entier a été bouleversé et confus, et tous les continents mélangés, la mer à la terre ferme, etc., il est désormais impossible de remonter en utilisant les chemins antérieurs. A présent, il nous faut remonter en utilisant de nouvelles voies en fonction de la nouvelle organisation du monde.

Cette histoire comme une métaphore des crises vécues par les Juifs et par l’humanité en général. Cette année 2022 se termine un peu comme elle a commencé, les crises se sont succédé, on n’a plus la carte ni la boussole pour se situer et comprendre et on se sent souvent perdu. Mais les nouveaux chemins existent, à nous de les trouver, en étant connectés à notre voix intérieure et à ce qui nous fait rêver, Joseph est notre modèle …ces rêves précieux finiront par nous raccrocher au maoz tzour , ce ferme rocher de notre délivrance.

Ken yhié ratzon !

Chabbat shalom, hag samea’h et bonne fin d’année !

Drasha Vayeshev – KEREN OR 16 décembre 2022

Vehakadosh baroukh hou yevarekh etkhem, veychlakh brakha vehatzlakha bekhol maassé yadekhem [1]

Que l’Eternel vous bénisse et vous envoie sa bénédiction et le succès dans toutes ce que vos mains entreprennent…

Vous connaissez cette bénédiction appelée Mi chébérakh que le rabbin prononce à la fin de chaque alya à la Torah afin de bénir la personne, ou le groupe de personnes appelées pour cette mitsva.

Mais est ce que vous connaissez l’origine de cette bénédiction ? Elle semble directement connectée à la paracha Vayéchév, où il est dit à propos de Joseph qui vient d’arriver en Egypte Vayehi Adonaït et Yossef vayehi ysh matzliakh[2]  Et l’Eternel fut avec Joseph et il connut la réussite.

Qu’est-ce que réussir selon la Torah ? Est-ce que Joseph est un modèle de réussite ?

Selon le commentaire du Malbim (rabbin Yehiel Michel Wisser du 19è siècle), il y a deux types de succès : d’un côté le « succès naturel » et de l’autre le « succès providentiel ». Le « succès naturel » advient lorsqu’on mène un certain nombre d’actions logiques pour aboutir au succès : comme de vendre un produit demandé, au bon prix et au bon moment par ex. Cependant, le succès providentiel se reconnait au fait, nous dit Malbim, qu’on a tout fait de travers et en dépit de cela il y a un renversement providentiel qui permet le succès d’une entreprise naturellement vouée à l’échec. D’après le commentateur, Joseph bénéficie de ces deux types de succès.

Lorsqu’on observe la vie de Joseph depuis son jeune âge, c’est une succession de pièges qui lui sont tendus ou qu’il se tend lui-même, à plusieurs reprises il échappe de justesse à la mort, ces moments critiques s’intercalent à de grands moments de réussite et bénédiction…

Dans la maison paternelle, il est le fils préféré, beau et intelligent, auquel Jacob offre une tenue pour le singulariser davantage. Il reste à l’intérieur, pendant que ses frères vont faire paître les brebis dans les champs. Joseph rêve et raconte à ses frères ses rêves annonciateurs de ses grands succès à venir… Solitaire, il est celui qu’on pointe du doigt, par jalousie et parce qu’il est trop différent. Tout cela est trop beau pour être vrai et les ennuis commencent.

Le premier renversement providentiel survient lorsque Joseph est laissé pour mort dans un puits, il survit et arrive en Egypte. Il échoue dans la maison du chef des gardes cuisiniers de Pharaon, Putiphar, 1qui lui fait confiance et lui donne toute latitude pour gérer ses affaires. Il réussit en étant séduisant physiquement et par ses paroles et actes, mais il suscite en même temps le désir …on veut s’emparer de lui, le posséder, comme la femme de Putiphar qui est irrésistiblement attirée par son serviteur. Perfidement dénoncé par la femme de Putiphar, il sera mis en prison. Même en prison, Joseph se sort du pétrin, le gouverneur lui confie des responsabilités en prison, il en sortira finalement, grâce à sa capacité à interpréter les rêves. Pharaon le prendra à ses côtés comme son bras droit, là aussi parce qu’il aura été le seul à interpréter les rêves de Pharaon.

