חלום חלמתי j’ai rêvé un rêve[1].
Mais d’où viennent nos rêves ? Pourquoi on décide soudain de poursuivre l’un
d’entre eux et d’en faire une réalité ?
Pour moi, cela a commencé un shabbat de mars 2007, à Jérusalem.
Quelques semaines plus tard je devenais présidente de l’UJLL la communauté
libérale lyonnaise. A ce titre j’assistais pour la première fois à une
conférence de la WUPJ. Comme une éponge, j’absorbais l’intensité du moment.
Le samedi après-midi avait lieu la classique visite de la vieille
ville, avec comme guide le rabbin David Wilfond (surnommé haGingi= le
rouquin). Notre petit groupe cosmopolite et enthousiaste avait fini cette
promenade sur les toits de la vieille ville, en chantant à tue-tête les quelques
airs que l’on connaissait tous en hébreu. Le soleil se couchait, le muezzin rappelait
ses ouailles, et toutes les cloches sonnaient. Chacun avait sa place, chacun en
appelait à Dieu à sa manière, tout semblait baigner dans une sorte d’étonnante
et brève félicité. Ce moment suspendu a laissé entrevoir une possibilité, un
espoir qui ne m’a plus quitté.
De retour à Lyon, j’avais mis cela de côté pour m’occuper de la
bat mitsva de Romane et prendre en charge mes nouvelles responsabilités. Mais
ce moment me revenait comme un leitmotiv pour me redonner de la force lorsque
le doute ou le découragement me rattrapaient.
L’idée de reprendre des études pour devenir rabbin a commencé à me
caresser un an plus tard, mais tout cela me semblait encore bien farfelu et je
rangeais cela dans un coin de ma tête, préférant m’occuper des projets
professionnels des autres, puisque c’était mon métier.
En avril 2013, l’envie d’être rabbin est revenue en force et a télescopé
ce fameux souvenir du shabbat à Jérusalem, et tout s’est mis en place. D’abord
d’une voix timide, puis, au fil des semaines, de plus en plus assurée, j’ai partagé
mon désir d’être rabbin avec mon entourage. Je me rappelle encore du rire
enthousiaste de Pauline[2], René[3] me
disant qu’il l’avait toujours su…ou Hervé qui m’a poussée à y croire, des
nombreux visages qui m’ont encouragée.
Hineni, me voilà 5
ans plus tard devant vous prête à recevoir ma smikha. Aucun sacrifice, ni
obstacle ne m’a détournée de mon rêve, ni les longues soirées d’étude, ni les longs
allers et retours en Eurostar, ni la grisaille londonienne (la nourriture était
excellente grâce à Graziella ma logeuse italienne).
Comment vous résumer 5 ans aussi essentiels, riches et
formateurs ? Ils sont passés comme un rêve dont il ne reste que quelques
surimpressions : Nathan[4] me
donnant des conseils sur la manière de mener des offices au Leo Baeck; des
cours de talmud avec Laliv[5] ou
Mark[6],
où vraiment je me sentais comme un éléphant dans un magasin de
porcelaine ; des conseils avisés d’Alex,[7] d’un
cours de chant avec Monica[8],
où décidément je croyais que je n’arriverai jamais à chanter ce Kol Nidre…un
autre avec Robin[9],
qui a su me faire dépasser mes peurs : ‘v’haykar v’haykar lo lefakhed,
lo lefakhed klal…’ « l’essentiel est de ne pas avoir peur ».
Je me rappelle de la jolie démonstration de Jeremy[10]
concernant la Amida, qui d’après lui devait être dite en sens inverse, ou du
prophète Elie dépeint par Charles[11] …un
vrai clochard hirsute ! De Déborah[12]
qui nous a transmis avec tant de passion son amour du rouleau des Lamentations,
à tel point que moi aussi j’en suis tombée amoureuse et réussi à trouver, dans
ce dédale de figures bibliques, celle à laquelle je pouvais enfin
m’identifier : Sion ! Certes elle était plus symbolique qu’incarnée
mais quelle énergie, quelle authenticité !