Mais là j’anticipe, revenons à l’épisode où il est décrit comme un ish matzliakh, l’homme qui réussit, l’homme béni de Dieu.  Dans ce passage, les paroles de bénédiction alternent avec la fameuse expression « il arriva après ces faits ». Les rabbins commentent cette expression qui apparait tout d’abord à propos d’Abraham, juste avant qu’il ne se dirige vers le Mont Moriah pour sacrifier son fils. Répétée à plusieurs reprises, cette expression introduit dans la Torah l’annonce d’un moment délicat, un test divin pour le protagoniste. C’est le cas pour Abraham, comme ici pour Joseph, où l’Eternel teste sa capacité à résister à la femme de Putiphar qui veut le mettre dans son lit. Et il résiste : est-ce le résultat d’un succès providentiel ? Ou juste la mise en pratique de ses propres valeurs d’homme juste de tzaddik ? …

Ces questions de destin et de réussite m’ont poursuivie lors de mon voyage à Rome avec les AJCF.  Nous sommes allés sur les traces de Jules Isaac ce professeur d’histoire né en 1877 à Rennes dans une famille athée et patriote qui fuit l’Alsace occupée par les Allemands. Il sera inspecteur général puis démis de ses fonctions par les lois de Vichy en 1940, alors que son livre continuait à servir de support à l’enseignement de l’histoire dans les collèges et lycées.

Sa femme et sa fille, déportées en 1943, lors d’une rafle dont il réchappe de peu, périssent pendant la Shoah. Dès la sortie de la guerre il s’attelle à redonner une place digne aux français juifs. Il écrit le livre Jésus et Israël en 1959 plus de 10 après avoir fondé l’Alliance des Juifs et Chrétiens de France en 1948. Il est aux prémices du dialogue inter-religieux. En 1949 déjà il rencontre le pape Pie XII puis à plus de 80 ans en 1960, il aura une audience privée avec le pape Jean XXIII. Celle-ci sera décisive et changera le cours de l’histoire entre juifs et chrétiens. Son travail de lutte acharnée contre les préjugés de l’Eglise à l’encontre des juifs à son plus haut niveau. A propos de cette rencontre le secrétaire particulier de Jean XXIII Monseigneur Capovilla écrit : « il est vrai que jusqu’à ce jour-là Jean XXIII n’avait pas pensé que le Concile eût également à s’occuper de la question juive et de l’antisémitisme. Mais depuis ce jour-là, il ne cessa de s’en occuper. »[3]  

Les interventions de Jules Isaac auront un impact décisif sur les conclusions du Concile Vatican II et la rédaction du fameux paragraphe de Nostra Aetate qui met fin à la théologie du peuple déicide !

Comme Joseph, il se hissera jusqu’à la cour des puissants pour défendre ses coreligionnaires. Athée, il s’appuie sur sa notoriété dans l’Education nationale pour écrire un livre qui sera déterminant sur les Evangiles et Jésus, en rappelant ses origines juives. Ainsi, il tente de rétablir des relations de fraternité entre juifs et chrétiens permettant aux juifs de recouvrer leur dignité. Jules Isaac réussit brillamment son entreprise de réhabilitation même si cette réussite lui est posthume. Puisse sa démarche nous inspirer pour l’avenir et la lumière qu’il a apporté au monde, nous éclairer en cette veille de Hanoucca.

Chabbat shalom, hag samea’h !


[1] Sefat haNeshama p235

[2] Genèse 39:2

[3] https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Jules-Isaac-pape-Jean-XXIII-rencontre-decisive-question-juive-2020-06-12-12010994246

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