Tant de moments bénis par la générosité de tous nos professeurs. Désolée
de ne pas vous citer tous, car chacun d’entre vous à contribué à me former ou
plutôt à me trans-former, tout en restant moi-même.
Et puis, je ne peux oublier ces rabbins ‘tout terrain’ formidables
de patience, de sens de l’observation, de transmission, d’écoute : je veux
parler en particulier de Richard[13]
et Tom[14].
D’autres modèles, d’excellente qualité m’attendent de retour en
France : ces trois femmes rabbins quasi-héroïques qui m’ont précédée, dans
leur ordre d’entrée en scène : Pauline, Floriane[15]
et Delphine[16],
chacune à sa façon fait l’histoire au quotidien.
Je serai la 4e de ces mousquetaires. Bientôt trois
autres vont se joindre à nous et nous atteindrons le nombre magique : 7!
J’ai hâte de travailler à KEREN OR où, auprès de Haim, je mettrai
en place de nouveaux projets qui tissent du lien, entre toutes celles et tous ceux
qui ont soif de judaïsme. Et puis si le temps et la santé le permettent, prendre
part à des projets ambitieux en France, où de jeunes pousses cherchent à voir
le jour, en accompagnant les hommes et les femmes là où ils veulent aller pour
renforcer leur identité juive.
Rêver c’est être capable de voir au-delà de la réalité, avoir foi
en l’avenir. Et il y a tant de personnes à remercier : mes parents Céline
et Alexandre qui ont su voir en moi non seulement leur fille, mais un rabbin. Mon
cher mari, Hervé qui a toujours cru en moi, mes enfants Romane et Ivan qui
m’ont poussée dans mes retranchements, à faire toujours mieux pour être fiers
de leur mère.
Merci à ma famille venue d’Israël et de France, mes amis anglais
et français, vous m’avez donné beaucoup de force sur ce chemin pentu !
Merci à tous mes collègues du LEO BAECK COLLEGE, vous allez
beaucoup me manquer !
Et last but not least, merci à mes amis, Gershon, Igor et
Zahavit, nous avons su être une équipe solidaire et soudée et dépasser des
moments extrêmement difficiles. Nous pouvons être fiers de l’amitié qui s’est
nouée entre nous, faite de challenge et de solidarité. Un grand mazal tov et b’hatzlakha
dans toutes vos entreprises, je vous aime !
Que Dieu vous bénisse !
[1]
dit Pharaon en parlant à Joseph, le grand rêveur de la Torah…
[2] Rabbi Pauline
Bebe, CJL Paris
[3] Rabbi René
Pfertzel, Kingston Synagogue, ancien rabbin de KEREN OR
[4] Rabbi Nathan Godleman,
colleague ordained in 2018
[5] Dr Laliv Clenman, professor
of Talmud
[6] Rabbi Mark
Solomon, lecturer in Talmud
[7] Rabbi Alex Wright, my tutor
[8] Monica Ruttenberg
[9] Robin Samson
[10] Dr Jeremy Schonfield, professor
of Liturgy
[11] Rabbi Dr Charles Middleburgh
dean of Leo Baeck College
[12] Rabbi Dr Deborah Kahn Harris
Principal of Leo baeck College
[13] Rabbi Richard
Jacobi synagogue ELELS London
[14] Rabbi Tom Cohen, KEHILAT
GESHER, Paris
[15] Rabbin Floriane
Chinsky MJLF
Paracha Re’eh – 30 Août 2019, KEREN OR
de Daniela Touati
On 30 août 2019
dans Commentaires de la semaine
« Roubaix, Une lumière », le dernier film d’Arnaud Desplechin est une chronique sociale qui se déroule au commissariat de Roubaix, une des villes les plus sinistrées de France.
Ce sont les deux personnages principaux du film qui m’ont beaucoup touchée au-delà de l’intrigue sociale et policière. Comment ils se débrouillent de cette réalité, cette misère humaine et leur rapport à la loi.
D’un côté, un commissaire d’une quarantaine d’années, d’origine algérienne, célibataire, né et ayant vécu toute sa vie à Roubaix dont il connait tous les recoins. Alors que toute sa famille a choisi de retourner en Algérie, il est resté seul en France. Athée, humaniste, il approche chaque affaire avec sérénité, et une patience à toute épreuve.
De l’autre, un jeune inspecteur, plein d’enthousiasme qui commence sa mission, et dont on apprend, par son journal intime, qu’il avait hésité à devenir séminariste. Il croit profondément à la bonté, à l’honnêteté et à la justice, celle préconisée dans les Evangiles, pour se prémunir de toute déviation et de tout mal. Et il applique ces principes à son enquête en espérant pouvoir sauver les hommes et les femmes « qui ont fauté ».
Deux mondes, deux cultures, deux approches de l’humain. L’une est basée sur l’expérience et la psychologie humaine mais aussi une grande ouverture du coeur, l’autre sur les préceptes de la religion catholique qu’il s’efforce de respecter à la lettre.
Et ensemble ils nous interrogent: y a-t-il une recette, une voie magique qui permet de se prémunir du malheur et d’être béni?
Recevoir la bénédiction divine pour autant qu’on marche dans les voies de l’Eternel, c’est la promesse de notre paracha qui commence par ces mots :
כו) רְאֵ֗ה אָנֹכִ֛י נֹתֵ֥ן לִפְנֵיכֶ֖ם הַיּ֑וֹם בְּרָכָ֖ה וּקְלָלָֽה׃ (כז) אֶֽת־הַבְּרָכָ֑ה אֲשֶׁ֣ר תִּשְׁמְע֗וּ אֶל־מִצְוֺת֙ יְהוָ֣ה אֱלֹֽהֵיכֶ֔ם אֲשֶׁ֧ר אָנֹכִ֛י מְצַוֶּ֥ה אֶתְכֶ֖ם הַיּֽוֹם׃ (כח) וְהַקְּלָלָ֗ה אִם־לֹ֤א תִשְׁמְעוּ֙ אֶל־מִצְוֺת֙ יְהוָ֣ה אֱלֹֽהֵיכֶ֔ם וְסַרְתֶּ֣ם מִן־הַדֶּ֔רֶךְ אֲשֶׁ֧ר אָנֹכִ֛י מְצַוֶּ֥ה אֶתְכֶ֖ם הַיּ֑וֹם לָלֶ֗כֶת אַחֲרֵ֛י אֱלֹהִ֥ים אֲחֵרִ֖ים אֲשֶׁ֥ר לֹֽא־יְדַעְתֶּֽם׃
26 Voyez, je mets devant vous aujourd’hui la bénédiction et la malédiction: 27 la bénédiction, en comprenant les commandements de l’Éternel, votre Dieu, que je vous commande aujourd’hui; 28 et la malédiction, si vous n’obéissez pas aux commandements de l’Éternel, votre Dieu, si vous quittez la voie que je vous trace aujourd’hui, pour suivre d’autres dieux, que vous ne connaissez point. (Deut.11 :26-28)
Que veut dire marcher dans les voies de l’Eternel? Est-on juste guidé par la peur un peu superstitieuse du châtiment ?
A milieu social égal, qu’est ce qui incite les uns à choisir les voies de la justice tout en tendant la main à leur prochain au fond de l’abîme, plutôt que la délinquance et le crime?
Qu’est ce qui est prédestiné dans la vie? Quelle est notre part de liberté? Avons-nous un réel impact ?
Nos Sages sont en désaccord sur cet aspect du libre arbitre: Rachi nous dit «Tout est dans les mains du Ciel, à l’exception de la crainte du ciel. » qu’est donc que cette crainte du Ciel ?
Un autre philosophe espagnol qui a vécu environ un siècle après Maimonides, Hasdai Crescas dit que toute notre vie est déterminée, car influencée par des causes extérieures (milieu social, lieu de vie, religion etc) qui orientent par conséquent nos choix.
Une réponse plus nuancée nous est donnée dans le Pirke Avot (traité des Pères):
הַכֹּל צָפוּי, וְהָרְשׁוּת נְתוּנָה, וּבְטוֹב הָעוֹלָם נִדּוֹן. וְהַכֹּל לְפִי רֹב הַמַּעֲשֶׂה:
Tout est prévisible, mais la liberté de choix est garantie, et le monde a été jugé avec le bien, et tout est en fonction de l’abondance du travail (fourni).
Notre destin est ainsi dans les mains de l’Eternel mais en même temps, même si un certain déterminisme existe, certains aspects de nos vies sont en notre pouvoir, et nous pouvons les modifier. Cet espace de liberté serait ce mélange subtil entre crainte du Ciel, ou notre conscience et l’ouverture de notre cœur et intuition.
Notre mode d’alliance au divin pourrait se résumer à deux mots, composés des mêmes 4 lettres א י כ ה vocalisés différemment ayeka et eikha, qui sont en quelque sorte en dialogue dans la Bible :
D’une part ‘Ayeka’ ? ‘Où es-tu’ demande Dieu à Adam lorsqu’il se cache après avoir mangé du fruit de l’arbre de la connaissance, comme si Dieu ne savait pas où il se trouve. En fait Il en appelle à la responsabilité d’Adam, pour que le premier homme assume ses actes, qu’ils soient bons ou mauvais et donne à Adam et par extension à nous tous, la possibilité de réfléchir et se repentir si nécessaire.
D’autre part, Eikha, le premier mot du livre des Lamentations traduit par ‘Comment’ ? Cette fois c’est l’ensemble d’entre nous, qui voulons comprendre les desseins de l’Eternel, et Lui demandons des comptes, comment a-t-Il pu laisser anéantir son peuple ainsi que son centre spirituel? où était Il ? Pourquoi n’a-t-Il pas respecté sa ‘part du contrat’ ? Quel crime méritait une telle punition ?
Et la force de notre tradition est de nous laisser exprimer cette colère quand nous faisons face à ce qui nous semble injuste.
C’est notre liberté de dire, de choisir et non de subir et ainsi d’être fidèles à l’une des plus grandes valeurs du judaïsme. A chaque instant nous avons le choix de vivre un évènement comme une bénédiction ou une malédiction et classer nos actes en deux catégories. Ceux qui font partie de la catégorie de ‘l’avoir’, où nous agissons par peur de la punition ou par recherche d’une rétribution ou d’un honneur pour nos bonnes actions. Et ceux qui font partie de ‘l’être’, reflétant une cohérence totale entre nos actes, paroles et pensées, notre intime conviction de la nécessité d’un comportement humain et juste en toute occasion.
Le commissaire du film « Roubaix Une lumière » a choisi de faire appliquer la loi tout en faisant preuve d’une grande compassion. Il est du côté de ‘l’être’, c’est ce qui lui donne cette force tranquille et cette capacité à rester serein même dans les situations les plus dramatiques.
Le commissaire du film « Roubaix Une lumière » avait choisi de faire appliquer la loi tout en faisant preuve d’une grande compassion. Il était du côté de ‘l’être’, c’est ce qui lui donnait cette force tranquille et cette capacité à rester serein même dans les situations les plus dramatiques auxquelles il était confronté.
En ce début du mois d’Eloul, puissions-nous également trouver ce chemin en nous, délicat équilibre entre commandements et générosité de l’être, qui nous permettra de nouer (ou renouer) un dialogue sincère avec Dieu et notre prochain.
Ken Yhie Ratzon !
Chabbat shalom !